Nº 77 – Septembre/octobre 2002 A propos des canonisations du pape Jean-Paul II En abordant ce sujet, nous sommes conscients de soulever un problème extrêmement délicat que, par désir naturel de la paix et de la concorde, nous préférerions ne pas devoir aborder. S’il est un domaine où nous aurions pu volontiers suivre le pape, c’est bien dans la lutte contre la tendance néoprotestante de désacralisation. Cependant, force est de constater au fi l des années non seulement une multiplication étonnante des béatifications et canonisations — nous y reviendrons — mais également un choix dans les procès qui conduit à une mise à égalité entre des personnages parfois doctrinalement opposés. La béatification des papes Pie IX et Jean XXIII, en 1999, en a été un exemple des plus flagrants. Les canonisations, à quelques mois de distance, du Padre Pio et de José Escriva de Balaguer sont également de nature à troubler l’esprit qui fait usage du principe de non-contradiction. Le présent travail n’a pas la prétention de trancher la question, cela ne nous revient pas. Sans doute le magistère de l’Eglise, dans un futur plus ou moins éloigné, nous donnera-t-il d’autres lumières que la Rome actuelle et livrera-t-il des précisions quant à certains cas de béatification ou canonisation 1 douteux. Que le lecteur ne se scandalise pas de cette affi rmation qui 1 Seules les canonisations étant considérées par les théologiens comme infaillibles, notre étude porte directement sur celles-ci. Cependant, étant donné que le même esprit anime tant les canonisations que les béatifications, nous ferons parfois usage de certains exemples de béatification. implique une relativité du magistère de l’Eglise. Ce n’est pas le magistère en lui-même qui est relatif, mais la compréhension qu’en ont ceux qui l’exercent aujourd’hui. En effet, la compréhension du concept de Tradition comporte une telle flexibilité que ce qui est compris dans un certain sens aujourd’hui, pourra l’être dans un sens opposé demain. Dans ce contexte, nous pensons qu’il est possible d’aborder la ques- SOMMAIRE ➤ A propos des canonisations du pape Jean-Paul II ➤ La canonisation de Mgr Escriva Abbé Hervé Gresland ➤ Sur la rigueur de la procédure selon l’ancien Droit canon Impressum au dos du bulletin Parution bimestrielle CPPAP : 0603-G-77598 Imprimerie Plano-Print Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 tion de l’infaillibilité des canonisations actuelles, tout en maintenant pour notre part notre adhésion à la doctrine commune. Afi n d’éviter tout malentendu, précisons encore qu’il ne s’agit pas ici de faire un travail de discernement des canonisations, recherchant lesquelles pourraient être valides, lesquelles ne le seraient pas. Encore une fois, il ne nous appartient pas de faire ce travail. Notre réflexion est d’un autre ordre, elle porte sur l’esprit et l’intention dans lesquels ces canonisations sont réalisées par l’autorité aujourd’hui. Qu’on ne s’émeuve donc pas si notre remise en question englobe aussi des canonisations de personnes dont la sainteté a déjà été prouvée publiquement par des miracles et des faits extraordinaires connus, comme c’est le cas pour un Padre Pio, et chez lesquelles l’intervention du magistère est en quelque sorte la sanction de la vox populi. Afi n de progresser de manière claire dans l’argumentation, nous commencerons par défi nir les notions, ce qui nous entraînera à considérer dans un premier temps la doctrine traditionnelle quant à la canonisation. Dans un second temps, nous nous pencherons sur les canonisations depuis le concile Vatican II, pour dégager enfi n des conclusions, lesquelles seront des pistes de réflexion et non des jugements défi nitifs. Première partie La doctrine traditionnelle 2 A. Historique Jetons un regard sur l’histoire, ce qui nous permettra de mieux cerner la réalité de la canonisation. A l’origine, on trouve l’exercice spontané d’un culte public rendu à un fidèle trépassé, exprimant la sainteté de celui-ci et donnant 2 • en exemple ses vertus. Le premier culte fut celui rendu aux saints martyrs, le peuple recueillait les reliques de ces victimes de la persécution, édifiait des autels sur leurs tombes et les prêtres y célébraient la messe. Les premiers exemples remontent au IIe siècle et la pratique est universelle au IIIe siècle. Ce culte devait être authentifié par l’évêque : la discipline distingue en effet les martyrs reconnus de ceux qui ne le sont pas. C’est seulement après le IVe siècle que la canonisation s’étend à ceux qui, bien que n’ayant pas eu l’occasion de verser leur sang pour la foi, s’étaient illustrés par des vertus éminentes. La discipline reste inchangée : c’est aux évêques qu’il incombe de reconnaître la sainteté ; mais, surtout à la fi n du XIe siècle, les papes réclament pour plus de sûreté que l’examen des vertus et des miracles se fasse dans le cadre d’un concile, de préférence un concile général. Quel est le statut juridique de cette reconnaissance officielle : s’agitil d’une béatification ou d’une canonisation ? Les témoignages que nous a laissés l’histoire ne nous permettent pas de le savoir en toute certitude. Mais si l’on tient compte d’une raison théologique nécessaire, il semble très probable que l’on n’avait affaire qu’à de simples béatifications, le pouvoir d’un évêque ne dépassant pas les bornes de son diocèse.3 « Le culte ne s’élevait à la dignité d’une canonisation que lorsque passant de diocèse en diocèse il s’étendait à l’Eglise universelle, avec l’assentiment exprès ou tacite du Souverain Pontife ».4 Autrement dit, s’il est admis explicitement que seul l’évêque peut procéder à une béatification, en ce qui concerne la canonisation, la discipline en usage implique que seul le pape soit pourvu de la compétence nécessaire. juris canonici 5 qui pose explicitement la règle disciplinaire : la faculté de décréter les béatifications dans leur diocèse est retirée aux évêques et réservée au Souverain Pontife ; et donc a fortiori la canonisation proprement dite reste l’apanage du Souverain Pontife. La pratique, bien entendu, ne s’est pas tout de suite ni en tous points conformée à ce principe, et les évêques ont souvent considéré la Constitution d’Alexandre III comme lettre morte. La controverse fut défi nitivement tranchée par les décrets du pape Urbain VIII du 13 mars et du 2 octobre 1625, d’abord promulgués à Rome puis publiés avec une confi rmation spéciale dans le bref Cœlestis Jerusalem cives du 5 juillet 1634. A partir de ce moment, il est hors de conteste, de fait comme de droit, que seul le Souverain Pontife peut procéder aux béatifications et aux canonisations. Notons que lorsqu’il opère cette promulgation, le pape peut recourir à des instruments qui vont intervenir antérieurement à la canonisation proprement dite en jouant le rôle de conseils destinés à éclairer la prudence du législateur : • il y a le procès régulièrement instruit : il débouche sur la canoni2 Benoît XIV : de Servorum Dei beatifi catione et de Beatorum canonizatione, livre I, chapitre 39 3 Tel est l’avis donné par Benoît XIV dans son de Servorum Dei beatifi catione et Beatorum canonizatione, livre, chapitre X, § 6 : « Il est certain qu’aucun évêque n’a jamais pu procéder à de véritables canonisations ; en effet, le pouvoir de prescrire qu’un fi dèle soit honoré comme saint dans l’Eglise universelle par un culte public, ne peut pas et n’a jamais pu revenir à celui qui possède une juridiction restreinte à un diocèse ou à une province, mais il doit appartenir seulement à celui qui a le pouvoir sur l’Eglise universelle ». 4 On trouve enfi n une constitution du pape Alexandre III, en date de 1170, insérée dans le Corpus Ortolan, article Canonisation, Dictionnaire de Théologie Catholique (DTC), tome IV, col. 1632. 5 Livre III des Décrétales, titre 45, chapitre I • sation formelle. Celle-ci peut se défi nir comme la sentence qui termine un procès régulièrement ouvert et poursuivi dans toute la rigueur de la procédure pour constater juridiquement l’héroïcité des vertus pratiquées par le serviteur de Dieu et la vérité des miracles par lesquels Dieu a manifesté cette héroïcité. Cette sentence est ordinairement rendue par le Souverain Pontife au cours d’une solennité particulière ; • il y a eu aussi, au cours de l’histoire, le culte spontané de la piété populaire : lorsque le pape se contente de l’authentifier, on a affaire à une canonisation équipollente. Celle-ci se défi nit alors comme la sentence qui ne termine pas un procès de canonisation, mais que le Souverain Pontife rend pour ratifier le culte qui depuis un temps immémorial est publiquement rendu à un serviteur de Dieu. Il est nécessaire que les vertus héroïques et les miracles de ce serviteur de Dieu, bien que n’ayant pas été juridiquement constatés, aient été rapportés par des récits dignes de foi et fassent l’objet de la croyance générale du peuple chrétien. Cette sentence est considérée comme rendue lorsque le Saint-Siège impose de præcepto à l’Eglise universelle la célébration de la messe et la récitation de l’office en l’honneur de ce saint.6 C’est dans cette espèce de canonisations que se rangent la plupart de celles qui ont été accomplies avant 1170 et c’est aussi dans cette catégorie que figurent les cas douteux.7 B. Qu’est-ce que la canonisation ? 1. Définition La canonisation est l’acte solennel par lequel le Souverain Pontife, jugeant en dernier ressort et portant une sentence défi nitive, inscrit au catalogue des saints un serviteur de Dieu, précédemment béatifié. Par cet acte, le pape déclare que celui qu’il vient de placer sur les autels règne vraiment dans la gloire éternelle, et il commande Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II à l’Eglise universelle de lui rendre en tout lieu le culte dû aux saints.8 L’auteur de la canonisation est le chef de toute l’Eglise. Puisqu’il s’agit du salut éternel et donc du bien commun de toute la société, seule l’autorité légitime a le pouvoir de promulguer la loi dans ce domaine. La canonisation équivaut donc à un triple jugement souverain et défi nitif par lequel l’Eglise affi rme avec autorité : a) que telle personne est dans la gloire éternelle et a, durant sa vie, pratiqué les vertus surnaturelles à un degré héroïque ; b) que cette pratique constitue pour tous les fidèles de l’Eglise une norme si sûre qu’en s’y conformant, ils sont assurés de parvenir au salut éternel ; c) que tout fidèle est tenu de donner son adhésion à ces deux jugements a) et b) et de professer son adhésion en prenant part au culte public que l’Eglise va désormais rendre au saint canonisé pour reconnaître officiellement l’héroïcité de sa vertu. Le saint est donné en exemple pour ses vertus. Par le culte qui lui est rendu, c’est — au travers de sa personne — la grâce éminente que nous vénérons, participation intime à la nature de Dieu. 2. Canonisation et béatification a) Ressemblances : dans les deux cas, le but, l’objet et l’auteur sont identiques ; et du point de vue de l’essence de la loi, on a dans les deux cas affaire à un jugement qui énonce les vertus héroïques d’un saint ou d’un bienheureux. b) Différences • La béatification n’est pas un jugement défi nitif, mais c’est un acte réformable qui prépare la sentence de canonisation, tandis que cette dernière est une sentence irréformable. • La béatification n’est pas un précepte mais une permission, tandis que la canonisation est un précepte et constitue donc une obligation. • La béatification n’est pas une loi obligeant l’Eglise universelle, mais c’est un privilège concédé à une partie de l’Eglise universelle (province ecclésiastique, diocèse, ville, famille religieuse), tandis que la canonisation est une loi dont l’observation est prescrite à l’Eglise universelle. 3. Infaillibilité a) La béatifi cation n’est pas un acte infaillible. • S’agissant des béatifications auxquelles ont pu procéder les évêques avant 1170, il est hors de doute qu’elles ne sauraient bénéfi cier de l’infaillibilité, car de droit, ce sont des actes qui émanent d’un sujet qui ne peut jamais être infaillible à titre personnel. De fait, l’histoire montre que des erreurs ont été commises.9 6 Par exemple, canonisation de saint Wenceslas, duc de Bohême et martyr mort en 929 et dont l’office fut imposé à l’Eglise universelle par Benoît XIII le 14 mars 1729 ; ou celle de sainte Marguerite reine d’Ecosse, morte en 1093 et dont l’office fut imposé par Innocent XII, le 15 septembre 1691. 7 Le plus célèbre est celui de Charlemagne. L’antipape Pascal III, qui s’était élevé contre le pape légitime Alexandre III, sur les instances de l’empereur Frédéric Barberousse, avait inscrit Charlemagne au catalogue des saints, le 29 décembre 1165. Or, aucun culte public n’avait été jusque-là rendu à ce prince. Cette canonisation, œuvre d’un antipape, ne fut jamais ni officiellement approuvée ni officiellement réprouvée par le Saint-Siège. Les auteurs sont partagés à ce sujet. Benoît XIV pense qu’aucune condition nécessaire ne manque pour que l’on puisse avoir affaire dans ce cas non pas à une canonisation, mais à une béatification équipollente (de Servorum Dei, livre I, chapitre IX, § 4). 8 cf. Bellarmin et Benoît XIV. 9 Benoît XIV, op. cit., livre I, chapitre 42, § 6-7. 3 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 • S’agissant des béatifications qui, depuis 1170, restent le privilège exclusif du Siège apostolique, il est vraisemblable que ce ne sont pas non plus des actes infaillibles : ces actes en effet ne sont ni défi nitifs, ni préceptifs ; or l’infaillibilité ne peut être attachée qu’à un acte défi nitif et préceptif.10 Le privilège concerne, par défi nition, une matière non nécessaire. On pourrait distinguer entre : les béatifications équipollentes et les béatifications formelles, en disant que les secondes offrent plus de garanties que les premières, et que par conséquent le refus de leur accorder l’assentiment qui leur est dû constituerait une faute plus grave,11 sans pour autant attribuer l’infaillibilité à la béatification. Il faut également considérer l’argument de l’universalité : la béatification n’entraîne pas de culte au bienheureux dans l’Eglise universelle. Or, les actes infaillibles du magistère doivent s’étendre à l’Eglise universelle. b) La canonisation L’ensemble – presque unanime – des théologiens jusqu’au concile Vatican I enseigne que le pape, lorsqu’il canonise un saint, jouit de la prérogative de l’infaillibilité. Citons surtout saint Thomas 12, Melchior Cano 13 et Benoît XIV.14 • Il y a d’abord un argument de droit : il n’est pas possible que le pape se trompe en canonisant un homme qui serait réprouvé, parce cela reviendrait à enseigner quelque chose de contraire à la foi et aux mœurs, car le pape enseignerait ainsi que l’on peut se sauver en imitant l’exemple de celui qui a été conduit par ses mauvaises actions à la damnation. • Il y aussi un argument de fait que souligne Benoît XIV : jamais il ne s’est trouvé une erreur dans les canonisations auxquelles les papes ont pu procéder. 15 c) Valeur de cette infaillibilité C’est l’opinion commune des théologiens et l’expression d’une 4 • certaine tradition dans l’Eglise ; mais ce n’est pas encore un dogme de foi solennellement défi ni. Celui qui nierait cette infaillibilité ne pourrait pas être considéré comme hérétique. d) Le cas du martyrologe L’inscription d’un personnage au martyrologe ne signifie pas la canonisation infaillible de celui-ci. Le martyrologe est la liste qui renferme non seulement tous les saints canonisés, mais encore les serviteurs de Dieu qui ont pu être béatifiés, soit par le Souverain Pontife, soit par les évêques avant 1170. 16 Et ces béatifications ne sont pas infaillibles. 17 Les titres de « sanctus » ou de « beatus » n’ont pas dans le martyrologe la signification précise qui permettrait de faire le départ entre saint canonisé et bienheureux. 