prisme prisme p rPi sR m Ie S M E prisme La revue PRISME, fondée en 1990. PRISME no45 Comité éditorial : Jean-François Bélair, Patricia Garel, Louisiane Gauthier, Alain Lebel, Martin St-André Secrétaire de rédaction : Denise Marchand Comité consultatif: Pierre Asselin, Louise Baillargeon, Luc Blanchet, Marc-André Bouchard, Rose-Marie Charest, Dominique Cousineau, Luce Des Aulniers, Yvon Gauthier, Daniel Jacques, Gloria Jeliu, Ridha Joober, Michèle Lambin, Marc Laporta, Marc-Yves Leclerc, Michel Lemay, Nicole Leroux, Jean-Pierre Pépin (rédacteur en chef fondateur), Jean-François Saucier, Angeles Toharia Correspondants: J.A. Barriguete (Mexico), M. Elkaïm (Bruxelles), B. Golse (Paris), A. Guédeney (Paris), J.Y. Hayez (Bruxelles), P. Huerre (Paris), M. Keren (Tel Aviv), D. Lauru (Paris), F. Molénat (Montpellier) Infographie : Madeleine Leduc Conception de la page couverture : vertplatine Révision et correction des épreuves : Denise Marchand Responsable du site internet : Louis Luc Lecompte Diffusion : Luc Bégin Abonnements: Thérèse Savard Comité administratif : Patricia Garel, Marc Girard, Gratien Roussel Distribution en librairie : (Québec) Prologue Inc. (Europe) CEDIF/Casteilla (France), Vander (Belgique), Servidis (Suisse) La publication de PRISME est assurée par les Éditions de l’Hôpital Sainte-Justine. Les articles de la revue sont répertoriés dans : Base Pascal de l'INIST – Repère de la SDM La revue PRISME est membre de la SODEP. PRISME bénéficie de l'appui financier des organismes suivants: Eli Lilly Canada Inc. Organon Canada Litée © Hôpital Sainte-Justine 2004 ISBN: 2-89619-042-2 Dépôt légal : Bibliothèque Nationale du Québec, 2005 Bibliothèque Nationale du Canada, 2005 no45 2005 prisme prisme PRISME sommaire s o m m a i r eP R I S M E no45 6 Introduction – Attention, passage pour adolescents! 8 Présentation – ‘Re-naître’ à l’âge adulte. VOLET PSYCHIATRIQUE ±– Repenser la continuité des troubles et l’articulation des soins 14 Psychose et intervention précoce : État de la nation. Luc Nicole, Claude Blondeau 30 L’émergence de la psychose chez l’adolescent et le jeune adulte : réflexions sur l’intervention précoce et l’expérience australienne. Amal Abdel-Baki 46 Conceptualisation et identification de la schizotaxie. Vers une définition du syndrome prédisposant à la schizophrénie. Ming T. Tsuang, William S. Stone, Elizabeth A. Olson 62 Regard sur le trouble bipolaire : ce que les données de recherche nous apprennent sur la clinique. Andrée Daigneault 78 Entrevue avec François Maranda. P. Garel et M. St-André 88 Transférer un adolescent vers les services de psychiatrie adulte : de certains écueils et voies de solution. Nagy Charles Bedwani 104 Trouble des conduites et comorbidités : vers une nouvelle typologie? Martin Gignac 114 Le diagnostic de pathologie borderline chez l’enfant. Utilité pour le diagnostic différentiel et l’intervention précoce. Jaswant Guzder, Phyllis Zelkowitz 126 Continuité entre psychiatrie de l’adolescent et psychiatrie de l’adulte à Genève. L’exemple des troubles des conduites alimentaires. Sandra Lopez et François Ladame 135 Les problèmes de comportement avant l’âge de deux ans, faut-il s’en préoccuper? Raymond Baillargeon 140 Le trouble déficitaire de l’attention chez les jeunes adultes. Quand le TDAH persiste… Angelo Fallu, Caroline Richard ) au tournant de l’âge adulte Coordination : Martin St-André, en collaboration avec Denise Marchand et Alain Lebel s so ommmma ai ir re e ( Intervenir 152 Point de vue - L’intervention au tournant de l’âge adulte. Et pourquoi pas une continuité des soins? Claude Bergeron VOLET PSYCHOSOCIAL - Ce difficile passage vers la vie adulte 160 Entrevue avec Claude Bilodeau, accompagné de Manon Fontaine. Propos recueillis par D. Marchand et M. St-André 174 Être adolescente consommatrice de substances psycho-actives et devenir mère : un trajet