Le corps et l`esprit (relations entre science et religion), 14 octobre

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Le Corps et l’Esprit,
thème de la querelle entre
René Descartes (1596-1650)
et Pierre Gassendi (1592-1655)...
(relations entre science et religion)
FRANÇOIS CLARAC
14/10/10
La notion de corps et d’esprit a occupé et préoccupe
encore philosophes, écrivains, artistes, religieux et
scientifiques. Dès l’antiquité, la notion d’esprit a été
associée à un principe surnaturel, un élément supérieur seul
capable
d’expliquer
les
fonctions
psychiques
si
extraordinaires. De telles discussions ont en démontrant le
niveau des facultés intellectuelles, situé l’humain au cœur
des principes religieux. Elles ont posé la question des
relations entre éléments corporels et structures spirituelles,
considérant que les deux parties diffèrent non seulement en
nature mais s’opposent dans leur existence même. En face des
activités matérielles altérables et périssables, les principes
de l’esprit sont apparus comme capables d’éternité. Aristote
dans son traité « de l’âme », distingue une partie passive
« l’intellect patient » et une partie active « l’intellect
agent ». le premier est relié à la matière, l’autre correspond
à l’action, à l’intelligence, à la vie cognitive, c’est la
partie immortelle, l’âme.
Cette notion d’« âme », élément de synthèse principal de
la vie spirituelle a une nature sacrée, au centre de préceptes
religieux extrêmement élaborés. Elément au dessus du corps, il
est en opposition avec lui. Dans le monde occidental, la
religion catholique s’est imposée dès le 4e siècle avec la
conversion de Constantin à la suite de sa victoire en 313 au
pont de Milvius (la légende dit qu’il aurait vu une croix dans
le ciel avec ces mots :In hoc signo vinces). Grâce aux pères
de l’Eglise comme St Augustin, l’apport biblique a été associé
aux pensées grecques et latines. Les réflexions d’Aristote et
de Platon ont été intégrées aux valeurs chrétiennes pour
donner une vision synthétique du monde crée par Dieu, vision
géocentrique où la terre était au centre entourée de planètes
et d’étoiles et où l’homme dominait un monde biologique lui
aussi statique et crée.
A partir de la Renaissance, une telle vision a changé avec
les progrès de la connaissance et les recherches qu’elles
soient en mathématiques, en astronomie, en physique ou même en
biologie. Les données nouvelles vont être telles qu’elles vont
remettre en cause les principes immuables du passé biblique.
Au début du 17e siècle la philosophie va en être la première
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touchée ; la notion de corps et d’esprit va être reprise, elle
va provoquer des discussions violentes entre deux hommes
d’exception, Pierre Gassendi et René Descartes.
Après avoir brièvement rappelé leurs vies, nous exposerons
les débuts intellectuels et scientifiques de la première
partie du 17e siècle en Provence et
en Europe avant de
caractériser les oppositions intellectuelles des deux
philosophes sur le fonctionnement humain. Nous expliquerons
les raisons de ces divergences et montrerons comment une telle
querelle a perduré aux siècles suivants où elle est devenue la
cause d’une des cassures les plus graves séparant la science
et la religion.
I/ Vies et oeuvres de René Descartes et de Pierre Gassend
dit Gassendi :
La vie des deux philosophes : Elle a été extrêmement
différente que ce soit dans leurs activités, leurs relations
et leurs manières d’être.. Ils auront pourtant bien des amis
communs et communiqueront pas lettres interposées. Il ne se
verront qu’une fois en 1647 soi-disant pour se réconcilier.
Pierre Gasend, c’est son vrai nom mais comme il écrivait
surtout latin son nom faisait Gassendi au génitif « d e
G a s s e n d ». Cette terminologie lui est restée. Il est
provençal, né à Champtercier près de Digne le 22 janvier 1592.
Fils de petits cultivateurs, Gassendi montre dès l’enfance des
dispositions exceptionnelles qui lui permettent de faire au
collège de Digne, de brillantes études. Il part en 1607 pour
Aix, où il suit le cours de philosophie de Philibert Fesaye,
prieur des grands Carmes.
René Descartes lui est d’Indre et Loire, né à La Haye (on
dit aujourd’hui, La Haye Descartes) le 31 Mars 1596. Il est le
troisième enfant de Joachim Descartes, conseiller au parlement
de Rennes. Enfant maladif, il présente pourtant des dons
intellectuels précoces. Entré à onze ans au célèbre collège
jésuite de La Flèche, il y restera jusqu’à 18 ans. Il apprend
les mathématiques, la physique et la philosophie scolastique.
Gassendi n’a vécu qu’entre Digne, Aix-en-Provence et plus
tard, Paris. Par lettres il a pourtant communiqué avec les
scientifiques de toute l’Europe grâce à une étonnante
correspondance sur 34 ans (1621-1655). On peut diviser sa vie
publique en trois parties :
De 1621-1637, installé à Aix, il vit en étroite relation
avec le grand intellectuel Nicolas Fabri de Peiresc (15801637). Ce «Prince des Curieux » conseiller au parlement de
Provence sera son premier protecteur. Après sa mort, de 16381653, Gassendi sera surtout soutenu par Louis Emmanuel de
Valois-Angoulême (1593-1653), le gouverneur de Provence, comte
d' Alais et duc d'Angoulême. Il lui écrira régulièrement et
lui apprendra la philosophie. Ses dernières années il sera à
professeur Paris, ce sera sa consécration définitive.
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Sa vie se résume ainsi : Gassendi, docteur en théologie en
Avignon en 1614, est à ce moment là chanoine à Digne. Il va
entrer dans les ordres et devenir professeur de rhétorique au
collège de Digne en 1617. Il fera ses premières observations
astronomiques en 1618 grâce à Peiresc. En 1620, il positionne
Jupiter par rapport aux étoiles fixes. Il est le premier à
décrire scientifiquement, le 12 septembre 1621 près d’Aix-enProvence, des voiles lumineux très colorés auxquels il donnera
le nom d’« aurore boréale ». Son premier ouvrage publié en
1625 critique Aristote qui défendait l’idée d’un ciel
immuable. Il est fait prévôt de la cathédrale de Digne en
1626.
Installé à Paris en mai 1628, Gassendi va voyager pendant
neuf mois dans le nord de l’Europe, avec François Luillier
(1600-1651), le libertin bien connu. Il décrit à Paris, le 6
novembre 1631 le passage de Mercure devant le Soleil comme
l’avait prévu Kepler. Il aura une position officielle à
l'agence générale du clergé de France en 1641. En 1642 à
nouveau à Paris, il enseigne la philosophie à Claude-Emmanuel
Lhuillier dit Chapelle (1626-1686), fils naturel de François
chez qui il habitait, ainsi qu’à plusieurs de ses amis,
Molière peut-être (1622-1673) ?, Jean Hesnault (1611-1682),
Cyrano de Bergerac (1619-1655) et François Bernier (16201688). Il y fréquente le monde libertin. Ce courant qui
affirme l’autonomie morale de l’homme face à l’autorité
religieuse, se veut chez lui une manière de vie critique et
libératrice qui respecte parfaitement les règles morales. On
le dit matérialiste car pour lui tout dans l’univers relève de
la matière, laquelle impose, seule, ses lois. La compréhension
du monde relève de son étude et des réflexions qui s’en
dégagent. Il écrira et publiera début 1644 le Dequisitio
Metaphysica, un ouvrage de plus de 600 pages où il critique
point par point « Les méditations » de Descartes publiées en
1641. Soutenu par Richelieu (1585-1642), la consécration
viendra lorsqu’il sera nommé en 1645 professeur de
mathématiques au Collège Royal. Il y enseigne l'atomisme
d'Épicure et de Lucrèce.En 1646, il publie avec Fermat, contre
le jésuite Casrée, un livre sur l'accélération des graves. Il
écrit en 1647 De Vita, moribus, et doctrina Epicuri libri
octo. pour défendre la doctrine d'Épicure. Malade, Gassendi
quitte en 1648, Paris pour le midi. En 1649, il publie ses
commentaires sur le dixième livre de Diogène Laërce et son
Syntagma philosophiae Epicuri. qui est son ouvrage le plus
célèbre. Il va voyager en Provence, passe deux ans à Toulon où
il retrouve son secrétaire, élève et protégé, François
Bernier, revenu d'un long voyage en Europe de l'est. Le
11 août 1654, Gassendi observe sa dernière éclipse dans le
château de Montmort, au Mesnil-Saint-Denis. Malgré les soins
de nombreux médecins, il meurt le 24 octobre 1655.
Ses exégètes ont dit de lui qu’il était pieux et qu’il
pratiquait avec beaucoup de scrupule ses devoirs religieux;
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ses paroissiens l'appelaient « le saint prêtre ». La vie de
Gassendi n’a été qu’une suite d’observations, de réflexions,
de lettres et de travaux publiés. Très protégé par les
puissants du siècle, il a joué un rôle significatif dans
l’abandon des principes de l’antiquité et a permis par son
autorité, l’essor des connaissances nouvelles. Son ami le
médecin et professeur au Collège de France, Guy Patin ( 16011672) écrivit de lui : « M. Gassendi est si délicat qu'il n'en
ose boire, et s'imagine que son corps brûlerait s'il en avait
jamais bu. »
Descartes a eu une vie toute différente. On peut le
considérer dans sa jeunesse comme un militaire voyageur. Il
veut se former aux armes et part en 1618 en Hollande comme
bien des gentils hommes de la noblesse Française pour faire
son instruction militaire. En 1618, il parcourt le Danemark et
l’Allemagne qu’il a tant souhaité connaître puis s’engage dans
les troupes du Duc de Bavière. Il abandonne la vie militaire
et voyage en 1620. Il vend les biens de sa mère pour se mettre
à l’abri du besoin. Il voyage encore et s’installe à Paris
pendant trois ans, de 1626-1628. Il s’attache au père Mersenne
de l’ordre des Minimes qu’il avait connu au collège de la
Flèche. Frappé par l’originalité des opinions de Descartes, le
Cardinal de Bérulle l’engage à se consacrer à la réforme de la
Philosophie.
