1 Le Corps et l’Esprit, thème de la querelle entre René Descartes (1596-1650) et Pierre Gassendi (1592-1655)... (relations entre science et religion) FRANÇOIS CLARAC 14/10/10 La notion de corps et d’esprit a occupé et préoccupe encore philosophes, écrivains, artistes, religieux et scientifiques. Dès l’antiquité, la notion d’esprit a été associée à un principe surnaturel, un élément supérieur seul capable d’expliquer les fonctions psychiques si extraordinaires. De telles discussions ont en démontrant le niveau des facultés intellectuelles, situé l’humain au cœur des principes religieux. Elles ont posé la question des relations entre éléments corporels et structures spirituelles, considérant que les deux parties diffèrent non seulement en nature mais s’opposent dans leur existence même. En face des activités matérielles altérables et périssables, les principes de l’esprit sont apparus comme capables d’éternité. Aristote dans son traité « de l’âme », distingue une partie passive « l’intellect patient » et une partie active « l’intellect agent ». le premier est relié à la matière, l’autre correspond à l’action, à l’intelligence, à la vie cognitive, c’est la partie immortelle, l’âme. Cette notion d’« âme », élément de synthèse principal de la vie spirituelle a une nature sacrée, au centre de préceptes religieux extrêmement élaborés. Elément au dessus du corps, il est en opposition avec lui. Dans le monde occidental, la religion catholique s’est imposée dès le 4e siècle avec la conversion de Constantin à la suite de sa victoire en 313 au pont de Milvius (la légende dit qu’il aurait vu une croix dans le ciel avec ces mots :In hoc signo vinces). Grâce aux pères de l’Eglise comme St Augustin, l’apport biblique a été associé aux pensées grecques et latines. Les réflexions d’Aristote et de Platon ont été intégrées aux valeurs chrétiennes pour donner une vision synthétique du monde crée par Dieu, vision géocentrique où la terre était au centre entourée de planètes et d’étoiles et où l’homme dominait un monde biologique lui aussi statique et crée. A partir de la Renaissance, une telle vision a changé avec les progrès de la connaissance et les recherches qu’elles soient en mathématiques, en astronomie, en physique ou même en biologie. Les données nouvelles vont être telles qu’elles vont remettre en cause les principes immuables du passé biblique. Au début du 17e siècle la philosophie va en être la première 1 2 touchée ; la notion de corps et d’esprit va être reprise, elle va provoquer des discussions violentes entre deux hommes d’exception, Pierre Gassendi et René Descartes. Après avoir brièvement rappelé leurs vies, nous exposerons les débuts intellectuels et scientifiques de la première partie du 17e siècle en Provence et en Europe avant de caractériser les oppositions intellectuelles des deux philosophes sur le fonctionnement humain. Nous expliquerons les raisons de ces divergences et montrerons comment une telle querelle a perduré aux siècles suivants où elle est devenue la cause d’une des cassures les plus graves séparant la science et la religion. I/ Vies et oeuvres de René Descartes et de Pierre Gassend dit Gassendi : La vie des deux philosophes : Elle a été extrêmement différente que ce soit dans leurs activités, leurs relations et leurs manières d’être.. Ils auront pourtant bien des amis communs et communiqueront pas lettres interposées. Il ne se verront qu’une fois en 1647 soi-disant pour se réconcilier. Pierre Gasend, c’est son vrai nom mais comme il écrivait surtout latin son nom faisait Gassendi au génitif « d e G a s s e n d ». Cette terminologie lui est restée. Il est provençal, né à Champtercier près de Digne le 22 janvier 1592. Fils de petits cultivateurs, Gassendi montre dès l’enfance des dispositions exceptionnelles qui lui permettent de faire au collège de Digne, de brillantes études. Il part en 1607 pour Aix, où il suit le cours de philosophie de Philibert Fesaye, prieur des grands Carmes. René Descartes lui est d’Indre et Loire, né à La Haye (on dit aujourd’hui, La Haye Descartes) le 31 Mars 1596. Il est le troisième enfant de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Rennes. Enfant maladif, il présente pourtant des dons intellectuels précoces. Entré à onze ans au célèbre collège jésuite de La Flèche, il y restera jusqu’à 18 ans. Il apprend les mathématiques, la physique et la philosophie scolastique. Gassendi n’a vécu qu’entre Digne, Aix-en-Provence et plus tard, Paris. Par lettres il a pourtant communiqué avec les scientifiques de toute l’Europe grâce à une étonnante correspondance sur 34 ans (1621-1655). On peut diviser sa vie publique en trois parties : De 1621-1637, installé à Aix, il vit en étroite relation avec le grand intellectuel Nicolas Fabri de Peiresc (15801637). Ce «Prince des Curieux » conseiller au parlement de Provence sera son premier protecteur. Après sa mort, de 16381653, Gassendi sera surtout soutenu par Louis Emmanuel de Valois-Angoulême (1593-1653), le gouverneur de Provence, comte d' Alais et duc d'Angoulême. Il lui écrira régulièrement et lui apprendra la philosophie. Ses dernières années il sera à professeur Paris, ce sera sa consécration définitive. 2 3 Sa vie se résume ainsi : Gassendi, docteur en théologie en Avignon en 1614, est à ce moment là chanoine à Digne. Il va entrer dans les ordres et devenir professeur de rhétorique au collège de Digne en 1617. Il fera ses premières observations astronomiques en 1618 grâce à Peiresc. En 1620, il positionne Jupiter par rapport aux étoiles fixes. Il est le premier à décrire scientifiquement, le 12 septembre 1621 près d’Aix-enProvence, des voiles lumineux très colorés auxquels il donnera le nom d’« aurore boréale ». Son premier ouvrage publié en 1625 critique Aristote qui défendait l’idée d’un ciel immuable. Il est fait prévôt de la cathédrale de Digne en 1626. Installé à Paris en mai 1628, Gassendi va voyager pendant neuf mois dans le nord de l’Europe, avec François Luillier (1600-1651), le libertin bien connu. Il décrit à Paris, le 6 novembre 1631 le passage de Mercure devant le Soleil comme l’avait prévu Kepler. Il aura une position officielle à l'agence générale du clergé de France en 1641. En 1642 à nouveau à Paris, il enseigne la philosophie à Claude-Emmanuel Lhuillier dit Chapelle (1626-1686), fils naturel de François chez qui il habitait, ainsi qu’à plusieurs de ses amis, Molière peut-être (1622-1673) ?, Jean Hesnault (1611-1682), Cyrano de Bergerac (1619-1655) et François Bernier (16201688). Il y fréquente le monde libertin. Ce courant qui affirme l’autonomie morale de l’homme face à l’autorité religieuse, se veut chez lui une manière de vie critique et libératrice qui respecte parfaitement les règles morales. On le dit matérialiste car pour lui tout dans l’univers relève de la matière, laquelle impose, seule, ses lois. La compréhension du monde relève de son étude et des réflexions qui s’en dégagent. Il écrira et publiera début 1644 le Dequisitio Metaphysica, un ouvrage de plus de 600 pages où il critique point par point « Les méditations » de Descartes publiées en 1641. Soutenu par Richelieu (1585-1642), la consécration viendra lorsqu’il sera nommé en 1645 professeur de mathématiques au Collège Royal. Il y enseigne l'atomisme d'Épicure et de Lucrèce.En 1646, il publie avec Fermat, contre le jésuite Casrée, un livre sur l'accélération des graves. Il écrit en 1647 De Vita, moribus, et doctrina Epicuri libri octo. pour défendre la doctrine d'Épicure. Malade, Gassendi quitte en 1648, Paris pour le midi. En 1649, il publie ses commentaires sur le dixième livre de Diogène Laërce et son Syntagma philosophiae Epicuri. qui est son ouvrage le plus célèbre. Il va voyager en Provence, passe deux ans à Toulon où il retrouve son secrétaire, élève et protégé, François Bernier, revenu d'un long voyage en Europe de l'est. Le 11 août 1654, Gassendi observe sa dernière éclipse dans le château de Montmort, au Mesnil-Saint-Denis. Malgré les soins de nombreux médecins, il meurt le 24 octobre 1655. Ses exégètes ont dit de lui qu’il était pieux et qu’il pratiquait avec beaucoup de scrupule ses devoirs religieux; 3 4 ses paroissiens l'appelaient « le saint prêtre ». La vie de Gassendi n’a été qu’une suite d’observations, de réflexions, de lettres et de travaux publiés. Très protégé par les puissants du siècle, il a joué un rôle significatif dans l’abandon des principes de l’antiquité et a permis par son autorité, l’essor des connaissances nouvelles. Son ami le médecin et professeur au Collège de France, Guy Patin ( 16011672) écrivit de lui : « M. Gassendi est si délicat qu'il n'en ose boire, et s'imagine que son corps brûlerait s'il en avait jamais bu. » Descartes a eu une vie toute différente. On peut le considérer dans sa jeunesse comme un militaire voyageur. Il veut se former aux armes et part en 1618 en Hollande comme bien des gentils hommes de la noblesse Française pour faire son instruction militaire. En 1618, il parcourt le Danemark et l’Allemagne qu’il a tant souhaité connaître puis s’engage dans les troupes du Duc de Bavière. Il abandonne la vie militaire et voyage en 1620. Il vend les biens de sa mère pour se mettre à l’abri du besoin. Il voyage encore et s’installe à Paris pendant trois ans, de 1626-1628. Il s’attache au père Mersenne de l’ordre des Minimes qu’il avait connu au collège de la Flèche. Frappé par l’originalité des opinions de Descartes, le Cardinal de Bérulle l’engage à se consacrer à la réforme de la Philosophie. En 1628, il repart pour la Hollande et veut s’y installer car le pays lui avait beaucoup plu; il y restera presque jusqu’à sa mort, en 1649, tellement il se sent chez lui dans ce pays où il se juge en sécurité. Il changera par contre, sans cesse de résidences: Amsterdam, Utrecht, Leyde, Egmond... Il se fait l’ami de Constantin Huygens (1596-1687), homme d’état et poète hollandais avec qui il aura une abondante correspondance, le père du physicien, géomètre et astronome Christian Huygens (1629-1695) qui s’opposera aux lois physiques qu’il