4. L’objet de la canonisation C’est d’abord et avant tout la sainteté de la personne et les vertus héroïques qui vont de paire avec la sainteté. Ce ne sont que secondairement et occasionnellement les faits miraculeux qui attestent l’héroïcité surnaturelle de ses vertus. Le surnaturel des miracles et des faits extraordinaires n’est donc pas évoqué pour lui-même, mais seulement pour attester l’origine divine des vertus et manifester l’éminente grâce sanctifiante. Précisons encore : de quelle sainteté s’agit-il ? En quoi consiste-t-elle précisément ? Elle consiste en la grâce sanctifiante possédée à un degré extraordinaire, un tel degré de charité divine qu’elle est accompagnée des vertus infuses et acquises pratiquées jusqu’à l’héroïsme. Cet héroïsme des vertus est comme le thermomètre de la sainteté : là où il y a sainteté véritable, il y a aussi vertu héroïque, et là où les vertus sont pratiquées à un degré héroïque et où aucune vertu ne fait défaut, il y a sainteté. La grâce n’étant pas appréhendée par les sens, le jugement sur la sainteté se fera à partir de l’héroïcité des vertus. Les vertus infuses étant connexes entre elles — contrairement aux défauts — l’organisme spirituel du saint comportera donc l’ensemble des vertus morales à un degré éminent ; la moindre faille dans les vertus morales infuses sera le signe qu’il n’y a pas, chez la personne concernée, un degré consommé de grâce sanctifiante. Cependant, la grâce de la charité excède à l’infi ni la condition naturelle commune à tous les hom10 Preuve de cette mineure : la cause fi nale de l’infaillibilité est d’assurer l’unité de la foi ; or l’unité de foi, qui est le bien commun de toute la société ecclésiastique, doit être assurée par un acte défi nitif et préceptif. 11 Benoît XIV, op. cit., livre I, chap. 42, § 9-10. Rappelons que « non infaillible » ne signifie pas « dépourvu de toute valeur ». La certitude admet des degrés, et le titre de bienheureux appelle notre respect. 12 Quodlibet IX, Q. 8, art 16. Saint Thomas rappelle la cause fi nale de l’infaillibilité : « Enseigner toute vérité qui porte sur les matières nécessaires au salut ». Les canonisations sont un cas où la loi porte sur des matières nécessaires au salut : « L’honneur que nous rendons à un saint équivaut à une certaine profession de foi, où nous affirmons la gloire du saint ». Le pape qui canonise un saint exprime indirectement le droit divin et, à ce titre, son acte sera infaillible. 13 De locis theologicis, livre V, chapitre V, q 5, art 3, conclusion 3. 14 Benoît XIV, op. cit., livre I, chapitre 43. 15 Ibidem, livre I, chapitre 44. Saint Thomas dit aussi à l’ad 2 du Quodlibet cité : « La divine Providence préserve l’Eglise pour qu’en ces matières, elle ne soit pas trompée par le témoignage faillible des hommes ». 16 Benoît XIV, op. cit., livre I, chapitre 43, § 14. Historique du Martyrologe : cf. la Tractatio de martyrologio romano de Baronius, en tête de l’édition de Benoît XIV, aux chapitre 4-9. Le premier auteur est Eusèbe de Césarée qui écrivit en grec et qui fut traduit en latin par saint Jérôme. A partir de cette première liste survinrent de nombreuses amplifications. 17 Ibidem. • mes : elle est un don gratuit que la nature ne saurait revendiquer comme ce qui lui est propre. Saint Thomas fait remarquer à propos de l’obtention du salut surnaturel que « le bien proportionné à la condition commune de la nature se réalise le plus souvent, et ne fait défaut que rarement. Tandis que le bien qui excède l’état commun des choses se trouve réalisé seulement par un petit nombre, et l’absence de ce bien est fréquente ». 18 On peut donc tirer, à propos de la sainteté et de la vertu héroïque qu’elle implique, la même conclusion que saint Thomas établit en parlant du salut surnaturel : « Puisque la sainteté, qui consiste dans la charité parfaite, excède le niveau commun de la nature, et d’autant plus à partir du moment où cette nature a été privée de la grâce par la corruption du péché originel, il y a peu d’hommes saints. Et en cela même apparaît souverainement la miséricorde de Dieu, qui élève certains êtres à une sainteté que manque le plus grand nombre, selon le cours et la pente commune de la nature ».19 Il y a donc deux motifs pour lesquels la sainteté — et donc la canonisation qui la donne en exemple — est chose rare : il y a d’une part la transcendance absolue de la grâce par rapport à la nature et il y a d’autre part la corruption du péché originel. Ajoutons un troisième motif. La sainteté qui est reconnue par la canonisation prend la valeur d’un exemple ; or ce qui est donné en exemple doit attirer l’attention et pour cela présenter quelque chose de singulier, d’extraordinaire au sens étymologique. Le langage courant a d’ailleurs consacré cette vérité en assimilant les deux vocables exemplaire et unique. C’est pourquoi multiplier les saints revient à amoindrir leur exemplarité : quand bien même les saints seraient nombreux, un petit nombre d’entre eux et non la plupart doivent faire l’objet d’une canonisation. Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II Conclusion : la sainteté, fondement de tout canonisation, est un état extraordinaire de vie surnaturelle, extraordinaire en ce sens qu’il est bien au-delà de la voie commune. Deuxièmes partie Les canonisations aujourd’hui L’essence de la canonisation nous pousse à poser deux questions : A. Conception de la sainteté hier et aujourd’hui. B. Quelle sainteté pour les fidèles d’aujourd’hui ? A. La notion de sainteté depuis Vatican II 1. Changements d’ordre quantitatif Partons d’un fait constaté par de nombreux observateurs : de façon relativement récente, le nombre des béatifications et des canonisations prend des proportions quantitatives inouïes. La liste suivante en donne une idée précise : - au XVIe siècle : une seule canonisation - au XVIIe siècle : 10 canonisations avec 24 saints - au XVIIIe siècle : 9 canonisations avec 29 saints - au XIXe siècle : • au total, 8 canonisations avec 80 saints ; • sous Léon XIII (1878 — 1903) : 4 canonisations pour 18 saints - au XXe siècle : • saint Pie X (1903-1914) : 2 canonisations avec 4 saints • Benoît XV (1914 — 1922) : 2 canonisations avec 3 saints • Pie XI (1922 — 1939) : 17 canonisations avec 34 saints • Pie XII (1939 — 1958) : 21 canonisations avec 33 saints • Jean XXIII (1958 — 1963) : 7 canonisations pour 10 saints • Paul VI (1963 — 1978) : 20 canonisations et 81 saints • Jean-Paul II, de 1978 à 2002 : le 6 octobre 2002, Escriva de Balaguer est la 468ème personne canonisée par ce pape. Jusqu’à Paul VI et Jean-Paul II, les canonisations sont des actes solennels du Pontife Romain qui demeurent exceptionnels. Depuis Vatican II, ce fut de moins en moins le cas : Jean-Paul II a ainsi effectué plus de canonisations que chacun de ses prédécesseurs du XXe siècle et plus aussi que tous ses prédécesseurs depuis la création de la Congrégation des rites par Sixte V en 1588. Jean-Paul II s’est lui-même expliqué sur cet accroissement du nombre des canonisations dans un discours aux cardinaux lors du consistoire du 13 juin 1984 : « On dit parfois qu’il y a aujourd’hui 18 1a, Q. 23, art 7, ad 3. Saint Thomas donne à l’appui de ses dires l’exemple suivant : « Ainsi voit-on que la plupart des hommes sont doués d’un savoir suffi sant pour la conduite de leur vie, et que ceux qu’on appelle idiots ou insensés, parce qu’ils manquent de cette connaissance, sont très peu nombreux. Tandis que bien rares, parmi les humains, sont ceux qui parviennent à une science profonde des choses intelligibles ». 19 Ibidem. Saint Thomas est donc partisan de la thèse du petit nombre des élus. Encore doit-on préciser que ce petit nombre est petit relativement : les élus et les saints sont moins nombreux que les damnés et les pécheurs, mais pour être moins nombreux si on les compare à ces derniers, les élus et les saints peuvent être en très grand nombre si on les considère dans l’absolu. Dans l’Apocalypse saint Jean contemple la foule des élus et dit que cette foule est innombrable : « turbam magnam quam dinumerare nemo poterat » (Apoc, 7,9). Cf. le Commentaire sur l’Epître de saint Paul aux Romains, chapitre XII, leçon 2 (sur le verset 5) : « Quamvis enim sint pauci per comparationem ad infructuosam multitudinem damnatorum, secundum illud Matth, 7/14 : arcta est via quæ ducit ad vitam, et pauci inveniunt eam, tamen absolute loquendo sunt multi. Apoc, 7 septembre : post hæc vidi turbam magnam, quam dinumerare nemo poterat ». 5 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 Sur la rigueur g de la procédure p selon l’ancien Droit canon Nous utilisons là pour une bonne partie des extraits de l’article canonisation de T. Ortolan figurant dans le Dictionnaire de théologie catholique. Selon la procédure mise en place par Benoît XIV, quand un homme de Dieu venait à mourir en odeur de sainteté, l’Eglise ne s’occupait pas tout de suite de son procès de canonisation. Quels que soient l’éclat de ses vertus et l’austérité de sa pénitence ; quelles que soient les grâces extraordinaires dont Dieu l’a comblé (extases, prophéties, miracles, faculté de lire dans les cœurs, de deviner les secrets de conscience, etc.) quels que soient le concours des fidèles qui se pressent à son tombeau et les guérisons miraculeuses ou les prodiges de tout genre qui s’y opèrent, l’Eglise se contente d’être expectatrice silencieuse, car si cette réputation de sainteté vient des hommes, elle s’effacera vite ; si elle vient de Dieu, elle ira en grandissant avec le temps. L’Eglise attend donc, et ne consent à l’examiner officiellement que plusieurs années après le trépas du serviteur de Dieu. Pendant ce laps de temps, elle permet simplement de recueillir les dépositions des témoins oculaires, dans la crainte que ces témoignages, qui pourront être utiles plus tard, ne finissent par disparaître (cf. Benoît XIV, op. cit. L. II, c. IV). Rome n’ouvrait un procès de canonisation que 10 ans – aujourd’hui cinq ans – après avoir reçu le dossier de l’Ordinaire. Le dossier de l’Ordinaire était achevé par la sentence de l’évêque de non cultu. De plus, à partir du jour où les pièces étaient remises à la Sacrée congrégation des ritess (aujourd’hui, la Congrégation pour la cause des saints), celle-ci attendait encore de recevoir d’autres lettres d’évêques ou de personnages considérables témoignant que la réputation du serviteur de Dieu va grandissant, que les miracles opérés par son intercession se multiplient et que les peuples désirent sa canonisation. L’idée sous-jacente à cette procédure était simple : un mouvement spontané et universel de dévotion du peuple fidèle de longues années après la mort du serviteur de Dieu (alors que les affections humaines sont éteintes), les bons fruits opérés par celui-ci alors qu’il n’est plus de cette terre (ils n’ont donc pas pu être causés par son intervention 6 • trop de béatifications. Mais outre le fait que cela reflète la réalité qui par la grâce de Dieu est ce qu’elle est, cela correspond aussi aux désirs exprès du Concile. L’Evangile est tellement diffusé dans le monde et son message s’est enraciné si profondément que c’est précisément le grand nombre de béatifi cations qui reflète de façon vivante l’action du Saint-Esprit et la vitalité qu’il fait jaillir dans le domaine le plus essentiel pour l’Eglise, celui de la sainteté. C’est en effet le Concile qui a mis en lumière de façon particulière l’appel universel à la sainteté ». Donc ce changement d’ordre quantitatif a pour cause un changement d’ordre qualitatif. Si les canonisations sont désormais plus nombreuses, c’est parce que la sainteté dont témoigne la canonisation possède une signification différente : la sainteté est non plus quelque chose de rare, d’extraordinaire, mais quelque chose de commun. « Jean-Paul II a fait plus de canonisations que n’en ont fait tous les papes de ce siècle. Mais de cette manière, on ne garde plus la dignité de la canonisation. Si les canonisations sont nombreuses, elles ne peuvent pas être, nous ne disons pas valides, mais prises en considération, ni faire l’objet de vénération de la part de l’Eglise universelle. (…) Si les canonisations se multiplient, leur valeur diminue ». 20 seignement pontifical ordinaire de Jean-Paul II) la Rédemption est conçue comme un simple témoignage existentiel permettant aux hommes de prendre intérieurement conscience de la dignité qui est leur en tant que personne humaine : « Le Christ, Rédempteur du monde, est celui qui a pénétré, d’une manière unique et absolument singulière, dans le mystère de l’homme. C’est donc à juste titre que le Concile Vatican II enseigne ceci : “En réalité, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à luimême et lui découvre la sublimité de sa vocation”.21 Telle est, si l’on peut s’exprimer ainsi, la dimension humaine du mystère de la Rédemption. Dans cette dimension, l’homme retrouve la grandeur, la dignité et la valeur propre de son humanité. S’il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d’adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour soi-même. Quelle valeur doit avoir l’homme aux yeux du Créateur s’il “a mérité d’avoir un tel et un si grand 20 Romano Amerio : Stat veritas — Suite à Iota unum. Glose 39 sur le § 37 de la lettre apostolique Tertio millenio adveniente, page 117. 21 Gaudium et spes, § 22. 22 Exsultet de la Vigile pascale 23 Jean, 3, 16 24 2. Changements d’ordre qualitatif Essayons d’expliquer pourquoi, selon la logique de Vatican II, la sainteté n’est plus quelque chose d’extraordinaire. La nouvelle théologie nous le fera comprendre. a) Les fondements de la nouvelle conception de la sainteté Vatican II a introduit une nouvelle religion liée à une nouvelle théologie, et selon cette nouvelle théologie (telle que l’explicite l’en- Redemptor hominis, § 9 et 10. Cette idée de Jean-Paul II ne fait d’ailleurs que reprendre la pensée originale qui s’exprime dans la constitution Dei Verbum du concile Vatican II. « Il est certain qu’en se révélant de la sorte à nous, dans cet appel qu’il nous adresse, Dieu nous révèle à nous-mêmes : c’est en répondant à cet appel que l’homme émergeant à la lumière de Dieu découvre merveilleusement la grandeur de son être. La révélation suprême de Dieu à laquelle la Nouvelle Alliance est essentiellement liée est aussi la révélation totale de la nature humaine » (Henri de Lubac : Commentaire sur le Prœmium de la constitution in « Vatican II — Textes et commentaires des décrets conciliaires », Unam sanctam 70a, page 164). Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II • Rédempteur”22, si “Dieu a donné son Fils” afin que lui, l’homme, “ne se perde pas, mais qu’il ait la vie éternelle”23! »24 Puisque la mission de l’Eglise consiste à appliquer les fruits de la Rédemption, l’Eglise aura pour but essentiel de promouvoir cette dignité de la personne humaine et d’en faire prendre conscience à tous les hommes : « Cette profonde admiration devant la valeur et la dignité de l’homme s’exprime dans le mot Evangile, qui veut dire Bonne Nouvelle. Elle est liée aussi au christianisme. Cette admiration justifie la mission de l’Eglise dans le monde ». 25 « Le Concile Vatican II, en divers passages de ses documents, a exprimé cette sollicitude fondamentale de l’Eglise, afin que la vie en ce monde soit “plus conforme à l’éminente dignité de l’homme” 26 à tous points de vue, pour la rendre “toujours plus humaine” 27. Au nom de cette sollicitude, comme nous le lisons dans la constitution pastorale du Concile, “l’Eglise est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine” 28 » 29. Or, la dignité de la personne humaine se fonde dans la liberté de conscience : c’est donc cette dernière que l’Eglise va s’efforcer de manifester et de défendre. « C’est pourquoi l’Eglise de notre temps accorde une grande importance à tout ce que le Concile Vatican II a exposé dans la déclaration sur la liberté religieuse. La déclaration sur la liberté religieuse nous manifeste de manière convaincante que, en annonçant la vérité qui ne provient pas des hommes mais de Dieu, le Christ, et ensuite ses Apôtres, conservent une profonde estime pour l’homme, pour son intelligence, sa volonté, sa conscience et sa liberté. De cette façon, la dignité de la personne humaine en vient à faire partie elle-même de cette annon- ce, même sans recourir aux paroles, par le simple comportement à son égard. C’est dire que l’Eglise, en vertu de sa mission divine, devient d’autant plus gardienne de cette liberté, qui est condition et fondement de la véritable dignité de la personne humaine. » 30 Vivre des fruits de cette Rédemption, ce sera donc faire en sorte que « la dignité de la personne humaine soit l’objet d’une conscience toujours plus vive et que toujours plus nombreux soient ceux qui revendiquent pour l’homme la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité » 31. Vivra donc saintement celui qui aura une conscience aiguë de cette dignité de la personne humaine et qui la respectera en célébrant la liberté de l’homme, surtout en matière religieuse. Saint Thomas dit que la sainteté s’exprime au plus haut point dans l’exercice du culte par lequel l’homme rend à Dieu ce qui lui est dû. 32 La nouvelle sainteté correspond ainsi logiquement à un nouveau culte : le culte de l’homme, dont a parlé le pape Paul VI 33, culte par lequel l’Eglise rend à l’homme la dignité qui lui est due en favorisant sa liberté. L’homme saint, au sens nouveau du terme, c’est donc l’homme tolérant. La tolérance se substitue ainsi à la charité théologale et devient la vertu primordiale qui sert de fondement à la nouvelle sainteté, selon Vatican II et Dignitatis humanæ. 