LE CONSENSUS DE WASHINGTON, LE FMI ET
L’ALGERIE
Zoher Adli & Kada Akacem1
Professeur, faculté des sciences
économiques et de gestion, université
d’Alger 3.
Résumé
Le but de notre communication est de montrer que les politiques économiques, ‘embedded’
dans le fameux « Washington Consensus »que l’Algérie suit (cahin-caha) depuis plus de deux
décennies, qui lui ont été imposées dans le passé par le FMI et qui lui sont fortement, et
avec grande insistance, recommandées par ce dernier depuis les années deux mille, ne
sont pas du tout appropriées pour un développement économique et sociale satisfaisant
pour notre pays, surtout si elles sont suivies à la lettre, et cela pour au moins deux
raisons: la première est que ces politiques économiques ont été conçues non pas dans
l’intérêt des pays tel que l’Algérie mais plutôt dans celui des multinationales
(occidentales en particulier) ; la deuxième raison est que ces politiques économiques et
notamment l’ouverture prématurée et tout azimut de notre pays aux produits et
entreprises étrangères, que l’institution internationale nous a imposées, ne sont pas, et
ne peuvent pas, être soutenables dans le long terme.
MOTS CLES: politiques économiques, Washington Consensus, FMI, objectifs,
soutenabilité, politiques à deux vitesses, patriotisme économique, institutions,
développement économique et social.
Après son indépendance l’Algérie avait adopté un système d’économie planifiée, administrée. Celui-ci n’ayant pas donné les
résultats escomptés, le pays a été obligé de changer de cap et a opté pour un système d’économie de marché, à travers les
réformes économiques contenues dans le Washington Consensus, et qui lui ont été prescrites par le FMI en vue d’une
transition vers une économie de marché. Est-ce à dire que cette dernière a été bien menée et qu’elle a donné les résultats
espérés ? Loin de là. La transition a été un échec quasi-total et au lieu d’une économie de marché dynamique, le pays a eu
droit à une économie de bazar qui se caractérise par, en particulier, un gaspillage sans précédent des ressources du pays.
Cela est dû bien évidemment à
2
2
INTRODUCTION
Concernant les politiques publiques nous avons choisi, pour notre communication, de
parler des politiques économiques du « Washington Consensus » imposées par le FMI, à
l’Algérie dans les années quatre-vingt-dix (en particulier à partir de l’année 1994) et très
fortement recommandées, par ce dernier, depuis les années deux mille. Ce sont des
politiques qui sont un ensemble de réformes économiques néolibérales qui ont été
imposées à des pays infortunés, par les institutions financières internationales basées à
Washington et qui les ont conduits vers: misères et crises.
Plusieurs raisons, mais l’une des plus importantes se trouvent dans la nature même des
politiques économiques du Consensus de Washington imposées par le FMI, et en
particulier celle concernant le commerce extérieur.
