
Vingt ans
de transformations
de l'économie
française
Cahiers français
n° 311
Population
et emploi,
les nouveaux enjeux
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L’impact du SMIC dans la détermination des
salaires s’est accru car il représente une fraction
croissante des salaires du secteur privé (de 11 %
en 1987 à 14 % en 2000).
De plus, les pouvoirs publics ont mené une
politique de réduction des charges sociales pesant
sur les bas salaires et ont donc limité dans la
deuxième partie des années 90 la baisse de la
demande d’emplois peu ou non qualifiés. Cette
politique a certes augmenté l’éventail des coûts
salariaux totaux, mais elle a maintenu le salaire net
perçu.
Toutefois, si l’écart ne s’est pas accru par le bas, il
aurait tendance à s’élargir par le haut à partir de la
fin des années 90, avec la forte croissance des très
hauts salaires. Ainsi, entre 1998 et 1999, le rapport
du dernier centile au salaire médian est passé de
4,59 à 4,67. La concurrence internationale n’amène
donc pas une égalisation des salaires vers le bas,
mais plutôt une harmonisation des salaires élevés,
ce que ne reflète pas nécessairement l’écart
interdécile qui reste un niveau trop agrégé pour
faire apparaître ce type d’évolution.
De manière plus générale, la stabilité à long terme
des écarts de salaires interdéciles pourrait être
menacée par la diversification des modes de
rémunération dont la fixation est devenue
progressivement plus aléatoire. Si
l’individualisation a peu progressé (CERC, 2002),
de plus en plus d’entreprises pratiquent la
participation et l’intéressement des salariés aux
résultats de l’entreprise. Le développement des
plans d’épargne entreprise et des stock-options en
sont l’illustration, tout comme la multiplication des
primes. Or, non seulement ces modes de
rémunération sont le plus souvent réservés aux
salariés les plus qualifiés, mais ils sont plus
importants dans les grandes entreprises que dans
les petites, et inexistants dans la fonction publique
(à l'exception des primes). Ces transformations qui
touchent très inégalement les salariés, risquent
donc de peser sur l’éventail des revenus d’activité.
La fragilisation de la relation
à l’emploi a creusé les écarts
Si l’éventail des salaires ne s’est pas creusé ces vingt
dernières années, les transformations qu’a connues
le marché du travail ont contribué à accroître les
inégalités de revenus d’activité. De 1970 à 1984, les
revenus déclarés avaient augmenté pour tous les
déciles. Par la suite et jusqu’en 1990, on avait assisté
à une stabilisation, mais à partir de cette date, les
déciles les plus bas ont connu une baisse de leur
revenu déclaré tandis que les déciles en haut de
l’échelle ont fortement augmenté.
Le développement continu du chômage a
mécaniquement réduit le revenu d’activité des
ménages dont au moins l’un des membres est touché.
Au-delà, l’augmentation de la durée moyenne du
chômage, et la baisse de l’employabilité qui en
résulte, réduisent les niveaux de vie de manière très
importante. À cela s’ajoute le durcissement de
l’indemnisation du chômage dans les années 90. Face
à la dégradation des comptes de l’assurance-chômage,
la part des chômeurs indemnisés a été fortement
réduite, passant de 63,4 % en 1993 à 52,4 % en 1999.
Dans le même temps, la proportion de chômeurs
faiblement indemnisés n’a cessé de croître (40 % des
chômeurs indemnisés touchent moins d’un demi-
SMIC en 1998 contre 12 % en 1992). Au final, le
RMI s’est substitué à l’assurance-chômage pour 10
% des chômeurs (Atkinson et alii, 2001).
La précarisation d’une partie des emplois a joué dans
le même sens. Le développement de l’intérim, des
contrats à durée déterminée, mais plus encore celui
du temps partiel, dont la part dans l’emploi total est
passé de 5,8 % en 1970 à 16,9 % en 2000, ont
fortement réduit le revenu d’activité d’un nombre
croissant de ménages. Outre que ce temps partiel est
plus souvent subi par les bas salaires (le temps partiel
non désiré représente le tiers des temps partiels du
premier décile et seulement 10 % au niveau de la
médiane), le rapport interdécile des seuls temps
partiels est de 5 contre 3,1 pour les seuls temps
complets (CERC, 2002). Cette inégale exposition au
chômage et à la précarité de l’emploi a en définitive
creusé les écarts entre les différentes catégories
d’actifs.
Autre fait marquant, la polarisation de l’emploi entre
les ménages a participé au creusement des inégalités
de revenus déclarés. On a ainsi constaté une
augmentation du nombre de ménages où les deux
conjoints ont un emploi (à plein temps ou à temps
partiel) et celui où aucun ne travaille.
Parmi les changements structurels qui ont touché
l’économie française et qui ont certainement affecté
l’évolution des inégalités, la mondialisation et la
concurrence internationale ont principalement joué
en faveur d’une augmentation des hauts salaires. De
même, l’avènement des nouvelles technologies de
l’information a constitué un changement conséquent,
mais pour autant il ne semble avoir suscité le
creusement des écarts de salaires, notamment aux
États-Unis où les inégalités salariales ont augmenté
avant tout durant les années 80. En revanche, la
1. Évolution du rapport interdécile
des salaires
Source : Picketty, 2001.