Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes et variabilité
L’anthropologie du vivant : objets et méthodes L’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 2010
La détermination des «seuils» de normalité peut s’en trouver affectée.
Pour remédier à ces inconsistances méthodologiques, de nombreux
protocoles de construction de standards ont été proposés (Borghi et al
2006, Preece, Baynes 1978, Ward et al 2001). Il n’en reste pas moins
que l’uniformisation des procédés de construction des standards est loin
d’être acquise, comme en témoignent, par exemple, les innombrables
formules d’estimation du poids fœtal (Dudley 2005).
>La diversité des populations utilisées pour la construction des standards
Si les problèmes de «construction» des référentiels sont importants, et
pas toujours explicités dans la littérature, ils restent négligeables par
rapport à la question centrale de leur représentativité. Les disparités
génétiques, sociologiques et médicales, créent une mosaïque de sous
unités populationnelles distinctes. La question se pose alors de savoir
s’il convient d’utiliser des «normes» de croissance pour chacun de ces
sous-groupes, ou un nombre restreint de normes à valeur universelle.
Les choix ne sont pas neutres sur le plan conceptuel, et peuvent être
lourds de conséquence. Par exemple, dans le domaine de la santé
publique, la décision d’appliquer les normes de croissance des pays
développés aux pays en voie de développement peut conduire à une
surestimation des retards de croissance. Mais, à l’inverse, n’utiliser
que des normes locales élaborées à partir de populations à forte
morbidité revient à sous estimer le nombre d’enfants «en défaut de
croissance». Par ailleurs, on ne peut nier l’existence de différences
de «potentialités» génétiques entre groupes humains, comme
l’attestent les corrélations de taille parents-enfants. Comment alors
rendre compte de la complexité de la variabilité de croissance
normale au sein d’une population par dénition hétérogène ?
Doit-on établir des normes en fonction de la taille des parents ?
Doit-on, au contraire, choisir une population de référence la plus
large possible, à l’échelle d’un pays au risque d’augmenter la
variabilité, et donc de diminuer la sensibilité des standards? Le
problème de l’efcacité de standards universaux a été et est
encore âprement débattu (Onis et al 2007, Wang et al 2006).
Les standards de croissance pourraient être idéalement
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établis à partir d’une population de référence locale. Cette solution
est certainement la plus able, moyennant quelques précautions
méthodologiques, mais elle nécessite un investissement pratique
parfois difcile à réaliser, et la nécessité d’un renouvellement fréquent
en fonction des changements populationnels. L’autre solution
consiste à choisir un standard de croissance parmi ceux de la
littérature. Ce choix ne peut s’opérer uniquement sur des critères de
abilité méthodologique, mais doit pondérer les avantages respectifs
des différents standards disponibles en matière de spécicité et de
sensibilité.
Quelle que soit la rigueur avec lequel un standard a été établi, son
utilisation pratique - c’est à dire son utilisation pour l’estimation
individuelle de l’âge ou de la qualité de la croissance d’un individu
- se heurte à deux difcultés :
- Quel seuil doit-on prendre en compte pour délimiter la croissance
pathologique de la croissance normale ? 5ème percentile ? 10ème
percentile ? – 2 écart-types ? Les usages sont très variables d’une
discipline médicale à l’autre, d’une variable biométrique à l’autre, et
selon les centres d’études. Ceci montre la part d’arbitraire qui entoure
la notion de « normalité » de croissance, l’évaluation biométrique
n’étant qu’un des éléments d’appréciation du développement
individuel.
- Comment évaluer correctement la croissance d’un individu à partir
de standards de croissance moyens ? La comparaison, à un âge
donné, des dimensions d’un sujet avec des valeurs de référence
suft-elle à détecter toute anomalie de la croissance ?
L‘utilisation des courbes standards pour la surveillance individuelle
de la croissance sous-tend un préjugé implicite : tous les enfants
eutrophiques possèdent les mêmes types de courbe de croissance,
la variabilité inter-individuelle restant faible. En réalité, la diversité
des cinétiques de croissance chez l’enfant sain rend impossible
l’appréciation de la qualité de la croissance à partir de mesures
Utilisation pratique des standards de croissance