proposera. Ses principaux écrits feront son succès mais déclencheront des disputes tenaces, surtout en Hollande. La fin de sa vie sera marquée par deux femmes d’exception. La première, Elisabeth est la fille de Frédéric V de Palatinat (1593-1632) qui régna sur la bohème de 1619 à 1620 et de la reine de Bohème, Élisabeth Stuart la fille de Jacques Ier. Frédéric V sera au cœur de la guerre de trente ans. Destitué très tôt, il partira en exil à Sedan. Charles Louis Ier de Palatinat son fils puîné, deviendra Roi du Palatinat de 1648 à 1680 après le traité de Westphalie. Sa fille Elisabeth-Charlotte (1652-1722) épousera Monsieur le frère de Louis XIV, duc d’Orléans. C’est cette dernière qui sera considérée comme « La princesse palatine ». Elle est la nièce de l’admiratrice de Descartes. Notre Elisabeth était née le 26 décembre 1618 soit vingt deux ans après Descartes, très tôt elle éblouira tous ceux qui l’approcheront par sa grâce, sa beauté et par son savoir encyclopédique. Elle parlera un très grand nombre de langues 4 5 et sera très marquée par la lecture des m é d i t a t i o n s de Descartes. Ils se voient à La Haye. Dès qu’elle sait que le philosophe a tenté de la contacter, elle lui écrit : «…aujourd’hui M. Palotti m’a donné tant d’assurance de votre bonté pour chacun et particulièrement pour moi que j‘ai chassé toute autre considération de l’esprit, hors celle de m’en prévaloir en vous priant de me dire comment l’âme de l’homme peut déterminer les esprits du corps pour faire les actions volontaires (n’étant qu’une substance pensante). » (Elisabeth, 6 mai 1643). Descartes est à ce moment-là à Egmond, il lui répond « La faveur dont votre altesse m’a honoré en me faisant recevoir ses commandements par écrit est plus grande que je n’eusse jamais oser espérer…Car j‘aurais eu trop de merveilles à admirer en même temps; et voyant sortir des discours plus qu’humains d’un corps si semblable à ceux que les peintres donnent aux anges, j’eusse été ravi de la même façon que me semblent le devoir être ceux qui, venant de la terre entrent nouvellement dans le ciel. » Descartes 21 Mai 1643. L’émotion est immense. Ne dira-t-il pas d’elle ? « Je n’ai jamais rencontré personne qui ait si généralement et si bien entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits ». En 1644, il lui dédiera ses « Principes de la philosophie » en écrivant « A la sérénissime princesse Elisabeth ! ». Passionné et subjugué par sa jeune protégée, Descartes entretiendra très régulièrement des relations épistolaires philosophiques avec elle. La princesse qui le considère comme « le médecin, de son âme » cherchera dès ses premières lettres à comprendre les relations qu’il établit entre l’âme et le corps. Elle s’étonnera comme le fera Gassendi de son parti pris dualiste: ne lui écrira-t-elle pas « Comment l’âme de l’homme peut déterminer les esprits du corps, pour faire les actions volontaires (n’étant qu’une substance pensante). Car il semble que toute détermination du mouvement se fait par la pulsion de la chose mue, à manière dont elle est poussée par celle qui la meut, ou bien de la qualification et figure de la superficie de cette dernière. L’attouchement est requis aux deux premières conditions, et l’extension à la troisième. Vous excluez entièrement celle-ci de la notion que vous avez de l’âme, et celui-là me paraît incompatible avec une chose immatérielle. (Elisabeth, le 16 mai 1643). Descartes, assez embarrassé répondra qu’il y a en nous un petit nombre de notions primitives, pour le corps celles de « l’étendue » et du mouvement pour l’âme celle de la «pensée ». Grâce à un ami diplomate et philosophe, Hector-Pierre Chanut (1601-1662) il va entendre parler d’une autre femme remarquable, Christine, la reine de Suède. Chanut va lui présenter comme une des personnes les plus intelligentes et les plus habiles pour diriger un royaume. « elle est si adroite que son age et son peu d’expérience ne donnent aucun 5 6 avantage à tout ce qui peut lui manquer dans l’usage des affaires.» Naïvement, Descartes en parle à Élisabeth qui sans le lui dire sera très jalouse de ce projet de voyage en Suède. Ce déplacement sera en fait une affreuse déception et physiquement beaucoup trop rude pour notre philosophe. Arrivé à Stockholm le 4 octobre 1549, Descartes acceptera d’être le professeur de la reine qui du fait de ses occupations à la cour le laisse très seul. Descartes est obligé pour donner sa leçon de philosophie d’arriver dès 5 heures du matin ; la reine elle se lève à 4 heures, les charges royales sont très accaparantes. Elle demande à son maître de lui écrire le texte d’un sujet de ballet sur la paix . Il lui portera par un froid extrême, le document le matin du 1er Février 1650 ; mais transi et gravement touché, il tombera malade et mourra dans la capitale Suédoise dès février 1650. ( Très récemment, le philosophe allemand, Theodor Ebert, professeur de philosophie à l'université d'Erlangen, spécialiste d'Aristote et de Platon, est persuadé que Descartes a été bel et bien assassiné. Ce serait le prêtre de l'ambassade de France à Stockholm, François Viogué qui aurait tué Descartes en lui donnant une hostie empoisonnée à l'arsenic. Viogué aurait eu des raisons d'en vouloir à son compatriote : Missionnaire apostolique pour les pays du Nord, il déteste l'influence libérale de Descartes sur la jeune reine de Suède, Christine qui luthérienne serait prête à devenir catholique ce qu’elle fera en 1654; il aurait voulu en tirer profit.. . Certains exégètes très sérieux pensent que ce ne sont que des racontars ) Après la disparition de Descartes ces deux femmes confirmeront leur exceptionnelle nature : Élisabeth lui restera fidèle et deviendra à sa mort abbesse protestante luthérienne à Herford en Saxe. Cette arrière petite-fille de Marie Stuart mourra le 11 février 1680. Christine abdiquera en 1653 et parcourra l’Europe. Elle viendra en France en 1656. Elle se fixera définitivement à Rome en octobre 1668 où elle habitera un palais qu’elle transformera en musée. Elle sera l’amie des grands artistes Romains comme Le Bernin (1598-1680) ou comme le jeune musicien Alessandro Scarlatti (1660-1725). Elle mourra en 1689 d’érysipèle et sera enterrée en la basilique Saint Pierre. En 1648, Gassendi, et Descartes se seraient réconciliés officiellement grâce aux bons soins de César d'Estrées (16281714). L’éditeur Paul Tannery a évoqué un repas des trois philosophes, Descartes, Gassendi et Hobbes, réunis à la table du marquis de Newcastle . Leurs oeuvres : Elles sont nombreuses et démontrent leur exceptionnelle érudition. Pourtant c’est « Le discours de la méthode » de Descartes qui marquera l’époque beaucoup plus que toutes les oeuvres de Gassendi réunies. Le premier livre de Gassendi « Exercitationes paradoxicæ » sera contre Aristote et la philosophie scolastique. Suivant sa vision humaniste, Gassendi remet en cause les textes établis, l’autorité a priori et la tradition. Son opposition à Aristote ne tient pas au personnage lui-même 6 7 mais aux changements apparus depuis. Il se veut antidogmatique et son combat s’oppose surtout aux courants ésotériques et à l’occultisme. Il a besoin pour croire de s’appuyer sur des preuves expérimentales, on le traitera de matérialiste. Gassendi va surtout s’attacher à réhabiliter un des grands penseurs de l’antiquité, Epicure et ceci grâce à trois publications fondamentales: De vita et moribus Epicuri (1647), Animadversiones in decimum librum Diogenis Laertii (1649) et le Syntagma philosophicum (1658, Opera omnia, Tome III). Gassendi reprend la logique d’Épicure afin de servir de base à la nouvelle science et à ses méthodes empiriques. Il reprend à son compte la notion de « plaisir », moteur vers le bonheur et la sagesse. Le philosophe en ré-expliquant la contradiction apparente entre christianisme et épicurisme, définit dans le « De Vita », les principes vertueux d’Epicure. L’idée première est qu’Epicure : « a vu que tous les hommes, conduits par la nature, étaient portés vers quelque volupté quoi qu’ils fassent; mais il découvrit, après avoir évalué tous les genres de voluptés, qu’aucune n’était plus générale, plus constante, plus désirable que celle qui consiste dans la santé du corps et la tranquillité du cœur. (S.Taussig 2001) ». Epicure a été accusé à tort de vie dissolue alors qu’il défendait « une âme sans trouble, un corps sans douleur . Pour lui, la volupté et le plaisir devaient induire des sentiments nobles, une attitude de vie « Il [Epicure] a ...défendu qu’était sage, c’est à dire doué de vertu, l’homme qui veillait tout d’abord, par la sobriété et la maîtrise de soi, c’est à dire la vertu de tempérance, à la santé de son corps, autant que sa complexion naturelle le lui permettait, et qui consacrait ensuite le plus d’attention possible à protéger au mieux la tranquillité de son âme , secondé par le chœur des vertus et ayant apaisé toutes ses passions, et notamment le désir, la goinfrerie, l‘avarice, l’ambition. Car la véritable et authentique vertu ne consiste pas dans l’acte lui-même, ou mouvement, comme Aristippe l’avait défini, mais dans l’état, c’est à dire l’absence de douleur dans le corps et de trouble dans l’esprit... » (p.177, S. Taussig) La philosophie de Gassendi se rattache à plusieurs courant, il est pragmatique et associe logique, éthique et atomisme épicurien avec la doctrine de la création du monde par Dieu, de la Providence et de l’immortalité de l’âme. Faisant de l’éthique le point central de la pensée, Gassendi pose le plaisir comme finalité de l’homme et la philosophie comme un exercice vers une vie plus heureuse. Les écrits de Descartes ont été célèbres dès leurs parutions. La publication du Discours de la méthode en 1637 (sous-titré Pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences), publié en Français correspond au premier grand texte philosophique de Descartes. On peut remarquer qu’avec le Cid de Corneille en 1636 nous avons là deux des premières oeuvres majeures de la littérature 7 8 Française. Ce Discours était en fait une préface