En 1628, il repart pour la Hollande et veut s’y installer
car le pays lui avait beaucoup plu; il y restera presque
jusqu’à sa mort, en 1649, tellement il se sent chez lui dans
ce pays où il se juge en sécurité. Il changera par contre,
sans cesse de résidences: Amsterdam, Utrecht, Leyde, Egmond...
Il se fait l’ami de Constantin Huygens (1596-1687), homme
d’état et poète hollandais avec qui il aura une abondante
correspondance, le père du physicien, géomètre et astronome
Christian Huygens (1629-1695) qui s’opposera aux lois
physiques qu’il proposera.
Ses principaux écrits feront son succès mais déclencheront
des disputes tenaces, surtout en Hollande. La fin de sa vie
sera marquée par deux femmes d’exception. La première,
Elisabeth est la fille de Frédéric V de Palatinat (1593-1632)
qui régna sur la bohème de 1619 à 1620 et de la reine de
Bohème, Élisabeth Stuart la fille de Jacques Ier. Frédéric V
sera au cœur de la guerre de trente ans. Destitué très tôt, il
partira en exil à Sedan. Charles Louis Ier de Palatinat son
fils puîné, deviendra Roi du Palatinat de 1648 à 1680 après le
traité de Westphalie. Sa fille Elisabeth-Charlotte (1652-1722)
épousera Monsieur le frère de Louis XIV, duc d’Orléans. C’est
cette dernière qui sera considérée comme « La princesse
palatine ». Elle est la nièce de l’admiratrice de Descartes.
Notre Elisabeth était née le 26 décembre 1618 soit vingt
deux ans après Descartes, très tôt elle éblouira tous ceux qui
l’approcheront par sa grâce, sa beauté et par son savoir
encyclopédique. Elle parlera un très grand nombre de langues
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et sera très marquée par la lecture des m é d i t a t i o n s de
Descartes. Ils se voient à La Haye. Dès qu’elle sait que le
philosophe a tenté de la contacter, elle lui écrit :
«…aujourd’hui M. Palotti m’a donné tant d’assurance de votre
bonté pour chacun et particulièrement pour moi que j‘ai chassé
toute autre considération de l’esprit, hors celle de m’en
prévaloir en vous priant de me dire comment l’âme de l’homme
peut déterminer les esprits du corps pour faire les actions
volontaires (n’étant qu’une substance pensante). » (Elisabeth,
6 mai 1643).
Descartes est à ce moment-là à Egmond, il lui répond « La
faveur dont votre altesse m’a honoré en me faisant recevoir
ses commandements par écrit est plus grande que je n’eusse
jamais oser espérer…Car j‘aurais eu trop de merveilles à
admirer en même temps; et voyant sortir des discours plus
qu’humains d’un corps si semblable à ceux que les peintres
donnent aux anges, j’eusse été ravi de la même façon que me
semblent le devoir être ceux qui, venant de la terre entrent
nouvellement dans le ciel. » Descartes 21 Mai 1643.
L’émotion est immense. Ne dira-t-il pas d’elle ? « Je n’ai
jamais rencontré personne qui ait si généralement et si bien
entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits ». En 1644, il
lui dédiera ses « Principes de la philosophie » en écrivant «
A la sérénissime princesse Elisabeth ! ». Passionné et
subjugué par sa jeune protégée, Descartes entretiendra très
régulièrement des relations épistolaires philosophiques avec
elle. La princesse qui le considère comme « le médecin, de son
âme » cherchera dès ses premières lettres à comprendre les
relations qu’il établit entre l’âme et le corps. Elle
s’étonnera comme le fera Gassendi de son parti pris dualiste:
ne lui écrira-t-elle pas « Comment l’âme de l’homme peut
déterminer les esprits du corps, pour faire les actions
volontaires (n’étant qu’une substance pensante). Car il semble
que toute détermination du mouvement se fait par la pulsion de
la chose mue, à manière dont elle est poussée par celle qui la
meut, ou bien de la qualification et figure de la superficie
de cette dernière. L’attouchement est requis aux deux
premières conditions, et l’extension à la troisième. Vous
excluez entièrement celle-ci de la notion que vous avez de
l’âme, et celui-là me paraît incompatible avec une chose
immatérielle. (Elisabeth, le 16 mai 1643). Descartes, assez
embarrassé répondra qu’il y a en nous un petit nombre de
notions primitives, pour le corps celles de « l’étendue » et
du mouvement pour l’âme celle de la «pensée ».
Grâce à un ami diplomate et philosophe, Hector-Pierre
Chanut (1601-1662) il va entendre parler d’une autre femme
remarquable, Christine, la reine de Suède. Chanut va lui
présenter comme une des personnes les plus intelligentes et
les plus habiles pour diriger un royaume. « elle est si
adroite que son age et son peu d’expérience ne donnent aucun
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avantage à tout ce qui peut lui manquer dans l’usage des
affaires.»
Naïvement, Descartes en parle à Élisabeth qui sans le lui
dire sera très jalouse de ce projet de voyage en Suède. Ce
déplacement sera en fait une affreuse déception et
physiquement beaucoup trop rude pour notre philosophe. Arrivé
à Stockholm le 4 octobre 1549, Descartes acceptera d’être le
professeur de la reine qui du fait de ses occupations à la
cour le laisse très seul. Descartes est obligé pour donner sa
leçon de philosophie d’arriver dès 5 heures du matin ; la
reine elle se lève à 4 heures, les charges royales sont très
accaparantes.
Elle demande à son maître de lui écrire le
texte d’un sujet de ballet sur la paix . Il lui portera par un
froid extrême, le document le matin du 1er Février 1650 ; mais
transi et gravement touché, il tombera malade et mourra dans
la capitale Suédoise dès février 1650. ( Très récemment, le
philosophe allemand, Theodor Ebert, professeur de philosophie à
l'université d'Erlangen, spécialiste d'Aristote et de Platon, est persuadé
que Descartes a été bel et bien assassiné. Ce serait le prêtre de
l'ambassade de France à Stockholm, François Viogué qui aurait tué Descartes
en lui donnant une hostie empoisonnée à l'arsenic. Viogué aurait eu des
raisons d'en vouloir à son compatriote : Missionnaire apostolique pour les
pays du Nord, il déteste l'influence libérale de Descartes sur la jeune
reine de Suède, Christine qui luthérienne serait prête à devenir catholique
ce qu’elle fera en 1654; il aurait voulu en tirer profit.. . Certains
exégètes très sérieux pensent que ce ne sont que des racontars )
Après la disparition de Descartes ces deux femmes
confirmeront leur exceptionnelle nature : Élisabeth lui
restera fidèle et deviendra à sa mort abbesse protestante
luthérienne à Herford en Saxe. Cette arrière petite-fille de
Marie Stuart mourra le 11 février 1680. Christine abdiquera en
1653 et parcourra l’Europe. Elle viendra en France en 1656.
Elle se fixera définitivement à Rome en octobre 1668 où elle
habitera un palais qu’elle transformera en musée. Elle sera
l’amie des grands artistes Romains comme Le Bernin (1598-1680)
ou comme le jeune musicien Alessandro Scarlatti (1660-1725).
Elle mourra en 1689 d’érysipèle et sera enterrée en la
basilique Saint Pierre.
En 1648, Gassendi, et Descartes se seraient réconciliés
officiellement grâce aux bons soins de César d'Estrées (16281714). L’éditeur Paul Tannery a évoqué un repas des trois
philosophes, Descartes, Gassendi et Hobbes, réunis à la table
du marquis de Newcastle .
Leurs oeuvres : Elles sont nombreuses et démontrent leur
exceptionnelle érudition. Pourtant c’est « Le discours de la
méthode » de Descartes qui marquera l’époque beaucoup plus que
toutes les oeuvres de Gassendi réunies. Le premier livre de
Gassendi « Exercitationes paradoxicæ » sera contre Aristote et
la philosophie scolastique.
Suivant sa vision humaniste, Gassendi remet en cause les
textes établis, l’autorité a priori et la tradition. Son
opposition à Aristote ne tient pas au personnage
lui-même
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mais aux changements apparus depuis. Il se veut antidogmatique et son combat s’oppose surtout aux courants
ésotériques et à l’occultisme. Il a besoin pour croire de
s’appuyer sur des preuves expérimentales, on le traitera de
matérialiste. Gassendi va surtout s’attacher à réhabiliter un
des grands penseurs de l’antiquité, Epicure et ceci grâce à
trois publications fondamentales: De vita et moribus Epicuri
(1647), Animadversiones in decimum librum Diogenis Laertii
(1649) et le Syntagma philosophicum (1658, Opera omnia, Tome
III). Gassendi reprend la logique d’Épicure afin de servir de
base à la nouvelle science et à ses méthodes empiriques. Il
reprend à son compte la notion de « plaisir », moteur vers le
bonheur et la sagesse. Le philosophe en ré-expliquant la
contradiction apparente entre christianisme et épicurisme,
définit dans le « De Vita », les principes vertueux d’Epicure.
L’idée première est qu’Epicure : « a vu que tous les hommes,
conduits par la nature, étaient portés vers quelque volupté
quoi qu’ils fassent; mais il découvrit, après avoir évalué
tous les genres de voluptés, qu’aucune n’était plus générale,
plus constante, plus désirable que celle qui consiste dans la
santé du corps et la tranquillité du cœur. (S.Taussig 2001) ».
Epicure a été accusé à tort de vie dissolue alors qu’il
défendait « une âme sans trouble, un corps sans douleur . Pour
lui, la volupté et le plaisir devaient induire des sentiments
nobles, une attitude de vie
« Il [Epicure] a ...défendu
qu’était sage, c’est à dire doué de vertu, l’homme qui
veillait tout d’abord, par la sobriété et la maîtrise de soi,
c’est à dire la vertu de tempérance, à la santé de son corps,
autant que sa complexion naturelle le lui permettait, et qui
consacrait ensuite le plus d’attention possible à protéger au
mieux la tranquillité de son âme , secondé par le chœur des
vertus et ayant apaisé toutes ses passions, et notamment le
désir, la goinfrerie, l‘avarice, l’ambition. Car la véritable
et authentique vertu ne consiste pas dans l’acte lui-même, ou
mouvement, comme Aristippe l’avait défini, mais dans l’état,
c’est à dire l’absence de douleur dans le corps et de trouble
dans l’esprit... » (p.177, S. Taussig)
La philosophie de Gassendi se rattache à plusieurs
courant, il est pragmatique et associe logique, éthique et
atomisme épicurien avec la doctrine de la création du monde
par Dieu, de la Providence et de l’immortalité de l’âme.
