Métaphysique et philosophiedelaconnaissance
Mme Claudine tiercelin,professeur
lecours :laconnaissance métaphysique de la nature
Dans l’introduction à La ométrie dans le monde sensible, le philosophe Jean Nicod
faisait en 1923 l’observation suivante Le discernement de l’ordresensible quinous
entoure, quiforme la trame de notrevie et de notrescience, quinous est si présent et
cependant si indistinct, quel philosophe n’en serait curieux, même si sa métaphysique
n’en devait attendreaucun secours »?Les leçons de cette année voulaient contribuer à
montrer quelacuriosité du philosophe peut parfois êtrerécompensée, et peut-êtremême
porter un secours certain àsamétaphysique elle-même. Il serait en effetregrettable que
tel ne fût pas le cas, tant il est vrai quelemétaphysicien est en tout philosophe –comme
il est, àdirevrai, en chacun de nous, la métaphysique (même mauvaise) reposant
toujours, comme le notait Charles Sanders Peirce, sur des «observations », et la seule
raison pour laquelle on ne le reconnaît pas étant quel’expérience de tout un chacun en
est tellement saturée qu’il n’yprête habituellement aucune attention.
Quel sens donnerauprojetd’une connaissancemétaphysique
de la nature?
La premièreleçon «Quel sens donner au projetd’une connaissance métaphysique
de la nature?»té dévolue àl’examen d’un tel projetetdes raisons pour lesquelles
nous devons faireleparid’une connaissance de ce type. On arappelé les termes
du «défidel’intégration »(C. Peacocke), explicité lors de la leçon inaugurale de
mai 2011, et donné quelques illustrations de ce défi, avant de présenter les principaux
adversaires àidentifier et spécifier le sens particulier querevêt le projetd’une
connaissance métaphysique de la nature.Enfin, on abrièvement exposé les
significations possibles d’un projealiste »enmétaphysique, les pièges majeurs
àéviter,etindiqué déjà quelques pistes àprivilégier.
Pourquoi et comment soignernos illusionsmétaphysique
La deuxième leçon aanalysél’ampleur et la naturedes illusions métaphysiques
avant de proposer quelques remèdes et d’évaluer les effets de l’entreprise
626 CLAUDINE TIERCELIN
thérapeutique en philosophie. On ainsisté sur les illusions du alisme qu’il convient
d’autant plus d’identifier qu’un alisme bien compris devrait pouvoir constituer le
cœur d’une ponse correcte àlamenace idéaliste. Ont donc été précisés les divers
sens possibles du alisme, les fausses voies alistes dans lesquelles on peut se
fourvoyeret, au premier chef, l’illusion quereprésente le alisme métaphysique.
Du bonusage de l’analyse conceptuelle en métaphysique
La troisième leçon amis en lumièreles illusions modales et plus particulièrement
celles auxquelles succombe le alisme modal de David Lewis. On est parti de l’analyse
des principales distinctions conceptuelles (concevable et possible, nécessaire a
posteriori ;contingent apriori)avant de s’interrogersur la place quel’on doit conserver
ou non àlapriori dans le projetd’une connaissance métaphysique de la nature. On a
repéréles éléments d’une méthode d’analyseconceptuelle bien comprise :savoir
compter ;pratiquer intuitions et expérience de pensée ;faireunbon usagedes modalités
sans le alisme modal. On apsenté ensuite plusieurs problèmes majeurs pour
l’analyseconceptuelle, avant de montrer comment on peut les contourner et plus
encore, en tirer parti. L’examen de la portée et des limites de l’analyseconceptuelle a
établi l’importance des points suivants :savoir déterminer quelle place on laisse encore
àlapriori,ainsi quecelle quel’on est prêt àaccorder àlapsychologie cognitive. On
amesuréaussi la nécessaireprise en compte, dans le projet, de la distinction entre
«visée de compréhension »evisée de connaissance »; la tout aussi nécessaire
détermination de la manièredont on connaît quelque chose apriori et du rôle quel’on
est disposé àaccorder,sur un plan épistémique, àlintuition d’une part, àlapsychologie
populaireetàuncertain «noyau cognitif »(corecognition)d’autrepart.