identitaire particulier. Pauline Morissette, Ève Bélanger 188 Intervention de groupe auprès d’enfants dont un des parents présente un trouble mental Ou le nécessaire continuum des services psychiatriques. Dominique Boucher, Chantal Daumas 206 Trajectoires délinquantes. La réadaptation est possible… à certaines conditions. Jacques Dionne, Louis-Georges Cournoyer 218 Le Projet Qualification des Jeunes. Préparation à la vie autonome et insertion socioprofessionnelle des jeunes des centres jeunesse. Martin Goyette, Amélie Morin, Etienne Lyrette CHRONIQUES 232 Tribune - Plaidoyer pour une médecine humaniste. Réflexions sur l’eugénisme libéral. Daniel Jacques 250 Livres lus – Angeles Toharia, Mounir Samy, Jean-François Saucier, Benoit Clotteau, Irène Krymko-Bleton, Sylvaine De Plaen, Michel Doucet, Chantal Daumas 278 Vidéos – ‘Le jeu, c’est génial’. Réal Laperrière, Simon Laperrière prisme prisme PRISME Introduction PRISME Attention, passage pour adolescents ! () Entre l’enfant et l’adulte se définit l’adolescent. Ses limites sont dessinées par l’éclairage que projette sur lui la société dans laquelle il évolue. Selon les préoccupations dominantes, les tendances culturelles, les événements historiques autour desquels elle se découpe, l’adolescence est tour à tour qualifiée de période de tous les possibles, ou au contraire de tous les dangers, voire pour certains de phase pathologique inévitable. Qu’elle fascine ou qu’elle inquiète, elle mobilise en tout cas les adultes attirés mais aussi menacés par cette jeune génération en émergence qui les pousse avec plus ou moins de ménagement au-delà de la maturité confortable tout en leur assurant un prolongement. Ce moment clé du développement humain suscite ainsi un intérêt qui dépasse largement la santé mentale et se traduit par de nombreux travaux dans toutes sortes de disciplines. De la sociologie à la pédagogie en passant par la politique, l’adolescent semble au centre des préoccupations d’une société occidentale inquiète de ses comportements. La drogue, la violence et la criminalité, le suicide, l’automutilation, la dépression, le décrochage scolaire, l’itinérance, la sexualité sont des phénomènes régulièrement médiatisés, publicisés, traités pour le grand public avec plus ou moins de bonheur et de succès mais toujours alimentés par la curiosité générale. L’adolescent devient un étranger dont il faudrait apprendre à décoder le langage obscur et les messages contradictoires; l’adolescence se détache comme un espace de turbulences potentiellement fertiles en dehors du temps qui aurait perdu momentanément son caractère inéluctable. 6 PRISME, 2005, n0 45, 6-7 Or l’adolescence est un passage qui mérite qu’on interroge son entrée et sa sortie en lui restituant une certaine continuité. Que se passe-t-il avant cette transformation corporelle, cognitive et identitaire, quels sont les ingrédients qui vont permettre une introduction sans fracas dans cette phase du développement? Comment en sortir en négociant prudemment le tournant suggéré dans le titre de ce volume, sans risquer la sortie de route et la bascule au fond d’un précipice? N’oublions pas que ce passage se déroule avec succès pour la majorité des adolescents. Les plus vulnérables, ceux qui risquent la chute ou le dérapage méritent d’être identifiés, accompagnés et protégés par des filets de sécurité. Leur place dans le monde adulte est précaire et doit être pensée différemment. Chaque époque a tenté de répondre à ces difficultés selon ses convictions et ses moyens. Nous sommes confrontés à des défis nouveaux liés entre autres à la rapidité des changements sociaux et technologiques : nous devons mettre à profit les ouvertures offertes par les progrès considérables des neurosciences et de la génétique sans pour autant perdre la richesse de notre héritage culturel et historique. Ce thème essentiel fera l’objet