Faisant de l’éthique le point central de la pensée, Gassendi
pose le plaisir comme finalité de l’homme et la philosophie
comme un exercice vers une vie plus heureuse.
Les écrits de Descartes ont été célèbres dès leurs
parutions. La publication du Discours de la méthode en 1637
(sous-titré Pour bien conduire sa raison, et chercher la
vérité dans les sciences), publié en Français correspond au
premier grand texte philosophique de Descartes. On peut
remarquer qu’avec le Cid de Corneille en 1636 nous avons là
deux des premières oeuvres majeures de la littérature
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Française. Ce Discours était en fait une préface annonçant
différents textes scientifiques « la Dioptrique, les Météores,
et la Géométrie » mais le succès a été tel que maintenant le
Discours est publié seul. Descartes y expose son parcours
intellectuel expliquant sa formation et les enseignements
qu'il avait reçus à l'école, jusqu'à sa fondation d'une
philosophie nouvelle quelques années plus tard.
Il y propose une méthode de pensée basée sur quatre
principes: « Le premier était de ne recevoir jamais aucune
chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être
telle… ». Il n’était pas question d’admettre les théories
passées. Il fallait faire table rase. « Le second, de diviser
chacune des difficultés que j‘examinerais en autant de
parcelles qu’il ne pourrait et qu’il serait requis pour les
mieux résoudre. » Descartes parle dès le début en employant le
« je ». C’est lui qui étudie, c’est lui qui recherche, qui
élabore et tente de comprendre grâce au principe de
dissociation qui en détaillant les éléments permet de mieux
analyser le tout. « Le troisième de conduire par ordre mes
pensées, en commençant par les objets les plus simples et les
plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par
degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et
supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point
naturellement les uns des autres. ». Il donne un principe
d’analyse très rigoureux. « Et le dernier, de faire partout
des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que
je fusse assuré de ne rien omettre. ». Quand on analyse un
problème il est nécessaire de le voir en son entier.Il
développe une philosophie du doute, pour reconstruire le
savoir sur des fondements assurés qui s’appuient sur la
certitude si précise des mathématiques. Il ne sort du doute
que par la phrase si célèbre « je pense donc je suis »
(cogito, ergo sum), qui en fait résume son premier principe.
Il décrit enfin ses méditations sur l'âme et sur Dieu mais il
en donnera une version beaucoup plus étendue dans les
Méditations métaphysiques publiées quatre ans plus tard. Elles
seront éditées en 1641 à Paris sous le titre : « Méditations
sur la philosophie première, dans laquelle est démontrée
l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme » et en 1642 à
Amsterdam avec une titre différent « … dans lesquelles sont
démontrées l’existence de Dieu et la distinction de l’âme et
du corps ». Écrites en latin, elles ont été traduites en
Français. Elles vont être l’objet de très nombreuses critiques
des théologiens et des philosophes de l’époque et en
particulier de Gassendi. Ce seront « les objections ». On en
trouvera six plus une septième. Il y aura enfin « l e s
réponses » de Descartes intercalées. C’est le religieux de
l’ordre des Minimes, Marin Mersenne (1588-1648), qui servira
de lien entre tous ces intellectuels, envoyant les écrits des
uns aux autres, en sollicitant des critiques et des réponses
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aux critiques. Cet ensemble forme un dialogue vif et brillant
d’une très haute tenue.
Descartes ne peut s’empêcher de définir…Pour discuter il
faut comme tout scientifique qui se respecte que les termes
employés soient précisés et ne portent pas à confusion. Il
définira la pensée comme tout ce que « je » comprends,
l’entendement, l’imagination, les opérations de la volonté…
mais pas le mouvement. « Par le nom d’idée, j’entends cette
forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de
laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées. » .
Descartes ira même jusqu’à définir Dieu « La substance que
nous entendons être souverainement parfaite, et dans laquelle
nous ne concevons rien qui enferme quelque défaut, ou
limitation de perfection, s’appelle Dieu. »
Descartes a pratiqué des dissections et a atteint pour
l’époque, une grande culture biologique qu’il confirme dans
ses deux derniers ouvrages : « Les Passions de l’Âme » (1649)
et « le Traité de l’homme » (1664). on peut d’ailleurs se
demander si ce n’est pas la vue de cerveaux disséqués,
sanguinolents, flasques et sans forme qui expliquerait son
idée de dualisme. Comment en effet imaginer que la pensée
puisse être issue de cette masse inconsistante ? l’opposition
est évidente...Le traité publié après sa mort, abordera ses
théories sur le corps et l’esprit en se plaçant d’un point de
vue purement scientifique qu’il veut très mécaniciste. Nous
nous appuierons sur ces textes pour préciser les idées de
Descartes. Si le style est toujours aussi brillant et
persuasif, les hypothèses biologiques sont le plus souvent de
la pure fantaisie.
II/ La vie intellectuelle au début du 1 7e siècle et trois
philosophes Scientifiques:
Cette époque qui se situe à la suite de la Renaissance va
être extrêmement riche en découvertes et nouveautés
scientifiques qui vont mettre à mal la vision du monde encore
sous l’influence de l’antiquité. L’année 1604 marque sans
doute déjà un tournant. Il se passe de curieuses choses dans
le ciel ! Un nouvelle lumière apparaît aussi brillante que
Vénus . Cette apparition semblait prévoir le pire. On
distingue les planètes qui ont un parcours particulier dans le
ciel et différent de toutes les étoiles. Cette apparition
différente de tous les autres phénomènes célestes
pose
problème… les écrit parlent d’un astre dont l’intensité
lumineuse varie; on le verra ainsi d’octobre 1604 à l’été
1605. On sait aujourd’hui que de tels systèmes à variations
lumineuses sont des « supernovae », véritables explosions
nucléaires. Cette supernovae située dans la voie lactée, ou
SN1604 a été aussi nommée « étoile de Kepler ». Johannes
Kepler (1571-1630) astronome protestant luthérien en sera un
de ses observateurs les plus assidus.
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De plus en plus… tout change. Le ciel ne correspond plus du
tout à ce qu’en ont dit les anciens. Les hommes de théâtre
s’éloignent de la bible. En Angleterre Shakespeare (1564-1616)
triomphe avec des pièces profanes. Même si on se réfère à la
bible, un peintre comme Le Caravage (1671-1610), artiste à
scandale peint « la mort de la vierge » en 1606 comme s’il
s’agissait d’une personne ordinaire… Commandé en 1601 pour la
chapelle du juriste Laerzio Cherubini à l’église Santa Maria
della
Scala
dans
le
«
Trastevere
»
à
Rome, ce tableau de 369 cm x 245 cm n’a dû être achevé qu’en
1605-1606. Refusé et retiré de l’église,
les moines le
trouvaient indigne du lieu, certains disant même que la vierge
ressemblait à une prostituée!
En astronomie la révolution va venir de la mise au point
des lunettes astronomiques. Dans le Génie du Christianisme,
Chateaubriand explique cette découverte avec verve: «…des
enfants découvrent la lunette astronomique. Galilée
perfectionne l'instrument nouveau ; alors les chemins de
l'immensité s'abrègent, le génie de l'homme abaisse la hauteur
des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer ».
On hésite sur les inventeurs de ce fameux instrument : on cite
soit Hans Lippershey (1570-1519) un monteur de bésicles de
Middleburg, soit Zacharias Janssen (v.1588–v.1631), un
fabricant de lentilles hollandais du XVIe siècle. ou même
Jacques Métius d'Alcmaar, fils du géomètre Adrien Métius
(1571-1635)?…(on peut définir une lunette comme l'association
à une distance déterminée d'un objectif convergent et d'une
deuxième lentille oculaire). Les marins hollandais s’en
servent alors " pour faire voir loin ". On en vend à La Haye
en 1608, et on en trouve aussi, en avril 1609, chez les
lunetiers parisiens et sur le pont au Change.
C’est Galilée (1564-1742) qui le premier dirige une
lunette astronomique vers le ciel : Il découvre les phases de
la planète Vénus dont le disque est partiellement éclairé
comme la lune au moment des quartiers. C'est la variation
d'éclat de Mars, sensible à l'œil nu, qui a donné l’idée à
Nicolas Copernic (1473-1543) de l'héliocentrisme : la lumière
de Mars est intense quand Mars et la Terre se trouvent du même
côté du Soleil et côte à côte sur leurs orbites mais elle est
faible quand Mars et la Terre sont de part et d'autre du
Soleil, à l'opposé sur leur orbite. Mars est situé à la moitié
de la distance terre-soleil dans le premier cas et est 5 fois
plus loin avec une intensité 25 fois plus faible dans le
deuxième. Grâce à sa lunette Galilée mesure la variation
d'éclat de Mars et la variation de son diamètre apparent. Les
deux découvertes -phases de Venus et variation d'éclat de
Mars- vérifient la validité de l'hypothèse héliocentrique de
Copernic.
On peut dire que l’année 1610 a été pour l’astronomie
d’une richesse exceptionnelle dépassant de loin toutes les
découvertes faites durant ce millénaire. Galilée découvre les
10
11
phases de Vénus, les satellites de Jupiter et observe des
montagnes et des cratères sur la lune, David Fabricius (15641617) le théologien Allemand, observe les taches solaires.
Peiresc découvre la nébuleuse d'Orion et l'amas de la Crèche.
Galilée et Peiresc comprennent que la « Voie Lactée » est
composée d’une myriade d’étoiles. Rubens, leur ami en fera un
tableau fort imagé. En 1612. Simon Mayer (1570-1624)
redécouvre la nébuleuse d'Andromède déjà mentionnée par les
Arabes. Enfin c’est entre 1604 et 1618 que Kepler a réétudié
l’hypothèse héliocentrique de Copernic, et a découvert que les
planètes ne tournent pas en cercle autour du Soleil mais
suivent des ellipses. Il a établi les relations mathématiques
(dites lois de Kepler) qui régissent les mouvements des
planètes sur leur orbite en énonçant trois lois fondamentales
sur l'orbite des planètes. Il confirme que la terre n'est pas
le centre de l'univers, mais seulement le centre du système
terre/lune. La terre tourne autour d'elle-même suivant un axe
nord/sud. La distance terre/soleil est infime comparée à la
distance soleil/autres étoiles.