annonçant différents textes scientifiques « la Dioptrique, les Météores, et la Géométrie » mais le succès a été tel que maintenant le Discours est publié seul. Descartes y expose son parcours intellectuel expliquant sa formation et les enseignements qu'il avait reçus à l'école, jusqu'à sa fondation d'une philosophie nouvelle quelques années plus tard. Il y propose une méthode de pensée basée sur quatre principes: « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle… ». Il n’était pas question d’admettre les théories passées. Il fallait faire table rase. « Le second, de diviser chacune des difficultés que j‘examinerais en autant de parcelles qu’il ne pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre. » Descartes parle dès le début en employant le « je ». C’est lui qui étudie, c’est lui qui recherche, qui élabore et tente de comprendre grâce au principe de dissociation qui en détaillant les éléments permet de mieux analyser le tout. « Le troisième de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns des autres. ». Il donne un principe d’analyse très rigoureux. « Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. ». Quand on analyse un problème il est nécessaire de le voir en son entier.Il développe une philosophie du doute, pour reconstruire le savoir sur des fondements assurés qui s’appuient sur la certitude si précise des mathématiques. Il ne sort du doute que par la phrase si célèbre « je pense donc je suis » (cogito, ergo sum), qui en fait résume son premier principe. Il décrit enfin ses méditations sur l'âme et sur Dieu mais il en donnera une version beaucoup plus étendue dans les Méditations métaphysiques publiées quatre ans plus tard. Elles seront éditées en 1641 à Paris sous le titre : « Méditations sur la philosophie première, dans laquelle est démontrée l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme » et en 1642 à Amsterdam avec une titre différent « … dans lesquelles sont démontrées l’existence de Dieu et la distinction de l’âme et du corps ». Écrites en latin, elles ont été traduites en Français. Elles vont être l’objet de très nombreuses critiques des théologiens et des philosophes de l’époque et en particulier de Gassendi. Ce seront « les objections ». On en trouvera six plus une septième. Il y aura enfin « l e s réponses » de Descartes intercalées. C’est le religieux de l’ordre des Minimes, Marin Mersenne (1588-1648), qui servira de lien entre tous ces intellectuels, envoyant les écrits des uns aux autres, en sollicitant des critiques et des réponses 8 9 aux critiques. Cet ensemble forme un dialogue vif et brillant d’une très haute tenue. Descartes ne peut s’empêcher de définir…Pour discuter il faut comme tout scientifique qui se respecte que les termes employés soient précisés et ne portent pas à confusion. Il définira la pensée comme tout ce que « je » comprends, l’entendement, l’imagination, les opérations de la volonté… mais pas le mouvement. « Par le nom d’idée, j’entends cette forme de chacune de nos pensées par la perception immédiate de laquelle nous avons connaissance de ces mêmes pensées. » . Descartes ira même jusqu’à définir Dieu « La substance que nous entendons être souverainement parfaite, et dans laquelle nous ne concevons rien qui enferme quelque défaut, ou limitation de perfection, s’appelle Dieu. » Descartes a pratiqué des dissections et a atteint pour l’époque, une grande culture biologique qu’il confirme dans ses deux derniers ouvrages : « Les Passions de l’Âme » (1649) et « le Traité de l’homme » (1664). on peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas la vue de cerveaux disséqués, sanguinolents, flasques et sans forme qui expliquerait son idée de dualisme. Comment en effet imaginer que la pensée puisse être issue de cette masse inconsistante ? l’opposition est évidente...Le traité publié après sa mort, abordera ses théories sur le corps et l’esprit en se plaçant d’un point de vue purement scientifique qu’il veut très mécaniciste. Nous nous appuierons sur ces textes pour préciser les idées de Descartes. Si le style est toujours aussi brillant et persuasif, les hypothèses biologiques sont le plus souvent de la pure fantaisie. II/ La vie intellectuelle au début du 1 7e siècle et trois philosophes Scientifiques: Cette époque qui se situe à la suite de la Renaissance va être extrêmement riche en découvertes et nouveautés scientifiques qui vont mettre à mal la vision du monde encore sous l’influence de l’antiquité. L’année 1604 marque sans doute déjà un tournant. Il se passe de curieuses choses dans le ciel ! Un nouvelle lumière apparaît aussi brillante que Vénus . Cette apparition semblait prévoir le pire. On distingue les planètes qui ont un parcours particulier dans le ciel et différent de toutes les étoiles. Cette apparition différente de tous les autres phénomènes célestes pose problème… les écrit parlent d’un astre dont l’intensité lumineuse varie; on le verra ainsi d’octobre 1604 à l’été 1605. On sait aujourd’hui que de tels systèmes à variations lumineuses sont des « supernovae », véritables explosions nucléaires. Cette supernovae située dans la voie lactée, ou SN1604 a été aussi nommée « étoile de Kepler ». Johannes Kepler (1571-1630) astronome protestant luthérien en sera un de ses observateurs les plus assidus. 9 10 De plus en plus… tout change. Le ciel ne correspond plus du tout à ce qu’en ont dit les anciens. Les hommes de théâtre s’éloignent de la bible. En Angleterre Shakespeare (1564-1616) triomphe avec des pièces profanes. Même si on se réfère à la bible, un peintre comme Le Caravage (1671-1610), artiste à scandale peint « la mort de la vierge » en 1606 comme s’il s’agissait d’une personne ordinaire… Commandé en 1601 pour la chapelle du juriste Laerzio Cherubini à l’église Santa Maria della Scala dans le « Trastevere » à Rome, ce tableau de 369 cm x 245 cm n’a dû être achevé qu’en 1605-1606. Refusé et retiré de l’église, les moines le trouvaient indigne du lieu, certains disant même que la vierge ressemblait à une prostituée! En astronomie la révolution va venir de la mise au point des lunettes astronomiques. Dans le Génie du Christianisme, Chateaubriand explique cette découverte avec verve: «…des enfants découvrent la lunette astronomique. Galilée perfectionne l'instrument nouveau ; alors les chemins de l'immensité s'abrègent, le génie de l'homme abaisse la hauteur des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer ». On hésite sur les inventeurs de ce fameux instrument : on cite soit Hans Lippershey (1570-1519) un monteur de bésicles de Middleburg, soit Zacharias Janssen (v.1588–v.1631), un fabricant de lentilles hollandais du XVIe siècle. ou même Jacques Métius d'Alcmaar, fils du géomètre Adrien Métius (1571-1635)?…(on peut définir une lunette comme l'association à une distance déterminée d'un objectif convergent et d'une deuxième lentille oculaire). Les marins hollandais s’en servent alors " pour faire voir loin ". On en vend à La Haye en 1608, et on en trouve aussi, en avril 1609, chez les lunetiers parisiens et sur le pont au Change. C’est Galilée (1564-1742) qui le premier dirige une lunette astronomique vers le ciel : Il découvre les phases de la planète Vénus dont le disque est partiellement éclairé comme la lune au moment des quartiers. C'est la variation d'éclat de Mars, sensible à l'œil nu, qui a donné l’idée à Nicolas Copernic (1473-1543) de l'héliocentrisme : la lumière de Mars est intense quand Mars et la Terre se trouvent du même côté du Soleil et côte à côte sur leurs orbites mais elle est faible quand Mars et la Terre sont de part et d'autre du Soleil, à l'opposé sur leur orbite. Mars est situé à la moitié de la distance terre-soleil dans le premier cas et est 5 fois plus loin avec une intensité 25 fois plus faible dans le deuxième. Grâce à sa lunette Galilée mesure la variation d'éclat de Mars et la variation de son diamètre apparent. Les deux découvertes -phases de Venus et variation d'éclat de Mars- vérifient la validité de l'hypothèse héliocentrique de Copernic. On peut dire que l’année 1610 a été pour l’astronomie d’une richesse exceptionnelle dépassant de loin toutes les découvertes faites durant ce millénaire. Galilée découvre les 10 11 phases de Vénus, les satellites de Jupiter et observe des montagnes et des cratères sur la lune, David Fabricius (15641617) le théologien Allemand, observe les taches solaires. Peiresc découvre la nébuleuse d'Orion et l'amas de la Crèche. Galilée et Peiresc comprennent que la « Voie Lactée » est composée d’une myriade d’étoiles. Rubens, leur ami en fera un tableau fort imagé. En 1612. Simon Mayer (1570-1624) redécouvre la nébuleuse d'Andromède déjà mentionnée par les Arabes. Enfin c’est entre 1604 et 1618 que Kepler a réétudié l’hypothèse héliocentrique de Copernic, et a découvert que les planètes ne tournent pas en cercle autour du Soleil mais suivent des ellipses. Il a établi les relations mathématiques (dites lois de Kepler) qui régissent les mouvements des planètes sur leur orbite en énonçant trois lois fondamentales sur l'orbite des planètes. Il confirme que la terre n'est pas le centre de l'univers, mais seulement le centre du système terre/lune. La terre tourne autour d'elle-même suivant un axe nord/sud. La distance terre/soleil est infime comparée à la distance soleil/autres étoiles. Il n’y a pas qu’en astronomie que les dogmes antiques tombent. Un médecin et physiologiste anglais, William Harvey (1578-1657) va expliquer que le sang circule dans un système clos avec un circuit pulmonaire et un circuit général: le premier absorbe l’oxygène que le second transporte jusqu’aux organes pour les faire vivre. Après un voyage en Italie où il est influencé par Realdo Colombo (1510-1559) et formé par Fabrice d'Acquapendente (1537-1619), il se fixe à Londres en 1604 et est nommé en 1613 professeur d'anatomie et de chirurgie au Collège de médecine. Il devint médecin de Jacques Ier et de Charles Ier d'Angleterre, et chef du collège de Merton à Oxford. Cette découverte des lois de la circulation sanguine, Harvey en parle dans ses cours dès 1616, et la décrit en 1628 dans son livre : Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in Animalibus. Il explique le fonctionnement de la grande circulation en plaçant sur le circuit différentes ligatures et en établissant différentes pressions dans les deux circulations prouvant la réalité physique du phénomène. Harvey désigne le cœur comme une pompe musculaire à effet hydraulique, assurant la continuité du flux grâce à ses contractions qui envoient du sang et non de l’air, dans les artères. Le sang revient par les veines. Il émet l’hypothèse de la présence de capillaires reliant les artérioles aux veinules. Harvey est appuyé par Descartes qui écrit dans le discours de la Méthode que le cours du sang « n’est autre chose qu’une circulation perpétuelle » et plus loin : « Je n’ai pas besoin d’y répondre autre chose que ce qui a été déjà écrit par un médecin d’Angleterre, auquel il faut donner la louange d’avoir rompu la glace en cet e n d r o i t . . . ». De même, Raymond Vieussens (1641-1716), professeur d’anatomie à Montpellier est lui aussi un fervent défenseur de l’Anglais. 