Du bonusage de la science en métaphysique
La quatrième leçon s’est d’abordconcentrée sur les objections épismologiques
adressées àl’analyseconceptuelle et sur certaines ponses possibles. Parmi les
objections :ladémarcheest inutile (la science ferait toutes les ductions
nécessaires). Elle ne prête pas assez attention aux cas els.Elle s’appuie sur une
définition en termes de conditions nécessaires et suffisantes quiases limites. On a
indiqué des ponses possibles, sans sous-estimer certaines difficultés persistantes
(que rappellent, en particulier les analyses de Susan Carey dans son ouvragerécent
sur l’origine des concepts). On aaussi évoqué une ponse, partielle mais
insatisfaisante, par le fictionnalisme ou par le neutralisme (Norman Malcolm,
Wittgenstein), et suggérédenouvelles pistes plus fructueuses quis’appuieraient,
d’un coté, sur l’utile distinction entrediverses formes de nécessité et,del’autre, sur
le maintien (contesté par certains bons arguments au xxesiècle de Quine, Kripke,
Putnam) d’une distinction entre apriori et aposteriori dont il conviendrait de
mieux délimiter les domaines respectifs.
On est ensuite passé àl’examen des objections plus directement métaphysiques,
en soulignant quedupossible logique au possible el, la conséquence n’est pas
bonne. Mais on arappelé aussi l’importance du traitement métaphysique par le
possible (Duns Scot ;J.E. Lowe)etlanécessité du maintien d’un lien entre apriori
et aposteriori (sans duction du premier au second).
MÉTAPHYSIQUE ET PHILOSOPHIE DE LA CONNAISSANCE 627
La cinquième leçon est partie du constat et des nouveaux enjeux qu’avait ainsi
permis de dégager l’analysepcédente, en illustrant ce défiqu’est, pour le projet, celui
des rapports entremétaphysique et science, par l’examen de la situation àlaquelle se
trouverait précisément confrontée la philosophie de la connaissance (censée être a
priori)face aux sciences de la cognition (jugées aposteriori). On arappelé les
exigences àsatisfaire:distinguer connaîtreetcomprendre;habiliter l’a priori après
Quine ;expliciter le sens àdonner au concept de «naturalisme »;repenser la valeur
épismique de l’intuition ;redélimiter le domaine de l’apriori ;repenser les formes
de normativité, et voir notamment si certaines de ses formes ne sont pas déjà présentes
dans la nature–end’autres termes, voir si l’on peut redonner corps àlatroisième voie
envisagée par Kant mais rejetée par lui en raison du modèle quiest encorelesien de
la science comme apodictique, et de l’absence d’universalité et de nécessité qu’auraient
alors eues les catégories, retrouver donc l’inspiration de la voie d’un «système de
préformation de la raison pur.Laséance anotamment permis de préciser les divers
sens àl’œuvredans les concepts de «normativité »etdnormes », et de distinguer
des normes :(1) comme règles de signification, (2) comme propres àdes concepts ;
(3) comme engagements ou pré-requis normatifs de rationalité ;(4) comme justifications
ou raisons ;(5) enfin des normes nérales de la connaissance et de l’enquête (P.Engel).
Unefois indiquées les précautions àprendreenfonction de tel ou tel usagequ’on peut
fairedeces concepts, on s’est alors penché sur la question de savoir si l’on peut parler
de «normes dans la natur.Plusieurs conséquences ont été tirées de cetexamen :la
connaissance n’est pas la cognition ;les sciences cognitives permettent en néral de
distinguer deux axes de complexité dans la «normativité »que l’on peut assigner au
mental, selon qu’on se place au niveau représentationnel ou au niveau métacognitif
(J. Proust). Mais il semble nécessairedemaintenir une «hiérarchie »entreles états
mentaux. Uneautredélimitation du mental peut se faireàpartir des enseignements que
l’on peut tirer des développements cents de la philosophie de la connaissance
(abordés l’an passé) qui, àcertains égards, viennent àlrescousse »des sciences de
la cognition. On aindiqué quatremodifications importantes dans l’histoirerécente de
ce domaine :les questions soulees par certaines limites du fiabilisme (A. Goldman) ;
l’essor de l’épistémologie des vertus ;l’essor de la conception de la connaissance
comme état mental (T.Williamson); la transversalité de nombreuses questions, en
concluant sur l’une des pistes les plus fécondes aujourd’hui pour quiveut «sauver »
l’apriori et en redélimiter les contours, àsavoir,l’analysemenée, en épistémologie,
sur le concept «d’avoir droit épistémique »(entitlement)qui, dès le seuil de la
perception, constituerait déjà une forme (certes non déploe) de justification.