25 Redemptor hominis, § 10. « La tâche spécifi que de l’Eglise, celle qui fonde sa nécessité absolue, c’est le dévoilement d’une réalité déjà présente au cœur du monde et surtout au cœur de l’homme, le règne de Dieu, pour que l’homme connaisse explicitement ce don de Dieu » (Jean-Guy Pagé : Qui est l’Eglise ? tome I : Le Mystère et le sacrement du salut, page 215). 26 Gaudium et spes, § 91 27 Gaudium et spes, § 38 28 Gaudium et spes, § 76 29 Redemptor hominis, § 13 30 Redemptor hominis, § 12 31 Dignitatis humanae, § 1. naturelle), tout cela était, pou d’un agir surnaturel dont l’o être que divine. Cela signifiait que l’Eglise pouvait se pencher sur ce cas et entamer un procès de béatification. L’orthodoxie doctrinale Si des écrits d’un auteur contiennent une doctrine hétérodoxe, ils rendent la foi de l’auteur suspect, ce qui arrête à tout jamais le procès. Il n’est pas nécessaire pour arrêter une cause de canonisation, que les ouvrages du serviteur de Dieu renferment des erreurs formelles contre le dogme ou la morale ; il suffit qu’on y trouve des nouveautés suspectes, des questions frivoles, ou bien quelque opinion singulière opposée à l’enseignement des Pères et au magistère. L’héroïcité des vertus Ces vertus, ils auront dû les pratiquer non d’une manière quelconque, mais jusqu’à l’héroïsme. Par héroïcité des vertus, on entend un degré de perfection tel qu’il dépasse de beaucoup la manière ordinaire dont les autres hommes, mêmes justes, pratiquent les vertus (Benoît XIV, L. III, c. 21, nº 10). La preuve de ces vertus héroïques doit être faite non d’une manière générale pour toutes prises ensemble, mais d’une façon spéciale pour chacune d’elles considérée en particulier. Ce qu’un tel examen demande de temps et de peine est incroyable, surtout étant données les difficultés de tout genre que ne cesse d’accumuler le promoteur de la foi. La vie du serviteur de Dieu est passée au crible de la plus impitoyable critique ; et il faut que non seulement on n’y trouve rien de répréhensible, mais qu’on y rencontre l’héroïsme à chaque pas. Tant que le doute sur les vertus n’est pas absolument élucidé, il est impossible de s’engager plus avant dans cette interminable procédure, car il n’est jamais permis de suspendre l’examen des vertus pour passer à celui des miracles, fussent-ils nombreux. Si les preuves convaincantes en faveur des vertus manquent ou n’ont pas pu être retrouvées, soit parce que des écrits importants on été égarés, soit parce que les témoins ont disparu, on conclut simplement qu’il ne conste pas des vertus pratiquées dans un degré héroïque et le procès est arrêté. Les miracles L’examen des miracles est pour le moins tout aussi sévère que celui des vertus. Pour bien discerner ce qui est miraculeux de ce qui ne dépasse pas les forces de la nature ou de la “praeter-nature”, ”, toutes les 7 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 ons sont faites. La précipitation ou le zèle enthousiaste de ceux qui ont entrepris le procès et en poussent la marche vient se briser contre l’extrême lenteur et les exigences de ce tribunal jamais pressé, et ne s’émeut pas de ce qu’une cause est exposée à rester devant lui pendante durant des siècles ; on se rappellera que le procès de canonisation de sainte Jeanne d’Arc aura duré presque six siècles ! La multitude des actes juridiques, la série indéfinie de difficultés amoncelées par le tribunal, l’abondance des preuves qu’il réclame, autant d’éléments qui en ont découragé plus d’un. Les choses en arrivent à tel point que, de l’avis de tous ceux qui ont été mêlés à un procès, le succès d’un procès de canonisation peut être regardé comme un miracle plus grand que tous ceux qui sont requis pour attester la sainteté d’un serviteur de Dieu. Les Acta sanctorum m nous rapportent que le cardinal Cajetan, postulateur de la cause de saint Stanislas, évêque et martyr, voyant que, malgré la valeur et la multitude des preuves fournies, le procès, qui avait déjà duré longtemps, menaçait de s’éterniser, écrivait à l’évêque de Cracovie : « Votre saint a besoin d’opérer encore un miracle, le plus grand de tous : celui de mettre d’accord tous ceux qui ne cessent de chicaner sur les miracles. » A ce témoignage des auteurs catholiques s’est joint plus d’une fois celui des hétérodoxes eux-mêmes. Durant vingt ans, de 1708 à 1728, promoteur de la foi à la Sacrée congrégation des rites, Prosper Lambertini, plus tard Benoît XIV, reçut un jour la visite d’un gentilhomme anglican, de ses amis. Il lui offrit de lire plusieurs documents relatifs à des miracles attribués à un personnage, dont le procès de canonisation était alors pendant. Le gentilhomme les lut avec attention, et stupéfait de tant de preuves irréfutables selon lui, et qui à ses yeux produisaient la lumière complète, il s’écria : « Ah ! Si tous les miracles reçus par l’Eglise romaine étaient aussi bien avérés, nous n’aurions pas de peine à les admettre, nous aussi ! – Eh bien ! reprit le prélat, de tant de miracles qui vous paraissent si parfaitement établis, aucun n’a été accepté par la S.C. des rites. Pour elle, ces preuves ne sont pas suffisantes. » A ces mots, le protestant, plus étonné encore, confessa qu’il n’aurait jamais supposé que l’Eglise romaine se montrât si difficile dans l’examen des miracles attribués à ceux de ses fils qu’elle place sur les autels. 8 • Ajoutons que le nouveau saint n’est pas seulement l’homme tolérant, mais c’est aussi l’homme qui propage les vertus naturelles. La sainteté « nouvelle » perd de vue son rapport au surnaturel, elle se réduit souvent à la poursuite de causes humaines, ce qui est une conséquence logique de la conception naturaliste de la nouvelle religion. Lors de la canonisation de Zdislava de Bohême, le 21 mai 1995, cette nouvelle conception apparaît assez nettement : « La sainteté consiste dans la capacité à se donner aux autres et dans l’accueil de la vie. Son exemple [de Zdislava] apparaît éminemment actuel, surtout par rapport à la valeur de la famille qui, comme elle nous l’enseigne, doit être ouverte à Dieu, au don de la vie et aux besoins des pauvres. Notre sainte est un admirable témoin de « l’Evangile de la famille » et de « l’Évangile de la vie », que l’Église, plus que jamais, s’efforce de répandre en ce passage du second au troisième millénaire chrétien. Familles de la Bohême, familles de la Moravie, trésor inestimable de cette nation, devenez ce que vous êtes dans le plan de Dieu, en suivant l’exemple de vos saints ! Et toi, Zdislava de Lemberk, guide les familles de ta patrie et du monde entier vers la connaissance toujours plus profonde de leur mission, rends-les ouvertes au don, toi, mère douce et forte, charitable et pieuse ! » 34 b) Cette nouvelle conception explique pourquoi la sainteté est un fait commun, ordinaire. Etre saint, désormais, c’est accéder à cette révélation selon laquelle le Christ rédempteur manifeste l’homme à lui-même. La sainteté consiste dans une prise de conscience, et il suffit à l’homme pour devenir saint de découvrir ce qu’il est déjà dans le Christ. Il n’y a donc plus qu’un simple passa- ge de l’implicite à l’explicite, ce qui réduit à néant toute transcendance : la sainteté n’est plus un idéal qui excède la condition commune de l’humanité ; au contraire, elle se situe dans le prolongement logique de cette condition puisqu’elle n’est pas autre chose que la prise de conscience de cette condition dans ce qui fonde sa dignité. Si l’on reprend le principe énoncé plus haut par saint Thomas en l’appliquant à cette nouvelle situation, on doit dire que la sainteté étant le bien proportionné à la condition commune de la nature, se réalise le plus souvent, et ne fait défaut que rarement. 35 Il s’ensuit que la sainteté, si elle fait l’objet d’une canonisation, n’est plus donnée comme un exemple à 32 2a2ae, Q. 81, art 8. « On appelle sainteté cette application que l’homme fait de son âme spirituelle et de ses actes à Dieu. Elle ne diffère donc pas de la religion dans son essence, mais seulement d’une distinction de raison. Car on parle de religion selon que l’on rend à Dieu le service qu’on lui doit en ce qui concerne spécialement le culte divin : sacrifices, oblations, etct. Tandis qu’on parle de sainteté lorsque l’homme, outre ces actes, rapporte encore à Dieu les actes des autres vertus, ou bien se dispose au culte divin par certaines bonnes œuvres. » 33 « Toute cette richesse doctrinale ne vise qu’à une chose : servir l’homme. Il s’agit bien entendu de tout homme, quelle que soit sa condition, sa misère et ses besoins. L’Eglise s’est pour ainsi dire proclamée la servante de l’humanité juste au moment où son magistère ecclésiastique et son gouvernement pastoral ont, en raison de la solennité du Concile, revêtu une plus grande splendeur et une plus grande force. » Paul VI : Discours de clôture de la 4e session du Concile Vatican II, le 7 décembre 1965. 34 Extrait du sermon prononcé lors de la messe précédant la canonisation. Documentation catholique 2119 du 2 juillet 1995. 35 D’où aussi l’idée maîtresse de Lumen gentium : la vocation universelle à la sainteté (chapitre V). Vocation universelle c’est-à-dire qui concerne en fait, comme en principe, le Peuple de Dieu tout entier, sans que soit faite de distinction entre une sainteté commune et une sainteté héroïque dans laquelle consisterait la perfection proprement dite. • imiter, mais comme un signe. Il y a une différence entre les deux : • l’exemple à imiter s’adresse à l’intelligence pratique et à la volonté, il indique ce qui n’est pas encore et qu’il faut réaliser. Dans la conception traditionnelle, la canonisation est ainsi défi nie comme une loi qui indique quelles sont les vertus héroïques à acquérir en suivant l’exemple d’un saint ; • le signe s’adresse à l’intelligence pure, et il indique ce qui est déjà, mais qui n’est pas saisi parfaitement : il manifeste plus parfaitement. Avec la nouvelle conception héritée de Vatican II, la sainteté devient un signe : ceux qui ont déjà pris conscience de la dignité de leur nature humaine et qui la défendent, sont signalés aux autres, afi n que ceux-ci accèdent à leur tour à cette prise de conscience. « Le saint est le témoignage le plus éclatant de la dignité conférée au disciple du Christ. » 36 « Sur la vocation universelle à la sainteté, le Concile Vatican II s’est exprimé en termes lumineux.37 La vocation à la sainteté doit être perçue et vécue par les fidèles laïcs, moins sous un aspect d’obligation exigeante et incontournable, que comme un signe lumineux de l’amour infini du Père qui les a régénérés à sa vie de sainteté ». 38 Or, dans une telle perspective, on aura intérêt à multiplier les signes, puisque cette multiplicité acquiert elle-même une valeur signifiante : le poids du nombre de tous ceux qui sont conscients de leur dignité confère une efficacité plus grande à cette révélation où le Christ manifeste l’homme à lui-même. Plus les canonisations se multiplient, plus les saints sont nombreux, mieux est signifiée la dignité de l’homme. 39 B. Quelle sainteté pour les fidèles d’aujourd’hui ? Même si l’exemple des vertus héroïques n’est pas exclu, l’exemple Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II donné dans les canonisations correspond à de nouvelles vertus en rapport avec la vision du concile : la sainteté devient un des éléments qui concourent à l’unité œcuménique. Plus encore, certains saints à la vertu reconnue sont utilisés pour diffuser le message du concile : c’est ce que nous appelons l’instrumentalisation des canonisations, c’est-à-dire l’usage d’un objet (en l’occurrence la vraie sainteté) à des fi ns étrangères. 1. L’exemple de l’œcuménisme L’œcuménisme est un crible par lequel doivent passer les causes de canonisation, un peu comme le Secrétariat pour l’unité des chrétiens fut, durant le concile, le fi ltre par lequel devaient passer tous les textes conciliaires. Ainsi, non seulement certaines causes sont promues ou des vies de saints sont expliquées dans un contexte nouveau, mais d’autres causes sont arrêtées, œcuménisme oblige. Un exemple frappant, mais qui fit peu de bruit en raison de la discrétion de la Congrégation pour la cause des saints, ce fut l’arrêt de la cause d’Isabelle la catholique, en 1992. Les évêques de Valence, Séville et Avila avaient engagé ladite Congrégation à faire avancer la cause pour aboutir à une béatification en 1992, dans le cadre du Vème centenaire de la découverte des Amériques. Afi n de ne pas heurter la communauté juive, la cause fut arrêtée par « les artisans catholiques du dialogue judéo-chrétien. Ont dû intervenir aussi, très officieusement, le Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens (auquel sont rattachées les relations avec le judaïsme), la Secrétairerie d’État et, vraisemblablement, Jean-Paul II lui-même. » 40 L’esprit œcuménique transparaît particulièrement lorsque la personne à canoniser est issue d’une région à majorité non catholique. La canonisation est alors employée comme moyen de je- ter des ponts vers les autres religions. Mieux encore, on a pu assister à des relectures œcuméniques de vies de saints déjà canonisés. Ainsi, sainte Brigitte de Suède devient un centre d’unité pour luthériens et catholiques : « C’est pour moi une grande joie de savoir qu’en Suède elle est aimée et vénérée aussi bien par les luthériens que par les catholiques. Sa vie et son œuvre constituent donc un héritage qui nous unit. Sainte Brigitte est comme un centre d’unité. “Seigneur, montre-moi la voie et dispose-moi à la suivre !”. Ce sont les mots d’une de ses prières, que l’on récite encore aujourd’hui en Suède. (…) “Seigneur, montremoi la voie et dispose-moi à la suivre”. Cette invocation peut constituer le programme du mouvement œcuménique. L’œcuménisme est un voyage que l’on effectue ensemble mais dont il n’est pas possible de fi xer le parcours ou la durée. Nous ne savons pas si le chemin sera aisé ou difficile. Nous savons seulement qu’il est de notre devoir de poursuivre ensemble ce voyage. (…) Sainte Brigitte a consacré tou36 Christifi deles laici, § 16 37 Lumen gentium, chapitre V, § 39-42 38 Christifi deles laici, § 16-17 39 Voici la réflexion de Dom Ghislain Lafont dans son livre Imaginer l’Eglise catholique, Cerf, 2001, note 1 de la page 232 : « On se réjouit de constater que les auteurs de la Nouvelle encyclopédie catholique Théo ont consacré à la sainteté le chapitre initial du volume (« Des chercheurs de Dieu par milliers… ») et dès le début ils procèdent sans le dire à une sorte de béatifi cation spontanée : ‘Aujourd’hui, qui ne connaît Mère Teresa, Martin Luther King, Helder Camara, l’abbé Pierre, Oscar Romero, etc., et déjà un peu plus lointains Edmond Michelet, Tom Dooley, Madeleine Delbrel, Teilhard de Chardin ? Ces hommes, ces femmes sont comme des points de rendez-vous pour l’humanité entière’. Plus loin, ils ajoutent d’autres noms dont certains furent depuis béatifi és par le pape ». 