FACTEURS DE RISQUE DE RÉADMISSION OU DE PROLONGATION DU SÉJOUR POSTOPÉRATOIRE Francis Bonnet, Jessica Pessayre, Anissa Houhou, Catherine Spielvogel. Service d’anesthésie réanimation, hôpital Tenon, groupe hospitalier est parisien, université Pierre & Marie Curie INTRODUCTION La prise en charge des patients opérés s’est profondément modifiée dans le sens d’un raccourcissement des durées de séjour hospitalier justifié par un objectif médical : diminuer la morbidité et la mortalité et un objectif économique : diminuer le coût global des soins. Pour atteindre ce double objectif une réorganisation profonde des circuits de prise en charge des patients et le développement de soins de support ont été nécessaires. Les chemins cliniques suivis par les patients sont de mieux en mieux organisés et de plus en plus codifiés pour laisser le moins de place possible à l’aléa. Deux types de circuits se sont ainsi mis en place pour les patients opérés : la chirurgie ambulatoire et les procédures d’habilitation et de réhabilitation dans le cadre de la chirurgie en hospitalisation conventionnelle. Ces procédures aboutissent effectivement à une réduction drastique des durées de séjour, tout au moins dans le cadre de la chirurgie programmée. Dans ce contexte les admissions non prévues en chirurgie ambulatoire ou les réadmissions précoces en chirurgie ambulatoire ou après une hospitalisation conventionnelle bénéficiant d’une procédure de récupération fonctionnelle accélérée, apparaissent comme des échecs de prise en charge. Prédire et prévenir ces échecs constituent des objectifs nécessaires si l’on veut fiabiliser les parcours de soins. 1. CHIRURGIE AMBULATOIRE Les échecs de la procédure comprennent à la fois les hospitalisations non prévues et les réhospitalisations précoces. Le taux d’échecs de la chirurgie ambulatoire doit être inférieur à 2-3 % [1]. Cependant pour certaines procédures chirurgicales pour lesquelles la prise en charge ambulatoire est « innovante » on peut admettre un taux d’échec supérieur. La prévention des échecs passe d’abord par une sélection appropriée des patients : les critères de sélection à la chirurgie ambulatoire sont maintenant bien connus et il n’est pas nécessaire d’y revenir longuement qu’il s’agisse des conditions socio-économiques ou des comorbidités dont est porteur le patient [1]. En ce qui concerne les comorbidités, les critères de sélection se sont élargis et on peut parfois estimer que la procédure ambulatoire à 390 MAPAR 2015 moins de chance de déstabiliser une pathologie chronique dont est porteur le patient qu’une hospitalisation conventionnelle ne risque de le faire. C’est par exemple le cas pour un syndrome d’apnée obstructive appareillée à domicile [2] ou pour un diabétique traité [3] qui bénéficiera du faible impact de la chirurgie sur ses apports alimentaires dans ce contexte. En d’autres termes, l’élargissement des indications opératoires et le recrutement dans le cadre de la procédure ambulatoire, de patients ayant des comorbidités, sont des facteurs de risque, connus et assumés, d’échecs de la procédure. Lorsque la démarche de prise en charge ambulatoire s’élargit il importe donc de prévoir une augmentation du taux d’échec comme un risque obligatoire et de l’assumer de deux façons : en prévoyant la possibilité d’hospitalisations non programmées et en renforçant la surveillance postopératoire hospitalière et extra-hospitalière les jours suivants. Les motifs d’hospitalisation non prévue ou de réhospitalisation dans le cadre des interventions habituellement pratiquées en ambulatoire, sont également bien connus. Par ordre de décroissance il s’agit de la douleur postopératoire, des nausées et vomissements et de la rétention d’urines auquel on peut ajouter la durée d’intervention [4, 5]. Pour chacun des symptômes on peut identifier des facteurs de risque mais il importe de savoir qu’aucun de ces facteurs ne constitue une contre-indication à la prise en charge ambulatoire si ce n’est une indication à la mise en place d’une politique de prévention. Ainsi l’anxiété (caractéristique du patient) et le type d’intervention (caractéristique de la procédure) sont des facteurs de risque connus de douleur postopératoire. La prise en compte de l’anxiété du patient au travers d’explications claires et détaillées de la procédure obtient de façon constante une réduction de la douleur postopératoire et de la consommation d’antalgiques [6]. De même chaque type d’intervention doit faire l’objet de protocoles préétablis de prescription d’antalgiques, prescription qui doit être anticipée en consultation d’anesthésie, pour permettre au patient de disposer à domicile et le soir même de l’intervention des traitements ad hoc. Les facteurs de risque des nausées et vomissements (NVPO) sont également identifiés et le plus souvent imputables aux caractéristiques du patient (non-fumeur – sexe féminin – antécédents de NVPO ou de mal des transports) parfois à la chirurgie (correction du strabisme) [7]. Le nombre de facteurs identifiés conditionne l’incidence des NVPO. En fonction de l’incidence escomptée le traitement est donc curatif (lorsque le risque est faible) ou préventif (lorsque le risque est élevé). L’absence de facteur de risque ne justifie pas une prévention systématique. Un ou plusieurs facteurs de risque identifiés impliquent un traitement préventif avec un ou deux antiémétiques parmi lesquels la dexamethasone (administrée après l’induction de l’anesthésie), le droperidol à faibles doses (2,5 mg chez un adulte) ou un sétron, administrés en fin d’intervention [8]. La prévention des rétentions d’urines postopératoire susceptibles d’entraver la sortie du patient est plus complexe. Il existe à l’évidence des facteurs de risque de rétention aiguë d’urines postopératoire qui dépendent du patient tels que l’âge, le sexe masculin, les antécédents d’obstacle prostatique [9]. D’autres facteurs de risque tiennent au type d’intervention telle la chirurgie périnéale. Si les premiers facteurs constituent un état de fait, d’autres facteurs qui tiennent à la prise en charge des patients sont plus maîtrisables tels le volume des perfusions, l’utilisation Raccourcissement de la durée de séjour en chirurgie 391 d’opiacés et de la bupivacaïne en rachianesthésie (par comparaison aux anesthésiques locaux de courte durée d’action) et la durée d’intervention. La prévention des rétentions d’urines passe par des mesures simples (miction immédiatement avant l’intervention, limitation des perfusions) et par le monitorage échographique du volume vésical [10]. Les patients ayant une vessie pleine doivent l’évacuer avant la sortie mais il n’est pas nécessaire d’exiger une miction pour une (rachi)anesthésie de courte durée sous réserve de l’obtenir dans les 12 heures qui suivent. Enfin, il est possible après certaines interventions (urologiques) de quitter l’hôpital avec une sonde urinaire dont l’ablation est programmée dans les jours suivants ce qui est aussi une manière de régler le problème. 2. RÉHOSPITALISATION APRÈS MISE EN ŒUVRE D’UN PROGRAMME DE RÉHABILITATION L’objectif de ces programmes est de raccourcir la durée d’hospitalisation aboutissant à la sortie des patients après quelques jours d’hospitalisation là où ils restaient plusieurs jours voire semaines. Ces programmes parfaitement codifiés s’adressent à une chirurgie dont on veut éviter les complications. Cependant, un certain nombre d’entre elles peut se produire. Un des premiers articles concernant la réhabilitation après chirurgie colique montrait sur une cohorte de patients que la durée d’hospitalisation pouvait être inférieure ou égale à 3 jours chez les trois quarts des patients [11]. Cependant, ce même article retrouvait un taux de réadmission de l’ordre de 20 % qui a été relativement peu commenté dans la littérature probablement du fait de la fascination pour le résultat principal de cette étude, portant sur la durée de séjour. Sur une cohorte de 570 patients colectomisés, une étude anglaise plus récente a retrouvé un taux de réadmission à 24,3 %....mais il s’agissait des réhospitalisations dans un délai de 90 jours dont plus de la moitié était liées à des complications de la chimiothérapie et survenaient après un délai de 60 jours tandis que les complications chirurgicales étaient la deuxième cause de réhospitalisation (14,1 %) cette fois-ci plus précoce (délai < 40 jours) [12]. Dans les études plus récentes, le taux de réhospitalisation est plus faible vraisemblablement du fait de procédures mieux maîtrisées. Ainsi, en chirurgie gastrique pour cancer Jeong et al. [13] ont rapporté un taux de réhospitalisation précoce beaucoup moins élevé, de 2,2 %, dans une série de 2 107 patients bénéficiant de soins de support pour accélérer leur récupération fonctionnelle, essentiellement expliquée par des complications chirurgicales (abcès de paroi, fuites anastomotiques…). Dans une autre série récente [14] portant sur la chirurgie bariatrique vidéo-assistée avec application d’un programme ERAS (enhanced recovery after surgery), le taux de réadmission était de 1,7 % essentiellement dû à des complications spécifiques (rhabdomyolyse, difficulté de passage transgastrique). Dans un autre contexte, celui de la chirurgie carcinologique du carrefour aéropharyngé, une étude de 2015, portant sur une cohorte de 607 patients [15] montre que les facteurs indépendants de réadmission (taux de 7,3 %) sont d’ordre médical (cardiopathie ischémique, insuffisance rénale) mais aussi spécifiquement liés à la chirurgie (nécessité d’une gastrostomie d’alimentation) et à la durée de séjour (> 5 jours). Finalement, une large étude nord américaine récente [16] montre à partir d’une base de données de 498 875 interventions, concernant la chirurgie bariatrique, la 392 MAPAR 2015 chirurgie colique, l’hystérectomie, et l’arthroplastie de genou et de hanche, que les facteurs de réhospitalisation précoce sont avant tout chirurgicaux : l’infection du site opératoire, l’iléus et l’hémorragie. Toutefois, les comorbidités du patient constituent un facteur de risque associé. Y a-t-il finalement une vraie différence concernant le taux de réadmission entre les patients entrés dans un programme de réhabilitation et ceux qui ont été pris en charge de façon plus classique ? Cette question a été examinée en 2009 dans une méta-analyse incluant 11 essais cliniques et 1 021 patients [17]. Alors même que cette méta-analyse confirmait une réduction significative de la durée d’hospitalisation, qu’il s’agisse de l’hospitalisation initiale mais aussi de la durée totale après réhospitalisation éventuelle, le taux de réadmission n’était finalement pas différent entre les groupes ayant été pris en charge de façon traditionnelle et les groupes traités par les soins de support de la réhabilitation. Plus récemment, Jakobsen et al. a évalué le suivi de 160 patients opérés de chirurgie colique [18]. Les patients pris en charge dans le programme « fast track » ou « ERAS » hospitalisés sur une durée moyenne de séjour de 3,4 jours contre 7,5 jours dans le groupe témoin, avaient une récupération fonctionnelle plus précoce, avec moins de fatigue et moins de privation de sommeil. Ils bénéficiaient cependant d’un nombre plus élevé de visites à domicile principalement pour des soins locaux de cicatrisation chirurgicale. Si plus de patients étaient réadmis précocement dans le groupe « fast track » (12/80 soit 15 % contre 9/80 soit 11 %), la durée totale d’hospitalisation restait inférieure dans ce groupe (4,2 jours) à celle du groupe témoin (8,3 jours). La principale cause de réadmission était dans les deux cas une infection de paroi. En orthopédie, Stambough et al. [19] ont retrouvé des données inverses avec un taux de réadmission de 4 % dans le groupe traité de façon traditionnelle pour ce qui est des soins de support contre 1 % dans le groupe bénéficiant d’un programme de réhabilitation. Cependant, il s’agissait d’une étude longitudinale qui portait sur une période supérieure à 10 ans au cours de laquelle les soins de support avaient été introduits progressivement jusqu’à aboutir au programme complet au cours des dernières années. Le point commun avec l’étude précédente est que les complications étaient pour les ¾ d’entre elles d’ordre chirurgical. L’analyse des données montre donc que certaines réadmissions sont liées à des complications chirurgicales comme dans le modèle de la chirurgie colique : la survenue de fistule anastomotique ou d’infection de paroi. Pour ce type de complications comme pour les complications médicales, il existe des facteurs de risque comme le type de colectomie pratiqué ou le fait d’effectuer une stomie d’amont [20] ou la pathologie sous jacente (par exemple : maladie de Crohn = risque supérieur de fistule). Les facteurs médicaux eux-mêmes peuvent être appréhendés dès avant l’intervention. De nombreuses études ont ainsi permis d’identifier quels étaient les facteurs de morbidité et de mortalité respiratoire et cardiovasculaire elles-mêmes synonymes d’une prolongation de la durée de séjour [21, 22]. Cependant, les complications redoutées qui peuvent obérer la réhabilitation et conduire à une réhospitalisation précoce sont aussi celles qui font l’objet d’une politique de prévention au travers de ce même processus. Identifier un risque de complication respiratoire veut donc éventuellement dire que les soins de support qui s’inscrivent dans le processus de réhabilitation doivent être intensifiés, constituant ainsi la meilleure prévention Raccourcissement de la durée de séjour en chirurgie 393 possible. A titre d’exemple, plusieurs études se sont intéressées à la mise en œuvre de la ventilation non invasive préventive des complications respiratoires ou à l’inscription des patients dans des programmes d’entraînement physiques pour améliorer les performances respiratoires des patients avant la chirurgie [23, 24, 25]. Par ailleurs au fil des ans, les programmes de réhabilitation se sont incrémentés de mesures nouvelles tandis que d’autres disparaissaient. Outre les mesures mentionnées plus haut on peut également évoquer l’apport de maltodextrine préopératoire bien que son intérêt reste encore à valider [26]. En revanche certaines techniques comme l’analgésie péridurale ont franchement régressé notamment du fait de l‘évolution des techniques chirurgicales qui rend leur utilisation moins opportune. La comparaison entre les programmes de référence qui sont déjà des programmes de soins prenant en compte certaines mesures qui entrent dans le cadre de la réhabilitation comme la non-utilisation systématique de l’aspiration gastrique, et les programmes actualisés peut se trouver biaisée et expliquer parfois l’absence de résultat probant de ces derniers. Pourtant il est établi que les programmes de réhabilitation réduisent la durée de séjour hospitalier et très probablement l’incidence des complications postopératoires notamment médicale [27]. Cependant, l’adhésion à ces programmes est difficile et doit être continuellement restimulée. Or, il est possible que les bénéfices escomptés diminuent aussi si l’adhésion au programme de soins n’est pas complète [28]. Entre 2006 et 2013, Bakker et al. [28] ont suivi les 816 colectomies effectuées dans leur centre et observé un taux d’adhésion au programme de réhabilitation mis en place, variable entre 63 et 82 %. Parallèlement au taux d’observance du programme, la durée d’hospitalisation a variée de 5,7 à 7,3 jours mais dans le même temps le taux de réadmission précoce était plus élevé durant les années où la durée d’hospitalisation était la plus courte et plus faible lorsque la durée d’hospitalisation s’allongeait alors même que le taux de complications était moindre quand une stricte observance au programme de réhabilitation était appliquée. Ces données ont été confirmées par le groupe ERAS qui a démontré sur une cohorte de plus de 1 500 colectomies que le niveau d’adhésion au programme de réhabilitation était corrélé avec une diminution de l’incidence des complications postopératoires (odds ratio 0,69) [29]. A l’inverse d’autres séries récentes de patients colectomisés montrent un taux de réadmission comparable ou diminué chez les patients bénéficiant d’un programme de réhabilitation [30, 31]. Ce n’est donc pas la sortie précoce qui favorise les complications mais le fait même que les patients quittent plus tôt l’hôpital amène à considérer le risque de survenue de complications à domicile et à anticiper ce risque par une surveillance rapprochée des patients après qu’ils aient quitté l’hôpital. Comment appréhender le risque d’hospitalisation prolongée dans ce contexte ? Le premier facteur de risque, non individuel, tient donc au défaut d’application d’un programme de prise en charge de type réhabilitation qui nécessite toute l’énergie et la constance des équipes soignantes. Le second élément est contextuel et tient au type d’intervention pratiquée ou aux comorbidités dont est porteur le patient, associées avec la survenue de complications postopératoires. Ici encore des 394 MAPAR 2015 mesures spécifiques de prise en charge renforcée et le choix judicieux du meilleur circuit de soins, sont nécessaires pour prétendre réduire la dure d’hospitalisation. Tableau I Données récentes concernant le taux de réhospitalisation après mise en œuvre d’un programme de réhabilitation Auteur / revue / année Type de chirurgie (nbre patients) Durée de séjour (J) Incidence des réhospitalisations précoces (%) Basse/Dis Colon Rectum/2004 Colectomie (60) fast track 2-3 20 Jakobsen/Colorectal Dis/2006 Colectomie (160) fast track vs conventionnelle 2.0 vs 7.0 15 vs 11 Gouvas/ Int J Surg/ 2009 méta-analyse Colectomie (1021) fast track vs conventionnelle 6,7 vs 9,7 14 vs 10,5 Matlok/Med Sci Monitor/2015 Bariatrique (170) fast track 2,9 1,7 Ang/Colorectal Dis/2015 Colectomie (570) fast track 14 ,1 Dziegielewski/Head Neck Surg/2015 Chir cervico faciale (607) 7,3 Jeong/Medicine/2015 Gastrectomie (2017) fast track 8,8 2,2 Bakker/Surgery/2015 Colectomie (816) fast track vs conventionnelle 5,7 vs 7,3 10-13 vs 4,9-6,9 ERAS group/Ann Surg/2015 Colectomie (1509) Fast track 6.0 9,2 Stambough/J Arthroplast/2015 PTH (1751) fast track vs conventionnelle 2.0 vs 4.0 1.0 vs 4.0 Miller/Anesth Analg/2014 Colectomie (241) Fast track vs conventionelle 5.0 vs 7.0 9.8 vs 20.2 Geltzeiler/JAMA surg/2014 Colectomie (244) Fasr track appliqué progressivement 6.7 vs 3.7 Pas d’effet sur le % de réadmissions RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] http://www.sfar.org/article/207/prise-en-charge-anesthesique-des-patients-en-hospitalisationambulatoire-rfe-2009. 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