11 12 Par contre, l’ouvrage de Harvey est l’objet d’une véritable cabale. Cette découverte constitue elle aussi une révolution qui détruit d’un seul coup l’enseignement traditionnel basé encore sur Aristote et Galien. La traduction anglaise de l’ouvrage paraît en 1653. À Paris, Jean Riolan (1577-1657), professeur d’anatomie à la Faculté, se joint au doyen Guy Patin, pourtant l’ami de Gassendi, pour traiter Harvey de « circulateur », jouant ainsi sur le sens du mot latin «circulator » qui signifie «charlatan »; il en rajoute en déclarant que « la circulation est paradoxale, inutile à la médecine, fausse, impossible, inintelligible, absurde et nuisible à la vie de l’homme ». Les recherches sur les tissus vivants vont commencer au milieu du 17e siècle grâce à Anton van Leeuwenhoek (1632-1723) qui inventera le premier microscope optique. Il observera les anastomoses capillaires entre les artères et les veines, décrira les globules rouges et les micro-organismes à partir de préparations issues de la surface dentaire. Il accumulera de nombreuses observations sur le sang, le lait, les os, la cuticule des insectes ou des crustacés. La science en progressant met en cause les certitudes ancestrales sur lesquelles s’appuie toujours l’orthodoxie religieuse. Le conflit va être violent et mener à des procès retentissants. Les juges les plus rétrogrades de l’inquisition s’opposent aux intellectuels. Le christianisme reste pourtant solidement sur ses bases car ce sont les chrétiens eux-mêmes qui sont les plus prompts à se passionner pour ces multiples découvertes. Deux personnalités, amies de nos deux philosophes et aux connaissances universelles, ce seront sans doute les dernières vont jouer un rôle primordial dans cette première partie de siècle : -Le premier, Peiresc, « le prince des curieux » comme le surnomme Gassendi, est à l’époque, un esprit complet. A 19 ans, Peiresc partage ses activités entre ses diverses propriétés. Au château de Belgentier où il est né (Var, au nord de Toulon), il crée un magnifique jardin et une tourobservatoire. A Aix, à l'hôtel de Callas il hérite de son père seigneur de Callas, et constitue une bibliothèque de 5.000 ouvrages. Conseiller au parlement de Provence, il finance des voyages pour trouver de nouvelles plantes dans les pays d’orient. Il est un des premiers à avoir un « Cabinet de curiosité », une sorte de musée où l’on trouve aussi bien des œuvres d’art que des plantes ou des animaux…. P e i r e s c correspond avec tous les grands noms de l’Europe du temps: Galilée, Gassendi, Kepler, le juriste protestant Hollandais Hugo Grotius (1583-1645) François de Malherbe (1555-1628), Mersenne, le mathématicien Hollandais Snellius (1580-1626), l'érudit italien et mécène Jean-Vincent Pinelli (1535-160), le peintre Petrus Paulus Rubens (1577-1640), le bibliothécaire Gabriel Naudé (1600-1653),… et avec la cour de différents 12 13 rois. Il crée en Provence un groupe d’intellectuels et d’astronomes très actifs avec Gassendi, Joseph Gaultier de la Valette (1564-1647), l’astronome Flamand Godefroy Vendelin (1580-1667), Jean Lombard (1580-1656)…. Grand ami de Rubens, Peiresc favorisa les contacts entre la cour d’Henri IV , Marie de Médicis et le peintre qui disait de lui : “ De son visage émane une grande noblesse, propre à son génie, avec un je ne sais quoi de spirituel qu’il n’est pas facile de pouvoir rendre en peinture.” Peiresc s’intéresse à tout, il est spécialiste en tout ; on peut dire qu’il est archéologue, bibliophile, numismate, égyptologue, historien, généalogiste, linguiste, musicologue, expert en art. Il est botaniste, paysagiste et jardinier. anatomiste, zoologiste, l'ichtyologiste et entomologiste. Il s’intéresse à la météorologie, à l'optique atmosphérique, aux marées, au magnétisme terrestre, à la géologie, à la stratigraphie et à la c r i s t a l l o g r a p h i e . . . , Peiresc prend parti pour l'héliocentrisme. Il interviendra avec Gassendi pour soutenir Galilée pourtant lâché par bien des savants. Ils lutteront contre la sorcellerie : sorciers et sorcières avaient acquis un grand pouvoir sur le peuple et empêchaient tout progrès de la société. Grâce au peintre et graveur Claude Mellan (15981688), ils représenteront les phases de la lune. -Le second est Mersenne. Au départ un défenseur de l'orthodoxie catholique, ses premiers écrits sont des ouvrages de polémique religieuse contre les libertins, les athées, les sceptiques. Mais il est aussi un catholique ouvert, qui pense que la religion doit accueillir toute vérité mise à jour. Opposant à tout ce qui est mysticisme, alchimie, sciences occultes, il adhère au contraire au cartésianisme et est le traducteur de Galilée. Il explique ses idées dans la Vérité des Sciences, ouvrage publié en 1625. Mersenne est resté célèbre car, à une époque où la presse scientifique n'existait pas encore, il fut, après les frères Pierre (1582-1651) et Jacques Dupuy ( ?-1656) dont il fréquenta l'académie ouverte aux provinciaux de passage à Paris, au centre d'un réseau d'échange d'informations, prémisse de la future Académie des Sciences. Grand ami de Descartes qui a une grande confiance en lui, Mersenne est proche de Pierre de Fermat (1605,1608-1665), juriste et mathématicien français, surnommé « le prince des amateurs ». D’abord avocat à Bordeaux, Fermat entre en correspondance avec Mersenne en 1636 et s’oppose à Descartes à propos de son livre d’optique «les Dioptriques », sur l’explication de la circulation de la lumière dans des milieux différents. Les grands écrits que l'on a retrouvés de lui sont des annotations dans des textes renommés tels l'Arithmetica du mathématicien d’Alexandrie, Diophante (v.325-409). Ce n'est qu'en 1670 que son théorème est exposé au public. On sait en fait peu de choses de lui. Fermat a laissé l'image d'un savant dissimulant ses méthodes qui semblent s’être perdues avec lui. 13 14 Fermat se base sur le principe qui anime toute sa vie : « La nature agit toujours par les voies les plus courtes et les plus simples ». Mersenne entretient aussi une très volumineuse correspondance (en latin comme en français) avec d'autres mathématiciens et scientifiques de nombreux pays, à peu près les mêmes que ceux qui communiquent avec Peiresc. Il existe ainsi dans toute l’Europe de l’ouest un courant intellectuel très fort qui suit de près toutes les découvertes scientifiques, les analyse et favorise leurs développements. Parmi tous ceux qui ont eu une influence sur nos deux protagonistes, il faut citer Thomas Hobbes (1588-1679), le philosophe Anglais avec sa conception de la nature et du contrat social. Son ouvrage fondamental « Le Léviathan » se veut une présentation de la pensée libérale du 20e siècle. Il a vécu à Paris onze ans et était un ami de Mersenne. Il s’est opposé à Descartes contre « les dioptriques » et a critiqué la quatrième médiation. Il n’aime pas sa vision de Dieu et à sa notion sur la pensée. Descartes rejette la théorie du vide, car « il n'est pas possible que ce qui n'est rien ait de l'extension ». Ainsi, selon Descartes, si un vase est vide d'eau, il est plein d'air, et s'il était vide de toute substance, ses parois se toucheraient . Descartes va ainsi rejeter les théories de Galilée sur la chute des corps dans le vide, et écrit de ce dernier : Tout ce qu'il dit de la vitesse des corps qui descendent dans le vide, etc. est bâti sans fondement; car il aurait dû auparavant déterminer ce que c'est que la pesanteur ; et s'il en savait la vérité, il saurait qu'elle est nulle dans le vide. (Lettre à Mersenne, 11 octobre 1638). C'est en 1644 que l’inventeur du thermomètre à mercure Evangelista Torricelli (1608-1647) mènera ses expériences qui conduiront à établir l'existence du vide. C’est là que nous faisons intervenir le troisième grand penseur Français de l’époque, le mathématicien de génie Blaise Pascal (1623-1662) qui répète, en 1646 avec son père à Rouen, les expériences de Torricelli sur le vide. Un procès verbal en est envoyé à leur ami Chanut (ambassadeur du Roi en Suède, déjà vu comme entremetteur entre Descartes et Elisabeth de Suède). En 1647, Pascal publie ses Expériences nouvelles touchant le vide et une préface pour un Traité du Vide où il détaille les règles de base décrivant à quel degré les divers liquides pouvaient être maintenus par la pression de l’air. Il explique ainsi les raisons du vide présent réellement audessus de la colonne de liquide dans le tube barométrique. Il a alors l’idée d’une expérience qu’il va réaliser le 19 septembre 1648 : la pression atmosphérique devrait être différente en ville à Clermont et en haut de la montagne la plus proche, le Puy de Dôme, où la pression doit être inférieure à la pression régnant au niveau de la ville. Pascal fait donc transporter par son beau-frère, Florin Perier, un 14 15 tube de Torricelli en haut du Puy de Dôme. Des curés et des savants suivent l’expérience. Grâce au tube-témoin