40 Article de Michel Kubler et de Claude Dial paru dans La Croix-L’Evénement du 28 mars 1991, repris dans la Documentation catholique 2026 du 21 avril 1991 9 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 te son existence à cet ardent désir divin de réconciliation et de communion entre tous les membres du peuple chrétien. (…) » 41 Suite aux festivités du VIème centenaire de la canonisation de sainte Brigitte, il s’adressa aux cardinaux en ces termes : « La récente Assemblée (Synode des évêques d’Europe) fut caractérisée par la présence de délégués fraternels de diverses Confessions chrétiennes qui, sur un pied d’égalité, ont pris part aux travaux. Les rencontres, les colloques et les prières communes — je voudrais rappeler en particulier la liturgie oecuménique qui s’est déroulée dans la basilique vaticane le 7 décembre — ont mis en relief la nécessité de poursuivre le dialogue œcuménique, dans la recherche de l’unité et de la communion. (…) Ce sera cet œcuménisme de la vérité et de la charité qui fera des chrétiens les prophètes crédibles de l’espérance et de la solidarité aux yeux du monde. Sur ce chemin difficile, que nous aident les saints patrons de l’Europe : saint Benoît, saint Cyrille et saint Méthode. Qu’intercède pour nous, tout particulièrement, sainte Brigitte, dont nous avons célébré récemment le sixième centenaire de la canonisation. Cet anniversaire a pris une valeur significative, constituant un pas important dans le dialogue œcuménique. L’exemple de cette sainte et le souvenir de la mission qu’elle a accomplie au service de l’unité de l’Église représentent un motif d’encouragement pour tous ceux qui sont engagés dans la nouvelle évangélisation de l’Europe. »42 Dans une homélie prononcée en 1995, à Kosice (Slovaquie), lors de la canonisation de trois martyrs, Jean-Paul II évoque : « Les martyrs des autres Confessions religieuses. Bien chers frères et sœurs ! La liturgie de ce jour nous invite à réfléchir sur les faits tragiques du début du XVIIe siècle, en mettant en lumière, d’une part, l’absurdité de 10 • la violence qui s’acharna contre des victimes innocentes et, de l’autre, le splendide exemple de tant de disciples du Christ qui surent affronter des souffrances de tout genre pour ne pas renier ce que leur dictait leur conscience. A côté des trois martyrs de Kosice, en effet, de nombreuses personnes, appartenant aussi à d’autres Confessions chrétiennes, furent soumises à des tortures et subirent de lourdes condamnations : certaines furent même tuées. Comment ne pas reconnaître, par exemple, la grandeur spirituelle des vingt-quatre fidèles appartenant aux Églises évangéliques, tués à Presov ? A ceux-ci et à tous ceux qui ont accepté les souffrances et la mort pour demeurer en conscience cohérents avec leurs propres convictions, l’Église rend la louange qu’ils méritent et exprime son admiration. (…) » L’emploi du terme “martyr” est équivoque et entraîne la confusion. Le martyre est la mort subie comme témoignage de la vraie foi, ce qui suppose un degré éminent de charité. On ne peut pas parler de martyrs dans une fausse religion, en raison de l’interdépendance vérité/charité ; celui qui rend témoignage d’une fausse religion ne peut être, objectivement, un martyr. Cela n’enlève rien aux mérites personnels de gens qui souffrent dans leur chair pour défendre leur foi, fût-elle objectivement fausse. De plus, il est possible qu’elles soient véritablement des martyrs, si elles meurent pour défendre un point de foi catholique ; cependant même dans ce cas l’Église ne peut les déclarer martyrs, car elle ne peut juger de ce point, tout intérieur. Benoît XIV explique que ces personnes sont martyres devant Dieu, et recevront une récompense de martyr, mais elles ne sont pas martyrs devants l’Eglise qui ne peut les déclarer tels. Il est bien évident qu’un tel cas ne peut se produire que si cette personne est dans l’ignorance invincible visà-vis de la vraie foi. Ce point de théologie capital semble être complètement oublié comme le confi rme un passage de la même homélie : « J’ai fait aussi allusion à ce martyrologe 43 dans ma Lettre apostolique Tertio millennio adveniente, en appelant à le mettre à jour, après les atroces expériences de notre siècle, en le complétant par les noms des martyrs qui nous ont ouvert le chemin vers le troisième millénaire (cf. n. 37). Le martyre nous unit à tous les croyants en Christ, en Orient comme en Occident, avec lesquels nous attendons encore de parvenir à la pleine communion ecclésiale (cf. n. 34). » Il évoque encore : « Le respect des droits des minorités. Je veux donc dire ma joie d’avoir pu ajouter aujourd’hui ces nouveaux noms au martyrologe de l’Église qui est en Slovaquie, et j’espère que cela constituera un encou- 41 La suite du discours est intéressante : « Aujourd’hui comme à cette époque, le Seigneur continue à susciter des hommes et des femmes généreux qui font progresser le même dessein d’unité chez les croyants en Europe et dans le monde. Comme je l’ai affirmé le 9 juin 1989, au cours de la cérémonie œcuménique à Uppsala : “Nous ne pouvons pas tout faire tout de suite, mais nous devons faire aujourd’hui ce qui nous est possible, dans l’espoir de ce que nous pourrons faire demain”. La Commission mixte de dialogue entre catholiques et luthériens travaille également en ce sens, dans l’espoir de contribuer à supprimer les obstacles qui s’opposent encore à l’unité des chrétiens. » Extraits de l’homélie prononcée lors de la célébration œcuménique à Saint-Pierre de Rome, le 5 octobre 1991, à l’occasion du VIème centenaire de la canonisation de sainte Brigitte dans le cadre d’un événement œcuménique exceptionnel, en la basilique SaintPierre de Rome, réunissant pasteurs luthériens et hiérarchie catholique. Cf. Documentation catholique 2038 du 17 novembre 1991 42 Jean-Paul II : Discours aux cardinaux et à la Curie romaine du 23 décembre 1991, Documentation catholique 2043 du 3 février 1992. 43 Le martyrologe œcuménique. • ragement pour toutes les Églises sœurs, spécialement pour celles de l’Europe centrale et orientale. Les trois nouveaux saints appartenaient à trois nations différentes mais partageaient la même foi et, soutenus par elle, ils surent affronter unis la mort même. Que leur exemple ravive chez leurs compatriotes l’engagement à la compréhension réciproque et renforce surtout parmi les Slovaques et la minorité hongroise les liens d’amitié et de collaboration. Ce n’est que sur la base du respect mutuel des droits et des devoirs des majorités et des minorités qu’un État pluraliste et démocratique peut vivre et prospérer. (…) » Quelques autres citations pour illustrer l’omniprésence du thème œcuménique mêlé à celui de la sainteté : « Le témoignage rendu au Christ jusqu’au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants, comme le notait déjà Paul VI dans son homélie pour la canonisation des martyrs ougandais. » Tertio millenio adveniente, § 37 « C’était en même temps un pèlerinage œcuménique : d’abord au sanctuaire des martyrs de l’Eglise anglicane, puis au temple construit en l’honneur de saint Charles Lwanga et ses 21 compagnons catholiques. » Audience générale du 18 février 1993 « Dans le mémorandum déjà cité, sur le thème de la préparation du grand Jubilé, j’ai souligné l’opportunité de constituer un martyrologe contemporain qui tienne compte de toutes les Eglises locales, ceci aussi dans une dimension et une perspective œcuméniques. Il y a tant de martyrs dans les Eglises non catholiques : des Orthodoxes en Orient, mais aussi des Protestants. » Allocution au Consistoire extraordinaire du 13 juin 1994 Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II Le fondement de cet œcuménisme des saints n’est qu’une conséquence de la nouvelle conception de la sainteté. En effet, le Christ Rédempteur opère le salut et la sainteté en révélant aux hommes la dignité de leur condition, laquelle trouve son fondement dans la liberté de la conscience : le principe fondamental n’est plus la vérité à laquelle l’homme adhère librement, ce n’est plus l’objet auquel la conscience individuelle se soumet ; c’est la liberté de la conscience humaine, c’est le sujet. Or, cette conscience individuelle de l’homme est ce qui fait qu’un homme croit que Dieu est ce qu’Il n’est pas pour un autre homme. L’homme professe une religion quelconque et, dans cette profession, il est de toutes façons respectable, parce qu’il célèbre son intériorité transcendante. Par conséquent, toutes les religions deviennent moyen de salut, puisqu’elle sont autant de possibilités d’expressions de la dignité acquise à l’homme par le Christ : « Le Christ Verbe Incarné est la réalisation de l’aspiration de toutes les religions du monde et par cela même il en est l’aboutissement unique et définitif ». 44 L’homme qui professe librement sa religion, et qui a conscience de la dignité que cette profession libre lui confère, voilà le saint. Et tout homme peut être saint de cette sainteté-là dans toute religion : en plénitude dans la religion catholique ; de manière partielle, mais néanmoins réelle, ailleurs : « Le Concile dit que “l’Eglise du Christ est présente” dans l’Eglise catholique, et il reconnaît en même temps que, “en dehors de l’ensemble organique qu’elle forme, on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui, en tant que dons propres à l’Eglise du Christ, portent à l’unité catholique”.45 “Par conséquent, ces Eglises et ces Communautés séparées elles-mêmes, même si nous croyons qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. En effet, l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude même de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Eglise catholique”.46 Dans la mesure où ces éléments de sanctification et de vérité se trouvent dans les autres Communautés chrétiennes, il y a une présence active de l’unique Eglise du Christ en elles. C’est pourquoi le Concile Vatican II parle d’une communion réelle, même si elle est imparfaite ».47 Il y a donc une communion de sainteté qui transcende les différentes religions, et cette transcendance manifeste l’action rédemptrice du Christ et l’effusion de son Esprit sur toute l’humanité, préparant ainsi la voie à l’unité œcuménique parfaite : « L’œcuménisme des saints est peut-être celui qui convainc le plus. La voix de la communio sanctorum est plus forte que celle des fauteurs de division. » 48 « Grâce au rayonnement du “patrimoine des saints” appartenant à toutes les Communautés, le “dialogue de la conversion” à l’unité pleine et visible apparaît alors sous la lumière de l’espérance. La présence universelle des saints donne, en effet, la preuve de la transcendance de la puissance de l’Esprit. Elle est signe et preuve de la victoire de Dieu sur les forces du mal qui divisent l’humanité. » 49 « Bien que de manière invisible, la communion encore imparfaite de nos communautés est en vérité solidement soudée par la pleine communion des saints, c’est-à-dire de ceux qui, au terme d’une existence fidèle à la grâce, sont dans 44 Tertio millenio adveniente, § 6. 45 Lumen gentium, § 11 46 Unitatis redintegratio, § 3 47 Ut unum sint, § 10-11 48 Tertio millenio adveniente, § 37 11 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 la communion du Christ glorieux. Ces saints proviennent de toutes les Eglises et Communautés ecclésiales qui leur ont ouvert l’entrée dans la communion du salut. Lorsqu’on parle d’un patrimoine commun, on doit y inclure non seulement les institutions, les rites, les moyens de salut, les traditions que toutes les Communautés ont conservés et par lesquels elles ont été formées, mais en premier lieu et avant tout cette réalité de la sainteté. » 50 Que reste-t-il alors de la canonisation ? Elle ne saurait être que le moyen auquel recourt l’Eglise catholique pour signifier au monde cette dignité de la condition humaine, telle qu’elle se manifeste en plénitude dans son sein. La canonisation correspond à un exemplaire primordial, auquel peuvent participer plus ou moins les différentes confessions religieuses. 2. Des saints qui ont véhiculé et réalisé le message de la religion du concile Dans certaines béatifications/ canonisations, le but réel ne peut être la mise en avant de vertus héroïques des personnes concernées — puisqu’il est manifeste qu’elles ne sont pas parvenues à l’héroïcité — mais la consécration défi nitive du concile Vatican II comme « la nouvelle Pentecôte de l’Eglise », ou encore une de ses idées maîtresses. Ainsi en est-il de la béatification de Jean XXIII, de l’introduction de la cause de Paul VI et de la canonisation de Josémaria de Balaguer. La béatification de Jean XXIII La cause de Jean XXIII est inséparablement présentée avec celle du concile et son nouveau message. « Ce pontife a promu l’œcuménisme, s’est préoccupé d’entretenir des rapports de fraternité avec les orthodoxes d’Orient qu’il avait connus en Bulgarie et à Istamboul, 12 • a entrepris des relations plus intenses avec les Anglicans et avec le monde différencié des Eglises protestantes. Il mit tout en œuvre pour poser les bases d’une nouvelle attitude de l’Eglise catholique envers le monde juif, faisant une ouverture décisive au dialogue et à la collaboration. Le 4 juin 1960, il créa le Secrétariat pour l’unité des chrétiens. Il promulgua deux encycliques significatives, ‘Mater et Magistra’ (20 mai 1961) sur l’évolution sociale à la lumière de la doctrine chrétienne et ‘Pacem in terris’ (11 avril 1963) sur la paix entre toutes les nations. Il visita hôpitaux et prisons et se montra toujours proche, par la charité, des personnes souffrantes et des pauvres de l’Eglise et du monde. » 51 Si l’on excepte le dévouement aux œuvres de miséricorde corporelle, toutes les vertus de Jean XXIII sont des “vertus œcuméniques”. Dans son sermon de la Pentecôte 2001, le pape JeanPaul II rend hommage à Jean XXIII, à l’occasion du 38e anniversaire de son décès. 52 « Le concile œcuménique Vatican II, annoncé, convoqué et ouvert par le pape Jean XXIII, a été conscient de cette vocation de l’Eglise. On peut bien dire que l’Esprit-Saint a été le protagoniste du concile, dès l’instant où le pape le convoqua, déclarant qu’il avait accueilli comme venant d’en haut une voix intérieure qui s’était imposée à son esprit. Cette “brise légère”est devenue un “violent coup de vent” et l’événement conciliaire a pris la forme d’une nouvelle Pentecôte. “C’est en effet dans la doctrine et l’esprit de la Pentecôte — affirma le pape Jean — que le grand événement qu’est le concile œcuménique tire sa substance et sa vie.” (Discorsi, p. 398) »53 Dans l’homélie de la messe de béatification, le paragraphe principal concernant Jean XXIII évoque également le prophète du concile : « Le flot de nouveautés qu’il apporta ne concernait certainement pas la doctrine mais plutôt la manière de l’exposer : nouvelle était sa manière de parler et d’agir, nouveau était l’élan de sympathie avec lequel il allait vers les personnes ordinaires comme vers les puissants de la terre. Ce fut dans cet esprit qu’il convoqua le concile œcuménique Vatican II, grâce auquel il ouvrit une page nouvelle dans l’histoire de l’Eglise : les chrétiens se sentirent appelés à annoncer l’évangile avec un courage renouvelé et une plus grande attention aux “signes des temps”. Le concile fut vraiment une intuition prophétique de ce pontife âgé qui inaugura, au milieu de nombreuses difficultés, une ère d’espérance pour les chrétiens et pour l’humanité. » 54 Cette « nouvelle manière de parler et d’agir » est bien relatée par Yves Marsaudon, franc-maçon notoire, qui, dans son ouvrage L’œcuménisme vu par un francmaçon de tradition relate ses contacts fréquents et amicaux avec Mgr Roncalli, nonce apostolique à Paris. Cette « nouvelle manière de parler et d’agir » ne relève pas du tempérament, du style personnel de Jean XXIII, mais bien de la manière d’aborder le monde (au sens évangélique), ennemi de Jésus-Christ, et ceux qui sont du monde. Marsaudon confie comment Mgr Roncalli avait émis des réserves au moment de la promulgation du dogme de l’Assomption, et ce par « prudence » œcuménique : « Il pensait perpétuellement « aux autres » et à l’effet que pou- 49 Ut unum sint, § 84. 50 Ut unum sint, § 84 51 Discours d’hommage adressé à JeanPaul II par le préfet de la Congrégation des causes des saints, L’Osservatore Romano, 20-21. 12. 1999 52 C’est à cette occasion que les restes du défunt pape ont été exposés sur la place St-Pierre et, à l’issue de la cérémonie, ont été reconduits en procession devant l’autel de la Confession de la basilique vaticane, pour y être exposés pendant quelques jours à la vénération des fidèles. 