d’un congrès international en 2007 à Montréal qui permettra de poursuivre les réflexions et les réponses amorcées dans ce numéro par les auteurs des textes variés qui éclairent avec pertinence et créativité un sujet très actuel qui concerne l’organisation de notre système de santé. Patricia Garel () 7 prisme prisme PRISME Présentation PRISME ‘Re-naître’ à l’âge adulte Tell me what’s going wrong in this society! Simple Plan Alors, plaisant jeune homme, tu n'as donc pas entendu dire que je suis le fils d'une sage-femme [...] Mon art d'accoucher, à moi, c'est sur l'enfantement de leur âme et non de leur corps que porte son examen. Platon Théétète () 8 Tout jeune adulte qui ‘vient au monde’ rencontre le vertige de sa liberté. Dans chaque société, ce défi de s’inventer de nouvelles formes de réciprocité avec sa famille et son environnement social se pose aux jeunes hommes et aux jeunes femmes au tournant de l’âge adulte, même si les exigences associées à ce passage diffèrent selon la mentalité du temps et du milieu qui les a nourris. Baignés qu’ils sont dans le discours hédoniste et consumériste ambiant qui les exhorte à se distinguer de leurs pairs et à dépasser la génération précédente, à s’affranchir de l’autorité parentale et à repousser leurs limites, au risque même de leur intégrité parfois, il n’est pas étonnant qu’un bon nombre de jeunes adultes ‘en voie de naissance’ vivent des secousses, voire des périodes de grande vulnérabilité. Si cela est vrai des adolescents fragilisés dans leur parcours développemental ou stigmatisés dans leur être social, ce l’est encore bien davantage pour ceux qui sont porteurs d’un trouble ou d’une condition déficitaire ou qui vivent une souffrance psychologique. Du point de vue scientifique, ce dossier de PRISME s’intéressant au passage vers l’âge adulte paraît à un moment particulièrement fertile de l’évolution de nos disciplines alors que de nombreuses données tant neurobiologiques, épidémiologiques que nosologiques jettent PRISME, 2005, n0 45, 8-11 un éclairage nouveau sur cette étape de l’adolescence, sur la spécificité des tâches sinon des écueils qui bordent le parcours et risquent de grever l’avenir de certains jeunes. En 2000, Rutter et Sroufe ont en effet écrit une revue des concepts clés en psychopathologie en insistant sur la question des causalités et des mécanismes développementaux, et sur ce phénomène de continuité/discontinuité entre le normal et le pathologique. Ouvert et fouillé comme jamais auparavant par les chercheurs, cet agenda de recherche porte déjà ses fruits avec la parution très remarquée d’études longitudinales majeures qui permettent de mieux saisir les bifurcations et voies de traverse autant que de résilience empruntées au fil du développement, et ce dans des domaines aussi variés que le neurodéveloppement (Cicchetti et Walker, 2003), le tempérament (Gottfried et al., 2003), le lien et les styles d’attachement (Grossmann et al., 2005), l’agressivité (Tremblay et al., 2005) ou encore le processus d’adaptation tel qu’il se joue dans la construction de la personne depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte (Sroufe et al., 2005). En planifiant ce dossier, nous avons par ailleurs cherché à ce que le clinicien tire profit au maximum des travaux rassemblés sur diverses populations d’adolescents et de jeunes adultes à risque avec les formes de soutien à leur apporter. Par exemple, du point de vue de la recherche nosographique, ce dossier donne la parole à plusieurs auteurs qui examinent des sous-groupes diagnostiques d’enfants et d’adolescents qui, malgré des conditions apparentées, auraient des évolutions différentes, et ceci dans l’optique d’apporter des soins mieux intégrés au tournant de l’âge adulte (voir Daigneault sur la bipolarité, Gignac sur les troubles des conduites, Guzder et Zelkowitz sur la détection du trouble