Le but de notre communication est alors de montrer que les politiques économiques du
Consensus de Washington, surtout si elles sont suivies à la lettre, ne peuvent être que
catastrophiques pour un pays comme l’Algérie, et ce, et en particulier, parce que les
objectifs réels et inavoués de ces politiques économiques à géométrie variable telles
qu’imposées par le FMI, sont très différentes de celles que notre pays devrait avoir, tout
au moins si le but des autorités est d’avoir une économie suffisamment forte et
performante pour satisfaire, dans un avenir plus au moins court, au moins les besoins les
plus rudimentaires de la population : emploi, logement, santé, éducation… Les réformes
du Consensus de Washington ont en effet déjà conduit le pays vers une impasse
économique et sociale, et à plus au moins moyen terme vers une impasse politique aussi
bien. Ce dont le pays a alors besoin, ce n’est pas d’un Consensus de Washington mais
d’un Consensus (patriotique) d’Alger pour une transition vers une économie sociale (ou
socialiste) de marché administrée, à travers un ensemble, de politiques économiques,
cohérent, bien structuré, bien transparent et fruit d’un débat national (sans exclusion) et
d’un minimum de consensus national dans le cadre d’une totale transparence. Cela
suppose alors, lors de la conception et de l’adoption de cet ensemble de réformes, une
participation active de tous les stakeholders: gouvernement, parlement, les universités,
les grandes écoles, syndicats des ouvriers, syndicats des patrons, parties politiques, et
autres associations… Une telle participation sera alors le gage du soutien populaire pour
un tel programme, soutien qui est par ailleurs indispensable à la réussite et à la
soutenabilité de ce dernier. De telles politiques économiques de transition devront être
abordées, conçues et mises en œuvre sous un angle patriotique, autrement dit il faut
pratiquer le patriotisme économique durant la transition (et même après) comme tout un
chacun, comme tous les pays l’ont fait et continuent à le faire, sauf malheureusement le
nôtre, même si dernièrement quelques mesures très timides et certainement bien
insuffisantes, ont été prise dans ce sens. Tels seront les points qui seront abordés dans
notre communication à travers trois parties. Dans un premier temps nous verrons ce que
sont les politiques du consensus de Washington, telles qu’imposées par le FMI (nature et
objectifs). Dans un second temps nous examinerons leur nature à deux vitesses. Et enfin
dans une troisième et dernière partie nous verrons ce que l’Algérie a accompli dans ce
cadre et que les résultats obtenus sont très gligeables et parfois même très
dommageable. Nous avancerons quelques recommandations tout le long de cette
présentation et dans la conclusion générale en particulier.
3
3
1. Les politiques économiques du FMI et leurs objectifs
1.1. Nature de ces politiques.
Beaucoup de pays, et parmi eux l’Algérie, qui avec l’espoir d’améliorer leurs situations
économiques et sociales, ont eu à un moment ou un autre un besoin urgent de
l’assistance financière des institutions financières internationales, et sous les injonctions
de ces dernières, ont se soumettre à mettre en œuvre, à un rythme plus ou moins lent
et plus ou moins discontinu, tout un ensemble de politiques économiques, quasiment
standards (‘one size fits all’ : une seule et unique taille pour chacun), auxquelles sont
souvent rattachées des plans d'austérité à des conditionnalités très sévères forçant le pays
emprunteur à adopter des réformes pour une transition vers un système d’économie de
marché. Ce programme, intégré dans le Consensus de Washington, est d’une inspiration
éminemment néolibérale. En effet pour les tenants de ce courant économique, la priorité
dans la gestion des ressources économiques doit être donnée au mécanisme des prix, à la
libre entreprise à travers la propriété privée des moyens de production, et à une réelle
concurrence dans tous les marchés : financiers, travail, biens et services…
A propos de l’Algérie, l’une des caractéristiques de son économie vers le milieu des
années 1980 (qui correspond à la période de la chute libre du prix du pétrole jusqu’à
environ $6 le baril) est un déclin significatif de la croissance économique. De leader (ou
tout au moins l’un des leaders) mondial durant les années 1970, ayant connu une
croissance économique très rapide (l’Algérie avait connu alors, des taux de croissance
plus éle que ceux de la Corée du Sud), le pays est devenu l’un des plus grands
perdants, économiquement, de la globalisation. Les institutions financières