53 Documentation catholique 2251 du 1er juillet 2001 • vait produire sur les Chrétiens séparés telle ou telle innovation. »55 L’introduction de la cause de Paul VI Pour Jean XXIII, les promoteurs de la cause se sont efforcés de mettre en évidence sa bonté légendaire ; on pourra parler plutôt soit de bonhomie naturelle, 56 soit de manque de prudence, nous y reviendrons. Pour Paul VI, il n’y a rien de cela. Paul VI ne fut ni apprécié, ni admiré ; ni par ses amis, encore moins par ses ennemis. Et pourtant, sa cause fut introduite le 11 mai 1993, suite à la demande de la conférence épiscopale italienne : c’est une nouvelle preuve de l’instrumentalisation. Lors de l’annonce de l’introduction du procès, le cardinal Ruini, vicaire du pape pour le diocèse de Rome, fit une évocation de la personnalité de Paul VI, évocation qui ne laisse pas de doute quant aux intentions d’une telle mise sur les autels ; il s’agit en effet d’exalter son œuvre, la réforme issue du concile : « La ville de Rome, cette villediocèse unique au monde par son histoire et sa mission, par son universalité et ses problèmes spécifi ques, qui l’eut pour évêque et successeur de Pierre pendant 15 ans, sait ce qu’elle doit à Paul VI. Les fruits de son ministère pétrinien et universel se reversèrent avant tout sur elle. Après avoir recueilli l’héritage de Jean XXIII, Paul VI, en guidant les dernières sessions du Concile Vatican II et en le conduisant heureusement à son terme, prit sur lui la charge de l’inscrire dans les structures, de répandre et appliquer les décisions conciliaires. Rome s’enrichit de nouveaux dicastères pontificaux, répondant aux exigences pastorales indiquées par le Concile et aux attentes d’un monde en évolution rapide et en marche vers une plus grande unité. L’Église fit l’apprentissage d’une nouvelle manière de prier choralement au cours de la sainte Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II liturgie, d’un nouvel esprit dans le jugement porté sur le monde, de rapports nouveaux avec les fi dèles des autres Églises et confessions chrétiennes, avec nos frères aînés juifs, avec les non chrétiens, avec les non croyants. L’Église approfondit son nouveau rapport avec les Livres saints, par l’effort missionnaire, la dévotion mariale, la culture, l’art, la science. Paul VI fut l’initiateur des grands voyages missionnaires qui le portèrent, lui et son successeur Jean-Paul II, aux côtés des communautés du monde entier et jusque dans les assemblées des plus hautes instances de la société, afin de témoigner de l’amour de Pierre pour l’homme et pour la paix universelle. » 57 La volonté de canoniser le pape Paul VI relève de causes supérieures, la “cause” par excellence, celle du concile Vatican II et pour la promouvoir, les canonisations de Jean XXIII et de Paul VI sont des moyens de choix. La canonisation de Josemaria Escriva chrétien dans les affaires temporelles, la sainte messe comme centre et racine de la vie intérieure, etc. Le bienheureux Josémaria rencontre de nombreux Pères conciliaires et beaucoup d’experts qui voient en lui un authentique précurseur de beaucoup de lignes maîtresses de Vatican II. Profondément identifié à la doctrine conciliaire, il promeut sa mise en pratique, avec empressement, à travers les activités de formation de l’Opus Dei partout dans le monde. » C. Conséquences de cette nouvelle conception de la sainteté 1. Le manque de souci d’orthodoxie doctrinale L’orthodoxie doctrinale était un critère déterminant dans l’ancienne procédure, à tel point que le moindre soupçon arrêtait immédiatement une cause, même si le personnage semblait avoir vécu héroïquement toutes les vertus. 54 Documentation catholique 2233 du 1er octobre 2000 55 Comme le montre l’article qui accompagne celui-ci, la canonisation de Mgr de Balaguer est en rapport étroit avec le concile dans la mesure où, idéologiquement, Balaguer fut un précurseur du concile. Dans une courte biographie publiée sur le site internet du Vatican, on peut lire : « Dès que Jean XXIII annonce qu’il convoque un concile œcuménique, le bienheureux Josémaria se met à prier et à faire prier pour l’heureux aboutissement de cette grande initiative qu’est le concile œcuménique Vatican II, comme il l’écrit dans une lettre en 1962. Le magistère solennel de l’Église va alors confirmer des aspects fondamentaux de l’esprit de l’Opus Dei l’appel universel à la sainteté, le travail professionnel en tant que moyen de sainteté et d’apostolat, la valeur et les limites légitimes de la liberté du Ouvrage cité, p. 46. Notons que le cinquième chapitre du livre de Marsaudon s’intitule La mort d’un saint. Il s’agit de Jean XXIII… 56 « Les attitudes déplacées, à propos desquelles on pourrait multiplier à foison les anecdotes, confirment le jugement de Jean Guitton sur un nonce apostolique “familier” et “vulgaire” », rapporte Yves Chiron dans son article sur Jean XXIII (in Certitudes nº3 nouvelle série), citant des faits effectivement peu édifiants. 57 Parlant de son travail à la curie romaine, comme pro-secrétaire du pape Pie XII, le cardinal Ruini dit : « Ce furent 35 années d’apostolat infatigable, dont les traces sont profondément inscrites dans notre Ville comme dans l’histoire de l’Église. Son dévouement au service des Papes le vit engagé dans la diplomatie, qu’il exerça comme un authentique service de la charité, avec un soin scrupuleux. » Le cardinal se garde bien de parler du soin scrupuleux avec lequel Jean-Baptiste Montini cacha les relations qu’il nourrissait avec Moscou, malgré l’interdiction formelle du pape. Ce seul fait de désobéissance grave au pape devrait suffi re à l’arrêt du procès de béatification. 13 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 Que dire alors de Jean XXIII qui se taisait dès qu’on parlait de l’infaillibilité pontificale, 58 ou de la béatification du cardinal Ferrari, archevêque de Milan, qui a manqué de force contre le modernisme dans son diocèse si bien que saint Pie X dut réagir et le reprendre ? Il est connu que le cardinal Ferrari, piqué dans son amour-propre, ne voulut jamais admettre que le modernisme sévissait dans son diocèse et ce jusque dans son séminaire. Il défendit publiquement des journaux teintés de modernisme et en vint jusqu’à contester quelque peu le pape saint Pie X devant ses séminaristes. 59 Au sujet de l’orthodoxie doctrinale de Josémaria de Balaguer, précurseur en certains domaines de la doctrine erronée de Vatican II, nous renvoyons à l’article qui lui est consacré. Ces procès posent un problème réel quant à la rectitude des procès sur la question doctrinale. 2. Les déficiences de la procédure Celles-ci peuvent être déduites de deux approches. Une approche essentielle, par les modifications de la procédure elle-même. Le lecteur trouvera dans les colonnes de cette même revue une comparaison des procès de canonisations avant et après le Concile. Un autre article plus détaillé sera bientôt disponible sur le site. Une approche plus accidentelle, mais révélatrice, par les irrégularités constatées. • Le miracle attribué à Mère Teresa 60 suscite une polémique en Inde dans le monde des médecins, lesquels affi rment que la tumeur cancéreuse de Monika Besra a été traitée en hôpital. De fait, si la maladie a été soignée, on ne peut déclarer miraculeuse la guérison même subite, sans contrevenir aux règles de la procédure qui ne se penche pas sur le cas d’un malade traité médicalement. De plus, 14 • il n’est pas évident de démontrer — dans le cas d’un vrai miracle — qu’on puisse l’attribuer à l’intercession de Mère Teresa, car peu avant la guérison, la médaille miraculeuse fut imposée à la miraculée. 61 • Que dire des soit-disant vertus héroïques de Jean XXIII ? Plusieurs voix se sont élevées, aussi bien du côté progressiste que du côté traditionnel, pour appeler à ne pas confondre une charité héroïque avec une « bonté » qui s’apparente à la bonasserie ou parfois à la faiblesse. Nous renvoyons le lecteur aux différentes études parues sur ce sujet et qui convergent toutes vers la même conclusion : il semble impossible de parler d’héroïcité des vertus. 62 Conclusion 1. Qu’est-ce que la sainteté pour l’Eglise de Vatican II ? Voilà la question qui est au cœur du problème des nouvelles canonisations. Les éléments que nous avons examinés nous révèlent une nouvelle conception de la sainteté. Cette conception influe sur l’Eglise et ses membres, à tel point que la notion de ce qu’est réellement la sainteté s’évanouit peu à peu dans le peuple catholique, et aussi — et surtout — dans le clergé et les communautés religieuses. La vague d’abandon du sacerdoce et de la vie religieuse qui sévit depuis Vatican II en est un indice révélateur. pour rendre compte de l’intention du pape. Mais si l’on considère l’ensemble de son œuvre, force est de constater qu’il a toujours répugné à poser un acte infaillible. (comme par exemple dans l’affaire du document sur le refus de l’ordination des femmes.) Comment le pape voudrait-il obliger l’ensemble des fidèles à accepter la mise sur les autels simultanée du Padre Pio et de Mgr Balaguer ? Le second a encouragé et, en certains domaines, a précédé les réformes du concile, meurtrières pour l’Eglise ; le premier les a honnies. 63 Jean XXIII a — en convoquant le concile — introduit en grande pompe le libéralisme et le modernisme dans l’Eglise, Pie IX les a condamnés. 4. Nous ne doutons pas de l’héroïcité des vertus de certaines personnes canonisées par JeanPaul II. Mais il faut reconnaître qu’elles se sont sanctifiées et qu’elles ont atteint un degré extraordinaire de grâce et de vertu par les moyens traditionnels. La spiritualité dans laquelle s’est sanctifié un Padre Pio est l’antithèse la plus radicale de la nouvelle messe de Paul VI. 64 Le fait qu’un Padre Pio soit canonisé dans le cadre de la nouvelle messe entraîne une confusion des esprits. L’utilisation de causes saines et saintes au profit de la prédication de la nouvelle religion est l’un des coups de maître de Satan. 65 58 2. L’intention du pape est déterminante quant à l’infaillibilité de ses actes. Dans quelle mesure le pape Jean-Paul II veut-il accomplir de véritables canonisations portant la marque de l’infaillibilité ? Les différents indices recueillis dans sets discours et ses homélies, tendent à montrer que son intention ne s’identifie plus avec celle qui a animé ses prédécesseurs. 3. Dans le cadre de la confusion actuelle du magistère, on ne peut se baser sur des faits ponctuels L’œcuménisme vu par un franc-maçon, Yves Marsaudon, éditions Vitiano, p. 45 59 Refus de plusieurs séminaristes de prêter le serment anti-moderniste. On lira avec intérêt le détail de cette vaste polémique qui fit grand bruit à l’époque dans toute l’Italie dans la Disquisitio : Conduite de saint Pie X dans la lutte contre le modernisme, Publications du Courrier de Rome, p. 157-218. 60 Il fut reconnu par la Congrégation pour la cause des saints le 2 octobre 2002. 61 Le témoignage de la jeune femme indienne a été recueilli par Saverio Gaeta pour l’hebdomadaire catholique italien Famiglia cristiana du 10 octobre. 62 L’étude la plus détaillée est parue sous forme d’articles dans la revue Tradizione cattolica (Revue du district d’Italie de la Fraternité Saint-Pie X). La traduction fran- • çaise peut être lue sur le site www.dici.org (partie Articles de fond). Une autre étude montrant que la bonté de Jean XXIII n’est en réalité qu’un manque de vertu de prudence est parue dans la revue italienne Rassegna di Ascetica e Mistica « S. Caterina da Siena » 62 de juillet-septembre 1975. L’auteur, le père Colosio, est un dominicain italien du couvent de S. Miniato, près de Pise. Cet article a été reproduit en français dans la revue Le Sel de la terre nº42. Enfi n, signalons aussi un bon article parue dans la revue Certitudes nº3, nouvelle série intitulé Jean XXIII : la béatifi cation malheureuse. 63 En 1967, le Père général des capucins demanda au Padre Pio : « Priez pour notre chapitre général capucin qui va s’ouvrir pour rédiger de nouvelles constitutions. » A ces mots, le Padre eut un geste de colère, s’écriant : « Ce ne sont que bavardages et ruines ! » Quelques semaines plus tard, alors que le pape allait recevoir le chapitre des capucins en audience, Padre Pio écrivait à Paul VI : « Je prie le Seigneur qu’il [l’ordre des capucins] (…) continue dans sa tradition de sérieux et d’austérité religieuse, de pauvreté évangélique, d’observance de la règle et des constitutions ». Lorsque de nouvelles constitutions seront annoncées, Padre Pio aura la même réaction très vive : « Mais qu’êtes-vous en train de faire à Rome ? Que combinez-vous ? Vous voulez changer même la règle de saint François ! » Source : P. Jean, OFM cap., Lettre aux amis de saint François, n. 17, 2 février 1999. 64 cf. Le problème de la réforme liturgique, éd. Clovis 65 Citons le message publié par la Conférence des évêques du Mexique expliquant le sens profond de la canonisation de Juan Diego par le pape Jean-Paul II : « Cette canonisation rend également palpable l’amour providentiel de l’Église et du Pape pour les indigènes et réitère leur ferme opposition aux injustices, violences et abus dont ce peuple a été victime au cours des siècles… Par cette canonisation, le Pape encourage les peuples autochtones du Mexique et de toute l’Amérique à conserver cette saine fi erté dans la culture de leurs ancêtres et soutient les aspirations légitimes et les justes revendications de tous les indigènes. La vie de Juan Diego doit redonner de l’élan à la construction de la nation mexicaine : une nation tout d’abord prête à se réconcilier avec ses origines, son histoire, ses valeurs et ses traditions ; une nation, ensuite, dont le développement serait fondé sur la valeur de la personne humaine, respectée dans son intégrité ; une nation où la rencontre de la diversité et de la communion se ferait dans la créativité ; une nation où les lois pourraient non seulement protéger les règles de la vie en société, mais également assurer justice et solidarité ; une nation, enfi n, où la dignité des plus vulnérables serait défendue et où les plus favorisés pourraient laisser libre-cours à leur fraternité. » La documentation catholique N° 2276 du 15/09/2002 Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II La canonisation de Josémaria Escriva de Balaguer ou une nouvelle étape de la glorification de l’Eglise conciliaire Monseigneur José Maria Escriva de Balaguer, fondateur de l’Opus Dei, a franchi les degrés des autels avec une rapidité étonnante : sa cause de béatification a été introduite en 1981, six ans seulement après sa mort ; il a été béatifié en 1992 (devant un foule de 46 cardinaux, 300 évêques et 300 000 pèlerins), et Jean-Paul II l’a canonisé le 6 octobre dernier. Dans toutes les étapes de cette cause, Rome a agi extrêmement vite. Pourquoi donc ? C’est ce que cette étude va tenter de déterminer. Un peu d’histoire José Maria Escriva est né en 1902 en Aragon. Il est ordonné prêtre à 23 ans. Au cours d’une retraite en 1928, « l’abbé Escriva “voit” – c’est le terme qu’il a employé par la suite – ce que Dieu attend de lui. Il voit que le Seigneur lui demande de mettre toutes ses forces au service de ce qui deviendra l’Opus Dei ; qu’il doit pousser les hommes de tous les milieux – en commençant par les intellectuels, pour arriver ensuite aux autres – à répondre à une vocation spécifique consistant à rechercher la sainteté et à faire de l’apostolat au milieu du monde, dans l’exercice de leur profession ou métier, sans changer d’état. » 1 Un an et demi plus tard, alors qu’il célèbre la messe, il « revoit » l’Opus Dei, et voit que les femmes feront aussi partie de l’œuvre. A la création de l’œuvre, l’abbé Escriva n’a que 26 ans. Son expérience est courte, mais « l’évê- que de Madrid pleinement au fait de l’esprit, des fins et des moyens de l’Opus Dei avait encouragé le fondateur dès le premier instant et béni son œuvre. »2 C’est ce même évêque qui plus tard (juin 1944) ordonnera au sacerdoce les trois premiers prêtres membres laïcs de l’Opus Dei, dont le futur Mgr Alvaro del Portillo, successeur de Mgr Escriva à la tête de l’œuvre. L’abbé prêche des retraites, recrute des membres, organise son œuvre. Il veut des prêtres pour l’œuvre afi n d’encadrer ses disciples. Il dit avoir vu clairement, au cours de la célébration de sa messe, le 14 février 1943, la solution canonique : l’ordination de membres laïcs de l’Opus. Dès lors : « La société sacerdotale de la sainte Croix était née, elle représente dans l’Église un nouveau phénomène pastoral (des hommes diplômés et exerçant une profession…) et juridique. »3 15 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 L’abbé Escriva s’installe à Rome en 1946, est nommé prélat de sa Sainteté en 1947 et recevra diverses charges. Il parcourt le monde, y prêche sa doctrine, « la sainteté par le travail », et meurt à Rome le 26 juin 1975. L’Opus a été érigé en prélature personnelle en août 1982 par Jean-Paul II, avec juridiction sur les membres de l’Opus dans le monde entier. On ne peut qu’être frappé par la croissance de