Le corps et l`esprit (relations entre science et religion), 14 octobre

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Le Corps et l’Esprit,
thème de la querelle entre
René Descartes (1596-1650)
et Pierre Gassendi (1592-1655)...
(relations entre science et religion)
FRANÇOIS CLARAC
14/10/10
La notion de corps et d’esprit a occupé et préoccupe
encore philosophes, écrivains, artistes, religieux et
scientifiques. Dès l’antiquité, la notion d’esprit a été
associée à un principe surnaturel, un élément supérieur seul
capable d’expliquer les fonctions psychiques si
extraordinaires. De telles discussions ont en démontrant le
niveau des facultés intellectuelles, situé l’humain au cœur
des principes religieux. Elles ont posé la question des
relations entre éléments corporels et structures spirituelles,
considérant que les deux parties diffèrent non seulement en
nature mais s’opposent dans leur existence même. En face des
activités matérielles altérables et périssables, les principes
de l’esprit sont apparus comme capables d’éternité. Aristote
dans son traité « de l’âme », distingue une partie passive
« l’intellect patient » et une partie active « l’intellect
agent ». le premier est relié à la matière, l’autre correspond
à l’action, à l’intelligence, à la vie cognitive, c’est la
partie immortelle, l’âme.
Cette notion d’« âme », élément de synthèse principal de
la vie spirituelle a une nature sacrée, au centre de préceptes
religieux extrêmement élaborés. Elément au dessus du corps, il
est en opposition avec lui. Dans le monde occidental, la
religion catholique s’est imposée dès le 4e siècle avec la
conversion de Constantin à la suite de sa victoire en 313 au
pont de Milvius (la légende dit qu’il aurait vu une croix dans
le ciel avec ces mots :In hoc signo vinces). Grâce aux pères
de l’Eglise comme St Augustin, l’apport biblique a été associé
aux pensées grecques et latines. Les réflexions d’Aristote et
de Platon ont été intégrées aux valeurs chrétiennes pour
donner une vision synthétique du monde crée par Dieu, vision
géocentrique la terre était au centre entourée de planètes
et d’étoiles et l’homme dominait un monde biologique lui
aussi statique et crée.
A partir de la Renaissance, une telle vision a changé avec
les progrès de la connaissance et les recherches qu’elles
soient en mathématiques, en astronomie, en physique ou même en
biologie. Les données nouvelles vont être telles qu’elles vont
remettre en cause les principes immuables du passé biblique.
Au début du 17e siècle la philosophie va en être la première
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touchée ; la notion de corps et d’esprit va être reprise, elle
va provoquer des discussions violentes entre deux hommes
d’exception, Pierre Gassendi et René Descartes.
Après avoir brièvement rappelé leurs vies, nous exposerons
les débuts intellectuels et scientifiques de la première
partie du 17e siècle en Provence et en Europe avant de
caractériser les oppositions intellectuelles des deux
philosophes sur le fonctionnement humain. Nous expliquerons
les raisons de ces divergences et montrerons comment une telle
querelle a perduré aux siècles suivants elle est devenue la
cause d’une des cassures les plus graves séparant la science
et la religion.
I/ Vies et oeuvres de René Descartes et de Pierre Gassend
dit Gassendi:
La vie des deux philosophes : Elle a été extrêmement
différente que ce soit dans leurs activités, leurs relations
et leurs manières d’être.. Ils auront pourtant bien des amis
communs et communiqueront pas lettres interposées. Il ne se
verront qu’une fois en 1647 soi-disant pour se réconcilier.
Pierre Gasend, c’est son vrai nom mais comme il écrivait
surtout latin son nom faisait Gassendi au génitif « de
Gassend ». Cette terminologie lui est restée. Il est
provençal, à Champtercier près de Digne le 22 janvier 1592.
Fils de petits cultivateurs, Gassendi montre dès l’enfance des
dispositions exceptionnelles qui lui permettent de faire au
collège de Digne, de brillantes études. Il part en 1607 pour
Aix, il suit le cours de philosophie de Philibert Fesaye,
prieur des grands Carmes.
René Descartes lui est d’Indre et Loire, à La Haye (on
dit aujourd’hui, La Haye Descartes) le 31 Mars 1596. Il est le
troisième enfant de Joachim Descartes, conseiller au parlement
de Rennes. Enfant maladif, il présente pourtant des dons
intellectuels précoces. Entré à onze ans au célèbre collège
jésuite de La Flèche, il y restera jusqu’à 18 ans. Il apprend
les mathématiques, la physique et la philosophie scolastique.
Gassendi n’a vécu qu’entre Digne, Aix-en-Provence et plus
tard, Paris. Par lettres il a pourtant communiqué avec les
scientifiques de toute l’Europe grâce à une étonnante
correspondance sur 34 ans (1621-1655). On peut diviser sa vie
publique en trois parties :
De 1621-1637, installé à Aix, il vit en étroite relation
avec le grand intellectuel Nicolas Fabri de Peiresc (1580-
1637). Ce «Prince des Curieux » conseiller au parlement de
Provence sera son premier protecteur. Après sa mort, de 1638-
1653, Gassendi sera surtout soutenu par Louis Emmanuel de
Valois-Angoulême (1593-1653), le gouverneur de Provence, comte
d' Alais et duc d'Angoulême. Il lui écrira régulièrement et
lui apprendra la philosophie. Ses dernières années il sera à
professeur Paris, ce sera sa consécration définitive.