borderline chez l’enfant, Baillargeon sur les signes d’agressivité précoce, Morissette et Bélanger sur les trajets potentiels associés à la maternité précoce et la toxicomanie chez les adolescentes). Du point de vue de l’intervention, cet ouvrage vise à mettre en évidence les efforts déployés pour repérer précocement certaines pathologies ou leurs signes précurseurs tout en étant attentif aux périodes critiques dans l’intervention - et celle-ci aussi rapide que soutenue, surtout dans le cas de troubles avérés - afin de contrer la morbidité et favoriser le maintien des acquis thérapeutiques. On lira ainsi avec profit Tsuang et coll. sur la schizotaxie, Nicole et Blondeau de même que Abdel-Baki sur les premiers épisodes psychotiques, () 9 () 10 Maranda sur la bipolarité, Fallu et Richard sur le TDAH, Dionne et Cournoyer sur la réadaptation selon divers parcours délinquants. L’autre grand axe dans l’élaboration de ce dossier fut celui de l’organisation des soins et les correctifs face à l’articulation fréquemment défaillante des services entre adopsychiatrie et psychiatrie adulte, problématique qui est par ailleurs loin d’être unique et propre au Québec (Jamieson et Romer, 2005). On consultera à cet égard Nicole et Blondeau sur l’état des services offerts aux jeunes psychotiques, Bedwani de même que Bergeron sur leurs expériences et propositions en matière d’articulation des soins avec la psychiatrie adulte, et Lopez et Ladame à propos d’une expérience en Suisse d’intégration de soins adolescents-jeunes adultes. Cette question de la continuité des services lors de l’accession à la majorité de jeunes des milieux de réadaptation est aussi l’occasion de présenter des initiatives originales et prometteuses, dont celle de Boscoville 2000 relatée par Claude Bilodeau et Manon Fontaine, et celle du programme de qualification des jeunes au sortir des centres jeunesse discutée par Goyette et coll. Enfin, la prévention secondaire est abordée par Boucher et Daumas à propos de leur expérience de groupes d’enfants de parents atteints de psychopathologies sévères. Ainsi donc, devant le ‘vertige de l’intervention’ auquel la clinique le confronte régulièrement, nous avons tâché d’ouvrir des pistes et signaler des données qui aident le praticien à mieux repérer les troubles précoces à l’adolescence – et même plus tôt -, en particulier les traits développementaux ou psychopathologiques prédicteurs de troubles sévères à l’adolescence et d’une évolution défavorable à l’âge adulte. Au delà de ces analyses pourtant, et sachant combien le doute, s’il n’est pas trop paralysant, peut porter l’attention, susciter, soutenir l’ouverture et la créativité, l’invitation lancée finalement au clinicien est précisément celle d’utiliser son ‘incertitude comme tremplin de recherche’ (Knee, 2003), d’accepter de se laisser surprendre par la singularité, les détours parfois inorthodoxes ou imprévus de l’évolution de chaque patient, et ainsi travailler à faire advenir chez le jeune adulte en devenir une véritable liberté d’agir et de pensée. Martin St-André En collaboration avec Alain Lebel et Denise Marchand Références Cicchetti D, Walker EF. (eds) Neurodevelopmental mechanisms in psychopathology. London : Cambridge University Press, 2003. Gottfried AW, Oliver PH, Thomas GW. (eds) Temperament : Infancy through Adolescence. Munich : Springer, 2003. Grossmann KE, Grossmann K, Waters E. (eds) Attachment from infancy to adulthood. The major longitudinal studies. New York : Guilford Press, 2005, 332 pages. Jamieson KH, Romer D. A call to action in adolescent mental health. In : Evans DL, Foa E, Gur R, Hendrin H, O'Brien C, Seligman M, Walsh BT. (eds) Treating and preventing adolescent mental health disorders : What we know and what we don't know. New York : Oxford University Press, The Annenberg Foundation Trust at Sunnylands, and the Annenberg Public