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L’ALEA THERAPEUTIQUE ET LES REGIMES SPECIAUX
D’INDEMNISATION DES VICTIMES D’ACCIDENTS MEDICAUX
Rapport français
Laurence Clerc-Renaud, laboratoire CDPPOC, Université de Savoie.
1.— L’ONIAM (Office national d’indemnisation des victimes d’accidents
médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales) a été créé par la
loi 2002-303 du 4 mars 2002 pour apporter une solution à la réparation des
dommages causés par des accidents médicaux. Il s’agit d’un établissement public à
caractère administratif de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre de la santé et chargé
de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II
de l'article L. 1142-1, à l'article L. 1142-1-1 et à l'article L. 1142-17, des dommages
occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une
infection nosocomiale ainsi que des indemnisations qui lui incombent, le cas échéant,
en application de textes et procédures spéciaux1.
2.— Ce fonds d’indemnisation est du constat, qu’en matière médicale,
nombre de dommages étaient laissés sans réparation, notamment ceux qui ne
s’expliquent pas par une faute d’un professionnel de la santé ni même par un
dysfonctionnement du service ou de l’établissement de santé, alors quils sont
directement liés à un acte de diagnostic, de prévention ou de soin. En d’autres termes,
avant lintervention du législateur, les conséquences dun « aléa thérapeutique »
n’étaient pas réparables, au moins devant le juge judiciaire, puisque les juridictions de
l’ordre administratif en admettaient à des conditions relativement restrictives la
réparation depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Bianchi2. Le fait qu’un même accident pût
relever de règles différentes selon quil survenait dans le service public hospitalier ou
le secteur de médecine privée était difficile à justifier. La loi dite « Kouchner »3 avait
donc pour objectif d’instaurer un système d’indemnisation des victimes d’accidents
médicaux en dépassant la logique de la responsabilité civile et en transcendant la
dualité de régimes inhérente à la dualité des ordres de juridiction. Faire la part de ce
qui relève de la solidarité nationale et ce qui relève de la responsabilité des
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1 V. articles L. 1142-15, L. 1142-18 et L. 1142-24-7 du Code de la santé publique.
2 CE, Ass., 9 avril 1993, BIANCHI, Req. n° 69336: JCP 1993. II. 22061, note MOREAU ; D. 1994. Somm. 65,
obs. P. BON et P. TERNEYRE.: « lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente
un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser
que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l’exécution de cet
acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet
état, et présentant un caractère d’extrême gravité ».
3 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
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professionnels de la santé était donc l’objectif essentiel assigné à ce nouveau
dispositif, encore fallait-il mettre en œuvre une procédure permettant cette
ventilation. Cette mission a été confiée aux Commissions régionales de conciliation et
d’indemnisation (CRCI devenues depuis peu CCI) qui constituent lorgane clé du
nouveau dispositif en instaurant à titre principal une procédure de règlement amiable4.
3.— Depuis l’adoption de la loi du 4 mars 2002, le domaine de
l’indemnisation fondée sur la solidarité nationale n’a cesde s’étendre. Si au départ,
l’ONIAM était en charge de la réparation que l’on pourrait qualifier « de droit
commun » des seuls accidents médicaux non fautifs graves, l’office s’est
progressivement vu reconnaître de nouvelles attributions (§1). Il reste que c’est la
voie du règlement amiable qui a été choisie pour mettre en œuvre cette indemnisation
des accidents médicaux ou des aléas thérapeutiques devant les Commissions de
Conciliation et d’indemnisation. C’est une procédure originale dont l’efficacité est
contestée (§2).
§ 1 - Domaine de l’indemnisation fondée sur la solidarité nationale : du
droit commun de la réparation de « l’aléa thérapeutique » à la
multiplication des applications particulières.
4.— Il y a lieu de distinguer l’indemnisation de l’accident médical non fautif
que l’on qualifiera « de droit commun » (A), des nouvelles procédures spéciales
relevant du champs de compétence de l’ONIAM (B).
A. L’INDEMNISATION DE « L’ALEA THERAPEUTIQUE » OU ACCIDENT MEDICAL NON
FAUTIF PAR L’ONIAM
Principes de répartition entre responsabilité et solidarité
5.— L’essentiel du dispositif de ventilation est à rechercher à l’article
L.1142-1 du CSP5 qui fait le départ entre ce qui relève de la responsabilité des
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4 Les CCI ont aussi une autre mission, celle de conciliation qui est prévu aux articles R1142-19 et suivants
du Code de la Santé Publique (CSP).