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Sa vie se résume ainsi : Gassendi, docteur en théologie en
Avignon en 1614, est à ce moment chanoine à Digne. Il va
entrer dans les ordres et devenir professeur de rhétorique au
collège de Digne en 1617. Il fera ses premières observations
astronomiques en 1618 grâce à Peiresc. En 1620, il positionne
Jupiter par rapport aux étoiles fixes. Il est le premier à
décrire scientifiquement, le 12 septembre 1621 près d’Aix-en-
Provence, des voiles lumineux très colorés auxquels il donnera
le nom d’« aurore boréale ». Son premier ouvrage publié en
1625 critique Aristote qui défendait l’idée d’un ciel
immuable. Il est fait prévôt de la cathédrale de Digne en
1626.
Installé à Paris en mai 1628, Gassendi va voyager pendant
neuf mois dans le nord de l’Europe, avec François Luillier
(1600-1651), le libertin bien connu. Il décrit à Paris, le 6
novembre 1631 le passage de Mercure devant le Soleil comme
l’avait prévu Kepler. Il aura une position officielle à
l'agence générale du clergé de France en 1641. En 1642 à
nouveau à Paris, il enseigne la philosophie à Claude-Emmanuel
Lhuillier dit Chapelle (1626-1686), fils naturel de François
chez qui il habitait, ainsi qu’à plusieurs de ses amis,
Molière peut-être (1622-1673) ?, Jean Hesnault (1611-1682),
Cyrano de Bergerac (1619-1655) et François Bernier (1620-
1688). Il y fréquente le monde libertin. Ce courant qui
affirme l’autonomie morale de l’homme face à l’autorité
religieuse, se veut chez lui une manière de vie critique et
libératrice qui respecte parfaitement les règles morales. On
le dit matérialiste car pour lui tout dans l’univers relève de
la matière, laquelle impose, seule, ses lois. La compréhension
du monde relève de son étude et des réflexions qui s’en
dégagent. Il écrira et publiera début 1644 le Dequisitio
Metaphysica, un ouvrage de plus de 600 pages il critique
point par point « Les méditations » de Descartes publiées en
1641. Soutenu par Richelieu (1585-1642), la consécration
viendra lorsqu’il sera nommé en 1645 professeur de
mathématiques au Collège Royal. Il y enseigne l'atomisme
d'Épicure et de Lucrèce.En 1646, il publie avec Fermat, contre
le jésuite Casrée, un livre sur l'accélération des graves. Il
écrit en 1647 De Vita, moribus, et doctrina Epicuri libri
octo. pour défendre la doctrine d'Épicure. Malade, Gassendi
quitte en 1648, Paris pour le midi. En 1649, il publie ses
commentaires sur le dixième livre de Diogène Laërce et son
Syntagma philosophiae Epicuri. qui est son ouvrage le plus
célèbre. Il va voyager en Provence, passe deux ans à Toulon
il retrouve son secrétaire, élève et protégé, François
Bernier, revenu d'un long voyage en Europe de l'est. Le
11 août 1654, Gassendi observe sa dernière éclipse dans le
château de Montmort, au Mesnil-Saint-Denis. Malgré les soins
de nombreux médecins, il meurt le 24 octobre 1655.
Ses exégètes ont dit de lui qu’il était pieux et qu’il
pratiquait avec beaucoup de scrupule ses devoirs religieux;
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ses paroissiens l'appelaient « le saint prêtre ». La vie de
Gassendi n’a été qu’une suite d’observations, de réflexions,
de lettres et de travaux publiés. Très protégé par les
puissants du siècle, il a joué un rôle significatif dans
l’abandon des principes de l’antiquité et a permis par son
autorité, l’essor des connaissances nouvelles. Son ami le
médecin et professeur au Collège de France, Guy Patin ( 1601-
1672) écrivit de lui : « M. Gassendi est si délicat qu'il n'en
ose boire, et s'imagine que son corps brûlerait s'il en avait
jamais bu. »
Descartes a eu une vie toute différente. On peut le
considérer dans sa jeunesse comme un militaire voyageur. Il
veut se former aux armes et part en 1618 en Hollande comme
bien des gentils hommes de la noblesse Française pour faire
son instruction militaire. En 1618, il parcourt le Danemark et
l’Allemagne qu’il a tant souhaité connaître puis s’engage dans
les troupes du Duc de Bavière. Il abandonne la vie militaire
et voyage en 1620. Il vend les biens de sa mère pour se mettre
à l’abri du besoin. Il voyage encore et s’installe à Paris
pendant trois ans, de 1626-1628. Il s’attache au père Mersenne
de l’ordre des Minimes qu’il avait connu au collège de la
Flèche. Frappé par l’originalité des opinions de Descartes, le
Cardinal de Bérulle l’engage à se consacrer à la réforme de la
Philosophie.
