Christophe Capuano Vichy et la famille Réalités et faux-semblants d’une politique publique 2009, Presses universitaires de Rennes, collection « Histoire », 354 pages. Cet ouvrage fort dense sur la politique familiale du régime de Vichy est issu d’une thèse d’histoire dirigée par Serge Wolikow et Françoise Fortunet. On a souvent le sentiment de bien connaître le régime de cette période, ramené le plus souvent à la triade « travail, famille, patrie » du maréchal Pétain, et la prépondérance qu’il a accordée à la famille au sein de sa politique. On en retient notamment des mesures emblématiques telles que la fête des mères, l’interdiction de l’embauche des femmes dans la Fonction publique ou encore les limitations des possibilités de divorce. On sait également que c’est durant cette période sombre de l’Occupation allemande qu’ont été créées des associations familiales semi-publiques. Aussi, le défi – que relève brillamment Christophe Capuano – est d’offrir une analyse très fouillée des origines et de la mise en œuvre de la politique familiale sous Vichy qui renouvelle, en apportant de nouvelles connaissances, les recherches historiques sur cette période. S’intéressant plus particulièrement aux rapports entre les militants familialistes et les administrations, l’auteur a alimenté sa réflexion à partir d’archives peu, voire pas, étudiées jusqu’ici : celles des délégations régionales à la famille et les dossiers des associations familialistes. Son objectif est d’aborder la politique familiale du régime de manière globale, de « l’éclairer dans ses différentes dimensions pour s’interroger sur la nature même de la politique publique entreprise par Vichy dans ce domaine. Que nous apprennent ces modalités d’action sur la construction d’une politique publique de la famille ? » (p. 16). Il s’agit ainsi de comprendre le processus par lequel la famille est devenue l’objet d’une politique publique, plus précisément un référentiel d’action publique. C. Capuano souhaite éclairer la manière dont la politique familiale construit son champ d’intervention face aux autres domaines d’action publique. La préface de Paul-André Rosental met très justement l’accent sur l’originalité du propos. L’auteur a bien montré que l’action de l’État vichyssois était « un champ de forces dominé par des luttes interministérielles, par des tensions entre administration centrale et services déconcentrés et par une interaction souvent conflictuelle avec des acteurs extra-étatiques, qu’ils fussent publics comme les municipalités, ou privés comme les associations et Politiques sociales et familiales 125 entreprises » (p. 9). En outre, cette thèse constitue un véritable apport au regard de l’histoire de la protection sociale en montrant comment la politique familiale s’inscrit dans un cadre plus large qui englobe les politiques sociales, nataliste et sanitaire, toutes liées à un ordre moral. L’argumentation de C. Capuano s’articule autour de cinq parties. Les trois premières s’intéressent aux jeux des différents acteurs. Ainsi, la première partie retrace la prise en compte de la famille depuis la IIIe République et montre comment on est passé d’un sous-investissement à un surinvestissement public du familial. Cette partie met notamment en exergue la création des délégations régionales à la famille qui avaient un rôle nodal en raison d’attributions politiques et idéologiques prééminentes. La deuxième partie explicite la manière dont le familial s’est institutionnalisé en s’appuyant sur les associations familialistes semipubliques qui ont permis un véritable maillage du territoire. La troisième partie intitulée « Organisations et territoires économiques du familial » est consacrée au rôle joué par les caisses de compensation des allocations familiales (CCAF). C. Capuano identifie trois facteurs pour que des dernières appliquent de véritables réformes : les spécificités de la CCAF (organisation, puissance financière, enracinement local, réseaux, etc.), son environnement économique et social ainsi que sa situation administrative et militaire (par rapport à l’occupant allemand) et, enfin, la faculté d’adaptation de chaque CCAF aux changements législatifs et à la conjoncture. Les deux dernières parties analysent le contenu même de la politique familiale. La quatrième partie « Les territoires locaux, laboratoires de l’action familiale sous Vichy » traite de l’action sociale familialisée et de la manière dont un discours de propagande sur la valeur « famille » s’est diffusé. Enfin, la dernière partie tente de faire le pont avec l’après-guerre en se centrant sur les usages et les représentations politiques du familial. L’auteur termine ainsi sur le legs familialiste dans la IVe République. L’apport premier de cet ouvrage est de complexifier