Il n’y a pas qu’en astronomie que les dogmes antiques
tombent. Un médecin et physiologiste anglais, William Harvey
(1578-1657) va expliquer que le sang circule dans un système
clos avec un circuit pulmonaire et un circuit général: le
premier absorbe l’oxygène que le second transporte jusqu’aux
organes pour les faire vivre. Après un voyage en Italie où il
est influencé par Realdo Colombo (1510-1559) et formé par
Fabrice d'Acquapendente (1537-1619), il se fixe à Londres en
1604 et est nommé en 1613 professeur d'anatomie et de
chirurgie au Collège de médecine. Il devint médecin de Jacques
Ier et de Charles Ier d'Angleterre, et chef du collège de Merton
à Oxford. Cette découverte des lois de la circulation
sanguine, Harvey en parle dans ses cours dès 1616, et la
décrit en 1628 dans son livre : Exercitatio Anatomica de Motu
Cordis
et
Sanguinis
in
Animalibus. Il explique le
fonctionnement de la grande circulation en plaçant sur le
circuit différentes ligatures et en établissant différentes
pressions dans les deux circulations prouvant la réalité
physique du phénomène. Harvey désigne le cœur comme une pompe
musculaire à effet hydraulique, assurant la continuité du flux
grâce à ses contractions qui envoient du sang et non de l’air,
dans les artères. Le sang revient par les veines. Il émet
l’hypothèse de la présence de capillaires reliant les
artérioles aux veinules. Harvey est appuyé par Descartes qui
écrit dans le discours de la Méthode que le cours du sang «
n’est autre chose qu’une circulation perpétuelle » et plus
loin : « Je n’ai pas besoin d’y répondre autre chose que ce
qui a été déjà écrit par un médecin d’Angleterre, auquel il
faut donner la louange d’avoir rompu la glace en cet
e n d r o i t . . . ». De même, Raymond Vieussens (1641-1716),
professeur d’anatomie à Montpellier est lui aussi un fervent
défenseur de l’Anglais.
11
12
Par contre, l’ouvrage de Harvey est l’objet d’une
véritable cabale. Cette découverte constitue elle aussi une
révolution qui détruit d’un seul coup l’enseignement
traditionnel basé encore sur Aristote et Galien. La traduction
anglaise de l’ouvrage paraît en 1653. À Paris, Jean Riolan
(1577-1657), professeur d’anatomie à la Faculté, se joint au
doyen Guy Patin, pourtant l’ami de Gassendi, pour traiter
Harvey de « circulateur », jouant ainsi sur le sens du mot
latin «circulator » qui signifie «charlatan »; il en rajoute
en déclarant que « la circulation est paradoxale, inutile à la
médecine, fausse, impossible, inintelligible, absurde et
nuisible à la vie de l’homme ».
Les recherches sur les tissus vivants vont commencer au
milieu du 17e siècle grâce à Anton van Leeuwenhoek (1632-1723)
qui inventera le premier microscope optique. Il observera les
anastomoses capillaires entre les artères et les veines,
décrira les globules rouges et les micro-organismes à partir
de préparations issues de la surface dentaire. Il accumulera
de nombreuses observations sur le sang, le lait, les os, la
cuticule des insectes ou des crustacés.
La science en progressant met en cause les certitudes
ancestrales sur lesquelles s’appuie toujours l’orthodoxie
religieuse. Le conflit va être violent et mener à des procès
retentissants. Les juges les plus rétrogrades de l’inquisition
s’opposent aux intellectuels. Le christianisme reste pourtant
solidement sur ses bases car ce sont les chrétiens eux-mêmes
qui sont les plus prompts à se passionner pour ces multiples
découvertes.
Deux personnalités, amies de nos deux philosophes et aux
connaissances universelles, ce seront sans doute les dernières
vont jouer un rôle primordial dans cette première partie de
siècle :
-Le premier, Peiresc, « le prince des curieux » comme le
surnomme
Gassendi, est à l’époque, un esprit complet. A
19 ans, Peiresc partage ses activités entre ses diverses
propriétés. Au château de Belgentier où il est né (Var, au
nord de Toulon), il crée un magnifique jardin et une tourobservatoire. A Aix, à l'hôtel de Callas il hérite de son père
seigneur de Callas, et constitue une bibliothèque de 5.000
ouvrages. Conseiller au parlement de Provence, il finance des
voyages pour trouver de nouvelles plantes dans les pays
d’orient. Il est un des premiers à avoir un « Cabinet de
curiosité », une sorte de musée où l’on trouve aussi bien des
œuvres d’art que des plantes ou des animaux…. P e i r e s c
correspond avec tous les grands noms de l’Europe du temps:
Galilée, Gassendi, Kepler, le juriste protestant Hollandais
Hugo Grotius (1583-1645) François de Malherbe (1555-1628),
Mersenne, le mathématicien Hollandais Snellius (1580-1626),
l'érudit italien et mécène Jean-Vincent Pinelli (1535-160), le
peintre Petrus Paulus Rubens (1577-1640), le bibliothécaire
Gabriel Naudé (1600-1653),… et avec la cour de différents
12
13
rois. Il crée en Provence un groupe d’intellectuels et
d’astronomes très actifs avec Gassendi, Joseph Gaultier de la
Valette (1564-1647), l’astronome Flamand Godefroy Vendelin
(1580-1667), Jean Lombard (1580-1656)….
Grand ami de Rubens, Peiresc favorisa les contacts entre
la cour d’Henri IV , Marie de Médicis et le peintre qui disait
de lui : “ De son visage émane une grande noblesse, propre à
son génie, avec un je ne sais quoi de spirituel qu’il n’est
pas facile de pouvoir rendre en peinture.” Peiresc s’intéresse
à tout, il est spécialiste en tout ; on peut dire qu’il est
archéologue, bibliophile, numismate, égyptologue, historien,
généalogiste, linguiste, musicologue, expert en art. Il est
botaniste, paysagiste et jardinier. anatomiste, zoologiste,
l'ichtyologiste et entomologiste. Il s’intéresse à la
météorologie, à l'optique atmosphérique, aux marées, au
magnétisme terrestre, à la géologie, à la stratigraphie et à
la
c r i s t a l l o g r a p h i e . . . , Peiresc
prend
parti
pour
l'héliocentrisme. Il interviendra avec Gassendi pour soutenir
Galilée pourtant lâché par bien des savants. Ils lutteront
contre la sorcellerie : sorciers et sorcières avaient acquis
un grand pouvoir sur le peuple et empêchaient tout progrès de
la société. Grâce au peintre et graveur Claude Mellan (15981688), ils représenteront les phases de la lune.
-Le second est Mersenne. Au départ un défenseur de
l'orthodoxie catholique, ses premiers écrits sont des ouvrages
de polémique religieuse contre les libertins, les athées, les
sceptiques. Mais il est aussi un catholique ouvert, qui pense
que la religion doit accueillir toute vérité mise à jour.
Opposant à tout ce qui est mysticisme, alchimie, sciences
occultes, il adhère au contraire au cartésianisme et est le
traducteur de Galilée. Il explique ses idées dans la Vérité
des Sciences, ouvrage publié en 1625. Mersenne est resté
célèbre car, à une époque où la presse scientifique n'existait
pas encore, il fut, après les frères Pierre (1582-1651) et
Jacques Dupuy ( ?-1656) dont il fréquenta l'académie ouverte
aux provinciaux de passage à Paris, au centre d'un réseau
d'échange d'informations, prémisse de la future Académie des
Sciences.
Grand ami de Descartes qui a une grande confiance en lui,
Mersenne est proche de Pierre de Fermat (1605,1608-1665),
juriste et mathématicien français, surnommé « le prince des
amateurs ». D’abord avocat à Bordeaux, Fermat entre en
correspondance avec Mersenne en 1636 et s’oppose à Descartes à
propos de son livre d’optique «les
Dioptriques », sur
l’explication de la circulation de la lumière dans des milieux
différents. Les grands écrits que l'on a retrouvés de lui sont
des annotations dans des textes renommés tels l'Arithmetica du
mathématicien d’Alexandrie, Diophante (v.325-409). Ce n'est
qu'en 1670 que son théorème est exposé au public. On sait en
fait peu de choses de lui. Fermat a laissé l'image d'un savant
dissimulant ses méthodes qui semblent s’être perdues avec lui.
13
14
Fermat se base sur le principe qui anime toute sa vie : « La
nature agit toujours par les voies les plus courtes et les
plus simples ».
Mersenne
entretient
aussi
une
très
volumineuse
correspondance (en latin comme en français) avec d'autres
mathématiciens et scientifiques de nombreux pays, à peu près
les mêmes que ceux qui communiquent avec Peiresc. Il existe
ainsi dans toute l’Europe de l’ouest un courant intellectuel
très fort qui suit de près toutes les découvertes
scientifiques, les analyse et favorise leurs développements.
Parmi tous ceux qui ont eu une influence sur nos deux
protagonistes, il faut citer Thomas Hobbes (1588-1679), le
philosophe Anglais avec sa conception de la nature et du
contrat social. Son ouvrage fondamental « Le Léviathan » se
veut une présentation de la pensée libérale du 20e siècle. Il a
vécu à Paris onze ans et était un ami de Mersenne. Il s’est
opposé à Descartes contre « les dioptriques » et a critiqué la
quatrième médiation. Il n’aime pas sa vision de Dieu et à sa
notion sur la pensée.
Descartes rejette la théorie du vide, car « il n'est pas
possible que ce qui n'est rien ait de l'extension ». Ainsi,
selon Descartes, si un vase est vide d'eau, il est plein
d'air, et s'il était vide de toute substance, ses parois se
toucheraient . Descartes va ainsi rejeter les théories de
Galilée sur la chute des corps dans le vide, et écrit de ce
dernier : Tout ce qu'il dit de la vitesse des corps qui
descendent dans le vide, etc. est bâti sans fondement; car il
aurait dû auparavant déterminer ce que c'est que la pesanteur
; et s'il en savait la vérité, il saurait qu'elle est nulle
dans le vide. (Lettre à Mersenne, 11 octobre 1638). C'est en
1644 que l’inventeur du thermomètre à mercure Evangelista
Torricelli (1608-1647) mènera ses expériences qui conduiront à
établir l'existence du vide.