en ville, la présence de vide est démontrée. Il publie le Récit de la grande expérience de l’équilibre des liqueurs. Descartes et Pascal le second plus jeune de près de trente ans, se sont peut-être rencontrés mais ils ne pouvaient pas se comprendre. le premier, homme de raison, homme de système qui organise et structure sa pensée, le second homme d’intuition, d’émotion, de propositions scientifiques fulgurantes, mystique...Deux personnages opposés. L’Américain Allan Bloom les a ainsi dépeint :« Descartes et Pascal représentent un choix entre la raison et la révélation, entre la science et la piété, et de ce choix découle tout le reste. L'une et l'autre de ces visions totales se présentent presque toujours à l'esprit d'un Français lorsqu'il réfléchit sur lui-même» ( Bloom, 1987). III/ Opposition entre Descartes et Gassendi: A la suite de ces publications qui sont connues de tous, Descartes est attaqué que ce soit sur ses positions scientifiques, sur le trajet de la lumière, sur la méthode des tangentes, sur le vide, sur la circulation du sang, que ce soit sur ses positions philosophiques, sur le « je pense », sur la substance matérielle, les animaux-machines, les idées innées que ce soit enfin sur ses positions religieuses à propos de l’âme ou sur l’existence de Dieu Batailleur, Descartes ne refuse pas les disputes dans lesquelles il se montre ironique, sans retenue, même violent. Il a traité Gassendi de façon très discourtoise ! Ses principaux adversaires sont le mathématicien physicien Gilles Personne de Roberval (1602–1675), le théologien néerlandais Gilbert Voetius (1589-1676), le mathématicien et graveur Français Jean de Beaugrand (1584-1640) ou d’autres comme Antoine Arnauld de Port Royal (1612-1694), Fermat... Le Grand débat entre Descartes et Gassendi va se concrétiser dans les « Méditations » que Gassendi critiquera dans le « Disquisitio metaphysica ». Ils critiqueront leurs critiques et en fait ne s’estimeront pas beaucoup. Scientifiques tous les deux, ils défendent des idées trop différentes pour se comprendre ; leurs visions du monde est inconciliable. Descartes l’homme passionné d’Elisabeth de Bohème défendra le raisonnement et la logique de l’esprit, le religieux austère soutiendra le bon sens et l’intuition. Ils ne s’aiment pas !!! c’est peu de le dire, Descartes l’écrit à Mersenne le 23 juin 1641: « Vous verrez que j‘ai dit tout ce que j‘ai pu pour traiter M. Gassendi honorablement et doucement; mais il m’a donné tant d’occasions de le mépriser et de faire voir qu’il n’a pas le sens commun et ne sait en aucune façon raisonner, que j‘eusse trop laissé aller de mon droit, si j‘en eusse moins dit que je n’ai fait; et je vous 15 16 assure que j‘en aurais pu dire beaucoup d’avantage… ». E n débattant avec lui, Gassendi écrira: « Quelle irritation, quelle aigreur dans l’accueil que vous faites à ces paroles!…Mais il vous fallait saisir cette occasion à la fois de décharger votre bile et de vous montrer comme le seul philosophe en action, c’est à dire seul habile à éviter les préjugés, seul à détester l’erreur, seul à chercher la vérité… ». Gassendi ne supporte pas l’orgueil de Descartes, sa suffisance, sa volonté de définir Dieu, de créer son système fini et sans «bavure » ! Limitons le débat aux explications sur le corps et l’esprit. Chez Descartes, la matière c’est le matériel biologique qui a son propre rythme, qui de par son organisation, de par ses mécanismes biologiques fonctionne spontanément. Il croit en une activité propre des organismes vivants. Mais il va ainsi avoir une démarche originale qui va consister à appliquer au corps humain et de façon trop précise les principes qu’il a énoncé sur la dualité entre ces deux concepts la matière, le corps et l’esprit en étroite association avec l’âme; il présentera ainsi un double système clos. Gassendi ne se veut pas un théoricien, pour lui le savoir naît de l'expérience sensible, de ce qu’il a appris au cours de l’existence. Son courant de pensée tient du phénoménalisme et de l'éclectisme. Sa démarche consiste à être d'abord nominaliste, « au sens double où seuls les concepts sont universels et il n'y a d'existence que singulière ». Cette manière de penser élimine la métaphysique et font que les raisonnements s’appuient sur la physique. Il se méfie des idées abstraites invérifiables. Rationaliste et pragmatique, il se rapproche des idées de Hobbes. Il a nuancé son matérialisme en supposant les atomes sensibles et en considérant la matière traversée de spiritualité... Sa profession de foi atomiste lui a attiré de sévères critiques de la part de Tommaso Campanella (1568-1739),... Pour lui, on a parlé d’« un matérialisme dynamique ». Ce système, où les atomes sont mortels, mais l'âme non, se retrouvera dans le sensualisme de John Locke (1632-1704) et de Etienne B. Condillac (1715-1780). La théorie des animaux machines développée par Descartes le choque. Pour ce dernier seul l’homme a un esprit, l’animal n’est qu’une machine et ne fait que réagir aux stimulations du milieu qu’il occupe. Pour Gassendi, il n’y a pas une telle rupture entre l’animalité et l’humain car il considère qu’un animal a une petite âme. Descartes définit l’esprit : « Il ne reste rien en que nous que nous devions attribuer à notre âme sinon nos pensées, lesquelles sont principalement de deux genres à savoir: les unes sont les actions de l’âme, les autres sont ses passions…nos volontés sont de deux sortes; car les unes sont des actions de l’âme qui se terminent en l’âme même, comme lorsque nous voulons aimer Dieu ou généralement appliquer 16 17 notre pensée à quelque objet qui n’est point matériel; les autres sont des actions qui se terminent en notre corps, comme lorsque de cela seul que nous avons la volonté de nous promener, il suit que nos jambes se remuent et que nous marchons. » (les passions de l’âme, art.17-18). Descartes situe à l’opposé, la machine en expliquant qu’il existe deux parties dans l’homme, l’esprit d’un côté et un ensemble de processus mécaniques du domaine du vivant qu’il décrit ainsi : « Entre les mouvements qui se font en nous, il y en a qui ne dépendent point du tout de l’esprit...Même ceux qui sont éveillés, le marcher, chanter et autres actions semblables quand elles se font sans que l’esprit y pense ». Gassendi dans le « Desquisitio metaphysica » réfute totalement une telle démarche. Pourquoi ainsi vouloir tout définir ? Quelle idée de maintenir un esprit séparé de ce qui fait la vie ! « Toute la nature de l’esprit consiste en ce qu’il pense; voilà une nouvelle importante, inouïe: l’esprit humain pense! Et, qui plus est, sa nature consiste toute entière en ce qu’il pense. Faut-il que les hommes et les philosophes aient été assez stupides jusque ici pour ne pas s’être aperçus que l’esprit pense! Oh si vous n’aviez rien d’autre à apporter au cours d’un tel effort, vous pouviez bien vous dispensez de tant de peine!…. » Il insiste même, comment peut-on penser que l’esprit est une substance sans consistance totalement séparé des biens matériels. « Ce qui nous sépare, c’est la question suivante: la chose ou substance que l’on appelle Esprit n’a-t-elle que le pouvoir de penser, c’est à dire de douter, de comprendre, d’affirmer, de nier, de vouloir, d’imaginer aussi et de sentir? Ou bien a-t-elle en outre la puissance d’informer le corps, de le dominer, de le mouvoir, de le diriger? Et aussi de le nourrir après avoir pris des aliments, de le faire croître, et de l’engendrer semblable à lui-même après avoir réuni la semence?…vous, vous déclarez que l’esprit n’a aucun de ces pouvoirs et qu’en dehors de la pensée, ou du doute ou de l’intelligence, il n’a rien… » Lorsque Descartes se propose d’expliquer la façon dont circulent les sensations et le cheminement vers les organes, il associe encore, comme du temps de Galien, la circulation sanguine et la transmission nerveuse. Le sang, partant du cœur, monte au cerveau. Là, seulement les « parties les plus subtiles » traversent les pores étroits du cerveau pour devenir des « esprits animaux » (on parle aujourd’hui, d’influx nerveux) qui par la suite se distribuent à l’ensemble du corps en suivant les nerfs, véritables tuyaux composés de faisceaux de fibres. L’afflux de liquide provoque la contraction d’un muscle tout en relâchant son antagoniste qui s’est vidé de son liquide. Cette coordination réciproque des muscles à fonctions opposées décrites si clairement dès le 17e siècle, étonnera Charles Sherrington (1857-1952) Prix Nobel 1932 et spécialiste des réflexes qui dans son livre 17 18 fondamental de 1906 reprendra le schéma de Descartes. Notre philosophe dissocie à juste titre, une direction centripète qui conduit l’excitation sensorielle vers le cerveau et une direction centrifuge, qu’empruntent ces mêmes esprits vers la périphérie; en atteignant les muscles, ils assurent leurs contractions. Descartes va même plus loin ; il montre bien un lien entre l’esprit et le corps. C’est l’épiphyse qu’il nomme glande pinéale. Pourquoi elle ? il l’explique ainsi : « « La raison qui me persuade que l’âme ne peut avoir en tout le corps aucun autre lieu que cette glande où elle exerce immédiatement ses fonctions est que je considère que les autres parties de notre cerveau sont toutes doubles, comme nous avons deux yeux, deux mains, deux oreilles et enfin tous les organes de nos sens extérieurs sont doubles ; et que d’autant que nous n’avons qu’une seule et simple pensée d’une même chose en même temps, il faut nécessairement qu’il y ait quelque lieu où les deux images..., se puissent assembler en une avant qu’elles parviennent à l’âme » (Les passions de l’âme, art. 32.). Il précise même : « Et toute action de l’âme consiste en ce que, par cela seul qu’elle veut quelque chose, elle fait que la petite glande à qui elle est étroitement jointe se meut en la façon qui est requise pour produire l’effet qui se rapporte à cette volonté (Les passions de l’âme, art. 41) ».Il imagine ainsi le rôle de cette glande dans un dessin où il présente une personne qui regarde devant elle une