l’appréhension de la politique familiale pétainiste. Même si l’image du régime de Vichy s’est construite autour de la famille comme pilier, la réalité est assurément plus complexe. On peut n° 100 - juin 2010 Comptes rendus de lectures ainsi déceler un certain manque de cohérence dans les mesures familialistes. Par ailleurs, au sein de l’appareil d’État, les dissensions sont prégnantes, notamment parce que les ministères sont, sous l’occupation allemande, des structures publiques faiblement dotées. Un certain nombre de lois n’ont pas été adoptées en raison des restrictions budgétaires : par exemple, le salaire familial ou encore le prêt aux jeunes ménages. Le recours à des organisations extra-étatiques pour relayer la politique familiale a été ainsi d’autant plus significatif. Mais le plus intéressant sans doute est que C. Capuano s’intéresse aux stratégies individuelles des acteurs de l’action sociale. Il a cherché à retracer comment certaines politiques ou choix peuvent relever d’une mobilisation collective de réseaux familialistes mais également d’intérêts personnels. Avec force de recours aux documents des archives, l’auteur montre à quel point les associations étaient bien plus répressives et prescriptives que les administrations elles-mêmes et ont encouragé les appels à la délation et au contrôle des mœurs par l’intermédiaire notamment des CCAF. Chaque acteur a concouru à son niveau à l’avènement de la politique familiale pétainiste, dont de nombreuses caractéristiques se retrouvent encore dans notre politique familiale actuelle. Ainsi, la propagande familialiste de l’État a donné l’idée qu’il existait une question familiale spécifique. Cette illusion a marqué les historiens. Mais l’État a utilisé avec opportunisme la mouvance familialiste en récupérant les actions menées sur le terrain par cette dernière. Les réalisations sont davantage le fruit de dynamiques locales et des associations en lien avec des organisations socioéconomiques. Les inégalités territoriales sont, de fait, nombreuses et importantes. Le modèle pétainiste, encore privilégié aujourd’hui, est donc celui d’articulation d’institutions parapubliques et privées (dont les caisses d’Allocations familiales) pour mettre en œuvre la politique familiale. Au bout du compte, en matière d’action publique, a prévalu – et prévaut encore – un modèle partenarial qui privilégie le pragmatisme plutôt que l’idéologie. Vichy constitue une étape majeure dans le processus de familialisation des politiques publiques, en faisant – pour la première fois – du familial le référentiel d’une politique publique à finalités sociale et démographique. La politique de la famille devient une politique sociale, spécifique, détachée de l’action sociale. Dès les prémices de la mise en œuvre de cette politique, la difficulté – on le comprend bien – a été de définir un périmètre d’action familiale, c’est-à-dire de le délimiter dans le champ sanitaire et social. Sandrine Dauphin CNAF – Rédactrice en chef de Politiques sociales et familiales Nicoletta Diasio (dir.) Désirs de famille, désirs d’enfant 2009, Revue des sciences sociales, n° 41, université de Strasbourg, 203 p. Loin de signifier la mort de la famille comme cela a parfois été craint, la multiplicité des formes familiales depuis les années 1970 témoigne plutôt de transformations de la famille, parallèlement à celles de la société dans son ensemble. Depuis, les chercheurs analysent souvent des situations particulières, tant pour les comprendre que pour montrer la porosité des frontières que ces situations révèlent entre différentes dimensions de la famille. C’est en partie le cas des contributions réunies par Nicoletta Diasio dans ce numéro thématique de la Revue des sciences sociales : homoparentalité, recours à l’assistance médicale à la procréation et à l’adoption, adoparentalité, enfants adultérins dans les procédures de divorce. Au-delà des cas atypiques, Politiques sociales et familiales 126 il s’agit bien de voir comment « le désir d’enfant prend forme alors au croisement des exigences de réalisation personnelle, des souhaits de consolidation du couple, du besoin de conformité aux modèles culturels de fécondité, des volontés de transmission » (p. 9). L’originalité de cet opus repose sans doute dans l’intérêt porté à comprendre le désir d’enfant (ses fondements, les conditions de sa réalisation, etc.) et à considérer le point de vue des enfants en tant qu’acteurs au sein de la famille (dans la veine de la sociologie de l’enfance). Le numéro est organisé en trois parties. La première est consacrée aux prémices de la famille, le désir d’enfant dont la concrétisation peut être retardée par les conditions matérielles, les normes sociales, n° 100 - juin 2010 Comptes rendus de lectures