Introduction Horizons en philosophie continentale : le

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Introduction
Horizons en philosophie continentale :
le numéro non thématique annuel
MARTINE BÉLAND
* English follows
Les nombreuses soumissions reçues pour ce numéro non thématique de la revue PhaenEx
montrent que l’existentialisme et la phénoménologie s’intéressent décidément à un vaste éventail
de thèmes et de questions. Dans les années récentes, le terme de « phénoménologie » en est
d’ailleurs venu à recouvrir parfois tout le champ de la philosophie continentale en tant que telle.
Les questions, les méthodes et les objectifs qui sont ceux de la philosophie continentale au moins
depuis le 19e siècle — si l’on remonte à Hegel et sa Phénoménologie de l’esprit ou au
pessimisme moderne de Schopenhauer — se rattachent à un ensemble notionnel et à un corpus
que l’on qualifie aujourd’hui généralement de phénoménologique ou d’existentialiste. Faudrait-il
en conclure que les chercheurs qui travaillent sur ces questions se considèrent d’emblée comme
phénoménologues? Ce n’est bien sûr par le cas, et l’identification philosophique des chercheurs à
un domaine particulier repose certainement moins sur la reconnaissance d’un titre ou d’un terme,
que sur celle d’un corpus commun et d’un ensemble de questions que la philosophie continentale
au sens large considère comme faisant partie de son champ. Champ d’expertise, parfois, mais
champ d’investigation, à coup sûr : s’il suffit par exemple de consulter un numéro récent du
Newsletter of Phenomenology pour constater la richesse des études continentales actuelles, cette
lecture peut aussi entraîner un constat stimulant — à savoir que la recherche en philosophie
PhaenEx 3, no. 1 (spring/summer 2008) : i-ix
© 2008 Martine Béland
- ii PhaenEx
continentale défriche continuellement de nouveaux terrains d’étude. La revue PhaenEx, qui
entame ici son troisième volume, espère en témoigner.
Les ponts entre les auteurs (fûssent-ils philosophiques ou littéraires) et entre les domaines
d’investigation de la philosophie continentale (l’esthétique, la théorie politique ou l’éthique, pour
ne nommer que ceux-là) sont multiples. Or, le grand avantage d’un numéro non thématique est
que ces ponts s’y montrent d’eux-mêmes : le champ s’y déploie pour ainsi dire naturellement,
grâce aux articles non sollicités qui sont soumis par des chercheurs en provenance d’horizons
divers. Certains auteurs qui nous proposent des textes travaillent au sein de départements de
philosophie d’Amérique du Nord ou d’ailleurs — qu’ils soient des scholars bien établis ou
encore de jeunes chercheurs —, alors que d’autres abordent la philosophie continentale à partir
d’une perspective interdisciplinaire. Ainsi voit-on les perspectives de la philosophie continentale
être intimement liées à celles des arts, de la littérature, des sciences sociales ou des sciences
appliquées. Parmi les textes reçus et évalués en vue de former ce numéro, les articles retenus
peuvent être répartis en trois domaines : l’étude d’auteurs et de thèmes classiques de la pensée
phénoménologique, la pensée politique et enfin, l’application pratique des concepts et des
méthodes de la philosophie continentale.
En un premier temps, ce numéro de PhaenEx propose trois textes qui s’intéressent à la
phénoménologie au sens strict. Maria Antonietta Perna livre d’abord un article dans lequel elle
s’emploie, à partir d’une perspective propre à la philosophie continentale, à répondre à la
philosophie de l’esprit du Britannique Robert Kirk. La réponse de M. A. Perna prend la forme
d’une analyse de la question de la conscience dans L’être et le néant de Jean-Paul Sartre, de
façon à souligner des propositions pour l’éthique ainsi que pour l’étude scientifique du
phénomène de la conscience. Matthew Lyons Congdon propose ensuite une étude de la notion
- iii Martine Béland
de « faute » dans la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. Il adopte la perspective d’une
discussion des implications sociopolitiques de la conception hégélienne du sujet comme étant
toujours déjà schuldig. Enfin, Samuel Mickey s’intéresse à la fonction de l’epoche dans les
interprétations phénoménologiques de la religion, et plus précisément à l’œuvre du théologien
néerlandais Gerardus van der Leeuw (1890-1950). Il cherche ainsi à cerner les moyens
permettant l’ouverture, voire même la diplomatie, dans les dialogues interconfessionnels.