l’Opus, la diffusion mondiale de la doctrine de Mgr Escriva, en particulier Camino (Chemin), seul ouvrage publié du vivant de l’auteur. C’est un recueil de 999 maximes, qui est comme un bréviaire pour chacun des membres de l’Opus Dei. La première édition parut en 1934. Depuis lors 250 éditions furent publiées en 39 langues avec un tirage de près de quatre millions d’exemplaires. La spiritualité de l’Opus Dei : la sanctification par le travail « Le 2 octobre 1928, l’abbé Escriva de Balaguer connaît la volonté de Dieu dans toute sa portée (...). La lumière reçue n’est pas une inspiration générale, mais une illumination précise et déterminée ; le fondateur en présente toute la nouveauté : tout homme quel qu’il soit est appelé à la sainteté et à l’apostolat, “sans sortir du monde, pourvu qu’il surnaturalise les réalités temporelles auxquelles il est mêlé, le travail professionnel et les tâches familiales et sociales avant tout”. »4 L’Opus Dei dit que la tradition de l’Eglise avait une vision négative du travail : il n’était pas recherché comme quelque chose de bon en soi, mais en tant que moyen ascétique permettant avant tout de combattre l’oisiveté. « Saint Jean Chrysostome est, parmi les pères de l’Église, le dernier des grands à parler de la sanctification de la vie ordinaire dans les mêmes termes que Vatican II. Après 1ui, on a l’impression que 16 • le chrétien moyen n’est pas appelé à vivre pleinement l’Évangile », dit D. Le Tourneau.5 De tels jugements font naître l’étonnement et 1’inquiétude. Notre sainte mère l’Église est réduite à peu de chose : quinze siècles d’incompréhension du message de l’évangile. Enfi n, Escriva vint ! Dans le paragraphe sur la sanctification du travail, D. Le Tourneau cite Mgr Escriva : « Le travail est en effet pour nous un moyen spécifique de sainteté. Notre vie intérieure - contemplative au milieu de la rue - prend sa source et son élan dans cette vie extérieure de travail de chacun. (...) Mgr Escriva montre la portée du passage de la Genèse (2, 15) où il est écrit que l’homme a été créé ut operaretur, pour travailler. » Voilà une nouveauté ! Cette interprétation de la Bible n’est pas celle de l’Église. La traduction classique de ce verset de la Genèse est : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder. » Pour soutenir sa thèse, Mgr Escriva force aussi le sens de la citation de Job (5, 7) : « homo nascitur ad laborem, et avis ad volatum », traduisant laborem par « travail », alors que le sens originel du mot est fatigue, peine ; il déforme ainsi la signification de la phrase, qui est communément traduite comme suit par les exégètes : « l’homme naît pour peiner, se fatiguer… », et pas pour « travailler ». Non, Dieu n’a pas créé l’homme pour travailler, mais « pour le connaître, l’aimer, le servir et obtenir ainsi le bonheur du ciel », comme l’enseigne le catéchisme. En revanche toutes les créatures sont des moyens pour atteindre cette fi n, et doivent être utilisées autant qu’elles nous aident à atteindre cette fi n, ni plus ni moins (y compris par conséquent le travail). Les différents ordres religieux et les différentes spiritualités au sein de l’Église au cours des siècles ont poursuivi cette fi n unique par des chemins différents, et le tra- vail peut en être un, certes, mais qui n’a pas à être érigé en absolu comme l’Opus Dei tente de 1’inculquer : « Le travail professionnel devient le pivot autour duquel tourne toute la tâche de sanctification. Ce qui amenait le fondateur de l’Opus à résumer la vie sur terre en disant : qu’il faut sanctifier le travail, se sanctifier dans le travail et sanctifier par le travail. »6 En outre, la spiritualité catholique a toujours enseigné que la vie contemplative est supérieure à la vie active, qu’elle est plus noble. Saint Benoît disait : ora et labora c’est-à-dire prie d’abord, travaille ensuite. Mgr Escriva retourne en quelque sorte la devise bénédictine, et invente une doctrine : « Le travail, moyen spécifique où prend sa source la vie intérieure. » Il est vrai que le travail est un moyen de sanctification personnelle, mais il ne saurait être la source de la vie intérieure. Organisation et vie interne de l’Opus Dei L’Opus est organisé comme un ordre religieux, tout en comprenant prêtres et laïcs. L’entrée dans l’Opus est considérée comme une vocation ; il y a une règle et des vœux, quoique différents pour les membres mariés. L’appartenance à l’œuvre comprend quatre degrés : • Les numéraires, décrits ainsi dans les sources officielles : « Les numéraires, hommes et femmes, sont ceux qui ont reçu de Dieu l’appel à vivre le célibat apostolique et à conserver une totale disponibilité pour les tâches requises par la Prélature : celles-ci sont exclusivement des tâches concernant la direction et la formation des autres membres de l’Œuvre. (…) Ils vivent d’ordinaire dans les centres de la prélature, ils peuvent cependant le faire dans d’autres lieux si, par exemple, les nécessités de leur travail professionnel l’exigent. » Cette élite fait des vœux – ou engagements – de pauvreté, chaste- ???????? ?? ???????? ? ?? ?? Parlons maintenant du clergé de l’Opus, et de son « système de recrutement » : il est formé exclusivement de prêtres issus des membres laïcs de l’Opus. Il arrive que l’on voie dans les journaux des titres qui annoncent l’ordination sacerdotale (et souvent des mains mêmes du pape) de quelques dizaines d’hommes de tous âges – jamais très jeunes de toute façon, et souvent pas jeunes du tout – qui offrent un échan- ?? ?????? ?? té et obéissance. Elle représente un peu moins de 20 % du nombre des membres, et constitue l’ossature de l’œuvre. Ce sont eux qui ont vraiment l’esprit « maison » et dirigent l’œuvre. Certains versent leurs revenus à l’œuvre, qui assure leurs besoins. Ils sont prêtres ou laïcs. Tous et toutes ont obligatoirement un diplôme d’études supérieures, car l’Opus Dei s’adresse d’abord à des personnes sélectionnées, surtout dans les milieux intellectuels. Presque tous exercent une profession. • Les agrégés, dont les statuts disent : « Sont “agrégés” ceux qui sont amenés à vivre avec leur famille naturelle par des circonstances permanentes d’ordre personnel, familial ou professionnel. » Mais ils ont pratiquement les mêmes engagements que les numéraires, dont le célibat. Ils sont environ 10 % des membres. • Les surnuméraires sont les plus nombreux (70 % des membres). Leurs engagements sont moins contraignants. Beaucoup sont mariés. Ils représentent la « normalité », la vocation la plus habituelle, statistiquement parlant. • Les coopérateurs ne prononcent pas de vœux, ne font pas vraiment partie de l’œuvre, mais participent aux œuvres d’apostolat. Le nombre des vocations n’a cessé de croître. L’Opus Dei compte actuellement 80 000 membres (la moitié d’hommes et la moitié de femmes) appartenant à plus de 90 nationalités (en France 1 400 membres environ). Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II ? ?? • Mgr Josémaria Escriva de Balaguer tillonnage de professions variées. Par exemple : avocats, ingénieurs, journalistes, médecins, professeurs, conseillers commerciaux : il s’agit, à coup sûr, des quarante à cinquante prêtres que l’Opus Dei fait ordonner chaque année pour ses besoins propres, de façon constante et programmée, afi n qu’ils fassent partie du clergé de la Prélature. Ils sont ordonnés au service de la Prélature, et dépendent uniquement du prélat. Pratiquement les choses se passent ainsi : après un certain nombre d’années passées dans l’Opus Dei, le prélat demande à certains numéraires et agrégés s’ils désirent continuer à vivre la même vocation à l’Opus Dei, mais en accomplissant un travail, un service différent : celui de prêtre. Celui qui est sollicité peut accepter ou refuser, en toute liberté. S’il accepte, il abandonne sa profession civile et – selon les termes des statuts – « il reçoit sa formation dans des centres que la Prélature a érigés à cet effet, en respectant les normes établies par le Saint-Siège ». Il s’agit, en pratique, de séminaires internes. Le nombre des prêtres est programmé : ils sont actuellement en- viron 1 500. Ils doivent être aussi nombreux que nécessaire aux exigences de l’Œuvre, ni plus ni moins. Un pareil système de recrutement présente évidemment de nombreux avantages pour l’Opus Dei. Le plus important de tous est que, comme ces prêtres ont avant tout des devoirs internes de prédication et de direction spirituelle (en plus de l’administration des sacrements), il faut qu’ils connaissent par expérience personnelle l’esprit d’une œuvre qui les a forgés. Un esprit qu’ils sont eux aussi appelés à perpétuer, avec l’aide des laïcs, mais dans une position objectivement stratégique et décisive. En outre, leur expérience professionnelle est essentielle dans un lieu où toute la spiritualité se construit précisément autour du travail. On remarque dans les documents l’insistance sur le fait que, dans l’Opus Dei, « la vocation est la même pour tous. » Voici ce que dit D. Le Tourneau : « Mgr Escriva a toujours eu le souci de souligner que les membres de l’œuvre reçoivent tous la même vocation à la sainteté et à l’apostolat, à travers l’exercice de leur travail professionnel ; et que, par conséquent, il n’existe pas de classes de membres, dans le sens où certains seraient plus importants que d’autres et que quelques-uns recevraient une vocation différente, plus exigeante. Il affirme donc l’égalité de tous les membres, même s’il s’agit de prêtres et de laïcs, d’hommes et de femmes, de jeunes et de vieux, de célibataires, de gens mariés, de veufs, de tous niveaux culturels. Pour tous les membres l’appel est toujours plein et entier. L’unicité de la vocation se manifeste par le fait que tous les fidèles de la Prélature acquièrent les mêmes engagements ascétiques, apostoliques et de formation. » « Dans l’Opus Dei, assure-t-on, célibat et mariage ne sont pas considérés comme des états opposés, mais au contraire comme des états 17 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 qui s’imbriquent et s’orientent vers l’objectif commun à tous : la sanctification dans la vie professionnelle ». Laquelle, pour les prêtres, est d’exercer leur « métier de prêtre »7. Cette conception du sacerdoce est pour le moins étrange : • l’appel se fait uniquement au sein de l’œuvre, auprès d’hommes qui ont été observés et ont fait leurs preuves au sein de l’œuvre pendant des années, pour s’assurer qu’ils ont bien l’esprit requis d’eux ; • un appel qui s’adresse à des hommes qui ne sont plus tout jeunes, et qui jusque-là ne pensaient pas au sacerdoce ; • un sacerdoce au service d’une œuvre laïque, qui en devient la fi n ; • des membres qui, fondamentalement, sont tous sur le même pied, les prêtres se contentant de faire leur « métier de prêtre », c’està-dire un sacerdoce dévalué. Tout cela oblige à se poser la question : l’Opus Dei fait-il œuvre d’Eglise ? Une spiritualité du laïcat Comparant la vocation religieuse dans les ordres traditionnels et la vocation à l’Opus Dei, Mgr Escriva déclare : « La voie de la vocation religieuse, je considère assurément qu’elle est bénie et nécessaire à l’Eglise. Frères et sœurs, moines et nonnes, membres du clergé, laïcs consacrés assurent, depuis des siècles, une présence constante et indispensable, qui doit toujours subsister. Les vœux de pauvreté, chasteté et obéissance de l’état religieux traditionnel sont un précieux “signe eschatologique” pour l’Eglise et pour l’humanité tout entière. Mais ce n’est pas cette minorité de baptisés, aussi bénéfique et nécessaire soit-elle, qui, dans les desseins mêmes de Dieu, peut avoir le monopole de la perfection, donc de la sainteté et de l’apostolat qui en découlent naturellement. Ce qu’il m’a été donné d’annoncer, c’est que l’on peut ou, mieux, que l’on doit se 18 • sanctifier dans la vie ordinaire, à travers les choses ordinaires, sans changer de travail, ni quitter sa famille, ni renoncer aux occupations et aux préoccupations communes de la personne commune. Ce qui signifie que l’on doit agir comme les premières générations chrétiennes qui, à l’extérieur, ne se distinguaient en rien de leurs contemporains païens, et prendre au sérieux l’exhortation que saint Paul adresse par trois fois aux chrétiens de Corinthe dans sa première lettre : “Que chacun continue à vivre selon la condition que lui a assignée le Seigneur, comme Dieu l’a appelé.” Tel est le message que nous avons appelé Opus Dei : devenir tous saints et apôtres en restant là où l’on est, en continuant son travail, en poursuivant ses occupations normales, sans quitter sa famille ou sans renoncer à une former une, si l’on a cette véritable “vocation” au mariage (oui, je le répète : “vocation” ; et non métaphoriquement mais au sens propre, au même titre que celle de la virginité), qui est donnée à l’immense majorité des hommes et des femmes. »8 Ou encore : « On peut dire qu’en venant à l’œuvre tous et chacun d’eux l’ont fait à la condition expresse de ne pas changer d’état. »9 « Deviens “saint”, mais en continuant à vivre comme tu en as l’habitude : reste où tu es et, au moins extérieurement, reste ce que tu es, avec ton travail et tes engagements professionnels et personnels. » Mgr Escriva enseigne que « la famille, le travail, l’amitié mènent tout autant à Dieu que la solitude ou la retraite. »10 Il disait que « la meilleure façon de comprendre l’Opus Dei est de penser à la vie des premiers chrétiens. »11 Dominique Le Tourneau s’efforce de démontrer que les moyens de la sainteté pour tous sont la découverte et l’apanage de l’Opus : « La sainteté ne doit pas être réservée à quelques privilégiés, à ceux qui ont reçu le sacerdoce ou que la profession religieuse met à l’écart du monde. Le message du fondateur de l’Opus Dei se montre résolument optimiste et ouvert et même révolutionnaire au moment où il est proclamé : tous les hommes (...) peuvent et doivent rechercher la sainteté, comme le concile Vatican II l’affirmera trente-cinq ans plus tard. » 12 Les écrits de Mgr Escriva ont annoncé et anticipé les décisions les plus importantes de Vatican II, peut-on lire assez souvent. Et l’on cite l’enseignement du concile sur la vocation de tous à la sainteté. A-t-on vraiment attendu l’abbé Escriva et le concile Vatican II pour proclamer que la sainteté n’est pas réservée à quelques privilégiés ? C’est la prédication constante de l’Église. Qu’il s’agisse d’une vérité toujours utile à remettre en mémoire, c’est très vrai. Mais il n’y avait pas besoin d’un concile, ni de l’Opus Dei, pour la découvrir, car elle faisait partie du patrimoine de l’Eglise que tous les maîtres de spiritualité ont rappelé de tout temps. Ils insistaient davantage, il est vrai, sur les dangers qu’opposent à la sanctification les séductions du monde, tandis que le concile passe en général ces diffi cultés sous silence, ne voulant pas avoir l’air de s’opposer au monde avec lequel il voulait se réconcilier. Ils rappelaient aussi que dans l’Eglise, et conformément à l’Evangile, le modèle de la vie chrétienne est le religieux, qui suit de plus près les conseils évangéliques, et qui par exemple renonce pour le Royaume des cieux à avoir une famille. D. Le Tourneau précise : « Telle est la spiritualité séculière de l’Opus Dei (...). C’est ce qui faisait dire au cardinal Luciani, le futur pape Jean-Paul Ier, que, si saint François de Sales proposait une spiritualité pour des laïcs, Mgr Escriva, quant à lui, propose une spiritualité laïque. » 13 Quelle est cette spiritualité de l’Opus ? Une étude en espagnol d’une trentaine de pages, signée Juan Moralès, nous en apprendra • davantage. L’auteur fonde sa critique sur sept ouvrages, tous parus aux éditions Rialp de l’Opus Dei à Madrid. Il montre par les textes tirés de ces ouvrages écrits par des membres de l’Opus et par les citations qu’ils font eux-mêmes de l’abbé Escriva, combien celui-ci avait une mentalité laïque. Il cite du livre de Peter Berglar, Opus Dei : « Escriva content de faire ordonner ses trois premiers prêtres, mais très triste aussi de ne pas les garder laïcs. » Il cite de Salvador Bernal dans Monseigneur Escriva de Balaguer : « Pour nous le sacerdoce est une circonstance, un accident parce que, au sein de l’œuvre, la vocation des prêtres et des séculiers est la même » et plus loin : « Les œuvres apostoliques organisées par l’Opus Dei (...) se projettent et se gouvernent avec une mentalité laïque (...), pour ce motif elles ne sont pas confessionnelles. » Vasquez