Policy Center of the University of Pennsylvania, 2005 : 617-623. Knee P. La parole incertaine. Montaigne en dialogue. Québec : Presses de l’Université Laval, 2003. Cité in Paré F. Note de lecture. Tangence 2004; 74 : 133-136. Rutter M, Sroufe LA. Developmental Psychopathology : Concepts and Challenges. Developmental Psychopathology 2000; 12 : 265-296. Sroufe LA, Egeland B, Carlson EA, Collins WA. (eds) The Development of the Person. The Minnesota Study of risk and adaptation from birth to adulthood. New York : Guilford Press, 2005, 384 pages Tremblay RE, Hartup WW, Archer J. (eds) Developmental Origins of Aggression. New York : Guilford Press, 2005, 480 pages. () 11 VV oo ll ee tt pp ss yy cc hh ii aa tt rr ii qq uu ee Repenser la continuité des troubles et l’articulation des soins prisme prisme p rPi sR m Ie S M E prisme PRISME no45 Psychose et intervention précoce : État de la nation Luc Nicole Claude Blondeau Dr Nicole est médecin psychiatre et chef médical de la Clinique Jeunes Adultes affiliée à l’hôpital Louis-H. Lafontaine. Claude Blondeau est médecin résident en psychiatrie. Adresse : 6070, Sherbrooke est bureau 106 Montréal (Québec) H1N 1C1 Courriel : [email protected] () 14 Le caractère évolutif de la schizophrénie et l’ampleur des répercussions de cette maladie au plan social sont des faits généralement admis par l’ensemble des cliniciens. Dans les années ’80, des études de suivi longitudinal ont permis de décrire cette évolution (Ciompi, 1980; Bleuler, 1978) et la pertinence d’une démarche de réadaptation s’adressant à des patients ayant plusieurs années d’évolution derrière eux (Harding, 1987b). Plus récemment les études épidémiologiques se sont concentrées sur des populations de patients qui en sont au début de la maladie : les patients dits premier épisode (Geddes et al., 1994 ; Gupta et al., 1997 ; Wiersma et al., 1998). Ces études ont amené à définir le concept de période critique (Birchwood, 2000), soit une période de cinq ans partant du début de la maladie où prévaut un risque élevé de suicide et de rechutes, avec toutes les conséquences au plan individuel, familial et social que cela peut entraîner. Le corollaire qui s’impose est que notre action clinique doit s’intensifier durant cette période. Les lignes directrices formulées pour le traitement de la schizophrénie par l’American Psychiatric Association (2004) sont les premières à être basées sur les données probantes. Elles concluent à la nécessité d’intervenir rapidement au moment du premier épisode et précisent la nature des interventions reconnues efficaces : 1. Intervention familiale 2. Traitement intensif dans la communauté 3. Emploi assisté 4. Thérapie cognitivo-comportementale 5. Entraînement aux habiletés sociales Déjà, Hogarty et al. (1997) avaient souligné le fait que les modalités thérapeutiques s’appuient sur une relation thérapeutique solide et une approche spécifique au stade de la maladie (phase specific). McGorry (2004) a repris l’ensemble de ces points et ajouté que ces PRISME, 2005, n0 45, 14-29 RÉSUMÉ Les auteurs dressent un portrait de la situation actuelle relativement à l'intervention précoce auprès des personnes atteintes de psychose. Ils présentent diverses données et caractéristiques concernant les principaux programmes d’intervention retrouvés dans plusieurs pays de même qu’au Canada anglais. Ils font ensuite état des programmes existant au Québec et décrivent comment le doyen d'entre eux, la Clinique Jeunes Adultes associée à l’hôpital Louis-H. Lafontaine, a su intégrer les données probantes et l'expérience clinique dans la mise en place de son programme spécialisé de soins. Ils considèrent enfin les perspectives d’avenir et les défis à relever, soulignant en particulier l’action de l’Association Québécoise des Programmes pour Premiers Épisodes Psychotiques et les objectifs visés pour le bénéfice