cible sous la forme d’une flèche. Comme elle doit toucher la cible, il représente le trajet nerveux qui part des deux yeux et suit le chiasma optique. Là le message va jusqu’à la glande pinéale qui recevant l’information va se réorienter pour commander les muscles du bras qui en se contractant permettront d’aller toucher la flèche. Ainsi l’acte volontaire né de l’esprit se réalisera par l’intermédiaire de la « machine après le cadrage de l’épiphyse. Cette glande est pour Descartes essentielle, elle agit aussi bien pendant le jour quand elle reçoit et contrôle les informations de tout le corps que la nuit quand on dort, où elle se trouve isolée, au silence assurant ainsi le sommeil. Il est plus proche de la réalité scientifique quand il décrit la mémoire comme une empreinte qui s’inscrit dans un tissus grâce à un peigne qui le marque pour un temps. Dans le traité de l’homme, il évoque avec perspicacité le phénomène suivant : « Ce qui montre comment la souvenance d’une chose peut-être excitée par celle d’une autre…comme si je vois deux yeux avec un nez, je m’imagine aussitôt un front et une bouche, et toutes les autres parties d’un visage, parce que je n’ai pas accoutumé de les voir l’une sans l’autre… » La machine fonctionne pour lui par une série de réflexes qu’il a parfaitement décrit et même avec humour comme dans le cas du clignement de paupière :« Si quelqu’un avance promptement sa main contre nos yeux, comme pour nous frapper 18 19 quoique que nous sachions qu’il est notre ami, qu’il ne fait cela que par jeu et qu’il se gardera bien de nous faire aucun mal, nous avons toutefois de la peine à nous empêcher de les fermer, ce qui montre que ce n’est point par l’entremise de notre âme qu’ils se ferment puisque c’est contre notre volonté, laquelle est sa seule ou du moins sa principale action, mais que c’est à cause que la machine de notre corps est tellement composée que le mouvement de cette main vers nos yeux excite un autre mouvement en notre cerveau, qui conduit les esprits animaux dans les muscles qui font baisser les paupières » (Descartes, Les Passions de l’âme, n° 13). Gassendi ne peut accepter cette approche artificielle du corps humain. Il n’est pas logique que corps et esprit soient séparés. « … Si vous n’avez absolument pas de parties, comment êtes-vous mélangés avec les moindres parties de ce corps… Et si vous êtes entièrement distincts comment êtes-vous confondus avec la matière et formez-vous un tout avec elle?.. » Il suffit de réfléchir tant soit peu pour comprendre que la pensée et l’action ne sont pas séparées. Pour qu’un mouvement se réalise il faut qu’il soit en étroite relation avec la pensée qui le commande. « Comment peut-il y avoir un effort et une impulsion qui s’exerce sur quelque chose sans un mutuel contact du moteur et du mobile? Et comment ce contact auraitil lieu sans corps, puisque toucher et être touché ne peutêtre le fait que d’une chose corporelle? ». Il parait impossible d’imaginer un corps subalterne et un esprit pensant : « Je ne pense pas que vous vouliez tirer argument de ce que l’on dit communément que l’homme est composé de corps et d’âme, comme si, le nom de corps étant donné à une partie, l’autre devrait être appelée contraire du corps....Car si cela était, vous nous donneriez occasion de faire la distinction suivante: l’homme est composé de deux sortes de corps, l’un grossier, l’autre subtil, si bien que, l’un conservant le nom commun de corps, l’autre reçoit le nom d’âme… je me défie de la démonstration proposée par vous ». Les deux philosophes ne se comprendront pas. Le projet de Descartes et sa vision philosophique même si elle est basée sur des données scientifiques floues est très élaborée et va convaincre tout un courant qui va perdurer pendant plusieurs siècles. Le bon sens même de Gassendi aura un échos immédiat. On retrouve sa manière de voir chez notre plus célèbre auteur comique Molière qui dans des dialogues savoureux, a soutenu le provençal contre le tourangeau. Dans « Les Femmes Savantes (1672)» on retrouve le même débat entre l’esprit et le corps. Dans l’acte II, scène VII, Philaminte plaide pour un amour purement « spirituel » : « Le corps cette guenille est-il d’une importance d’un prix à mériter seulement qu’on y pense ? et ne devons nous pas laisser cela bien loin ? » Chrysale répond avec bonhomie : 19 20 « Oui mon corps est moi-même, et j’en veux prendre guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère. » Plus loin (acte III, scène III) on assiste à un dialogue comparable entre Armande, l’idéaliste, la Cartésienne : « Ce n’est qu’à l’esprit seul que vont tous les transports et l’on ne s’aperçoit jamais qu’on ait un corps » et Clitandre qui remplace Gassendi : « Pour moi par un malheur, je m’aperçois, madame Que j‘ai ne vous déplaise, un corps tout comme une âme ; De ces détachements je ne connais point l’art ; le ciel m’a dénié cette philosophie, et mon âme et mon corps marchent de compagnie... » Malgré les multiples critiques, Descartes restera à la postérité et sera considéré comme le premier philosophe des temps modernes. Gassendi lui sera peu à peu oublié. Il n’est pas facile à lire, il n’a pas la fambloyance de l’auteur du discours de la Méthode; il n’a pas proposé son propre système de pensée; il a été un critique acerbe, un grand érudit, un pragmatique lumineux mais il n’aura pas d’élèves ni d’école après lui...on l’ignorera. Pour Descartes on n’insistera pas assez sur l’apport de son concept sur la machine. En exposant que chez les animaux et même chez l’homme le corps fonctionne comme une machine, il a permis à bien des scientifiques d’explorer cette machine et a ainsi ouvert l’expérimentation du 17eme siècle et du 18eme siècle. Si on essaie d’inclure dans notre débat notre troisième scientifique-philosophe on peut dire que ses idées sont très particulières. Si on reprend notre discussion corps-esprit, le corps est mesurable et quantifiable comme Pascal l’explique dans « Les Pensées » :« La première chose qui s'offre à l'homme, quand il regarde, c'est son corps, c'est à dire une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est au dessus de lui, et tout ce qui est au dessous, afin de reconnaître ses justes bornes. » L’esprit est immatériel, il n’est abordable qu’avec les yeux de l’âme. Il rajoute un troisième élément, le cœur qui permet d’être au dessus de la dichotomie des deux premiers s’appuyant sur la réflexion. Pour Pascal le cœur c’est la vertu théologale, la charité, il correspond à la compassion qui fait de pascal un grand mystique. « Je puis bien concevoir un homme sans mains, sans pieds ; et je le concevrais même sans tête, si l'expérience ne m'apprenait que c'est par là qu'il pense. C'est donc la pensée qui fait l'être de l'homme, et sans quoi on ne le peut concevoir. Qu'est-ce qui sent du plaisir en nous? Est-ce la main? Est-ce le bras? Est-ce la chair? Est-ce le sang? On verra qu'il faut que ce soit quelque chose d'immatériel. L'homme est si grand, que sa grandeur paraît même en ce qu'il se connaît misérable. Un arbre ne se connaît pas misérable. Il est vrai que c'est être misérable, 20 21 que de se connaître misérable ; mais c'est aussi être grand, que de connaître qu'on est misérable. Ainsi toutes ses misères prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d'un roi dépossédé » (Les Pensées). Au début du 17e, en quelques années, notre pays a connu trois scientifiques-philosophes, Descartes, Gassendi et Pascal aussi différents que possibles les uns des autres, mais qui par leurs savoirs et leurs intuitions ont marqué définitivement les connaissances du monde occidental. IV/ Science, Religion et les relations entre le corps et l’esprit jusqu’à aujourd’hui : De tels débats vont être repris régulièrement et jusqu’à nos jours. Le premier qui parle encore du sujet est presque leur contemporain , c’est Baruch Spinoza (1632-1677) qui fut un héritier critique du cartésianisme, influencé par Gassendi, il a été par certains traité d’athée. Ayant pris ses distances avec la pratique religieuse juive, il s’intéressera à la réflexion théologique, grâce à ses nombreuses relations. Après sa mort, le spinozisme, condamné en tant que doctrine athée, eut une influence durable. Pour Spinoza, chaque individu possède un corps associé à un esprit représentant la pensée. Cet esprit est l'idée du corps ; il y a une unité de substance avec entre chaque attribut, identité d'ordre des modes (isomorphie) et identité de connexions (isonomie). Il y a donc correspondance entre les affections du corps et les idées dans l'esprit. Il en résulte ainsi que tout corps peut être conçu sous le mode de l'étendue et sous le mode de l'esprit. C’est lui qui règle le débat entre nos deux philosophes en associant les deux notions : « la nécessité d’une compréhension de l’identité complexe du corps humain ne vaut pas seulement pour la définition de l’individualité mentale ; elle vaut aussi, et simultanément, pour la caractérisation de l’union psychophysique, l’unité du corps et de l’esprit, par laquelle se conçoit leur identité, étant celle d’un individu, compris tantôt sous l’attribut Étendue, tantôt sous l’attribut Pensée. L’individualité physique, affirme Spinoza, fournit également le premier principe d’intelligibilité de l’identité psychophysique tout entière, autrement dit de l’unité individuée que forment ensemble mens et corpus. La définition de la nature propre du corps humain, de ce qu’il est et de ce qu’il peut, est le préalable fondamental à la compréhension de l’union de l’esprit et du corps. Proposition 13 du « De Mente » , Pascale Gillot». Pour Spinoza, corps et esprit sont une seule et même chose perçue sous deux attributs différents. Il considère à égalité le corps et l'esprit, il n'y a pas de dévaluation de l’un vis à vis de l’autre. Le philosophe allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (16481716) défend une philosophie innéiste à l’opposé des 21 22 pragmatiques anglais comme l’avait fait Descartes. Ce qui existe est donc pour Leibniz l’individuel composé