En un deuxième temps, nous proposons deux articles qui se rattachent à la pensée
politique. Sophie Cloutier examine d’abord les concepts de « mal radical » et de « banalité du
mal » dans la pensée politique d’Hannah Arendt, à la lumière de la position arendtienne face au
criticisme kantien et de la compréhension augustinienne du mal comme privatio boni. En
s’intéressant primordialement au rôle de la volonté dans la question du mal, S. Cloutier est
amenée à commenter autant l’œuvre d’Arendt sur Eichmann que ses cours sur Kant. Gregory
Cameron propose ensuite une réflexion sur le legs de la pensée grecque pour la philosophie de
l’économie. Pour ce faire, il mène une étude schématique de la transformation de la notion
d’oikos à travers l’histoire de la pensée économique.
Ce numéro de PhaenEx se termine enfin par un article du professeur d’architecture
Randall Teal. Dans une perspective résolument interdisciplinaire, R. Teal détermine l’utilité de
certains concepts tirés de l’œuvre de Martin Heidegger pour comprendre le rapport de
l’architecte au monde — et aussi le rapport de l’étudiant en architecture, qui est un architecte en
devenir. En partant d’une discussion du film du réalisateur américain Terrence Malik, The New
World (2005), R. Teal se penche à la fois sur l’œuvre heideggérienne et sur son propre travail
comme professeur d’architecture, pour mener une réflexion sur la relation de l’être humain à
l’espace.
- iv PhaenEx
Pour illustrer ces six articles, une photographie hivernale a été choisie. Pourquoi les
glaces et le froid, pourquoi l’hiver pour représenter un numéro de printemps? Une image et un
clin d’œil sont à la source de ce choix. Cette photographie offre d’abord l’image d’un horizon :
celui de la philosophie continentale, peut-être, ou encore celui de la pensée philosophique en
général. Par-delà les berges glacées, par-delà la sédimentation des objets, des acquis ou des
concepts, par-delà la solidification d’un champ qui semble parfois prédéfinit, l’horizon de la
philosophie — pour peu qu’on l’observe à partir d’une perspective englobante ou distante, un
regard qui peut d’ailleurs être favorisé par l’interdisciplinarité — l’horizon de la philosophie,
donc, se révèle mouvant, tourné vers l’indéfini, l’incertain et toujours ouvert sur une immensité
de perspectives. Cette photographie est ensuite un clin d’œil que j’ai voulu faire aux lecteurs, en
tant que rédactrice en chef. Cette photographie fait office de making-of pour rappeler qu’une
publication qui paraît au printemps demeure néanmoins le reflet… des saisons précédentes! À
tous nos lecteurs des États-Unis, de l’Ouest du Canada, de l’Europe et d’autres contrées qui
connaissent des hivers cléments, j’ai voulu montrer le décor dans lequel ce numéro de PhaenEx
fut en partie préparé. Ce décor est celui d’un Horizon d’hiver à Rimouski (M. Béland, janvier
2008).
Remerciements
Je le sais d’expérience : un directeur d’édition doit être épaulé par une équipe forte afin
que le résultat respecte à la fois le calendrier fixé et les critères d’excellence d’une revue savante.
C’est pour cette raison que je tiens à remercier tout le comité de rédaction de la revue PhaenEx,
en qui je suis heureuse d’avoir trouvé une nouvelle équipe de travail. Plus précisément, je
remercie John Duncan, Lisa Guenther, Astrida Neimanis et Chloë Taylor pour leurs yeux de
-vMartine Béland
faucon, ainsi que Paul Gyllenhammer qui a su me dévoiler les voies cachées du site Internet de la
revue. J’adresse aussi mes sincères remerciements aux trente-cinq évaluateurs francophones et
anglophones — dont je ne peux dévoiler les noms —, qui ont gentiment accepté de lire (et
certains plus d’une fois) les nombreux articles soumis pour ce numéro non thématique. Enfin, je
tiens à remercier Marie-Michelle Morisset et Chris Wood pour leur aide technique.
- vi PhaenEx
Editorial Introduction
Horizons in Continental Philosophy:
The Annual Open Issue
MARTINE BÉLAND
The many submissions received for this open-issue of PhaenEx show that existentialism
and phenomenology address a variety of themes. In recent years, “phenomenology” has even
started to be used more and more to name the general field of continental philosophy per se. The
topics, methods, and objectives of continental philosophy since the early 19th century—if one
traces it back to Hegel’s Phenomenology of Spirit and Schopenhauerian pessimism—are linked
to notions and texts that one generally qualifies today as phenomenological or existentialist.
Must one conclude that researchers working on these issues consider themselves
phenomenologists? Of course, that is not always the case. These researchers’ philosophical
identity surely has more to do with a common corpus and set of questions that continental
philosophy at large considers as forming its field. This field of investigation is ever growing, as a
quick glance at the recent Newsletter of Phenomenology reveals—a stimulating situation for any
continental philosopher. The first issue of PhaenEx’s third volume samples the richness of this
broad field of research.
The pathways between authors (whether philosophical or literary) and questions (in
aesthetics, political theory, or ethics, to name a few) are numerous. The advantage of a nonthematic journal issue is that these pathways and channels can appear in its pages: they show
themselves naturally, one could say, thanks to the unsolicited papers that are submitted by
- vii Martine Béland
researchers who work within continental philosophy’s various horizons. Some of the authors in
this non-thematic issue are established scholars, whereas others are young researchers, and some
approach issues from an interdisciplinary perspective. These varying sources make for different
perspectives in which one sees that philosophy, literature, social sciences, arts, and applied
sciences are interrelated. The papers that have been successfully reviewed to form this openissue can be divided into three areas: the study of classical authors and issues in
phenomenological thought, issues in political theory, and issues in applied continental
philosophy.
In the first category, there are three articles that pertain to phenomenology stricto sensu.
Maria Antonietta Perna first proposes to reply to British philosopher Robert Kirk’s philosophy
of mind from a continental perspective. Her article presents an analysis of the question of
consciousness in Jean-Paul Sartre’s Being and Nothingness in order to suggest some implications
for ethics and for the scientific study of consciousness. Next, Matthew Lyons Congdon presents
a study of the notion of “guilt” in Hegel’s Phenomenology of Spirit. He chooses to discuss the
sociopolitical implications of the Hegelian conception of the subject as always already
“schuldig.” Finally, Samuel Mickey offers us an essay on the function of the epoche in
phenomenological interpretations of religion. More precisely, Mickey studies the work of Dutch
theologian Gerardus van der Leeuw (1890-1950) in order to underline means for encouraging
openness and diplomacy in interfaith dialogues.
In the second category appear two papers in political theory. Sophie Cloutier starts by
examining the concepts of “radical evil” and the “banality of evil” in Hannah Arendt’s thought,
both in the light of Arendt’s critical appraisal of Kant, and of her relation to Augustine’s
understanding of evil as “privatio boni.” Primordially concerned with the role of the will in
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respect to evil, Cloutier comments on Arendt’s work on Eichmann as well as on her courses on
Kant. Gregory Cameron then turns towards the appraisal of the Greek legacy in contemporary
philosophy of economics. He proposes to do so by engaging in a schematic study of the notion of
oikos’ transformation throughout the history of economic thought.
Finally, this open-issue comes to a close with a paper by professor of architecture
Randall Teal. Writing from an interdisciplinary perspective, Teal reflects upon the usage one
can make of Heideggerian concepts in order to understand the architect’s—along with the
architectural student’s—relation to the world. Stemming from a discussion of American film
director Terrence Malick’s 2005 The New World, Teal discusses both Martin Heidegger’s
thought and his research in architecture as means to foster a meditation on our relationship with
space and with the natural world.
To illustrate these six articles, I chose a photograph of a cold, crisp, and icy winter
landscape. Why, might you ask, take winter to depict … a spring issue? My idea was to convey
both an image and a message to our readers. First the image: this photograph shows a horizon,
which could be that of continental thought, or of philosophy at large. But what I mean to say is
that beyond the frozen banks—beyond the sedimentation of objects and concepts, and beyond
the solidification of a field that sometimes seems as though it were predefined—if one takes care
to observe it from a general or distant standpoint (which can be fostered by interdisciplinarity),
the horizon of philosophy is ever moving. It is turned towards the immeasurable, and it remains
forever open onto an immensity of perspectives. Now the message: as lead editor, I chose this
photograph as a sort of “making of”: by evoking the fact that an issue that comes out during
springtime was in fact prepared during the preceding months, I wanted to share with our readers
from the United States, Europe, and other areas where winters are perhaps not as harsh, the
- ix Martine Béland
environment in which this issue was in part put together. This environment is that of A Winter
Horizon in Rimouski (M. Béland, January 2008).
Acknowledgments
Many acknowledgments must be sent out to people whose help made preparing this issue
an easier task. I would first like to thank the thirty-five francophone and anglophone reviewers
who read and evaluated papers. Although I cannot state their names, I wish to send them my
gratitude for contributing some precious time to PhaenEx. Second, I wish to thank John Duncan,
Lisa Guenther, Marie-Michelle Morisset, Astrida Neimanis, Chloë Taylor, and Chris Wood for
their technical help and sharp eyes. Finally, many thanks to Paul Gyllenhammer for guiding me
through the intricacies of our website! I have learned over the years that a lead editor needs a
strong editorial team in order to answer both deadlines and demands of quality—that is why I
thank everyone at PhaenEx for the best support possible through this first issue I have had the
pleasure to lead.
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