internationales, beaucoup d’experts et autres économistes expliquent ce déclin par, entre
autres causes, la part trop grande, du secteur public dans l’économie du pays, secteur non
performant mais surtout défaillant. En Algérie pourtant, et dès la mort du Président
Boumediene en 1979, mais surtout et avec plus d’insistance à partir de l’année 1986,
année de la chute brutale des prix mondiaux du pétrole, on a commencé à se poser la
question de savoir quel était le meilleur modèle politique et surtout économique qui
aurait le plus de chance de réussir à obtenir un développement économique et social
harmonieux et satisfaisant. Aussi, l’Algérie a entrepris d’elle-même de réformer le
secteur public notamment, mais en vain. Les résultats ont été plus que décevants. En
conséquence et avec la situation économique et sociale catastrophique, dans laquelle
s’est trouvé le pays, surtout après les événements sanglants de la fin de l’année 1988,
l’Algérie ne pouvait plus, (n’avait plus les moyens de), réformer son économie
indépendamment de toute interférence externe. Elle a tout simplement perdu le luxe
de pouvoir choisir le modèle de développement qui lui conviendrait le mieux, surtout une
fois qu’elle a été obligée de tendre la main au FMI. Comme d’autres pays, elle a été
alors obligée d’appliquer des politiques économiques, des réformes, dictées par les
institutions financières internationales. En effet dans les années 90, quand l'Algérie
était financièrement au fond de l'abîme, le FMI lui a imposé un drastique et
douloureux programme d'ajustement structurel (PAS) en contrepartie de son
soutien financier. De ce PAS et de l’époque pénible, les Algériens ne gardent pas du
tout un bon souvenir, contraints et soumis qu’ils étaient à l'humiliation de passer par les
prescriptions du FMI. A travers ses conditionnalités le PAS est conçu de telle sorte à
pratiquement forcer le pays emprunteur, ici l’Algérie, à adopter des réformes pour le
conduire vers une économie de marché. En fait et selon John Williamson1, l’économiste
qui inventa le terme même de Washington Consensus, celui-ci fut conçu et mis au point
4
4
par les institutions financières internationales (la banque mondiale, le FMI…), la banque
centrale américaine (la Réserve Fédéral), le gouvernement américain, travers son
ministère des finances : le ‘Tresory Secretary’), le Congrès Américain, et enfin des Think
Tanks américains: d’où le non de Washington’ donnée au consensus, car ces institutions
sont localisées à Washington. Les réformes qu’il contient étaient à l’époque de leur
conception (1989), destinées aux pays de l’Amérique Latine notamment, qui étaient
pendant longtemps le théâtre à d'hyperinflations et à des déficits budgétaires
insoutenables, pour les aider à surmonter les crises de dettes internes et externes,
auxquelles ils faisaient face dans les années quatre-vingt. Par la suite, l’acceptation de,
ou la résignation à, l’application de ces réformes était devenue la fameuse formule
magique ‘Sésame, ouvre-toi !’, qui permet à tout pays en difficulté d’obtenir l’assistance
financière des institutions financières internationales.
Si ce package de politiques économiques du consensus était considéré comme standards
et invariables: ‘one size fits all’: une seule et même taille pour chacun, comme une
recette de sortie de crise, valable pour tous les pays et toutes les époques, c’est que
jusqu’à très récemment, il ne tenait pas compte des spécificités du pays concerné, des
circonstances (politiques, sociales et surtout économiques) de temps et de lieu, dans sa
mise en œuvre. C’est, entre autres, ce qui a amené certains économistes à considérer ce
programme comme une ressuscitation du fameux laisser-faire, laisser-aller et de la
fameuse main ‘invisible’ d’Adam Smith qui recommandent, la réduction du rôle de l’Etat
(et donc du secteur publique) dans l’activité économique, et une confiance aveugle dans
les vertus du marché, pour une allocation optimale des ressources économiques et une
utilisation efficiente de ces dernières. Il était vu par eux comme une véritable doctrine
stricte, du fondamentalisme du marché, d’où l’appellation par certains économistes, de
consensus du « market fondamentalism »2, (et par d’autres3 de ‘Washington
Confusion4). En effet la façon dont le FMI a géré, notamment les crises d’endettement
a été beaucoup controversée. Parfois le FMI a même été accusé d'être le facteur
accélérateur des crises (voir la crise financière Mexicaine de 1994, les crises Asiatique
de 1997, de la Russie, du Brésil de 1998 et de l’Argentine de 2001). C’est ce qui, entre
autres, a conduit Williamson lui-même à reconnaitre des 2002 que les résultats de