de différentes unités. Il reproche à Descartes de ne voir le corps que comme une étendue. Ainsi, il existerait des substances absolument simples et indivisibles qui formeraient la réalité. Leibniz nomme monade cette réalité. La monade est conçue selon le modèle de notre âme. Il y a une union certaine entre l’âme et le corps. Si la philosophie de Descartes va jouer un rôle essentiel dans les siècles qui suivent, si les propos de Pascal vont être le pilier d’une religion passionnée et mystique, Gassendi va être délaissé. Pourtant les hypothèses de Descartes en s’appuyant sur des données scientifiques hasardeuses vont engendrer de très nombreuses critiques au fur et à mesure des progrès de la science. Ainsi le hollandais Jan Swammerdam (1637-1680) démontre que notre philosophe s’est trompé dans sa définition de la contraction musculaire. les « e s p r i t s animaux » n’existent pas ; ce ne sont pas eux qui font gonfler les muscles quand ils se contractent et qui les étirent quand ils se relâchent; il prouve qu’en se contractant le muscle n’augmentait pas de taille. C’est lui qui a mis au point la préparation de la grenouille spinale qui fut utilisée abondamment jusqu’à aujourd’hui: un tel animal permettait l’étude des réflexes sans faire intervenir la volonté. On étudiait purement « la machine ». Spécialiste du microscope, c’est lui aussi qui se passionne pour les insectes. Il découvre leurs métamorphoses. En 1658, il décrit le premier, un globule rouge. La position philosophique de Descartes va subir les attaques conjointes des spiritualistes et des matérialistes. Les premiers le trouvent trop matérialiste en décrivant le fonctionnement vivant comme une machine. C’est l’époque de la théorie vitaliste ou de l’animisme défendu par Georges Ernest Stahl (1660-1734) et Claude Perrault (1613-1688). Pour eux il y a un principe vivant qui fait que la matière biologique a « un souffle » particulier qui la différencie du monde inerte. Ce sens « vital » est tout à fait original et ne peut être comparé à un mécanisme physique. Le premier, professeur de médecine à Halle, défend la théorie du «phlogiston » où les mécanismes chimiques de l’individu sont gouvernés par une âme sensible capable de contrôler toutes les actions corporelles. Antoine Lavoisier (1743-1794) démontrera l’inanité de telle substance et décriera l’oxygène comme essentiel dans la respiration. Le second qui deviendra par la suite un très grand architecte, publie en 1680 un Essai de physique où il analyse les mouvements des plantes et des animaux. Peut-être le plus connu vit à Montpellier, c’est Paul Barthez (17341806) qui rédige de nombreux articles pour l’encyclopédie et défend un vitalisme dans les « forces motrices et sensitives ». 22 23 A l’opposé le 18e voit apparaître de purs matérialistes dont le plus connu est sûrement Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) avec son ouvrage de 1748, L’Homme machine. I l considère que Descartes est resté en chemin! Si l’animal est une machine, l’homme l’est aussi! Il va jusqu’à dire: « L e cerveau a ses « muscles » pour penser comme les jambes ont leurs muscles pour marcher ». Ses propos font scandale. Obligé de quitter la France, il se réfugie en Prusse où il reçoit une pension de Frédéric le Grand. De cette même lignée, Pierre Jean Georges Cabanis (17571808) avec son principal ouvrage Rapports du physique et du moral de l’homme (1802), propose une philosophie matérialiste sous l’angle de la physiologie: « Nous concluons avec la même certitude que le cerveau digère en quelque sorte les impressions, qu’il fait organiquement la sécrétion de la pensée. ». Les philosophes français du XVIIIe siècle comme Diderot (1713-1784) ou Helvétius (1715-1771) considèrent que l’esprit est bien de nature matérielle ce qui conforte leurs attaques contre le spiritualisme chrétien. La cassure entre le monde chrétien et le monde scientifique va se produire avec la révolution. A partir de là il va falloir choisir son camp. Les scientifiques tout en progressant dans les connaissances scientifiques vont abandonner la notion d’ « â m e » qui correspond à un concept mystérieux, peu rigoureux et peu en accord avec l’esprit scientifique. Cette séparation parait naturelle, pourtant elle s’est faite en opposant les deux communautés. D’un coté les conservateurs, les spiritualistes on dit aussi «les éclectiques », avec J.M. de Maistre (1753-1821), C.G. Ambroise de Bonald (1754-1840) et Victor Cousin ( 17921867)...Ils subissent l’influence de l’Eglise catholique. Ils suivent les idées de Descartes car ils sont sensibles à la position qu’il a sur l’esprit qui avec la mise à part de la matière, s’intègre mieux aux concepts religieux. En étant dualistes, ils ont l’impression de protéger l’esprit et de conserver à l’âme son caractère purement spirituel. De l’autre, les matérialistes qui se sentent libérés du carcan religieux, considèrent la science comme l’élément formateur qui va apporter à l’humanité la paix et le bonheur. Ce camp comprend « les sensualistes » avec Georges Cabanis, le comte A. Destutt de Tracy (1754-1836), Claude Henri de SaintSimon (1760-1825) et Auguste Comte (1798-1842), le père du positivisme. Ils se veulent rationnels et ont une confiance absolue en une Science rigoureuse et basée sur l’expérience: Claude Bernard (1823-1878) en est sûrement le meilleur porte parole en écrivant « L’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » ouvrage publié en 1865 et dont Bergson dira: « L’introduction est un peu pour nous ce que fut pour le 17e et le 18e siècle le Discours de la Méthode : un heureux mélange de spontanéité et de réflexion, de science et de philosophie. ». Bernard défendra l’expérimentation qui permet en vérifiant les 23 24 hypothèses émises d’avancer sérieusement vers la vérité que doit induire toute démarche scientifique bien menée. On peut ainsi noter cette foi en la science : « La science a précisément le privilège de nous apprendre ce que nous ignorons, en substituant la raison et l'expérience au sentiment, et en nous montrant clairement la limite de notre connaissance actuelle. Mais, par une merveilleuse compensation, à mesure que la science rabaisse ainsi notre orgueil, elle augmente notre puissance.” Il faut placer à part M. F. Maine de Biran (1766-1824) qui a eu une position beaucoup plus complexe. Il est parti d’un point de vue matérialiste pour terminer par une approche purement religieuse. Il commence par soutenir la Philosophie de la sensation, il se fait le disciple de Condillac en suivant Cabanis. Pour lui, les impressions faites sur les sens sont l'unique origine de notre pensée et l'entendement est l'ensemble des habitudes premières intégrées dans notre cerveau. Il s’oppose à Descartes et suit Bacon, Hobbes et Locke. Il propose ensuite une sorte de Philosophie de la volonté. Dans l'Essai sur les fondements de la psychologie, Maine de Biran considère quatre systèmes dans l'humain, le système affectif, celui de la vie où se définissent les instincts commun à l'homme et à l'animal, le système sensitif qui permet l’éveil de la conscience et qui conduit au système perceptif propre à l'action. L'attention intervient alors, elle introduit le système réflexif, là où l’humain est enfin luimême en complète possession de la liberté morale. C’est le domaine de la raison. La dernière période de Maine de Biran s'étend de 1818 à sa mort lorsqu’il a défendu la Philosophie de la religion. Il propose l’union avec Dieu; au-dessus de la vie organique, de l'intelligence et de la volonté, il place la vie de l'esprit en union avec celle de Dieu. On retrouve ici encore l’opposition esprit-matière, l’esprit étant ce qui permet d’accéder à Dieu. On se trouvait donc en ce 19e siècle avec des chercheurs à très haute valeur scientifique mais un peu naïfs dans leurs espérances, opposés à des conservateurs essayant de soutenir des théories que la science démentait régulièrement. La séparation entre science et religion créera à la fin siècle un fossé infranchissable. Dans le monde médical Charcot se moque des estropiés et des bancals qui vont chercher à Lourdes une guérison, on laïcise le milieux hospitalier en renvoyant les nonnes dans leur couvents, l’école laïque prend son essor. Cette rupture mènera à la création par Paul Langevin (1872-1946) en 1930, de l’Union rationaliste...Il y a bien quelques exceptions célèbres, on peut citer RenéThéophile-Marie-Hyacinthe Laennec (1781-1826) le grand phtisiologue, le neurologue Guillaume Duchenne de Boulogne (1806-1875) qui avouait que la science n’avait fait que le rapprocher de la religion. Notons que Charcot l’agnostique qui 24 25 l’admirait beaucoup, l’a veillé plusieurs jours au moment de son agonie...enfin et surtout Louis Pasteur (1822-1895) qui se disait un grand spiritualiste. On doit aussi citer Pasteur qui se voulait croyant. Un débat va cristalliser cette opposition, la théorie de l’évolution proposée par Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829) et surtout par Charles Darwin (1809-1880). La rupture déjà consommée, la science va développer et utiliser des hypothèses essentiellement contre la religion. Les idées fixistes qui étaient prédominantes jusqu’au 18e siècle vont être peu à peu ébranlées par le développement de l’ensemble des sciences. « L’Encyclopédie » des philosophes explique un monde sans création divine. C’est surtout la paléontologie et la découverte de fossiles, de squelettes ne ressemblant à aucune des structures du moment qui fait prendre conscience d’un monde autrefois différent. Buffon pensera mais n’osera pas s’opposer à l’Eglise qui sur ce point sera intransigeante quelle soit catholique ou protestante. On ne peut pas remettre en cause la bible ! Lamarck à la suite des idées révolutionnaires fera accepter l’hypothèse évolutionniste mais c’est Darwin après son voyage du Beaggle qui le démontrera. Son attitude est significative, car c’est lui-même qui très religieux a l’impression en parlant de l’évolution de prononcer un blasphème. Dans une lettre du 11 janvier 1844 à J.D. Hooker (1917-1911) un botaniste de ses amis, il explique « Je fus si frappé par la distribution des organismes aux Galápagos, etc.