En 1628, il repart pour la Hollande et veut s’y installer
car le pays lui avait beaucoup plu; il y restera presque
jusqu’à sa mort, en 1649, tellement il se sent chez lui dans
ce pays il se juge en sécurité. Il changera par contre,
sans cesse de résidences: Amsterdam, Utrecht, Leyde, Egmond...
Il se fait l’ami de Constantin Huygens (1596-1687), homme
d’état et poète hollandais avec qui il aura une abondante
correspondance, le père du physicien, géomètre et astronome
Christian Huygens (1629-1695) qui s’opposera aux lois
physiques qu’il proposera.
Ses principaux écrits feront son succès mais déclencheront
des disputes tenaces, surtout en Hollande. La fin de sa vie
sera marquée par deux femmes d’exception. La première,
Elisabeth est la fille de Frédéric V de Palatinat (1593-1632)
qui régna sur la bohème de 1619 à 1620 et de la reine de
Bohème, Élisabeth Stuart la fille de Jacques Ier. Frédéric V
sera au cœur de la guerre de trente ans. Destitué très tôt, il
partira en exil à Sedan. Charles Louis Ier de Palatinat son
fils puîné, deviendra Roi du Palatinat de 1648 à 1680 après le
traité de Westphalie. Sa fille Elisabeth-Charlotte (1652-1722)
épousera Monsieur le frère de Louis XIV, duc d’Orléans. C’est
cette dernière qui sera considérée comme « La princesse
palatine ». Elle est la nièce de l’admiratrice de Descartes.
Notre Elisabeth était née le 26 décembre 1618 soit vingt
deux ans après Descartes, très tôt elle éblouira tous ceux qui
l’approcheront par sa grâce, sa beauté et par son savoir
encyclopédique. Elle parlera un très grand nombre de langues
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et sera très marquée par la lecture des méditations de
Descartes. Ils se voient à La Haye. Dès qu’elle sait que le
philosophe a tenté de la contacter, elle lui écrit :
«…aujourd’hui M. Palotti m’a donné tant d’assurance de votre
bonté pour chacun et particulièrement pour moi que j‘ai chassé
toute autre considération de l’esprit, hors celle de m’en
prévaloir en vous priant de me dire comment l’âme de l’homme
peut déterminer les esprits du corps pour faire les actions
volontaires (n’étant qu’une substance pensante). » (Elisabeth,
6 mai 1643).
Descartes est à ce moment-là à Egmond, il lui répond « La
faveur dont votre altesse m’a honoré en me faisant recevoir
ses commandements par écrit est plus grande que je n’eusse
jamais oser espérer…Car j‘aurais eu trop de merveilles à
admirer en même temps; et voyant sortir des discours plus
qu’humains d’un corps si semblable à ceux que les peintres
donnent aux anges, j’eusse été ravi de la même façon que me
semblent le devoir être ceux qui, venant de la terre entrent
nouvellement dans le ciel. » Descartes 21 Mai 1643.
L’émotion est immense. Ne dira-t-il pas d’elle ? « Je n’ai
jamais rencontré personne qui ait si généralement et si bien
entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits ». En 1644, il
lui dédiera ses « Principes de la philosophie » en écrivant «
A la sérénissime princesse Elisabeth ! ». Passionné et
subjugué par sa jeune protégée, Descartes entretiendra très
régulièrement des relations épistolaires philosophiques avec
elle. La princesse qui le considère comme « le médecin, de son
âme » cherchera dès ses premières lettres à comprendre les
relations qu’il établit entre l’âme et le corps. Elle
s’étonnera comme le fera Gassendi de son parti pris dualiste:
ne lui écrira-t-elle pas « Comment l’âme de l’homme peut
déterminer les esprits du corps, pour faire les actions
volontaires (n’étant qu’une substance pensante). Car il semble
que toute détermination du mouvement se fait par la pulsion de
la chose mue, à manière dont elle est poussée par celle qui la
meut, ou bien de la qualification et figure de la superficie
de cette dernière. L’attouchement est requis aux deux
premières conditions, et l’extension à la troisième. Vous
excluez entièrement celle-ci de la notion que vous avez de
l’âme, et celui-là me paraît incompatible avec une chose
immatérielle. (Elisabeth, le 16 mai 1643). Descartes, assez
embarrassé répondra qu’il y a en nous un petit nombre de
notions primitives, pour le corps celles de « l’étendue » et
du mouvement pour l’âme celle de la «pensée ».
Grâce à un ami diplomate et philosophe, Hector-Pierre
Chanut (1601-1662) il va entendre parler d’une autre femme
remarquable, Christine, la reine de Suède. Chanut va lui
présenter comme une des personnes les plus intelligentes et
les plus habiles pour diriger un royaume. « elle est si
adroite que son age et son peu d’expérience ne donnent aucun
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