de la Prada, dans El fundator del Opus Dei, reconnaît que l’esprit de l’Opus qualifié autrefois d’innovateur et d’hérétique est aujourd’hui ratifié par le concile Vatican II. Il écrit : « Son collaborateur et successeur – Mgr Alvaro del Portillo – qui suivit en son sein même le concile, fera ce commentaire : “En combien d’occasions durant l’approbation des documents du concile, en parlant avec le fondateur de l’Opus Dei, je 1ui répétais : félicitations, parce que ce que vous avez dans votre âme, et que vous avez enseigné inlassablement depuis 1928, a été proclamé avec toute solennité par le magistère de l’Église”. » 14 C’est un aveu sans ambages du chambardement de la doctrine traditionnelle de l’Église. Ce rôle de précurseur du concile Vatican II de Mgr Escriva, en particulier pour la « revalorisation » du rôle des laïcs, a été reconnu, et même proclamé, par les voix les plus autorisées de l’Eglise conciliaire. En 1975, quelques mois après sa mort, le cardinal König, qui fut pendant près de trente ans l’arche- Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II vêque de Vienne, disait : « La force magnétique de l’Opus Dei tient probablement à sa profonde spiritualité du laïcat. Quand il le fonda, en 1928, Mgr Escriva retrouva, avant le concile Vatican II, ce qui, après le concile, est redevenu le patrimoine commun de l’Eglise. » Et le cardinal poursuivait : « A ceux qui l’ont suivi, Escriva a rappelé on ne peut plus clairement que la place du chrétien se trouve au milieu du monde. Il s’est opposé à toute espèce de faux spiritualisme parce que cela équivaudrait presque à la négation de la vérité centrale du christianisme : la foi dans l’Incarnation. » Le cardinal Poletti, dans le décret officiel d’introduction du procès de béatification a réaffi rmé que le fondateur de l’Opus Dei « a été reconnu comme un précurseur du concile ». Et Jean-Paul II a par exemple déclaré : « C’est un grand idéal, vraiment, que le vôtre, qui depuis le début a anticipé cette théologie du laïcat qui caractérisa ensuite l’Eglise du concile et de l’après-concile. Tels sont, en effet, le message et la spiritualité de l’Opus Dei. » Le caractère secret L’Opus Dei a dès l’origine été marqué d’un caractère secret, qui était imposé aux membres par ses premières constitutions de 1941 (quand il fut approuvé comme pieuse union), et de 1950 (quand il fut érigé en institut séculier, le prototype du genre dans l’Eglise). Ces constitutions étaient jusqu’en 1982 la charte de gouvernement de l’œuvre. Voici la traduction de quelques articles : • Article 189 : « Pour réaliser plus efficacement sa fin propre, 1’institut en tant qu’institut veut vivre caché (“occultum vivere”) : aussi s’abstient-il de participer aux actes collectifs (...). Étant donné la nature de l’institut à qui il ne convient pas d’apparaître à l’extérieur comme une société, ses membres n’interviendront pas collecti- vement dans certains actes publics du culte, comme les processions. » • Article 190 : « Le fait même d’être membre de l’institut ne permet aucune manifestation extérieure ; et l’on cachera aux gens de l’extérieur le nombre des membres ; bien plus, nos membres n’en parleront pas aux gens de l’extérieur. » • Article 191 : « Que les membres numéraires et surnuméraires sachent bien qu’ils devront toujours observer un silence prudent quant aux noms des autres associés et qu’ils ne devront jamais révéler à quiconque qu’ils appartiennent eux-mêmes à l’Opus Dei, pas même pour l’extension dudit institut. » Certains articles de ces constitutions ont été modifiés lors de l’érection de l’Opus Dei en prélature personnelle en 1982. L’Opus Dei dit que ses constitutions étaient secrètes jusqu’à cette époque (en fait elles n’ont été divulguées qu’en 1989), car le statut que l’œuvre avait jusque-là était une solution provisoire, et ne correspondait pas à ce que souhaitait Mgr Escriva, selon la vision qu’il avait eue de l’œuvre à son origine. Il n’empêche que cette mentalité du secret a indéniablement perduré dans l’œuvre, « qui a toujours poussé très loin le souci du secret » 15. Ceci explique les accusations de franc-maçonnerie catholique dont elle a été l’objet de la part de ses adversaires. Les appellations et titres utilisés dans l’œuvre (numéraires, surnuméraires…) sont inhabituels, et furent choisis par le fondateur luimême pour prendre nettement ses distances d’avec la tradition des ordres religieux. Ce fut une préoccupation constante de Mgr Escriva de préserver à tout prix le caractère laïc, et même séculier, de ses disciples, tant dans la substance que dans les apparences. Jusque dans les noms donc : ceux des membres, mais aussi ceux des centres. Le quartier général de l’Opus Dei, à Rome, n’a reçu aucun nom religieux, n’est placé sous aucun patronage, contrairement à ce qui 19 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 se fait dans toutes les institutions catholiques : la maison mère a été laïquement baptisée Villa Tevere. La résidence universitaire féminine a été nommée « Villa des palmiers ». Le bâtiment de l’EUR, toujours à Rome, s’appelle tout simplement « Résidence universitaire internationale ». Il en est ainsi partout, dans le monde entier : il n’y a pas une maison, un centre, une œuvre apostolique de l’Opus Dei qui trahisse par son nom une réalité religieuse ou son appartenance à l’Œuvre. Dans la même ligne de conduite, on se lie à la Prélature par un contrat laïc et privé, en présence de deux témoins, et pas dans une église, mais dans un lieu quelconque, sans aucun caractère solennel.16 Mgr Escriva disait : « J’aime que le catholique porte le Christ non pas dans son titre mais dans sa conduite et qu’il offre un témoignage réel de vie chrétienne. » Il aimait un catholicisme discret, et même effacé, qui ne s’affiche pas : « Tu peux, bien sûr, être appelé à l’héroïsme, mais à l’intérieur de toi, dans un contexte intime, privé, de “normalité”. »17 De même l’apostolat doit être normal, discret, tranquille, à l’instar du style de vie dont il doit être issu. Ce désir de discrétion peut se comprendre favorablement, dans une certaine mesure : la vie chrétienne n’a pas à s’étaler, c’est très bien d’éviter l’ostentation et le tape-à-l’œil. Mais l’Opus Dei va audelà de cette légitime discrétion. Le résultat le plus clair de ce catholicisme anonyme dans les noms des maisons et dans la vie de l’œuvre est qu’il ne contribue pas à la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ça l’estompe au contraire et la met sous le boisseau, et nous verrons que c’est un des principaux reproches que l’on peut faire à l’Opus Dei. Mgr Escriva invoque souvent la vie des premiers chrétiens, mais le contexte est maintenant tout différent : depuis, il y a eu la chrétienté, et on ne peut 20 • faire comme si elle n’avait pas existé, surtout dans l’Espagne ou l’Italie des années 1950. Ce comportement qui consiste à cacher l’œuvre en tant que telle retentit forcément sur les membres de l’œuvre, qui cultivent aussi cette culture du secret. On le constate en particulier dans les méthodes d’approche des cadres de l’Opus en quête de nouveaux adeptes, comme le montrent de nombreux témoignages. Le recrutement des membres se fait essentiellement dans les universités, écoles, camps de sports, clubs, cercles, etc., dirigés par l’œuvre. Une étude critique de l’Opus Dei rédigée par Arnaud de Lassus18 met en parallèle en un tableau ce qu’il appelle « les deux images de l’œuvre ». La première image étant celle de sa carte d’identité officielle, pour l’extérieur, la seconde image, celle du comportement réellement vécu, à l’intérieur de l’œuvre. Citons un exemple pris de ce tableau : « On trouve à l’Opus Dei le contraste entre l’apparence et la réalité. Il en résulte un malentendu sur la nature de l’œuvre dont peuvent témoigner de nombreuses familles. Se représentant l’œuvre selon sa première image, ces familles envoient leurs enfants dans les clubs de jeunes, les foyers d’étudiants, les camps de ski (...) créés à l’initiative de l’œuvre et dirigés par elle et n’y voient que cela. Quelques années plus tard, elles se rendent compte que leurs enfants sont entrés dans une structure de nature religieuse et y ont pris des engagements (d’après les statuts - article 20 - des engagements dans l’œuvre peuvent être pris à partir de l’âge de 17 ans), ces clubs de jeunes, foyers d’étudiants, camps de ski (...) ayant servi d’instruments pour les recruter pour l’œuvre. Et c’est alors que l’œuvre leur apparaît peu à peu sous sa seconde image. » Ces pratiques de recrutement, révélées et dénoncées par des familles trompées, corroborent les révélations d’anciens numéraires de l’Opus Dei publiées dans des ouvrages mettant en lumière la face cachée de l’Opus Dei : • El Opus Dei anexo a una historia, éd. Textos, de Maria Angustias Moreno, de nationalité espagnole. • Das Opus Dei, eine Innenansicht, éd. Benziger, de Klaus Steigleder, de nationalité allemande. L’un et l’autre expliquent comment, entre autres méthodes déloyales, se fait le recrutement des membres dans les familles où sont encore vécus les principes traditionnels – car l’Opus Dei ne veut en son sein que des gens de bonne tenue et de bonne éducation ; comment les jeunes sont sollicités pour des activités saines et légitimes, puis endoctrinés et fi nalement embrigadés dans un milieu occulte et liés par des engagements à l’insu des parents mis en confiance du fait de la reconnaissance et de la garantie officielle conférée par l’Église à l’Opus Dei. Tout cela étant couvert par « le père », patron tout-puissant et vénéré. La doctrine de l’Opus Dei sur la liberté Dominique Le Tourneau consacre un chapitre à la liberté vue et vécue par l’Opus Dei : « Une des caractéristiques de l’esprit de l’Opus Dei, souvent rappelée par ses porte-parole et sur laquelle le fondateur a sans doute le plus insisté, est la mise en valeur de la liberté. Cet amour de la liberté est intimement uni à la mentalité séculière inhérente à l’Opus Dei qui fait que (...) chacun agit à sa place dans le monde selon ce que 1ui dicte sa conscience, droitement formée, en prenant sur soi toutes les conséquences de ses actes et de ses décisions. Il est amené non seulement à respecter, mais à • aimer de façon positive et pratique le pluralisme véritable. » 19 Dans Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer, on lit : « Vivent les étudiants de toutes les religions et de toutes les idéologies. » Mgr Escriva dit encore dans le même document : « Le pluralisme n’est pas craint mais aimé comme une conséquence légitime de la liberté personnelle. » 20 Sa passion pour la liberté le poussa à convertir des maisons de l’Opus en résidences interconfessionnelles. Camino exalte la dignité de la personne humaine indépendamment de la religion. Le successeur de Mgr Escriva commente dans Estudios sobre Camino : « Cette dimension humaine de Camino explique la capacité, démontrée par le livre, de réunir les espoirs et les aspirations de n’importe quel homme ou femme qui sent vraiment sa propre dignité indépendamment de ses convictions religieuses, en offrant au lecteur l’impulsion pour avoir une vie humainement plus claire et plus noble.» 21 Cet amour de la liberté et de la dignité humaine va évidemment avoir des conséquences importantes dans le domaine de l’apostolat. Nous trouvons l’orientation de l’Opus Dei en matière d’apostolat défi nie au chapitre IV de l’ouvrage de D. Le Tourneau. L’Opus admet dans ses activités d’apostolat des hommes de toutes tendances, de toutes religions, même des noncroyants : « Un apostolat personnel d’amitié et de confidence. Cependant des membres de l’Opus, unis à certains de leurs amis, y compris non catholiques, voire non chrétiens, mettent parfois sur pied des activités collectives d’apostolat, toujours à caractère professionnel et civil, qui sont des foyers d’où rayonne l’esprit chrétien et qui contribuent aussi à résoudre des problèmes du monde contemporain. Ces œuvres ne sont en aucun cas, ni de près ni de loin, des œuvres officiellement ni même officieusement catholi- Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II ques (...), elles sont réalisées et dirigées avec une mentalité laïque. » « De plus, poursuit l’auteur, ces activités sont ouvertes à des hommes et à des femmes de toutes provenances, sans discrimination de situation sociale, de race, de religion ou d’idéologie. Ceci vaut aussi bien pour les bénéficiaires de ce travail que pour le personnel de direction (...). C’est dans la coexistence que se forme la personne. »22 Les personnes en question peuvent faire partie de ce que l’Opus Dei appelle ses « coopérateurs », et dont il donne la défi nition suivante : « Les coopérateurs, bien que n’étant pas membres de l’Opus Dei, aident la Prélature par la prière – s’ils sont croyants -, par leur travail ou par une quelconque forme d’apport financier. Ils font partie d’une association spécifique et inséparable de l’Œuvre. (…) Peuvent être coopérateurs des hommes et des femmes non catholiques, non chrétiens ou sans aucune confession religieuse. L’Opus Dei est la première institution de l’Eglise qui appelle à collaborer avec elle de façon organique des non-catholiques, des non-chrétiens, des agnostiques et des athées. »23 Cette réunion entre gens de religions et d’idéologies différentes, d’un même métier ou d’une même entreprise, dans une même association, ressemble à un syndicat d’intérêts, mais n’est pas une œuvre d’apostolat. L’Opus Dei, en ornant son action du nom d’« apostolat », fait dévier le sens du terme, entendu dans le catholicisme comme propagation de la foi, qui a pour but la conversion. Cette mentalité dans l’apostolat a été condamnée par les papes saint Pie X, Pie XI, Pie XII. L’Opus Dei tombe par exemple sous le coup de la sentence prononcée par la Lettre sur le Sillon de saint Pie X, condamnant ses utopies : « Effrayantes et attristantes à la fois sont l’audace et la légèreté d’esprit d’hommes qui se disent catholiques, qui rêvent de refondre la société (...) avec des ouvriers venus de toute part, de toutes religions ou sans religion, avec ou sans croyances, pourvu qu’ils oublient ce qui les divise. » Les textes de l’Opus Dei, similaires à ceux du Sillon, sont nombreux. En voici encore quelques échantillons : • De Berglar : « Quand en 1950 le fondateur obtint finalement du Saint-Siège la permission d’admettre dans l’œuvre (...) des noncatholiques et des non-chrétiens parmi les “coopérateurs” de l’œuvre, la famille spirituelle de l’Opus Dei se compléta. » - De Vasquez : « C’était quelque chose d’inouï dans l’histoire pastorale de l’Église, ce fait de tirer des verrous et d’ouvrir complètement des portes, intégrant les âmes des bienfaiteurs protestants, schismatiques, juifs, musulmans et païens. »24 Berglar, Vasquez et d’autres donnent des détails sur les rapports d’amitié très fraternelle entre Mgr Escriva et ces coopérateurs d’autres religions, très bons agents de fi nancement de l’œuvre ; c’était déjà un œcuménisme actif. Mgr Escriva était effectivement un précurseur en tous domaines. Dans Estudios sobre Camino, le successeur de Mgr Escriva révèle comment se fit l’endoctrinement dès avant le concile. Quoique caché, cet endoctrinement alla bien au-delà du cadre de l’Opus : « Camino a préparé en ce temps-là des millions de personnes pour entrer en harmonie et pour recueillir en profondeur quelques-uns des enseignements les plus révolutionnaires que trente ans après promulguerait solennellement l’Église dans le concile Vatican II. » La doctrine de Mgr Escriva a atteint bien plus que de simples fi dèles, elle est allée jusqu’aux sommets de la hiérarchie. Peter Berglar – qui écrit en qualité de porte-parole de l’Opus Dei – nous apprend l’influence qu’elle a eue sur les derniers papes : « Nous savons que Paul VI utilisait son livre Camino pour sa méditation personnelle. 