C’est là que nous faisons intervenir le troisième grand
penseur Français de l’époque, le mathématicien de génie Blaise
Pascal (1623-1662) qui répète, en 1646 avec son père à Rouen,
les expériences de Torricelli sur le vide. Un procès verbal en
est envoyé à leur ami Chanut (ambassadeur du Roi en Suède,
déjà vu comme entremetteur entre Descartes et Elisabeth de
Suède). En 1647, Pascal publie ses Expériences nouvelles
touchant le vide et une préface pour un Traité du Vide où il
détaille les règles de base décrivant à quel degré les divers
liquides pouvaient être maintenus par la pression de l’air. Il
explique ainsi les raisons du vide présent réellement audessus de la colonne de liquide dans le tube barométrique. Il
a alors l’idée d’une expérience qu’il va réaliser le 19
septembre 1648 : la pression atmosphérique devrait être
différente en ville à Clermont et en haut de la montagne la
plus proche, le Puy de Dôme, où la pression doit être
inférieure à la pression régnant au niveau de la ville. Pascal
fait donc transporter par son beau-frère, Florin Perier, un
14
15
tube de Torricelli en haut du Puy de Dôme. Des curés et des
savants suivent l’expérience. Grâce au tube-témoin en ville,
la présence de vide est démontrée. Il publie le Récit de la
grande expérience de l’équilibre des liqueurs.
Descartes et Pascal le second plus jeune de près de trente
ans, se sont peut-être rencontrés mais ils ne pouvaient pas se
comprendre. le premier, homme de raison, homme de système qui
organise et structure sa pensée, le second homme d’intuition,
d’émotion, de propositions scientifiques fulgurantes,
mystique...Deux personnages opposés. L’Américain Allan Bloom
les a ainsi dépeint :« Descartes et Pascal représentent un
choix entre la raison et la révélation, entre la science et la
piété, et de ce choix découle tout le reste. L'une et l'autre
de ces visions totales se présentent presque toujours à
l'esprit d'un Français lorsqu'il réfléchit sur lui-même» (
Bloom, 1987).
III/ Opposition entre Descartes et Gassendi:
A la suite de ces publications qui sont connues de tous,
Descartes est attaqué que ce soit sur ses positions
scientifiques, sur le trajet de la lumière, sur la méthode des
tangentes, sur le vide, sur la circulation du sang, que ce
soit sur ses positions philosophiques, sur le « je pense »,
sur la substance matérielle, les animaux-machines, les idées
innées que ce soit enfin sur ses positions religieuses à
propos de l’âme ou sur l’existence de Dieu
Batailleur, Descartes ne refuse pas les disputes dans
lesquelles il se montre ironique, sans retenue, même violent.
Il a traité Gassendi de façon très discourtoise ! Ses
principaux adversaires sont le mathématicien physicien Gilles
Personne de Roberval (1602–1675), le théologien néerlandais
Gilbert Voetius (1589-1676), le mathématicien et graveur
Français Jean de Beaugrand (1584-1640) ou d’autres comme
Antoine Arnauld de Port Royal (1612-1694), Fermat...
Le Grand débat entre Descartes et Gassendi va se
concrétiser dans les « Méditations » que Gassendi critiquera
dans le « Disquisitio metaphysica ». Ils critiqueront leurs
critiques et en fait ne s’estimeront pas beaucoup.
Scientifiques tous les deux, ils défendent des idées trop
différentes pour se comprendre ; leurs visions du monde est
inconciliable. Descartes l’homme passionné d’Elisabeth de
Bohème défendra le raisonnement et la logique de l’esprit, le
religieux austère soutiendra le bon sens et l’intuition. Ils
ne s’aiment pas !!! c’est peu de le dire, Descartes l’écrit à
Mersenne le 23 juin 1641:
« Vous verrez que j‘ai dit tout
ce que j‘ai pu pour traiter M. Gassendi honorablement et
doucement; mais il m’a donné tant d’occasions de le mépriser
et de faire voir qu’il n’a pas le sens commun et ne sait en
aucune façon raisonner, que j‘eusse trop laissé aller de mon
droit, si j‘en eusse moins dit que je n’ai fait; et je vous
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16
assure que j‘en aurais pu dire beaucoup d’avantage… ». E n
débattant avec lui, Gassendi écrira: « Quelle irritation,
quelle aigreur dans l’accueil que vous faites à ces
paroles!…Mais il vous fallait saisir cette occasion à la fois
de décharger votre bile et de vous montrer comme le seul
philosophe en action, c’est à dire seul habile à éviter les
préjugés,
seul à détester l’erreur, seul à chercher la
vérité… ». Gassendi ne supporte pas l’orgueil de Descartes,
sa suffisance, sa volonté de définir Dieu, de créer son
système fini et sans «bavure » !
Limitons le débat aux explications sur le corps et
l’esprit. Chez Descartes, la matière c’est le matériel
biologique qui a son propre rythme, qui de par son
organisation, de par ses mécanismes biologiques fonctionne
spontanément. Il croit en une activité propre des organismes
vivants. Mais il va ainsi avoir une démarche originale qui va
consister à appliquer au corps humain et de façon trop précise
les principes qu’il a énoncé sur la dualité entre ces deux
concepts la matière, le corps et l’esprit en étroite
association avec l’âme; il présentera ainsi un double système
clos.
Gassendi ne se veut pas un théoricien, pour lui le savoir
naît de l'expérience sensible, de ce qu’il a appris au cours
de l’existence. Son courant de pensée tient du phénoménalisme
et de l'éclectisme. Sa démarche consiste à être d'abord
nominaliste, « au sens double où seuls les concepts sont
universels et il n'y a d'existence que singulière ». Cette
manière de penser élimine la métaphysique et font que les
raisonnements s’appuient sur la physique. Il se méfie des
idées abstraites invérifiables. Rationaliste et pragmatique,
il se rapproche des idées de Hobbes. Il a nuancé son
matérialisme en supposant les atomes sensibles et en
considérant la matière traversée de spiritualité... Sa
profession de foi atomiste lui a attiré de sévères critiques
de la part de Tommaso Campanella (1568-1739),... Pour lui, on
a parlé d’« un matérialisme dynamique ». Ce système, où les
atomes sont mortels, mais l'âme non, se retrouvera dans le
sensualisme de John Locke (1632-1704) et de Etienne B.
Condillac (1715-1780). La théorie des animaux machines
développée par Descartes le choque. Pour ce dernier seul
l’homme a un esprit, l’animal n’est qu’une machine et ne fait
que réagir aux stimulations du milieu qu’il occupe.
Pour
Gassendi, il n’y a pas une telle rupture entre l’animalité et
l’humain car il considère qu’un animal a une petite âme.
Descartes définit l’esprit : « Il ne reste rien en que
nous que nous devions attribuer à notre âme sinon nos pensées,
lesquelles sont principalement de deux genres à savoir: les
unes sont les actions de l’âme, les autres sont ses
passions…nos volontés sont de deux sortes; car les unes sont
des actions de l’âme qui se terminent en l’âme même, comme
lorsque nous voulons aimer Dieu ou généralement appliquer
16
17
notre pensée à quelque objet qui n’est point matériel; les
autres sont des actions qui se terminent en notre corps, comme
lorsque de cela seul que nous avons la volonté de nous
promener,
il suit que nos jambes se remuent et que nous
marchons. » (les passions de l’âme, art.17-18).
Descartes situe à l’opposé, la machine en expliquant qu’il
existe deux parties dans l’homme, l’esprit d’un côté et un
ensemble de processus mécaniques du domaine du vivant qu’il
décrit ainsi : « Entre les mouvements qui se font en nous, il
y en a qui ne dépendent point du tout de l’esprit...Même ceux
qui sont éveillés, le marcher, chanter et autres actions
semblables quand elles se font sans que l’esprit y pense ».
Gassendi dans le « Desquisitio metaphysica » réfute
totalement une telle démarche. Pourquoi ainsi vouloir tout
définir ? Quelle idée de maintenir un esprit séparé de ce qui
fait la vie ! « Toute la nature de l’esprit consiste en ce
qu’il pense; voilà une nouvelle importante, inouïe: l’esprit
humain pense! Et, qui plus est, sa nature consiste toute
entière en ce qu’il pense. Faut-il que les hommes et les
philosophes aient été assez stupides jusque ici pour ne pas
s’être aperçus que l’esprit pense! Oh si vous n’aviez rien
d’autre à apporter au cours d’un tel effort, vous pouviez bien
vous dispensez de tant de peine!…. »
Il insiste même, comment peut-on penser que l’esprit est
une substance sans consistance totalement séparé des biens
matériels. « Ce qui nous sépare, c’est la question suivante:
la chose ou substance que l’on appelle Esprit n’a-t-elle que
le pouvoir de penser, c’est à dire de douter, de comprendre,
d’affirmer, de nier, de vouloir, d’imaginer aussi et de
sentir? Ou bien a-t-elle en outre la puissance d’informer le
corps, de le dominer, de le mouvoir, de le diriger? Et aussi
de le nourrir après avoir pris des aliments, de le faire
croître, et de l’engendrer semblable à lui-même après avoir
réuni la semence?…vous, vous déclarez que l’esprit n’a aucun
de ces pouvoirs et qu’en dehors de la pensée, ou du doute ou
de l’intelligence, il n’a rien… »
Lorsque Descartes se propose d’expliquer la façon dont
circulent les sensations et le cheminement vers les organes,
il associe encore, comme du temps de Galien, la circulation
sanguine et la transmission nerveuse. Le sang, partant du
cœur, monte au cerveau. Là, seulement les « parties les plus
subtiles » traversent les pores étroits du cerveau pour
devenir des « esprits animaux » (on parle aujourd’hui,
d’influx nerveux) qui par la suite se distribuent à l’ensemble
du corps en suivant les nerfs, véritables tuyaux composés de
faisceaux de fibres. L’afflux de liquide provoque la
contraction d’un muscle tout en relâchant son antagoniste qui
s’est vidé de son liquide. Cette coordination réciproque des
muscles à fonctions opposées décrites si clairement dès le 17e
siècle, étonnera Charles Sherrington (1857-1952) Prix Nobel
1932 et spécialiste des réflexes qui dans son livre
17
18
fondamental de 1906 reprendra le schéma de Descartes. Notre
philosophe dissocie à juste titre, une direction centripète
qui conduit l’excitation sensorielle vers le cerveau et une
direction centrifuge, qu’empruntent ces mêmes esprits vers la
périphérie; en atteignant les muscles, ils assurent leurs
contractions.