…et par les caractéristiques des fossiles de mammifères américains, etc.…que j’ai décidé de rassembler aveuglément toutes les sortes de faits susceptibles de se rapporter d’une façon ou d’une autre à ce que sont les espèces. j’ai lu quantité de livres d’agriculture et d’horticulture, et n’ai pas cessé de rassembler des faits. Finalement, quelques lueurs sont apparues, et je suis presque convaincu, contrairement à mon opinion de départ, que les espèces (j’ai l’impression d’avouer un meurtre) ne sont pas immuables. Le ciel me préserve des inepties de Lamarck , de sa tendance à la progression et des adaptations dues à la volonté continue des animaux, etc…mais les conclusions auxquelles je suis conduit ne diffèrent pas grandement des siennes, bien que les agents de la modification soient entièrement différents. ». Darwin publiera le livre du « scandale » le 24 novembre 1859, son titre était « L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie ». Les cabales seront très violentes, Darwin perdra peu à peu la foi. Les avancées scientifiques vont changer les relations entre le corps et l’esprit. La physique quantique comprend davantage la matière comme un "événement" que comme un "fait". Dès 1909, Henri Poincaré peut affirmer que la matière n’existe pas du moins sous la forme grossière de nos approximations 25 26 perceptives, qui nous poussent à la concevoir comme une substance permanente et compacte. La théorie de relativité va montrer que matière, énergie et espace temps sont proches. Un personnage totalement atypique, pourtant tentera de résoudre l’inconciliable ! c’est Teilhard de Chardin (18811955). Il annoncera la planétarisation que nous connaissons aujourd'hui, et développera la notion de « noosphère » qu'il emprunte à Vernadsky (1863-1945) pour conceptualiser une pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines. Il situera la création en un « point Alpha » primitif, à l’origine du temps, il souscrira totalement à l’évolution qui mènera en un « point Oméga » de parfaite spiritualité où il rejoindra Dieu. Il a rendu la matière spirituelle! Dans sa manière de parler de la matière, il n’est pas très loin de Gassendi. Teilhard ne sera pas le seul scientifique chrétien mais il sera un peu une exception. Chez les physiciens pourtant la notion de Big-Bang en mettant une limite au début de l’univers redonnera des arguments à une certaine mystique. Conclusion: Que dire aujourd’hui? C’est Gassendi (comme Spinoza ou Hobbes) qui avait raison. Il est artificiel de séparer l’esprit du corps comme l’a fait Descartes...L’un est totalement intégré dans l’autre…Mais tout est dans la façon de voir l’un et l’autre! Les scientifiques sont dans l’ensemble, monistes: Esprit et Matière ne sont qu’un. La Matière produit l’Esprit. Antonio Damasio professeur de neurologie et de Neuroscience à Southern California University depuis 2005, a beaucoup, travaillé sur le comportement humain et sur les émotions. Etudiant les réseaux de neurones corticaux, il a montré l’importance des émotions dans les prises de décision. Il a publié successivement deux livres , l’un sur Descartes et l’autre sur Spinoza. Il réfute le dualisme de Descartes pour approuver la vision synthétique de Spinoza. Dans un entretien publié dans la recherche, Damasio disait de Spinoza « Aux antipodes du dualisme cartésien, il écrivait des phrases que je pourrais reprendre à mon compte mot pour mot. Ainsi : « L'esprit ne se connaît lui-même qu'en tant qu'il perçoit les idées des affections du corps. » Ou encore : « L'esprit humain ne perçoit les corps extérieurs comme existant en acte que par les idées des affections de son propre corps. » Et ceci : « L'objet de notre esprit est le corps existant, et rien d'autre. » Pour lui, le corps et l'esprit sont les attributs de la même substance. On le voit, les cartes neurales ne sont pas loin ! ». Pour appuyer son idée Damasio affirme que le fait d'exister a précédé celui de penser. Il reprend le cas très célèbre du malheureux Phinéas Gage (1823– 1860): Ce contremaître des chemins de fer a subi un traumatisme crânien 26 27 majeur auquel il a survécu. •Le 13 septembre 1848 dans le Vermont aux Etats-Unis, en voulant faire sauter un rocher, la poudre explose et la barre à mine lui traverse le haut de la tête. Le pauvre va miraculeusement survivre 12 ans. Il aura une très grave lésion dans la région frontale qui changera complètement son caractère. Ainsi en touchant à la matière cérébrale l’esprit et ses facultés ne sont plus les mêmes. Ces données nous évoquent deux remarques : Damasio a tout à fait raison de critiquer Descartes, il voyait tous les jours les effets des atteintes cérébrales sur le jugement ou l’émotivité de ses patients. Il n’a pourtant pas montré l’apport scientifique énorme du à la notion de « machine » qui permettait d’aborder les mécanismes mêmes de la physiologie musculaire et nerveuse. Damasio ne parle pas de Gassendi qui pourtant sur ce thème partageait tout à fait les avis de Spinoza et s’était farouchement battu contre Descartes comme notre neurologiste le fera près de quatre siècle plus tard ! Les purs matérialistes, la majorité des neurobiologistes comme Jean-Pierre Changeux considèrent que le psychisme même humain, le comportement correspond à un ensemble d’apprentissages, de réactions affectives et de réponses intellectuelles qui ne sont dues qu’à une organisation anatomique de neurones et de connexions, qui forment le substrat matériel du cerveau. La pensée n’est qu’une « fonction » de câbles électriques et de substances biochimiques. Quand on connaîtra toutes les molécules du cerveau et toutes ses connections on expliquera la pensée. A l’opposé, il y a encore eu des dualistes ; ils ont e encore suivi Descartes au 20 siècle les prix Nobel de Médecine comme C. Sherrington (1857-1952) ou J. Eccles (19031997). Une position intermédiaire est de situer matière et esprit comme deux éléments de même composante mais où l’esprit par ses propriétés d’émergence se situe à un tout autre niveau. En terminant nous nous permettons de nous étonner de ce débat même... car il nous semble que la vision scientifique est d’une tout autre nature que la vision religieuse. Dans le premier cas, la méthode scientifique repose sur une observation rigoureuse de phénomènes biologiques ou physiques et des résultats qu’ils peuvent induire. Dans l’approche religieuse, il s’agit d’une adhésion, d’un principe de foi dont la caractéristique est d’être instinctive et totalement opposée à une logique et à un raisonnement quelconque. Il n’y aurait donc aucune relation entre les deux approches. Il semble pourtant que dans les siècles passés on ait cherché à faire coller des évènements qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres. Au 17e siècle, les connaissances astronomiques et l’héliocentrisme bouleversent les dogmes de l’antiquité et les religieux les plus intransigeants comme ceux de l’inquisition font tout pour condamner ces découvertes. Mais comme la plus 27 28 part sont faites par des ecclésiastiques, comme Gassendi, par des proches du monde religieux comme Galilée ou Copernic ou protégé par des hommes d église comme Mersenne, malgré les procès et les scandales, l’idée d’héliocentrisme sera en fait accepté par tous malgré les grandes réticences. Au 19e siècle, le deuxième bouleversement fera que l’homme n’est plus un être à part crée par Dieu mais un simple produit de l’évolution. Les deux courants sont en complète fracture. Il y a eu de part et d’autre une telle haine et un tel mépris que chacun s’est bâti contre l’autre. Revenons à Descartes qui sans le vouloir, en séparant brutalement le corps de l’esprit aura été le représentant des conservateurs dualistes et Gassendi qui avait vu juste en associant l’un à l’autre...a été complètement oublié... Bibliographie : Bailly, A., ( 1 9 9 2 ) . "Défricheurs d'inconnu : Peiresc, Tournefort, Adanson, Saporta". Edisud, Aix-en-Provence, 1992, 277 p. Bellone, E. (1999). Galilée. Le découvreur du monde ; collection « les génies de la science ». Belin. Paris. Bloom, A., 1987. L'âme désarmée, Paris, Julliard. Darwin C. 2009. Origines Lettres choisies 1828-1859. édition française de Dominique Lecourt. Montrouge. Bayard éditions. Damasio, A.R. (1995). L'Erreur de Descartes : la raison des émotions, Odile Jacob, Paris. Damasio, A.R. (2003). Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob, Paris. Descartes, R. Œuvres complètes. La Pléïade, éditions Gallimard. Gassendi, P., (1944).Lettres familières à François Luillier pendant l'hiver 1632-1633. Introduction, notes et index par Bernard Rochot. Paris : Vrin, 1944 Gassendi, P., (1962). Disquisitio metaphysica (recherches métaphysiques, ou doutes et instances contre la métaphysique de R. Descartes et ses réponses). B. Rochot; Paris, J. Vrin Gassendi, P., (2006). Vie et mœurs d’Epicure. I et II. Traduction, introduction, annotations de Sylvie Taussig. Les Belles Lettres. Paris. Gillot, P. Corps et individualité dans la philosophie de Spinoza. Georgelin, Y. Peiresc et Gassendi, astronomes et érudits. Petit, L. (1969). Descartes et la princesse Elisabeth. A.G. Paris.Nizet Pintard, R. (2006). Le libertinage érudit dans la première partie du XVIIeme siècle. (1ere édition 1943). Roux S. (2003) Les Recherches Métaphysiques de Gassendi : vers une histoire naturelle de l’esprit. Taussig, S. (2001). Vie et mœurs d’Épicure par Pierre G a s s e n d i , version bilingue, notes, introduction et commentaires. Alive. Paris. 541 p. 28 29 Taussig, S. (2003); Pierre Gassendi, introduction à la vie s a v a n t e . Brepols, Turnhout. 454p. Taussig S., (2004). Les lettres latines de Gassendi, édition, introduction et notes en 2 volumes; Brepols, Turnhout. Teilhard de Chardin, P. : Oeuvres complètes publiées de 1955 à 1976, à titre posthume par Jeanne Mortier dont il avait fait son héritière éditoriale de son œuvre dite non scientifique. (Treize volumes). 29