l’adoption des politiques économiques du Consensus ont été décevants, en particulier en
termes de croissance, de l'emploi et de la réduction de la pauvreté5. Mais avant
d’analyser un peu plus profondément les ‘economic policies’ du Consensus, voyons
d’abord ce que sont ces politiques ou formes économiques. Notons alors dès
maintenant que les trois idées fondamentales de ce programme sont la discipline
macroéconomique, l'économie de marché, et l'ouverture au monde en ce qui concerne
le commerce et les IDEs. Ces politiques ou réformes économiques ont connues plusieurs
types de classification : réformes macroéconomiques et réformes microéconomiques, ou
réformes de stabilisation macroéconomiques et réformes structurelles (ou politiques de
stabilisation et politiques d’ajustement structurel), ou encore réformes concernant la
gestion de la demande globale et la promotion de l’offre globale, ou réformes de
première génération et réformes de deuxième génération…Quant à nous, nous préférons
proposer la classification suivante, beaucoup plus suggestive, plus précise et plus claire :
stabilisation, libéralisation, privatisation/dérégulation et institutionnalisation6 :
- Stabilisation : (macro stabilisation à travers notamment une discipline monétaire et
budgétaire…),
5
5
- libéralisation : de tous les marchés (commerce intérieur, commerce extérieur, travail,
financiers…). Libérer les marchés de toute contrainte et de toute interférence des
autorités…
- privatisation (et dérégulation, structuration) : non seulement des entreprises publiques
(EPEs) mais aussi et en un sens plus large, privatisation de toute l’économie.
- institutionnalisation : création du cadre gale et des infrastructures institutionnelles
qui sont la condition sine qua non de la réussite de toutes les autres réformes et donc de
toute politique de développement économique et sociale. Ces dernières réformes sont
parfois appelées réformes de deuxième génération et ont été souvent ignorées et/ou
négligées, notamment par le FMI et autres institutions financières internationales (IFI).
1.2. Les objectifs officiels du FMI
Les objectifs proclamés par le FMI, de toutes les politiques économiques du
Consensus, est l’amélioration de la gestion de l’économie, l'amélioration du climat
d'affaires (qui permettra de développer un secteur privé performant), en créant un
environnement économique stable et des plus favorables à la réalisation d’un taux de
croissance suffisamment élevé pour permettre une réduction, au moins raisonnable, du
chômage, et une augmentation, au moins acceptable, du niveau de vie du pays concerné,
notamment à travers des marchés libres de toute interférence de l’Etat dans leur
fonctionnement :
- La discipline budgétaire et monétaire, par exemple, est supposée améliorer le contrôle
de l’inflation et des déficits budgétaires et attirer ainsi les investissements.
- Autre exemple, la promotion du commerce extérieur à travers la réduction de toutes
sortes de barrières à l’importation et un bon management du taux de change pour
promouvoir les exportations, viserait à réduire les importations, améliorer la balance des
payements et assurer la stabilide la monnaie nationale, en même temps que permettre
aux consommateurs de bénéficier de plus de choix (parmi les produits) ainsi que des prix
plus bas, grâce à la concurrence étrangère.
- Enfin, à travers la libéralisation et la privatisation de l’économie et l’élimination des
politiques protectionnistes, les réformes sont supposées, attirer les investissements directs
étrangers (IDE), dont l'Algérie a, il est vrai, besoin, en leur garantissant une égalité des
droits avec les investissements domestiques. Les IDE permettraient le transfert de
technologie, le savoir-faire et le financement nécessaires pour le développement et la
diversification de l’économie du pays.
Ces réformes sont donc supposées changer les caractéristiques les plus fondamentales de
toute l’économie et de sa structure, de telle sorte que les effets des réformes devraient
apparaître à travers toute l’économie, pour le bénéfice et le bien être de tout le peuple… en
principe! C’est précisément et officiellement tout au moins, pour atteindre ces différents
objectifs, que les institutions financières internationales, telles que le FMI et la Banque
Mondiale, recommandent ou exigent selon le cas, le paquet de réformes du «Washington
Consensus ». Certes l’attitude du FMI a plus qu’évolué au cours du temps. Certains diront
même qu’il s’est «profondément humanisé», surtout depuis la crise internationale de 2008.
Cependant la stratégie et l’approche de la mise en œuvre de ces politiques sont demeurées
1 / 20 100%