Descartes va même plus loin ; il montre bien un lien entre
l’esprit et le corps. C’est l’épiphyse qu’il nomme glande
pinéale. Pourquoi elle ? il l’explique ainsi : « « La raison
qui me persuade que l’âme ne peut avoir en tout le corps aucun
autre lieu que cette glande où elle exerce immédiatement ses
fonctions est que je considère que les autres parties de notre
cerveau sont toutes doubles, comme nous avons deux yeux, deux
mains, deux oreilles et enfin tous les organes de nos sens
extérieurs sont doubles ; et que d’autant que nous n’avons
qu’une seule et simple pensée d’une même chose en même temps,
il faut nécessairement qu’il y ait quelque lieu où les deux
images..., se puissent assembler en une avant qu’elles
parviennent à l’âme » (Les passions de l’âme, art. 32.). Il
précise même : « Et toute action de l’âme consiste en ce que,
par cela seul qu’elle veut quelque chose, elle fait que la
petite glande à qui elle est étroitement jointe se meut en la
façon qui est requise pour produire l’effet qui se rapporte à
cette volonté (Les passions de l’âme, art. 41) ».Il imagine
ainsi le rôle de cette glande dans un dessin où il présente
une personne qui regarde devant elle une cible sous la forme
d’une flèche. Comme elle doit toucher la cible, il représente
le trajet nerveux qui part des deux yeux et suit le chiasma
optique. Là le message va jusqu’à la glande pinéale qui
recevant l’information va se réorienter pour commander les
muscles du bras qui en se contractant permettront d’aller
toucher la flèche. Ainsi l’acte volontaire né de l’esprit se
réalisera par l’intermédiaire de la « machine après le cadrage
de l’épiphyse.
Cette glande est pour Descartes essentielle, elle agit
aussi bien pendant le jour quand elle reçoit et contrôle les
informations de tout le corps que la nuit quand on dort, où
elle se trouve isolée, au silence assurant ainsi le sommeil.
Il est plus proche de la réalité scientifique quand il décrit
la mémoire comme une empreinte qui s’inscrit dans un tissus
grâce à un peigne qui le marque pour un temps. Dans le traité
de l’homme, il évoque avec perspicacité le phénomène suivant :
« Ce qui montre comment la souvenance d’une chose peut-être
excitée par celle d’une autre…comme si je vois deux yeux avec
un nez, je m’imagine aussitôt un front et une bouche, et
toutes les autres parties d’un visage, parce que je n’ai pas
accoutumé de les voir l’une sans l’autre… »
La machine fonctionne pour lui par une série de réflexes
qu’il a parfaitement décrit et même avec humour comme dans le
cas du clignement de paupière :« Si quelqu’un avance
promptement sa main contre nos yeux, comme pour nous frapper
18
19
quoique que nous sachions qu’il est notre ami, qu’il ne fait
cela que par jeu et qu’il se gardera bien de nous faire aucun
mal, nous avons toutefois de la peine à nous empêcher de les
fermer, ce qui montre que ce n’est point par l’entremise de
notre âme qu’ils se ferment puisque c’est contre notre
volonté, laquelle est sa seule ou du moins sa principale
action, mais que c’est à cause que la machine de notre corps
est tellement composée que le mouvement de cette main vers nos
yeux excite un autre mouvement en notre cerveau, qui conduit
les esprits animaux dans les muscles qui font baisser les
paupières » (Descartes, Les Passions de l’âme, n° 13).
Gassendi ne peut accepter cette approche artificielle du
corps humain. Il n’est pas logique que corps et esprit soient
séparés. « … Si vous n’avez absolument pas de parties, comment
êtes-vous mélangés avec les moindres parties de ce corps… Et
si vous êtes entièrement distincts comment êtes-vous confondus
avec la matière et formez-vous un tout avec elle?.. » Il
suffit de réfléchir tant soit peu pour comprendre que la
pensée et l’action ne sont pas séparées. Pour qu’un mouvement
se réalise il faut qu’il soit en étroite relation avec la
pensée qui le commande. « Comment peut-il y avoir un effort et
une impulsion qui s’exerce sur quelque chose sans un mutuel
contact du moteur et du mobile? Et comment ce contact auraitil lieu sans corps, puisque toucher et être touché ne peutêtre le fait que d’une chose corporelle? ». Il parait
impossible d’imaginer un corps subalterne et un esprit
pensant : « Je ne pense pas que vous vouliez tirer argument de
ce que l’on dit communément que l’homme est composé de corps
et d’âme, comme si, le nom de corps étant donné à une partie,
l’autre devrait être appelée contraire du corps....Car si cela
était, vous nous donneriez occasion de faire la distinction
suivante: l’homme est composé de deux sortes de corps, l’un
grossier, l’autre subtil, si bien que, l’un conservant le nom
commun de corps, l’autre reçoit le nom d’âme… je me défie de
la démonstration proposée par vous ».
Les deux philosophes ne se comprendront pas. Le projet de
Descartes et sa vision philosophique même si elle est basée
sur des données scientifiques floues est très élaborée et va
convaincre tout un courant qui va perdurer pendant plusieurs
siècles.
Le bon sens même de Gassendi aura un échos immédiat. On
retrouve sa manière de voir chez notre plus célèbre auteur
comique Molière qui dans des dialogues savoureux, a soutenu le
provençal contre le tourangeau. Dans « Les
Femmes
Savantes (1672)» on retrouve le même débat entre l’esprit et
le corps. Dans l’acte II, scène VII, Philaminte plaide pour un
amour purement « spirituel » :
« Le corps cette guenille est-il d’une importance
d’un prix à mériter seulement qu’on y pense ?
et ne devons nous pas laisser cela bien loin ? »
Chrysale répond avec bonhomie :
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« Oui mon corps est moi-même, et j’en veux prendre
guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère. »
Plus loin (acte III, scène III) on assiste à un dialogue
comparable entre Armande, l’idéaliste, la Cartésienne :
« Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les
transports
et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps »
et Clitandre qui remplace Gassendi :
« Pour moi par un malheur, je m’aperçois, madame
Que j‘ai ne vous déplaise, un corps tout comme une âme ;
De ces détachements je ne connais point l’art ;
le ciel m’a dénié cette philosophie,
et mon âme et mon corps marchent de compagnie... »
Malgré les multiples critiques, Descartes restera à la
postérité et sera considéré comme le premier philosophe des
temps modernes. Gassendi lui sera peu à peu oublié. Il n’est
pas facile à lire, il n’a pas la fambloyance de l’auteur du
discours de la Méthode; il n’a pas proposé son propre système
de pensée; il a été un critique acerbe, un grand érudit, un
pragmatique lumineux mais il n’aura pas d’élèves ni d’école
après lui...on l’ignorera. Pour Descartes on n’insistera pas
assez sur l’apport de son concept sur la machine. En exposant
que chez les animaux et même chez l’homme le corps fonctionne
comme une machine, il a permis à bien des scientifiques
d’explorer cette machine et a ainsi ouvert l’expérimentation
du 17eme siècle et du 18eme siècle.
Si on essaie d’inclure dans notre débat notre troisième
scientifique-philosophe on peut dire que ses idées sont très
particulières. Si on reprend notre discussion corps-esprit, le
corps est mesurable et quantifiable comme Pascal l’explique
dans « Les Pensées » :« La première chose qui s'offre à
l'homme, quand il regarde, c'est son corps, c'est à dire une
certaine portion de matière qui lui est propre. Mais pour
comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout
ce qui est au dessus de lui, et tout ce qui est au dessous,
afin de reconnaître ses justes bornes. »
L’esprit est immatériel, il n’est abordable qu’avec les
yeux de l’âme. Il rajoute un troisième élément, le cœur qui
permet d’être au dessus de la dichotomie des deux premiers
s’appuyant sur la réflexion. Pour Pascal le cœur c’est la
vertu théologale, la charité, il correspond à la compassion qui
fait de pascal un grand mystique. « Je puis bien concevoir un
homme sans mains, sans pieds ; et je le concevrais même sans
tête, si l'expérience ne m'apprenait que c'est par là qu'il
pense. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et
sans quoi on ne le peut concevoir. Qu'est-ce qui sent du
plaisir en nous? Est-ce la main? Est-ce le bras? Est-ce la
chair? Est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quelque
chose d'immatériel. L'homme est si grand, que sa grandeur
paraît même en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se
connaît pas misérable. Il est vrai que c'est être misérable,
20
21
que de se connaître misérable ; mais c'est aussi être grand,
que de connaître qu'on est misérable. Ainsi toutes ses misères
prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur,
misères d'un roi dépossédé » (Les Pensées).
Au début du 17e, en quelques années, notre pays a connu
trois scientifiques-philosophes, Descartes, Gassendi et Pascal
aussi différents que possibles les uns des autres, mais qui
par
leurs
savoirs
et
leurs
intuitions
ont
marqué
définitivement les connaissances du monde occidental.
IV/ Science, Religion et les relations entre le corps et
l’esprit jusqu’à aujourd’hui :
De tels débats vont être repris régulièrement et jusqu’à
nos jours. Le premier qui parle encore du sujet est presque
leur contemporain , c’est Baruch Spinoza (1632-1677) qui fut
un héritier critique du cartésianisme, influencé par Gassendi,
il a été par certains traité d’athée. Ayant pris ses distances
avec la pratique religieuse juive, il s’intéressera à la
réflexion théologique, grâce à ses nombreuses relations. Après
sa mort, le spinozisme, condamné en tant que doctrine athée,
eut une influence durable.