21 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 Jean XXIII pour sa part disait à son secrétaire “que l’œuvre est destinée à ouvrir dans l’Église des horizons inconnus de l’apostolat universel”. Pour les papes Jean-Paul Ier et Jean-Paul II, l’Opus Dei et son fondateur étaient déjà des faits historiques objectifs qui supposaient le commencement d’une nouvelle époque du christianisme. »25 L’Opus Dei et la politique « J’ai écrit, dit Mgr Escriva, que si, à un moment donné, l’Opus Dei avait fait de la politique ne seraitce que pendant une seconde, moi, dans ce moment d’erreur, je serais parti de l’Opus Dei. L’on ne peut donc pas accorder le moindre crédit à une nouvelle qui mêlerait l’Opus Dei à des questions politiques, économiques ou temporelles de quelque nature que ce soit. (…) Les hommes et les femmes de l’Opus Dei jouissent, dans leurs choix de citoyens, de la liberté personnelle la plus totale, respectée par tous, et dont découle logiquement une responsabilité elle aussi personnelle. Il est donc impossible que l’Opus Dei s’occupe jamais de tâches qui ne soient immédiatement spirituelles et apostoliques, lesquelles sont par conséquent sans rapport avec la vie politique d’un pays. »26 « Avec notre liberté bénie, dit Mgr Escriva, l’Opus Dei ne peut jamais être, dans la vie politique d’un pays, comme une espèce de parti politique. Il y a la place – et il y aura toujours la place – dans l’Opus Dei pour toutes les tendances que la conscience chrétienne peut admettre. »27 On retrouve dans divers documents cette pensée du fondateur : « Nous admettons le plus grand pluralisme dans tout ce qui est temporel »28. « Il n’arrive jamais à ce chrétien [le membre de l’Opus Dei] de croire ou de dire qu’il descend du temple vers le monde pour y représenter l’Eglise, ni que les solutions qu’il donne à ces problèmes [temporels] sont les solutions ca- 22 • tholiques. Non… cela n’est pas possible ! Ce serait du cléricalisme »29. Et encore : « Je ne parle jamais de politique. Je ne pense pas que la mission des chrétiens sur la terre soit de donner naissance à un courant politico-religieux (ce serait une folie) » 30. La conséquence est que, si les membres de l’Opus Dei s’occupent de la chose publique, c’est à titre individuel et non en tant que membres de l’Opus Dei : « Les membres de l’Opus Dei, dit D. Le Tourneau, répondent individuellement de leurs opinions et de leurs actions. Le lien spirituel avec la Prélature ne conditionne en rien leurs préférences politiques. (…) Dire de quelqu’un qu’il est membre de l’Opus Dei à propos de ses idées politiques, ou de ses interventions en politique, s’il s’agit d’un homme politique, n’a pas de sens. » Et les Statuts de l’Opus précisent : « Pour ce qui concerne les activités professionnelles, les doctrines sociales, politiques, etc., chaque fidèle de la Prélature jouit de la même liberté que les autres citoyens catholiques. Les autorités de la Prélature doivent donc s’abstenir de donner quelque conseil que ce soit en ces matières. Par conséquent, cette totale liberté ne pourra être réduite que par les normes que pourraient avoir à édicter pour tous les catholiques, dans un diocèse ou une nation, l’évêque ou la Conférence épiscopale. (…) La Prélature ne fait pas siennes les activités professionnelles, sociales, politiques, économiques, etc., d’aucun de ses membres. »31 On comprend donc pourquoi tel membre responsable de l’Opus Dei interrogé sur l’avortement déclarait à un journaliste du Courrier de l’Ouest : « En Espagne, l’Opus Dei s’est toujours refusé à prendre officiellement parti dans la campagne contre l’avortement. Ce n’est pas son rôle.»32 Si la Conférence épiscopale ne donne aucune consigne, l’Opus Dei ne bouge pas non plus. Au nom de la liberté… Comme nous sommes loin de l’enseignement de saint Pie X : « Nous ne pouvons pas ne pas faire de politique », et de celui de Pie XII : « De la forme donnée à la société dépend le salut ou la perte d’un grand nombre d’âmes » ! On peut même trouver dans les œuvres de Mgr Escriva 33 une déclaration en faveur de l’introduction en Espagne de la liberté du culte des fausses religions. On comprend son exclamation : « Les enseignements qu’a promulgués le Concile à ce sujet [la liberté religieuse] ne peuvent que me réjouir. »34 La chose ne doit pas nous étonner particulièrement, puisqu’il a déclaré lors d’un entretien accordé au journal Le Monde, en 1964 : « Mon unique fanatisme est sans doute celui de la liberté. » Cette doctrine sociale libérale est très loin de la royauté sociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ défi nie par le magistère et la pratique de l’Eglise. Les membres de l’Opus Dei ne prennent pas position dans la cité en catholiques, pour faire œuvre de politique catholique contre l’esprit du monde. Avec de tels principes, il ne peut y avoir de vraie et effective restauration catholique, en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et même l’Opus Dei suscite dans les sociétés une mentalité laïque, contraire à la royauté sociale de Notre-Seigneur JésusChrist, mentalité qui est effectivement celle du concile Vatican II. Le rôle politique de l’Opus Dei en Espagne Evoquons maintenant une question que l’on ne peut éviter quand on parle assez complètement de l’Opus Dei : il s’agit du rôle qu’il a joué dans la politique de l’Espagne depuis un demi-siècle. Depuis la fi n de la guerre d’Espagne, la pénétration de l’Opus n’a cessé de progresser dans l’élite espagnole. Par ses méthodes, par ses moyens, il a formé intellectuellement et moralement des hom- • mes aptes à assumer toutes les responsabilités des structures de l’État. Leurs mérites intellectuels et techniques, leur capacité à mener les affaires, là où ils les détenaient dans leur milieu professionnel, leur a fait une juste réputation. Ils ont accédé normalement aux postes de direction de banques, d’entreprises industrielles et commerciales, dans les universités, la magistrature et l’armée. « En 1957, le général Franco réorganisa son équipe ministérielle pour redresser une situation économique précaire, particulièrement en ce qui concernait la balance commerciale avec l’étranger. Afin de mettre l’Espagne sur la voie d’un système économique et financier capable d’entrer en compétition avec le monde moderne, il nomma à des postes de ministres un certain nombre de spécialistes qualifiés qui venaient des banques et de l’université. Deux d’entre eux étaient membres de l’Opus Dei : Alberto Ullastres, professeur d’histoire de l’économie à l’université de Madrid, fut nommé ministre du commerce ; Mariano Navarro Rubio, directeur administratif du Banco popular, fut appelé au ministère des finances. Plus tard se joignirent à eux Gregorio Lopez Bravo, en qualité de ministre de l’industrie, et Laureano Lopez Rodo, comme ministre sans portefeuille et commissaire général au plan de développement industriel. Ces deux derniers, quelques années plus tard, mais à des époques différentes, furent aussi ministres des affaires étrangères. Dans les publications spécialisées, on a coutume de parler de “l’ère technocratique” du régime franquiste, comme pour indiquer que l’on passa alors de la priorité à l’idéologie à la priorité au pragmatisme. »35 Ce gouvernement entreprend la réforme économique et commence l’ouverture du pays, à cadence rapide. L’influence des membres de l’Opus croît, celle de la phalange décroît. Le gouvernement américain et les banques des USA, le Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II FMI (Fonds monétaire international) et l’OECE (Organisation européenne de coopération économique) apportent leur aide. Les technocrates ont cherché la réussite matérielle. Ils ont donné un essor économique spectaculaire au pays, mais les ferments de corruption morale et de subversion ont profité de l’ouverture des frontières pour s’y introduire. La philosophie du travail chère à l’Opus a porté ses fruits matériels, mais l’Espagne y a-t-elle trouvé le vrai profit ? Certes l’Opus Dei n’est pas un parti politique, et il se défend de faire de la politique. L’Opus ne participe pas en tant que formation au gouvernement espagnol : ce sont des hommes de l’Opus qui y sont, indépendamment de leur appartenance à l’Œuvre. Mgr Escriva dit qu’il n’a appris leurs nominations aux ministères que par la presse, et on peut l’en croire : cela s’accorde parfaitement avec la grande liberté et autonomie dont jouissent les membres de l’Opus dans l’action politique et civile. Mais ces hommes, tout naturellement, ont agi dans un esprit conforme à la doctrine de l’Opus. Il ne faut pas non plus exagérer l’influence qu’ont eue les ministres de l’Opus Dei. D’abord ils n’ont été en tout et pour tout que huit, durant toute la période qui va de 1957 à 1975 (la mort de Franco). Il est vrai que leur arrivée au gouvernement a coïncidé avec une inflexion de la politique dans un sens libéral, et qu’ils s’en sont très bien accommodés, et ont même influé dans ce sens. Mais d’autres membres de l’Opus Dei se trouvaient dans l’opposition au gouvernement, et ont été attaqués par lui. Il y avait des membres de l’Opus Dei de tous les côtés36. Il semble qu’il ne faille pas faire de mauvais procès (comme l’ont fait des phalangistes, sans doute en partie par jalousie) en des matières qui, de leur nature, sont délicates. Le vrai problème est plutôt la séparation complète, à l’Opus Dei, entre la religion et la politique ou le plan temporel, qui fait que chacun, dans ce domaine, est renvoyé à sa conscience et laissé libre d’agir comme il veut. En 1969 un scandale éclate en Espagne, autour d’une importante entreprise industrielle : Maquinaria textil del norte (Matesa). Cette société fondée en 1956 à Pampelune (la capitale de l’Opus) s’est spécialisée dans la fabrication de métiers à tisser. Elle est dirigée par Juan Vila Reyes, membre de l’Opus. L’entreprise est donnée par la presse comme un modèle de dynamisme commercial. Reyes est un vieil ami de Lopez Rodo, le commissaire gouvernemental au plan. Des irrégularités fi nancières ne peuvent pas échapper au contrôle du fisc. Cinq milliards de pesetas ont quitté l’Espagne et des dizaines de millions ont servi à subventionner des organismes bien étrangers à la fabrication des métiers à tisser, tels l’université de Navarre et l’Institut des études supérieures de l’entreprise à Barcelone, créés et dirigés par l’Opus Dei. Cet empire commercial de 75 fi liales espagnoles s’écroula. Le scandale était causé par l’importance du délit : le détournement de fonds publics. De 1959 à 1969, Matesa reçut des crédits d’État à l’exportation, pour un montant de 10 milliards de pesetas, en principe pour l’exportation des métiers à tisser, mais les machines n’ont pas quitté le pays, ou ont été mises dans des dépôts de fi liales étrangères. Grâce à des livraisons fictives, de nouveaux crédits étaient alloués. Coïncidence gênante, les ministres des fi nances et du commerce et le gouverneur de la banque d’Espagne sont de l’Opus. Ils sont plus ou moins compromis. On ne connaîtra sans doute jamais toute la vérité sur cette histoire, mais les organismes de l’Opus Dei qui ont touché des fonds détournés devaient bien savoir d’où ils venaient. 23 Nouvelles de Chrétienté Nº 77 Septembre-octobre 2002 Conclusion Réfléchissant sur cette canonisation du fondateur de l’Opus Dei, mort il y a seulement 27 ans, on est tenté de penser qu’il ne s’agit pas seulement de donner ce nouveau “saint” comme exemple au peuple chrétien et de le lui recommander comme intercesseur auprès de Dieu. Qui connaît un peu l’Opus Dei et son rôle dans l’Eglise aujourd’hui, pensera qu’il s’agit en fait de la canonisation de l’Opus Dei : ce n’est pas seulement Mgr Escriva qui est recommandé à la piété des fidèles, c’est l’Opus Dei qui est mis en vedette, parce qu’il offre à la politique religieuse du Saint-Siège un contrepoids aux fantaisies des modernistes. L’Opus bénéficie d’une réputation de modération, de juste milieu. Et Rome, la Rome moderniste, apprécie cette position d’ouverture, mais dans l’ordre, pour tenter de satisfaire les progressistes, et de rassurer les conservateurs. Si Mgr Escriva n’a jamais, à ce que l’on dit, célébré la nouvelle messe, les prêtres de l’Opus Dei sont, eux, des fervents défenseurs de l’orthodoxie du nouvel ordo missae. Ils se font les propagateurs du concile Vatican II : ce sont les conciliaires conservateurs dont le Vatican a besoin pour rééquilibrer l’Eglise qui sombre en bien des endroits dans l’anarchie. En outre, les fidèles de l’Opus Dei sont généralement des adeptes de la démocratie chrétienne, et même du mondialisme, fidèles en cela à la politique du Vatican. Mais il y a d’autres aspects du concile que l’on retrouve chez Mgr Escriva de Balaguer : promotion du laïcat, liberté religieuse, pluralisme, œcuménisme. On trouve dans l’Opus Dei un certain mariage de l’Eglise et du monde. Il est significatif que l’Opus Dei, à la différence de presque tout le reste de l’Eglise, n’a dû procéder à aucun aggiornamento après le concile. Il a même vu dans ce concile une confi rmation de ce qu’il ensei- 24 • gnait. Ce n’est pas tant l’Opus Dei qui est dans le fi l de Vatican II, que l’inverse. Notons cependant que ni les membres de l’Opus Dei, ni a fortiori leur fondateur, ne se sont faits les promoteurs des interprétations extrêmes des textes conciliaires. Ils se contentent d’une interprétation libérale. C’est précisément cette ligne que veut favoriser aujourd’hui le Vatican, dans le vain espoir de mettre fi n par là à toutes sortes d’excès qui nuisent à la crédibilité du concile, car tous sont faits au nom du concile. Il paraît donc évident que la canonisation du fondateur de l’Opus Dei a pour but de favoriser l’aile conservatrice du catholicisme conciliaire. D’où l’amertume de beaucoup de progressistes : pour eux, l’Opus Dei est encore trop conservateur, mais cela ne doit pas nous donner le change et nous faire croire que les membres de cette œuvre défendent réellement la Tradition. Par cette canonisation du fondateur, ce sont les principes de l’Opus Dei que l’Eglise conciliaire exalte. Cette doctrine nouvelle, ratifiée hier par le concile, est aujourd’hui glorifiée par la béatifi cation et la canonisation. Elle est revêtue d’une solennité toujours plus officielle. Après la béatification de Jean XXIII, c’est la glorifi cation de Vatican II qui se poursuit par cette canonisation. Au-delà de cette canonisation “politique”, qu’en est-il de la sainteté personnelle de Mgr Escriva ? Elle n’est pleinement connue que de Dieu seul. Mgr Escriva était FRATERNITÉ SACERDOTALE ST-PIE X MAISON GÉNÉRALE Directeur de la publication Abbé Arnaud Sélégny Rédacteur peut-être pieux et vertueux, mais il est tout à fait licite et légitime de mettre en doute et de réfuter sa doctrine nouvelle. Vertu et piété ne confèrent pas automatiquement orthodoxie doctrinale et pastorale. Que Mgr Escriva soit au ciel, nous le lui souhaitons de tout cœur. Mais qu’on le donne en exemple à toute l’Eglise, alors qu’il a favorisé des erreurs et justement pour ce motif, cela est très regrettable, et même plus. Mais l’Eglise issue du concile Vatican II a besoin de modèles. Abbé Hervé Gresland 1 Dominique Le Tourneau, L’Opus Dei, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, p. 6. L’auteur est un porte-parole de l’Opus Dei, c’est pourquoi on peut lui faire de nombreux emprunts. – 2 Ibidem, p. 9. – 3 Ibidem. – 4 Ibidem, p. 20. – 5 Ibidem, p. 21. – 6 Ibidem, p. 28. – 7 Vittorio Messori : Opus Dei. L’enquête. Claire Vigne Ed., Paris, 1995, p. 227. – 8 Ibidem, p. 164-166. – 9 D. Le Tourneau, p. 25. – 10 J.J. Thierry : L’Opus Dei, mythe et réalité, Hachette, Paris, 1973, p. 115. – 11 Cité par V. Messori, p. 184. – 12 D. Le Tourneau, p. 33. – 13 Ibidem, p. 26. – 14 Nicolas Dehan : Un étrange phénomène pastoral : l’Opus Dei, in Le sel de la terre n° 11, p. 130. – 15 Arnaud de Lassus : L’Opus Dei, Textes et documents, Action familiale et scolaire, 1992. – 16 V. Messori, p. 203. – 17 Ibidem, p. 185. – 18 Cf. note 15. – 19 Opus cit., p. 36. – 20 Edition française Fayard et édition espagnole Rialp, p. 126. – 21 Ed. Rialp, Madrid, 1989, p. 52. – 22 D. Le Tourneau, p. 89-92. – 23 V Messori : opus cit., p. 188. – 24 N. Dehan, p. 135. – 25 Peter Berglar : L’Opus Dei et son fondateur, Josémaria Escriva, Mame, Paris, 1992. – 26 Cité par V. Messori, opus cit., p. 301. – 27 D. Le Tourneau, p. 37. – 28 Entretiens avec Mgr Escriva de Balaguer, Le Laurier, Paris, 1987, n° 30. – 29 Ibidem, n° 116-117. – 30 Homélie, n° 3, p. 26. – 31 Statuts, numéro 88. – 32 N. Dehan, p. 140. – 33 Entretiens, n° 29. – 34 Ibidem, n° 44. – 35 Peter Berglar : opus cit. – 36 cf. Vittorio Messori : opus cit., p. 335-370. France : chèque à l’ordre de : Association CIVIROMA Suisse : CCP 60-29015-3, Priesterbruderschaft St. Pius X. Schwandegg — 6313 Menzigen Abbé Bernard Lorber Adresse postale Abonnement Normal : 20,- € – Etranger : 28,-€ de soutien : 40,- € DICI-Presse – Etoile du Matin F – 57 230 EGUELSHARDT • Au sujet des canonisations du pape Jean-Paul II 25