charge de l'histoire propre de nombreux peuples africains. Selon moi, les
messianismes commençaient à accomplir
la
sortie de
la
parenthèse
colo-
niale, d'une période qui a duré moins d'un siècle
et
durant
laquelle les
sociétés africaines vivaient
dans
le sillage de
la
culture coloniale,
dans
la
dépendance des administrations coloniales. Il y
avait
eu
une
sorte de gel
de
la
créativité africaine, de l'histoire africaine propre qui
tenait
au
fait
que
la
colonisation imposait à
la
fois
sa
conception
du
social
et
de
la
culture,
et
également
sa
conception de
la
vraie
foi
par
l'action mission-
naire. Les messianismes effectuaient une reprise d'initiative, ils mani-
festaient
une vitalité africaine recouvrée,
le
début de l'inscription
dans
une
histoire qui redevenait africaine. Une histoire
qui
commençait à
se
faire indépendamment
du
contrôle des puissances coloniales.
J.
C.
: A vous lire, on a l'impression effectivement que le messia-
nisme
sert
de réappropriation de l'histoire
dans
un
cadre occidental.
G.
B.
: On
peut
dire les choses de cette façon-là. Le messianisme,
en
l'occurrence soyons précis, les messianismes congolais que
j'ai
étudiés,
soit
dans
la
région de Brazzaville, soit de
l'autre
côté
du
fleuve,
du
côté
de Kinshassa,
avaient
fait irruption
en
gros à peu
près
à
la
même épo-
que:
aux
environs des années 1920. Les
messianismes
congolais com-
portaient
à
la
fois
ce
que
je
viens de dire,
la
prise
en
charge d'une
histoire redevenue plus autonome sinon
entièrement
autonome,
et
aussi
la
prise
en
charge de certains apports reçus de
la
colonisation.
En
ce
sens, les messianismes
apparaissaient,
employons
la
terminologie
usuelle, comme des syncrétismes, c'est-à-dire, si l'on se fie à l'étymologie
même
du
mot syncrétisme, comme des alliages, comme des alliances
par
fusion de thèmes religieux, de
thèmes
culturels
et
également de
thèmes
éthiques, moraux, qui
sont
à
la
fois autochtones
et
étrangers. Le
messianisme
était
cette création qui pouvait sembler paradoxale,
aspect
qui
n'a
pas
été
assez souligné; il conduisait à récuser
la
relation
colo-
niale
tout
en
incorporant
un
certain
nombre d'apports qui, indiscuta-
blement, viennent de
la
colonisation.
J.
C.
: Vous
mettez
aussi beaucoup l'accent
sur
le
messianisme
comme refuge
aux
opposants
et
vous développez longuement les liens
entre
messianisme
et
nationalisme.
G.
B.
: Oui,
je
crois que j'emploie
une
formule significative: "Les
Messianismes congolais ont
été
la
préhistoire des Nationalismes
congo-
lais".
Je
dois
rappeler
que
je
me
suis trouvé
là
à
une
époque
que
l'on
peut
considérer comme privilégiée
du
point de vue de l'observateur, fin
des
années
40,
début
des années 50. Le
début
des
années
50 ouvre
la
période où
tout
commence à bouger, où
le
nationalisme
prend
forme,
trouve
à
la
fois ses figures, ses thèmes, ses revendications
et
ses moyens
d'action. Il
est
sûr
que le nationalisme
n'est
pas
apparu
d'abord comme
une
action politique de
rupture,
avec les violences
que
peuvent
comporter
les
ruptures.
S'il y a
eu
rupture, elle s'est réalisée
tout
d'abord
sur
le
plan
du
symbolique,
sur
le
plan
de l'émotionnel,
sur
le
plan
de
la
défini-
tion des règles de vie que l'on se donne. C'est seulement
en
ce
sens
que
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