5 Article L 1142-1 CSP « I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un
produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que
tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de
diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de
diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
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professionnels et établissements de santé (pour faute essentiellement ou sans faute
exceptionnellement) et ce qui relève de l’indemnisation proprement dite.
6.— Responsabilité. Il est en effet rappelé à l’article L 1142-1 I le principe
d’une responsabilité pour faute du professionnel, service, organisme et établissement
de santé pour les conséquences dommageables des actes individuels de prévention de
diagnostic ou de soin hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison dun
défaut d’un produit de santé. La responsabilité sans faute est également envisageable
pour les établissements, services et organismes de santé en cas d’infection
nosocomiale que l’on nomme également infection associée aux soins (IAS) si elle
survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique,
palliative, préventive ou éducative) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en
incubation au début de la prise en charge et quelle ne présente pas le caractère de
gravité requis pour être de la compétence de l’ONIAM depuis la loi 2002-1577 du
30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile6.
7.— Indemnisation par la solidarité nationale : À la lecture de larticle L.
1142-1 II du Code de la santé publique, il apparaît qu’en cas d’accident médical,
affection iatrogène ou infection nosocomiale, la réparation par l’ONIAM a un caractère
subsidiaire. L’indemnisation par la solidarité nationale n’a vocation à intervenir que
« lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou
organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée ». Ainsi,
lorsque l’infection nosocomiale présente le caractère de gravité requis, sa réparation
ne relève plus des établissements de soins mais uniquement de lONIAM7. Enfin, sont
visées les affections iatrogènes qui sont des affections liées au traitement médical et
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Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant
d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mention au I
ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une
infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses
ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de
prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard
de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé
par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée
et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité
physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit
fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à
l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce
pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »
6 V. sur la réparation des infections nosocomiales le rapport français par Julien Bourdoiseau, infra ou
supra p. ???
7 V. notamment Cass, 19 juin 2013 n° de pourvoi: 12-20433.
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médicamenteux. Les conséquences dommageables de ces affections (par exemple,
effets indésirables d’un médicament) sont susceptibles dêtre prises en charge par
l’ONIAM si elles ne sont pas causées par une faute du professionnel de la santé ou
qu’elles n’engagent pas la responsabilité d’un producteur d’un produit de santé8.
8.— Difficultés de répartition: Il n’est toutefois pas toujours évident de
faire la part de ce qui relève de la responsabilité et de ce qui dépend de la solidarité
nationale. La subsidiarité que semble impliquer la rédaction de l’article L. 1142-1 II du
CSP est à nuancer. C’est particulièrement vrai en matière de faute technique commise
à l’occasion d’un geste chirurgical. La cour de cassation inverse parfois le
raisonnement qui pourrait apparaître dans la logique de la subsidiarité consistant à
dire que si aucune faute ne peut être reprochée à l’homme de l’art qui respecte les
règles de bonne pratique clinique alors le préjudice relève d’un aléa thérapeutique.
Pourtant, il ressort de la jurisprudence que la responsabilité pour faute ne peut être
écartée « sans constater la survenance d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical
qui ne pouvait être maîtrisé »9. Ainsi, et même lorsque l’acte médical est conforme
aux données acquises de la science, l’atteinte à un organe non impliqué par
l’intervention suffit à caractériser la faute dès lors que la réalisation de lacte effectué
n’impliquait pas la lésion constatée et que le patient ne présentait aucune
prédisposition anatomique rendant l’atteinte inévitable10. Au contraire, pour retenir
l’absence de faute, il doit être constaté, si l’acte médical est par ailleurs conforme aux
données de la science, la survenance d’un risque inhérent à l’acte médical
(complication propre à la technique utilisée) et qui ne pouvait être maîtrisé11. Les
conséquences dommageables de l’acte seront dès lors susceptibles d’être prises en
charge par lONIAM à condition que les critères de laccident médical non fautif soient
réunis.
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8 V. sur le principe dune responsabili pour faute dudecin qui pose une prothèse sans pour autant être
distributeur ou producteur : Cass. 1ère civ. 12 juillet 2012, n° 11-17510 ; contra pour une responsabilité du
service public hospitalier même en l’absence de faute de sa part en cas de défaillance des produits et
appareils de santé qu’il utilise : CE, 25 juillet 2013, n° 339922 publié au Lebon.
