Cet ouvrage fort dense sur la politique familiale du
régime de Vichy est issu d’une thèse d’histoire diri-
gée par Serge Wolikow et Françoise Fortunet. On a
souvent le sentiment de bien connaître le régime
de cette période, ramené le plus souvent à la triade
« travail, famille, patrie » du maréchal Pétain, et la
prépondérance qu’il a accordée à la famille au sein
de sa politique. On en retient notamment des
mesures emblématiques telles que la fête des
mères, l’interdiction de l’embauche des femmes
dans la Fonction publique ou encore les limitations
des possibilités de divorce. On sait également que
c’est durant cette période sombre de l’Occupation
allemande qu’ont été créées des associations fami-
liales semi-publiques. Aussi, le défi – que relève
brillamment Christophe Capuano – est d’offrir une
analyse très fouillée des origines et de la mise en
œuvre de la politique familiale sous Vichy qui
renouvelle, en apportant de nouvelles connais-
sances, les recherches historiques sur cette période.
S’intéressant plus particulièrement aux rapports
entre les militants familialistes et les adminis-
trations, l’auteur a alimenté sa réflexion à partir
d’archives peu, voire pas, étudiées jusqu’ici : celles
des délégations régionales à la famille et les dossiers
des associations familialistes. Son objectif est
d’aborder la politique familiale du régime de ma-
nière globale, de « l’éclairer dans ses différentes
dimensions pour s’interroger sur la nature même de
la politique publique entreprise par Vichy dans ce
domaine. Que nous apprennent ces modalités
d’action sur la construction d’une politique publique
de la famille ? » (p. 16). Il s’agit ainsi de comprendre
le processus par lequel la famille est devenue
l’objet d’une politique publique, plus précisément
un référentiel d’action publique.
C. Capuano souhaite éclairer la manière dont la
politique familiale construit son champ d’interven-
tion face aux autres domaines d’action publique.
La préface de Paul-André Rosental met très juste-
ment l’accent sur l’originalité du propos. L’auteur a
bien montré que l’action de l’État vichyssois était
«un champ de forces dominé par des luttes
interministérielles, par des tensions entre adminis-
tration centrale et services déconcentrés et par une
interaction souvent conflictuelle avec des acteurs
extra-étatiques, qu’ils fussent publics comme les
municipalités, ou privés comme les associations et
Politiques sociales et familiales n° 100 - juin 2010
125 Comptes rendus de lectures
entreprises » (p. 9). En outre, cette thèse constitue
un véritable apport au regard de l’histoire de la
protection sociale en montrant comment la poli-
tique familiale s’inscrit dans un cadre plus large
qui englobe les politiques sociales, nataliste et
sanitaire, toutes liées à un ordre moral.
L’argumentation de C. Capuano s’articule autour
de cinq parties. Les trois premières s’intéressent
aux jeux des différents acteurs. Ainsi, la première
partie retrace la prise en compte de la famille
depuis la IIIeRépublique et montre comment on
est passé d’un sous-investissement à un surinves-
tissement public du familial. Cette partie met
notamment en exergue la création des délégations
régionales à la famille qui avaient un rôle nodal en
raison d’attributions politiques et idéologiques
prééminentes. La deuxième partie explicite la
manière dont le familial s’est institutionnalisé en
s’appuyant sur les associations familialistes semi-
publiques qui ont permis un véritable maillage du
territoire. La troisième partie intitulée « Organisa-
tions et territoires économiques du familial » est
consacrée au rôle joué par les caisses de compen-
sation des allocations familiales (CCAF). C. Capuano
identifie trois facteurs pour que des dernières
appliquent de véritables réformes : les spécificités
de la CCAF (organisation, puissance financière,
enracinement local, réseaux, etc.), son environne-
ment économique et social ainsi que sa situation
administrative et militaire (par rapport à l’occupant
allemand) et, enfin, la faculté d’adaptation de
chaque CCAF aux changements législatifs et à la
conjoncture. Les deux dernières parties analysent
le contenu même de la politique familiale. La
quatrième partie « Les territoires locaux, labora-
toires de l’action familiale sous Vichy » traite de
l’action sociale familialisée et de la manière dont
un discours de propagande sur la valeur « famille »
s’est diffusé. Enfin, la dernière partie tente de faire
le pont avec l’après-guerre en se centrant sur les
usages et les représentations politiques du familial.
L’auteur termine ainsi sur le legs familialiste dans la
IVeRépublique.
L’apport premier de cet ouvrage est de complexi-
fier l’appréhension de la politique familiale pétai-
niste. Même si l’image du régime de Vichy s’est
construite autour de la famille comme pilier, la
réalité est assurément plus complexe. On peut
Christophe Capuano
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2009, Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », 354 pages.