Pour Spinoza, chaque individu possède un corps associé à
un esprit représentant la pensée. Cet esprit est l'idée du
corps ; il y a une unité de substance avec entre chaque
attribut, identité d'ordre des modes (isomorphie) et identité
de connexions (isonomie). Il y a donc correspondance entre les
affections du corps et les idées dans l'esprit. Il en résulte
ainsi que tout corps peut être conçu sous le mode de l'étendue
et sous le mode de l'esprit. C’est lui qui règle le débat
entre
nos
deux
philosophes
en
associant
les
deux
notions : « la nécessité d’une compréhension de l’identité
complexe du corps humain ne vaut pas seulement pour la
définition de l’individualité mentale ; elle vaut aussi, et
simultanément, pour la caractérisation de l’union psychophysique, l’unité du corps et de l’esprit, par laquelle se
conçoit leur identité, étant celle d’un individu, compris
tantôt sous l’attribut Étendue, tantôt sous l’attribut Pensée.
L’individualité physique, affirme Spinoza, fournit également
le premier principe d’intelligibilité de l’identité psychophysique tout entière, autrement dit de l’unité individuée que
forment ensemble mens et corpus. La définition de la nature
propre du corps humain, de ce qu’il est et de ce qu’il peut,
est le préalable fondamental à la compréhension de l’union de
l’esprit et du corps. Proposition 13 du « De Mente » , Pascale
Gillot». Pour Spinoza, corps et esprit sont une seule et même
chose perçue sous deux attributs différents. Il considère à
égalité le corps et l'esprit, il n'y a pas de dévaluation de
l’un vis à vis de l’autre.
Le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (16481716) défend une philosophie innéiste à l’opposé des
21
22
pragmatiques anglais comme l’avait fait Descartes. Ce qui
existe est donc pour Leibniz l’individuel composé de
différentes unités. Il reproche à Descartes de ne voir le
corps que comme une étendue. Ainsi, il existerait des
substances absolument simples et indivisibles qui formeraient
la réalité. Leibniz nomme monade cette réalité. La monade est
conçue selon le modèle de notre âme. Il y a une union certaine
entre l’âme et le corps.
Si la philosophie de Descartes va jouer un rôle essentiel
dans les siècles qui suivent, si les propos de Pascal vont
être le pilier d’une religion passionnée et mystique, Gassendi
va être délaissé. Pourtant les hypothèses de Descartes en
s’appuyant sur des données scientifiques hasardeuses vont
engendrer de très nombreuses critiques au fur et à mesure des
progrès de la science. Ainsi le hollandais Jan Swammerdam
(1637-1680) démontre que notre philosophe s’est trompé dans sa
définition de la contraction musculaire. les « e s p r i t s
animaux » n’existent pas ; ce ne sont pas eux qui font gonfler
les muscles quand ils se contractent et qui les étirent quand
ils se relâchent; il prouve qu’en se contractant le muscle
n’augmentait pas de taille. C’est lui qui a mis au point la
préparation de la grenouille spinale qui fut utilisée
abondamment jusqu’à aujourd’hui: un tel animal permettait
l’étude des réflexes sans faire intervenir la volonté. On
étudiait purement « la machine ». Spécialiste du microscope,
c’est lui aussi qui se passionne pour les insectes. Il
découvre leurs métamorphoses. En 1658, il décrit le premier,
un globule rouge.
La position philosophique de Descartes va subir les
attaques conjointes des spiritualistes et des matérialistes.
Les premiers le trouvent trop matérialiste en décrivant le
fonctionnement vivant comme une machine. C’est l’époque de la
théorie vitaliste ou de l’animisme défendu par Georges Ernest
Stahl (1660-1734) et Claude Perrault (1613-1688). Pour eux il
y a un principe vivant qui fait que la matière biologique a
« un souffle » particulier qui la différencie du monde inerte.
Ce sens « vital » est tout à fait original et ne peut être
comparé à un mécanisme physique. Le premier, professeur de
médecine à Halle, défend la théorie du «phlogiston » où les
mécanismes chimiques de l’individu sont gouvernés par une âme
sensible capable de contrôler toutes les actions corporelles.
Antoine Lavoisier (1743-1794) démontrera l’inanité de telle
substance et décriera l’oxygène comme essentiel dans la
respiration. Le second qui deviendra par la suite un très
grand architecte, publie en 1680 un Essai de physique où il
analyse les mouvements des plantes et des animaux. Peut-être
le plus connu vit à Montpellier, c’est Paul Barthez (17341806) qui rédige de nombreux articles pour l’encyclopédie et
défend un vitalisme dans les « forces motrices et sensitives
».
22
23
A l’opposé le 18e voit apparaître de purs matérialistes
dont le plus connu est sûrement Julien Offray de La Mettrie
(1709-1751) avec son ouvrage de 1748, L’Homme machine. I l
considère que Descartes est resté en chemin! Si l’animal est
une machine, l’homme l’est aussi! Il va jusqu’à dire: « L e
cerveau a ses « muscles » pour penser comme les jambes ont
leurs muscles pour marcher ». Ses propos font scandale. Obligé
de quitter la France, il se réfugie en Prusse où il reçoit une
pension de Frédéric le Grand.
De cette même lignée, Pierre Jean Georges Cabanis (17571808) avec son principal ouvrage Rapports du physique et du
moral de l’homme (1802), propose une philosophie matérialiste
sous l’angle de la physiologie: « Nous concluons avec la même
certitude que le cerveau digère en quelque sorte les
impressions, qu’il fait organiquement la sécrétion de la
pensée. ». Les philosophes français du XVIIIe siècle comme
Diderot (1713-1784) ou Helvétius (1715-1771) considèrent que
l’esprit est bien de nature matérielle ce qui conforte leurs
attaques contre le spiritualisme chrétien. La cassure entre le
monde chrétien et le monde scientifique va se produire avec la
révolution. A partir de là il va falloir choisir son camp. Les
scientifiques tout en progressant dans les connaissances
scientifiques vont abandonner la notion d’ « â m e » qui
correspond à un concept mystérieux, peu rigoureux et peu en
accord avec l’esprit scientifique. Cette séparation parait
naturelle, pourtant elle s’est faite en opposant les deux
communautés.
D’un coté les conservateurs, les spiritualistes on dit
aussi «les éclectiques », avec J.M. de Maistre (1753-1821),
C.G. Ambroise de Bonald (1754-1840) et Victor Cousin ( 17921867)...Ils subissent l’influence de l’Eglise catholique. Ils
suivent les idées de Descartes car ils sont sensibles à la
position qu’il a sur l’esprit qui avec la mise à part de la
matière, s’intègre mieux aux concepts religieux. En étant
dualistes, ils ont l’impression de protéger l’esprit et de
conserver à l’âme son caractère purement spirituel.
De l’autre, les matérialistes qui se sentent libérés du
carcan religieux, considèrent la science comme l’élément
formateur qui va apporter à l’humanité la paix et le bonheur.
Ce camp comprend « les sensualistes » avec Georges Cabanis, le
comte A. Destutt de Tracy (1754-1836), Claude Henri de SaintSimon (1760-1825) et Auguste Comte (1798-1842), le père du
positivisme. Ils se veulent rationnels et ont une confiance
absolue en une Science rigoureuse et basée sur l’expérience:
Claude Bernard (1823-1878) en est sûrement le meilleur porte
parole en écrivant « L’Introduction à l’étude de la médecine
expérimentale » ouvrage publié en 1865 et dont Bergson dira: «
L’introduction est un peu pour nous ce que fut pour le 17e et
le 18e siècle le Discours de la Méthode : un heureux mélange de
spontanéité et de réflexion, de science et de philosophie. ».
Bernard défendra l’expérimentation qui permet en vérifiant les
23
24
hypothèses émises d’avancer sérieusement vers la vérité que
doit induire toute démarche scientifique bien menée. On peut
ainsi noter cette foi en la science : « La science a
précisément le privilège de nous apprendre ce que nous
ignorons, en substituant la raison et l'expérience au
sentiment, et en nous montrant clairement la limite de notre
connaissance
actuelle.
Mais,
par
une
merveilleuse
compensation, à mesure que la science rabaisse ainsi notre
orgueil, elle augmente notre puissance.”
Il faut placer à part M. F. Maine de Biran (1766-1824) qui
a eu une position beaucoup plus complexe. Il est parti d’un
point de vue matérialiste pour terminer par une approche
purement religieuse. Il commence par soutenir la Philosophie
de la sensation, il se fait le disciple de Condillac en
suivant Cabanis. Pour lui, les impressions faites sur les sens
sont l'unique origine de notre pensée et l'entendement est
l'ensemble des habitudes premières intégrées dans notre
cerveau. Il s’oppose à Descartes et suit Bacon, Hobbes et
Locke. Il propose ensuite une sorte de Philosophie de la
volonté.
Dans l'Essai sur les fondements de la psychologie, Maine
de Biran considère quatre systèmes dans l'humain, le système
affectif, celui de la vie où se définissent les instincts
commun à l'homme et à l'animal, le système sensitif qui permet
l’éveil de la conscience et qui conduit au système perceptif
propre à
l'action. L'attention intervient alors, elle
introduit le système réflexif, là où l’humain est enfin luimême en complète possession de la liberté morale. C’est le
domaine de la raison. La dernière période de Maine de Biran
s'étend de 1818 à sa mort lorsqu’il a défendu la Philosophie
de la religion. Il propose l’union avec Dieu; au-dessus de la
vie organique, de l'intelligence et de la volonté, il place la
vie de l'esprit en union avec celle de Dieu. On retrouve ici
encore l’opposition esprit-matière, l’esprit étant ce qui
permet d’accéder à Dieu. On se trouvait donc en ce 19e siècle
avec des chercheurs à très haute valeur scientifique mais un
peu naïfs dans leurs espérances, opposés à des conservateurs
essayant de soutenir des théories que la science démentait
régulièrement.
La séparation entre science et religion créera à la fin
siècle un fossé infranchissable. Dans le monde médical Charcot
se moque des estropiés et des bancals qui vont chercher à
Lourdes une guérison, on laïcise le milieux hospitalier en
renvoyant les nonnes dans leur couvents, l’école laïque prend
son essor. Cette rupture mènera à la création par Paul
Langevin (1872-1946) en 1930, de l’Union rationaliste...Il y a
bien quelques exceptions célèbres, on peut citer RenéThéophile-Marie-Hyacinthe Laennec (1781-1826) le grand
phtisiologue, le neurologue Guillaume Duchenne de Boulogne
(1806-1875) qui avouait que la science n’avait fait que le
rapprocher de la religion. Notons que Charcot l’agnostique qui
24
25
l’admirait beaucoup, l’a veillé plusieurs jours au moment de
son agonie...enfin et surtout Louis Pasteur (1822-1895) qui se
disait un grand spiritualiste. On doit aussi citer Pasteur qui
se voulait croyant.