9 Cass. Civ. 1ère 20 janvier 2011, 10-17357 : RTD civ 2011, p. 354 , obs P.Jourdain ; V. également Ph.
Pierre, L’insaisissable critère de la faute de technique médicale, Gaz. Pal. 16 juin 2012, n° 168, p. 14 et s.
10 Civ.1ère 17 janvier 2008 n°06-20568 : lésion du nerf inguinal à l’occasion de l’extraction d’une dent de
sagesse. Cass. 1ère civ. 20 mars 2013, n° 12-13900 : « l’atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une
partie du corps du patient que son intervention n’impliquait pas, est fautive, en l’absence de preuve, qui lui
incombe d’une anomalie rendant l’atteinte inévitable ou de la survenance d’un risque inhérent de cette
intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l’aléa thérapeutique »
11 V. par exemple : Cass. 1ère civ. 29 novembre 2005, Bull. civ. I, 456 : section du nerf médian de la
main au cours d’une opération du canal carpien réalisée sous endoscopie ; Cass. 1ère civ. 18 septembre
2008 n°07-13080, Bull. civ. I, n° 206 : lésion du nerf tibial lors d’une suture du tendon d’Achille : risque
inhérent à ce type d’intervention.
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Critère de l’accident médical non fautif
9.— L’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique ne reprend pas le
terme d’ « aléa thérapeutique » et préfère celui d’accident médical. Le législateur ne
définit pas ce terme et laisse en quelque sorte aux juridictions et aux Commission de
Conciliation et d’Indemnisation le soin d’en délimiter les contours. L’article L. 1142-2 II
prévoit plusieurs critères qui ne vont pas sans soulever de difficultés.
10.— Imputabilité à des actes de prévention, de diagnostic ou de
soins. Il s’agit d’une condition de bon sens. Pour que la réparation d’un accident
médical non fautif relève de la solidarité nationale, le législateur a imposé un cadre
strict qui exige une causalité directe du dommage avec un certain type d’actes
clairement délimités, à savoir « un acte de prévention, de diagnostic ou de soin ». Il y
a en effet lieu de faire supporter à l’ONIAM uniquement le « risque accidentel inhérent
à l’acte médical qui ne peut être maîtrisé »12. Et toute la difficulté est liée à la
spécificité de la causalité en matière médicale13. En effet, la victime présente déjà un
état de santé par hypothèse altéré avant l'intervention médicale. Il importe donc de
faire peser sur la solidarité nationale -ou sur le professionnel ou établissement de
santé lorsqu’il s’agit de responsabilimédicale- uniquement les conséquences directes
de l'acte médical, et non une invalidi antérieure ou dont l'évolution était
inéluctable14. Nous ne développerons pas plus cette question de causalité qui fait
l’objet du second séminaire de la matinée15.
En revanche, une interrogation demeure : celle de savoir dans quelle mesure
un acte de diagnostic peut donner lieu à une indemnisation par lONIAM.
Textuellement rien ne paraît s’y opposer. Il faudrait alors admettre qu’il existe des
hypothèses où une erreur de diagnostic non fautive, à défaut d’entrainer la
responsabilité du decin, pourrait conduire à une indemnisation par la solidarité
nationale. La question se pose très concrètement devant les Commission de
Conciliation et d’Indemnisation. Imaginons une femme qui, lors d’une opération de
dépistage du cancer du sein par mammographie, se voit diagnostiquer un cancer. Elle
subit au mieux une biopsie, au pire une chirurgie ou un traitement avec tous les effets
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12 On retrouve cette expression dans plusieurs décisions de la Cour de cassation : V. notamment Cass. 1ère
civ. 20 janvier 2011 n° 10-17357 ; Cass. Civ. 1ère civ. 20 mars 2013 n° 12-13.900.
13 Ph. Brun, La spécificité de la causalité en matière médicale, Gaz. Pal 16 juin 2012, n° 168, p. 21 et s.
14 V. sur la question de létat antérieur et son appréhension en matière médicale : Ph. Pierre, Le passé de la
victime, influence de l’état antérieur, Gaz. Pal. 9 avril 2011, p. 15 et s.
15 Causalité incertaine et vraisemblance en matière de responsabilité médicale.
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