de ces patients. services devaient être dispensés par des professionnels spécialisés au cours des premières années de la maladie et que, conséquemment, la plupart des patients ne devaient pas être transférés vers des structures de soins de première ligne, dès l’amélioration des symptômes aigus. Si le bien-fondé d’une action précoce visant à limiter les conséquences individuelles et sociales par des modalités thérapeutiques spécifiques et adaptées aux jeunes atteints de psychose est bien établi, la pratique clinique habituelle comporte cependant des délais importants dans l’intervention et elle dispose de moyens peu distincts de ceux utilisés pour d’autres pathologies psychiatriques. Un écart important existe entre ce qui est reconnu efficace dans la littérature et ce qui est disponible en clinique. Programmes spécialisés dans l'intervention précoce pour les psychoses débutantes : Perspective internationale Au cours des dix dernières années, différentes initiatives, de nature et d'ampleur différentes, ont vu le jour. Les constituantes principales de ces programmes intègrent le plus souvent les éléments mentionnés ci-haut. Le tableau 1 propose un relevé des programmes spécialisés existant au niveau international. En plus d'informations qui permettent de situer le milieu, la clientèle et le mandat de chacun de ces programmes, ce tableau indique la présence ou non d'une démarche d'évaluation avec mesures répétées, intégrée au programme en question. () 15 À partir des similitudes et différences mises en évidence dans ce tableau, quelques commentaires peuvent être formulés. Au niveau des critères diagnostiques, certains programmes visent à la fois les Premiers Épisodes Psychotiques (PEP) liés à une schizophrénie ou une maladie affective (EPPIC en Australie, EIS en Grande-Bretagne), alors que d'autres visent spécifiquement les PEP liés à un trouble de la lignée schizophrénique (TIPS en Norvège, EPP à Calgary, PEPP à London). Au niveau de l'âge de prise en charge, la tendance générale est à une admission des patients à partir de l'âge de 16 ans avec une limite d'âge supérieure plus variable, allant de 24 ans pour le programme EPPIC à 65 ans pour le programme TIPS. La détermination de ces limites d'âge doit prendre en considération plusieurs facteurs, dont l'un des principaux est celui d’arriver à une certaine homogénéité des caractéristiques populationnelles afin de développer des modalités susceptibles de favoriser une alliance et un sentiment d'appartenance chez ces patients. L'articulation avec les services de pédopsychiatrie semble variable et pour la plupart de ces programmes, elle n'était pas, à l'origine, bien définie. Le doyen de ces programmes est ainsi récemment devenu partie intégrante d'un service d'intervention en santé mentale (ORYGEN) oeuvrant auprès des jeunes (15-24 ans) en Australie (voir l’article de A. AbdelBaki dans le présent dossier). Soulignons finalement que la quasitotalité de ces programmes comprend une démarche évaluative plus ou moins élaborée. Programmes spécialisés : Initiatives québécoises () 16 Parallèlement à ces actions en Australie, en Norvège et au Canada anglais (Ontario), plusieurs milieux cliniques québécois ont innové en mettant sur pied des programmes spécialisés dans le traitement des PEP. Tout comme le tableau 1 le faisait pour les programmes hors Québec, le tableau 2 apporte des données sur les aspects de service et de recherche compris dans les programmes québécois. L'une des lacunes importantes de la situation actuelle relative au traitement et à la réadaptation des patients présentant un PEP en sol québécois concerne les patients âgés de moins de 18 ans. Une réponse partielle à cette lacune a été, pour certains programmes, d'abaisser à 14 ans l'âge limite d'admission (comme c'est le cas du programme PEPP du CH Douglas). Une telle articulation est facilitée par