Pourquoi la connaissancemétaphysique de la nature
implique un engagement en faveur du alisme scientifique
La sixième leçon s’est d’abordattachée àsouligner les précautions àprendre, si
l’on veut mener àbien le projetd’une connaissance métaphysique de la nature, et
àbien distinguer métaphysique «scientifique »etmétaphysique «scientiste »
(S. Haack), avant de rappeler la prégnance des antinomies auxquelles doit faireface
tout alisme scientifique (ci après :RS). Un premier groupe de propriétés
définitionnelles du RS vèle des tensions. D’un côté on a:
Les thèses du RS :1)Les faits observables fournissent des données confirmant
indirectement l’existence d’entités non-observables et nos théories décrivent cette alité
628 CLAUDINE TIERCELIN
inobservable. 2) Les entités théoriques postulées par les sciences sont indispensables à
nos explications et inéliminables. 3) Le succès de nos théories scientifiques (en particulier
dans leurs prédictions) ne peut s’expliquer queparce qu’elles sont vraies.
De l’autre, on ales thèses de l’anti-réalisme (instrumentalisme, conventionnalisme,
pragmatisme) :
L’antithèse du RS :1a) Les faits observables ne permettent pas d’inférer l’existence
d’entités inobservables, et nos théories ne sont quedes instruments pour nos prédictions.
2a) Les entités théoriques peuvent êtreréduites et éliminées au profit de constructions
renvoyant àdes observations. 3a) Nosthéories scientifiques peuvent ussir dans leurs
prédictions sans êtrepour autant vraies d’un monde indépendant.
Des arguments ont été avancés en faveur du RS :lunification de ses théories ;le
caractère explicatif des théories ;l’existence de prédictions nouvelles.L’argument
dit du «non miraculeux »:seul le RS peut expliquer quelascience connaisse des
«succès »qui ne tiennent pas du miracle. Puis on apsenté trois nouvelles
objections au RS, en faveur de l’anti-réalisme :argument de la «sous-détermination
des théories par les données empiriques »(thèse Duhem-Quine) ;fausseté des
théories au cours de l’histoire; impossibilité de direquelle est la «meilleure»
théorie. Àlaquestion de savoir si nous sommes donc voués au relativisme ou au
neutralisme, on aopposé des issues possibles contrel’empirisme constructif de Bas
Van Fraassen et présenté de nouveaux arguments positifs en faveur du RS., reposant
sur ses aspects métaphysiques, sémantiques et épistémiques (S. Psillos). En pariant
sur un certain optimisme épistémique, on apsenté des arguments s’appuyant
notamment sur :l’argument du non miraculeux ;lavaleur épismique de l’abduction
ou «inférence àlabonne explication ». Enfin, on apsenté les raisons pour
lesquelles un projetdeconnaissance métaphysique de la naturenesuppose pas
seulement un engagement en faveur du alisme scientifique (S. Psillos), mais aussi
un engagement métaphysique du aliste scientifique lui-même.
En quoi consistent lespropriétés ellesdelanature?
Dispositions, lois et essences
La septième leçon acommencé par faireretour sur l’un des arguments forts en
faveur de l’optimisme épistémique, et précisé en quoi consiste la valeur épismique
de l’abduction. Ont été rappelées les objections àson encontre:confusion supposée
entreplans logique (justification) et psychologique (découverte) ;entrepouvoir de
deviner et inférence (le fait surprenant C, est obser;mais si tait vrai, Cirait
de soi ;partant, il yades raisons de soupçonner queAest vrai). On apcisé de
quelle manière, pourtant l’abduction pouvait constituer une bonne méthode et être
utilisée comme une inférence, sinon àlameilleure, du moins àune «bonne »
explication.