Un débat va cristalliser cette opposition, la théorie de
l’évolution proposée par Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et
surtout par Charles Darwin (1809-1880). La rupture déjà
consommée, la science va développer et utiliser des hypothèses
essentiellement contre la religion. Les idées fixistes qui
étaient prédominantes jusqu’au 18e siècle vont être peu à peu
ébranlées par le développement de l’ensemble des sciences.
« L’Encyclopédie » des philosophes explique un monde sans
création divine. C’est surtout la paléontologie et la
découverte de fossiles, de squelettes ne ressemblant à aucune
des structures du moment qui fait prendre conscience d’un
monde autrefois différent. Buffon pensera mais n’osera pas
s’opposer à l’Eglise qui sur ce point sera intransigeante
quelle soit catholique ou protestante. On ne peut pas remettre
en cause la bible !
Lamarck à la suite des idées révolutionnaires fera
accepter l’hypothèse évolutionniste mais c’est Darwin après
son voyage du Beaggle qui le démontrera. Son attitude est
significative, car c’est lui-même qui très religieux a
l’impression en parlant de l’évolution de prononcer un
blasphème. Dans une lettre du 11 janvier 1844 à J.D. Hooker
(1917-1911) un botaniste de ses amis, il explique « Je fus si
frappé par la distribution des organismes aux Galápagos,
etc.…et par les caractéristiques des fossiles de mammifères
américains, etc.…que j’ai décidé de rassembler aveuglément
toutes les sortes de faits susceptibles de se rapporter d’une
façon ou d’une autre à ce que sont les espèces. j’ai lu
quantité de livres d’agriculture et d’horticulture, et n’ai
pas cessé de rassembler des faits. Finalement, quelques lueurs
sont apparues, et je suis presque convaincu, contrairement à
mon opinion de départ, que les espèces (j’ai l’impression
d’avouer un meurtre) ne sont pas immuables. Le ciel me
préserve des inepties de Lamarck , de sa tendance à la
progression et des adaptations dues à la volonté continue des
animaux, etc…mais les conclusions auxquelles je suis conduit
ne diffèrent pas grandement des siennes, bien que les agents
de la modification soient entièrement différents. ». Darwin
publiera le livre du « scandale » le 24 novembre 1859, son
titre était « L’origine des espèces au moyen de la sélection
naturelle ou la préservation des races favorisées dans la
lutte pour la vie ». Les cabales seront très violentes, Darwin
perdra peu à peu la foi.
Les avancées scientifiques vont changer les relations
entre le corps et l’esprit. La physique quantique comprend
davantage la matière comme un "événement" que comme un "fait".
Dès 1909, Henri Poincaré peut affirmer que la matière n’existe
pas du moins sous la forme grossière de nos approximations
25
26
perceptives, qui nous poussent à la concevoir comme une
substance permanente et compacte. La théorie de relativité va
montrer que matière, énergie et espace temps sont proches.
Un personnage totalement atypique, pourtant tentera de
résoudre l’inconciliable ! c’est Teilhard de Chardin (18811955). Il annoncera la planétarisation que nous connaissons
aujourd'hui, et développera la notion de « noosphère » qu'il
emprunte à Vernadsky (1863-1945) pour conceptualiser une
pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des
communications humaines. Il situera la création en un « point
Alpha » primitif, à l’origine du temps, il souscrira
totalement à l’évolution qui mènera en un « point Oméga » de
parfaite spiritualité où il rejoindra Dieu. Il a rendu la
matière spirituelle! Dans sa manière de parler de la matière,
il n’est pas très loin de Gassendi. Teilhard ne sera pas le
seul scientifique chrétien mais il sera un peu une exception.
Chez les physiciens pourtant la notion de Big-Bang en mettant
une limite au début de
l’univers redonnera des arguments à
une certaine mystique.
Conclusion:
Que dire aujourd’hui?
C’est Gassendi (comme Spinoza ou Hobbes) qui avait raison.
Il est artificiel de séparer l’esprit du corps comme l’a fait
Descartes...L’un est totalement intégré dans l’autre…Mais tout
est dans la façon de voir l’un et l’autre! Les scientifiques
sont dans l’ensemble, monistes: Esprit et Matière ne sont
qu’un. La Matière produit l’Esprit.
Antonio Damasio professeur de neurologie et de
Neuroscience à Southern California University depuis 2005, a
beaucoup, travaillé sur le comportement humain et sur les
émotions. Etudiant les réseaux de neurones corticaux, il a
montré l’importance des émotions dans les prises de décision.
Il a publié successivement deux livres , l’un sur Descartes et
l’autre sur Spinoza. Il réfute le dualisme de Descartes pour
approuver la vision synthétique de Spinoza. Dans un entretien
publié dans la recherche, Damasio disait de Spinoza « Aux
antipodes du dualisme cartésien, il écrivait des phrases que
je pourrais reprendre à mon compte mot pour mot. Ainsi : «
L'esprit ne se connaît lui-même qu'en tant qu'il perçoit les
idées des affections du corps. » Ou encore : « L'esprit humain
ne perçoit les corps extérieurs comme existant en acte que par
les idées des affections de son propre corps. » Et ceci : «
L'objet de notre esprit est le corps existant, et rien
d'autre. » Pour lui, le corps et l'esprit sont les attributs
de la même substance. On le voit, les cartes neurales ne sont
pas loin ! ».
Pour appuyer son idée Damasio affirme que le fait
d'exister a précédé celui de penser. Il reprend le cas très
célèbre du malheureux Phinéas Gage (1823– 1860): Ce
contremaître des chemins de fer a subi un traumatisme crânien
26
27
majeur auquel il a survécu. •Le 13 septembre 1848 dans le
Vermont aux Etats-Unis, en voulant faire sauter un rocher, la
poudre explose et la barre à mine lui traverse le haut de la
tête. Le pauvre va miraculeusement survivre 12 ans. Il aura
une très grave lésion dans la région frontale qui changera
complètement son caractère. Ainsi en touchant à la matière
cérébrale l’esprit et ses facultés ne sont plus les mêmes.
Ces données nous évoquent deux remarques : Damasio a tout
à fait raison de critiquer Descartes, il voyait tous les jours
les effets des atteintes cérébrales sur le jugement ou
l’émotivité de ses patients. Il n’a pourtant pas montré
l’apport scientifique énorme du à la notion de « machine » qui
permettait d’aborder les mécanismes mêmes de la physiologie
musculaire et nerveuse. Damasio ne parle pas de Gassendi qui
pourtant sur ce thème partageait tout à fait les avis de
Spinoza et s’était farouchement battu contre Descartes comme
notre neurologiste le fera près de quatre siècle plus tard !
Les purs matérialistes, la majorité des neurobiologistes
comme Jean-Pierre Changeux considèrent que le psychisme même
humain,
le
comportement
correspond
à
un
ensemble
d’apprentissages, de réactions affectives et de réponses
intellectuelles qui ne sont dues qu’à une organisation
anatomique de neurones et de connexions, qui forment le
substrat matériel du cerveau. La pensée n’est qu’une
« fonction » de câbles électriques et de substances
biochimiques. Quand on connaîtra toutes les molécules du
cerveau et toutes ses connections on expliquera la pensée.
A l’opposé, il y a encore eu des dualistes ; ils ont
e
encore suivi Descartes
au 20 siècle les prix Nobel de
Médecine comme C. Sherrington (1857-1952) ou J. Eccles (19031997).
Une position intermédiaire est de situer matière et
esprit comme deux éléments de même composante mais où l’esprit
par ses propriétés d’émergence se situe à un tout autre
niveau.
En terminant nous nous permettons de nous étonner de ce
débat même... car il nous semble que la vision scientifique
est d’une tout autre nature que la vision religieuse. Dans le
premier cas, la méthode scientifique repose sur une
observation rigoureuse de phénomènes biologiques ou physiques
et des résultats qu’ils peuvent induire. Dans l’approche
religieuse, il s’agit d’une adhésion, d’un principe de foi
dont la caractéristique est d’être instinctive et totalement
opposée à une logique et à un raisonnement quelconque. Il n’y
aurait donc aucune relation entre les deux approches. Il
semble pourtant que dans les siècles passés on ait cherché à
faire coller des évènements qui n’avaient rien à voir les uns
avec les autres.
Au 17e siècle, les connaissances astronomiques et
l’héliocentrisme bouleversent les dogmes de l’antiquité et les
religieux les plus intransigeants comme ceux de l’inquisition
font tout pour condamner ces découvertes. Mais comme la plus
27
28
part sont faites par des ecclésiastiques, comme Gassendi, par
des proches du monde religieux comme Galilée ou Copernic ou
protégé par des hommes d église comme Mersenne, malgré les
procès et les scandales, l’idée d’héliocentrisme sera en fait
accepté par tous malgré les grandes réticences.
Au 19e siècle, le deuxième bouleversement fera que l’homme
n’est plus un être à part crée par Dieu mais un simple produit
de l’évolution. Les deux courants sont en complète fracture.
Il y a eu de part et d’autre une telle haine et un tel mépris
que chacun s’est bâti contre l’autre. Revenons à Descartes qui
sans le vouloir, en séparant brutalement le corps de l’esprit
aura été le représentant des conservateurs dualistes et
Gassendi qui avait vu juste en associant l’un à l’autre...a
été complètement oublié...
Bibliographie :
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Bernard Rochot. Paris : Vrin, 1944
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Taussig, S. (2001). Vie et mœurs d’Épicure par Pierre
G a s s e n d i , version bilingue, notes, introduction et
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28
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Taussig, S. (2003); Pierre Gassendi, introduction à la vie
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Turnhout.
454p.
Taussig S., (2004). Les lettres latines de Gassendi, édition,
introduction et notes en 2 volumes; Brepols, Turnhout.
Teilhard de Chardin, P. : Oeuvres complètes publiées de 1955 à
1976, à titre posthume par Jeanne Mortier dont il avait fait
son héritière éditoriale de son œuvre dite non scientifique.
(Treize volumes).
29
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