la double vocation (psychiatrie adulte et pédopsychiatrie) de ce centre hospitalier. Depuis ses débuts, la Clinique Jeunes Adultes PEP Non affectifs PEP Non affectifs PEP Tr. lignée SCZ et Tr. Aff et car. Psychotique non congruents PEP Diagnostic 16-50 ans 16-45 ans 16-30 ans 18-65 ans 15-24 ans Age à l’admission 2 ans 3 ans 3 ans 2 ans 1.5 an Durée de suivi 390,000 930,000 300,000 675,000 819,000 Population du secteur 50 85 120 100 255 Nouveaux Cas Interne externe Externe prodrome Externe Prodrome Externe Prodrome Interne Externe Prodrome Services fournis Évolution à 1 et 2 ans. Évolution à 3, 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24 mois et 3 ans. Évolution à 1, 2 et 3 ans. Évolution à 3 mois, 1, 2 et 5 ans; groupe-intervention comparé à 2 groupes sans intervention. Processus Impact Évolution à 6, 12, 24 mois. Évaluation du programme Traduit et adapté de: Jane Edwards, Patrick D Mc Gorry, Martin Dunitz (Eds) Implementing early intervention in psychosis. A guide to establishing early psychosis services. 2002, p.64-65 Canada, 1996 London, ON. Canada, 1996 Calgary, Alta Early psychosis Prevention (EPP) Prevention and early program for psychosis (PEPP) Grande-Bretagne, 1995 Early intervention services (EIS) Norvège, 1997 Australie, 1992 Melbourne Early psychosis Prevention and Intervention center (EPPIC) Early treatment and identification psychosis (TIPS) Pays/début Aperçu des principaux programmes spécialisés dans l’intervention précoce visant les psychoses débutantes : Perspective internationale Nom Tableau 1 () 17 (CJA) privilégie l'intégration des jeunes atteints de psychose dont le traitement (réalisé au CH Rivière-des-Prairies pour la plupart) a débuté avant l’âge de 18 ans. Une autre initiative plus récente a été de développer dans un milieu pédopsychiatrique un programme spécifique pour cette clientèle. Ainsi récemment, le programme Dépistage et Intervention Précoce de la Psychose (DIPP) a vu le jour au département de pédopsychiatrie du CHUQ. Les critères d'admission à ce programme sont les suivants : 1) psychose d’allure schizophrénique ou bipolaire ; 2) prodrome, psychose atypique, bizarrerie, si histoire familiale de psychose ; 3) la psychose toxique sera considérée en réunion d’équipe selon les besoins et la vulnérabilité du patient. Les cas sont référés pour opinion diagnostique, suivi conjoint ou prise en charge. Les services dispensés sont comme suit : évaluation structurée, travail sur les habiletés sociales, intervention familiale, travail cognitif et support par la suite des intervenants du milieu d’origine. Ce programme est en lien avec le programme adulte offert aux jeunes avec premier épisode psychotique de la région (CNDV) et permet donc une transition plus harmonieuse vers l'âge adulte. Tout dernièrement, des initiatives ont vu le jour en région. Citons ici à titre d’exemples les programmes de Rimouski et de Shawinigan. Le cas d’une clinique : Évolution de la Clinique Jeunes Adultes Pour illustrer les changements qui sont apparus au cours des dernières années dans le domaine de l’intervention auprès du jeune patient atteint de psychose, l’expérience de la CJA s’avère l’une des plus évocatrices. Rattachée à l’hôpital Louis-H. Lafontaine, la CJA est située dans le secteur est de la ville de Montréal. Une grande partie de ce secteur est reconnue comme étant très défavorisée au plan économique. La population desservie est d'environ 340 000. LA CLIENTÈLE…. () 18 Cette clinique qui a vu le jour en 1987 visait à l’origine une clientèle dite de « jeunes adultes chroniques », expression qui, aujourd’hui, peut faire bondir mais qui, à l’époque, traduisait une volonté d’agir et des efforts cliniques auprès d’une clientèle jeune déjà engagée dans un processus de chronicisation et souvent même d’institutionnalisation. Initialement, la CJA prenait le relais là où les équipes de