On aensuite analysélaforme quedevrait, selon nous, revêtir l’engagement
métaphysique du aliste scientifique, en le faisant reposer sur quatrethèses
essentielles 1. Unethéorie causale des propriétés. 2. Uneconception dispositionnaliste
conditionnelle des lois. 3. Un alisme dispositionnel quineredoute ni un certain
quidditisme, ni la causalité finale, ni la nécessité de certaines lois. 4. Un alisme
convaincu de la nécessaireprise en compte de tout l’ameublement catégoriel du
monde.
MÉTAPHYSIQUE ET PHILOSOPHIE DE LA CONNAISSANCE 629
Partant du principe qu’un projetvisant àlaconnaissance métaphysique de la
naturedoit savoir compter les choses, on aalors esquissé les étapes quedevrait
suivreune telle enquête sur les propriétés elles de la nature(l’analyseplus
détaillée étant menée en parallèle dans le séminaire). Celle-ci devrait permettre, en
particulier,deréhabiliter certaines propriétés longtemps tenues pour obscures,
éliminées puis simplement duites, avant d’êtrefinalement tenues pour «réelles »,
voiressentielles », àsavoir les propriétés dispositionnelles Cela apermis
d’avancer des objections contre, àlafois le «catégoricalisme »(D. Armstrong) et
le «pandispositionnalisme »(D.H. Mellor), ainsi quedepremiers arguments en
faveur du alisme dispositionnel. Des pistes se dessinent :
1) Contreleréalisme métaphysique, il faut rechercher une forme de alisme
scolastique.
2) Il faut commencer par procéder àune analyselogique et sémantique permettant de
dégager la signification de nos attributions de propriétés dispositionnelles, opérer
les distinctions quis’imposent entrepropriétés et prédicats, et entrecertaines sortes
de propriétés et certaines sortes de prédicats,entreleconcept de «pouvoir »etles
propriétés en vertudesquelles les choses ont les pouvoirs qu’elles ont. Il faut, dans
le même élan, interrogerlacorrespondance entrecette distinction et celle quel’on
fait entrepdicats dispositionnels et prédicats non dispositionnels, ou encoreentre
propriétés ou prédicats dispositionnels et catégoriques catégorique », par
exemple, veut-il dirinconditionnel »?
3) Il faut ensuite fournir des critères d’identification précis des propriétés, et évaluer
la naturedulien (direct ou indirect ?) entreattributions dispositionnelles et
subjonctifs conditionnel ent les conséquences liées aux difficultés queposent les
conditionnels non rifonctionnels, les «antidotes »etles «dispositions
traîtresses ».
La huitième leçon apoursuivi l’enquête sur les propriétés en présentant les
arguments principaux (détaillés dans le séminaire) quisont néralement invoqués
par les partisans du monisme dispositionnel, àsavoir la thèse selon laquelle toutes
les propriétés de la natureseraient essentiellement dispositionnelles :contrele
quidditisme, on aune condition d’identité transmondaine (etnon pas primitive)
pour les propriétés ;onparvient àune analysedes lois de la naturecomme étant
produites par les essences dispositionnelles ;onpeut envisager même de ne pas
avoir recours aux lois ;ovite les défauts des conceptions gulariste et
nécessitariste-nomique des lois ;onrend mieux compte de la force modale des lois.
Le modèle dispositionnel est donc plus économique, mieux en accordavecla
science, et constitue une meilleureapproche des lois. En effet, l’approche
dispositionnaliste des lois est plus explicativeque le modèle humien ou de Ramsey-
Lewis, le modèle de l’argument nomologique (AN :ilyaunensemble Sde
caractéristiques du monde ;ilyaSparce qu’il yades lois de la nature[Armstrong,
1983, chap. 2-5]), le modèle de la «nécessitation naturelle »Dretske-Tooley-
Armstrong ou DTA:N(F,G).
On peut néanmoins adresser plusieurs objections àuntel modèle :les propriétés
ne semblent pas toutes dispositionnelles (exemple :les propriétés ométriques) ;
les lois ne semblent pas toutes métaphysiquement nécessaires ;lerisque d’idéalisme
est constant ;ildevient impossible de tracer une distinction entreles pouvoirs et
leurs manifestations elles. Il convient donc de rechercher un autremodèle plus
satisfaisant pour notreprojet.
1 / 24 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !