Nouvelle économie, répartition des revenus et inégalités

Complément F
Nouvelle économie,
répartition des revenus et inégalités
Patrick Artus et Évariste Lefeuvre
Caisse des dépôts et consignations
L’ouverture des inégalités de revenu aux États-Unis est davantage liée à
la nature de la croissance (et en particulier au progrès technologique)
qu’aux nouvelles concurrences internationales. Ce modèle de croissance va
se propager en France où l’ouverture des inégalités sera probablement
rejetée, ce qui pourrait compromettre le retour de la croissance si ses consé-
quences ne sont pas acceptées.
Une piste consiste à distinguer les inégalités inter-groupes des inégalités
intra-groupes:ledéveloppementdelanouvelleéconomiesemblepasserpar
l'acceptation d'inégalités inter-groupe plus marquées.
Inégalités : les faits stylisés
Au terme de plus de cinq années de croissance forte, le revenu réel
médiandesménagesaméricainsaaugmentépourlaquatrièmeannéeconsé-
cutive et atteint désormais son plus haut niveau historique : 2,6 points de
pourcentage plus élevé que son plus haut niveau enregistré en 1989 (gra-
phique 1).
Toutefois, bien qu’atténué, le creusement des inégalités inter-ménages
continue de s’intensifier, quels que soient les critères utilisés (âge, sexe,
éducation, salaires individuels ou revenus des ménages). C’est ce
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qu’indique l’évolution de l’indice de concentration (1) (le saut de 1993 cor-
respond à un changement dans la méthode de calcul du Census Bureau)
(graphique 2). L’augmentation continue de l’indice reflète la dispersion
croissantedeladistributiondurevenudesménagesaméricainsdepuis1970.
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(1) L’indice de concentration (ou de Gini) a une valeur comprise entre 0 et 1. Nombre sans
dimension, il a une valeur d’autant plus élevée que la répartition est inégalitaire.
Sur une période plus longue, l’élargissement des inégalités est plus per-
ceptibleencore.Larépartitionparquintilesdurevenudesménagess’illustre
par un biais en faveur des ménages les plus riches (graphique 3).
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L’analysedes revenusd’activitémontre aussi queles différences sontde
plus en plus marquées entre catégories de travailleurs sur le marché du tra-
vail. Elles sont généralement accentuées par les facteurs de différenciation
habituels que sont l’expérience et le niveau d’éducation.
Après une période de relative stabilité, puis un large déclin au cours des
années 1970, l’écart de rémunération entre travailleurs qualifiés et non qua-
lifiéss’est fortementaccentué lorsdesdeux dernièresdécennies. Laprime à
la qualification est devenue un facteur non négligeable de creusement des
inégalités au cours des vingt dernières années (graphique 4).
Abstraction faite des niveaux de qualifications, la prime à l’expérience
s’est accrue sur la période. Stable jusqu’au début des années 1970, le ratio
des salaires entre classes d’âges (graphique 5) n’a cessé de progresser jus-
qu’en 1994, avant de se réduire un peu. L’écart est encore plus marqué au
sein de la population qui possède un niveau d’éducation très faible.
Facteurs d’explication institutionnels
Parmi les différents facteurs invoqués pour expliquer le creusement des
inégalités, on retrouve :
Le déclin du pouvoir des syndicats
Lapartdessalariéssyndiquésestpasséede30 %danslesannées1970à
moins de 15 % aujourd’hui. Le taux de syndicalisation a en particulier
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fortement chuté au cours de la décennie 1980, période où les écarts de sa-
laires se sont considérablement accrus.
La baisse du salaire minimum
Entermesréels,lesalaireminimumaatteinten1995sonniveaude1955.
Le déclin du salaire minimum, à partir du début des années 1980, va de pair
avec l’accroissement des inégalités. Le maintien à une valeur pour le moins
constante du salaire minimum aurait permis de limiter une trop forte disper-
sion de la distribution des revenus (graphique 6).
Nécessaires pour comprendre l’évolution récente des inégalités, ces fac-
teursinstitutionnels n’en restentpas moins insuffisantspour expliquer la di-
versité des facettes du phénomène. Ainsi, l’évolution du salaire minimum
présente un contenu informationnel limité lorsqu’il s’agit d’appréhender la
prime à la qualification entre diplômes universitaires et l'équivalent du bac-
calauréat. Bien que la forte baisse du taux de syndicalisation ait été conco-
mitante de l’accentuation des inégalités, elle ne peut par exemple expliquer
l’évolutiondela distributiondes revenusféminins (troppeu defemmes sont
syndiquées).
Plus important encore, ces deux facteurs n’apportent pas de réponse à la
principaleinterrogation:pourquoi,endépitdel’accroissementdel’offrere-
lative de main d’œuvre qualifiée, le salaire relatif des travailleurs qualifiés
s’est accru substantiellement depuis 1980 ?
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