
Jean-Louis Martin
jean-louis.martin@credit-agricole-sa.fr
N° 13/03 – Août 2013 4
Mexique, l'effort d'investissement en biens d'équipement a
effectivement permis une évolution de l'appareil industriel
mexicain, avec par exemple un développement rapide de
la construction de matériel de transport, automobile (et
ses équipementiers) mais aussi ferroviaire et, plus
récemment, aéronautique.
Les besoins en investissement sont, par ailleurs, différents
d'un pays à l'autre. Si les insuffisances des infrastructures
sont générales en Amérique latine, c'est à des degrés très
variés : pour les transports, par exemple, beaucoup plus
au Brésil ou en Colombie qu'au Mexique ou en Uruguay.
La productivité est l'enjeu majeur
Par définition, la croissance de la productivité est un
"résidu" : la part de la croissance du PIB qui ne s'explique
ni par l'évolution de la ressource en travail, ni par celle du
stock de capital. La mesure de son évolution passée est
donc très fragilisée par les incertitudes sur celles du PIB,
du travail et du capital. Mais il est possible d'identifier des
éléments qui pourraient contribuer à la faire progresser :
des systèmes éducatifs plus efficients, un effort de recher-
che et développement (R&D) et, surtout, une évolution de
la structure de l'activité vers des secteurs à plus forte
productivité.
L’éducation : des performances médiocres, sans
exception dans la région
L'illettrisme est en voie de disparition en Amérique latine
et dans les Caraïbes. Dans tous les grands pays, le taux
d'alphabétisation des adultes est supérieur à 90%, et
proche de 100% dans le cône sud, à Cuba, ou à Trinidad.
Partout, les performances du système éducatif sont
cependant très médiocres. Dans les tests Program for
International Student Assessment (PISA) de l'OCDE
, tous
les pays latino-américains sont loin du niveau moyen de
l'OCDE. À niveau de développement comparable, l'ensei-
gnement secondaire latino-américain est nettement moins
efficient que ceux de la plupart des pays émergents à forte
croissance. En outre, l'accès à l'enseignement supérieur
est souvent faible ou médiocre : 27% au Mexique, entre
35% et 40%au Brésil et dans les pays andins.
Il existe donc une marge de progression considérable, et
la productivité pourrait à moyen terme bénéficier de
manière significative de l'amélioration des systèmes édu-
catifs. Mais ces progrès exigeront parfois une augmen-
tation des budgets (Uruguay, Pérou, Amérique centrale),
une révision des priorités et un plus grand souci de justice
sociale (Brésil, Chili) et, partout, une réorganisation en
profondeur du fonctionnement du secteur éducatif. Cer-
tains pays ont déjà pris des initiatives. Ainsi, le président
mexicain Enrique Peña Nieto a fait voter une ambitieuse
réforme du secteur, incluant un volet d'évaluation. Sa mise
en œuvre sera toutefois difficile, car elle a suscité une
forte hostilité du puissant syndicat des enseignants, qui
"cogère" le secteur depuis longtemps.
Les performances des systèmes éducatifs vont sans
doute lentement s'améliorer d'ici à 2020, et donc
contribuer à une progression de la productivité du travail,
mais elles resteront moins bonnes que celles des pays de
Ces tests évaluent les compétences en lecture, mathé-
matiques et sciences d'élèves de quinze ans.
niveaux de développement comparables en Asie ou en
Europe centrale et orientale. La qualification de la main
d'œuvre va donc être une contrainte à la croissance
.
L'industrie, le principal gisement d'amélioration de la
productivité
Rodrik
a clairement montré qu'il n'y a pas de convergence
automatique : un pays ayant initialement un bas niveau de
productivité n'est ni plus ni moins susceptible de la voir
augmenter qu'un pays ayant initialement une productivité
élevée
. Mais il remarque aussi que dans les pays
émergents, la dispersion de la productivité entre secteurs
est beaucoup plus forte que dans les pays riches. L'exemple
le plus évident et le plus lourd de conséquences de cette
dualité est bien sûr la Chine, où le transfert de centaines de
millions de paysans peu productifs vers l'industrie a été l’un
des facteurs majeurs de l'accélération de la croissance. En
Amérique latine, il n'existe pas de tels gisements de
productivité : à l'exception de l'Amérique centrale, la part de
l'agriculture dans l'emploi est déjà modeste (15,3% au
Brésil, 13,3% au Mexique, 17,7% en Colombie).
Mais Rodrik (ibid.) montre qu'à l'intérieur d'un secteur
industriel, il y a bien une "tendance automatique" de la
productivité à converger vers celle du même secteur dans
les pays les plus avancés. Pour prendre un exemple :
l'industrie mexicaine des pièces détachées automobiles se
rapproche, en termes de productivité et de capacité
d'innovation, de celle des États-Unis. On trouve aussi des
exemples dans l'agriculture, comme la production de fleurs
coupées en Colombie et en Équateur. L'explication est
simple : s'agissant de produits échangés internationalement,
un producteur trop loin des "standards" de productivité est
rapidement sorti du marché.
Le problème est que, comme l'écrit Rodrik, "les activités qui
sont bonnes pour absorber des technologies nouvelles ne
sont pas forcément bonnes pour absorber le travail". La
convergence intra-sectorielle (appelée "interne" par l’auteur)
ne se traduit pas nécessairement en convergence de la
productivité au niveau d'une économie, parce que le poids
des activités les plus productives dans l'emploi global peut
reculer (l'évolution "structurelle"). Et c'est bien le cas en
Amérique latine. À la différence de la Chine, où beaucoup
de paysans peu productifs ont été absorbés par un secteur
industriel où leur production était mieux valorisée (puisqu'en
grande partie exportée), les latino-américains quittant les
campagnes pour la ville se sont tant bien que mal intégrés
dans des services peu productifs, car souvent informels.
Partout, la part de l'industrie (le secteur le plus susceptible
d'une "convergence de productivité") dans l'emploi recule
très nettement pendant les années 1990.
On signalera aussi le très faible effort de R&D dans tous les
pays de la région, à l'exception du Brésil.
Rodrik, op. cit..
Easterly ("National Policies and Economic Growth: A
Reappraisal" in Aghion, P. et Durlauf, S.L., "Handbook of
Economic Growth", vol. 1A, Elsevier North-Holland, 2005) esti-
mait aussi que cette convergence ne peut même pas être
"stimulée" à l'échelle d'un pays par des ajustements de la
politique économique : selon lui la corrélation entre la croissan-
ce et diverses variables de politique économique disparaît si
l'on ne prend pas en compte les observations correspondant à
des "politiques économiques extrêmement mauvaises" (par
exemple, avec un déficit budgétaire supérieur à 12% du PIB).