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remonte, la pression diminue; une partie de
la matière fond, produisant un fluide à
viscosité relativement faible. Ce fluide peut
s'injecter assez rapidement dans la croûte
où il se solidifie pour donner une roche
ignée. À mesure que l'écartement se
poursuit, les fonds marins se renouvellent,
les matières mantéliques remontant des
profondeurs pour former la croûte
océanique. Le centre de remontée et de di-
vergence constitue ce qu'on appelle une
dorsale médio-océanique (fig. 1).
La croûte ignée qui se forme à la dorsale
médio-océanique atteint généralement 8 km
d'épaisseur, quoique cette valeur dépende
de la vitesse de l'écartement (White, 1992).
Pour des vitesses d'écartement très faibles,
inférieures à 10 mm/an par exemple, la
matière qui remonte se refroidit tellement
qu'elle ne forme plus qu'une croûte
océanique mince (environ 4 km). On ob-
serve rarement dans les océans des vitesses
d'écartement aussi faibles. Ce qui s'observe
plus fréquemment : une croûte océanique
d'épaisseur relativement uniforme variant
entre 6 et 8 km (White, 1992).
Le long d'une large part de la marge
continentale divergente de l'est de
l'Amérique du Nord, en fait jusqu'en
Nouvelle-Écosse, on a observé des
épaisseurs anormalement importantes de
croûte ignée (atteignant par endroit 20 km)
(p. ex. Holbrook et Kelemen, 1993;
Holbrook et al., 1994). Ce phénomène a été
associé à un important phénomène
magnétique qu'on appelle l'Anomalie
magnétique de la côte est (AMCE), même
si la nature exacte de ce rapport fait l'objet
de nombreuses discussions (p. ex.
Hutchinson et al., 1990; McBride et Nel-
son, 1990; Holbrook et Keleman, 1993;
Keen et Potter, 1995). La figure 2 illustre
la position de cette anomalie magnétique
et présente plusieurs coupes illustrant
l'épaisseur de la croûte. Ces coupes sont
typiques des observations faites ailleurs
dans le monde à l'emplacement de marges
de plaques divergentes.
Les coupes transversales des fossés
d’effondrement tectoniques du Canyon
Baltimore et de Caroline (fig. 2) montrent
l'épaisseur de la croûte ignée. On appelle
de telles marges des marges volcaniques.
Du côté mer de l'importante structure ignée,
la croûte océanique retrouve une épaisseur
uniforme et normale (environ 6 km). Les
marges volcaniques de la figure 1 diffèrent
beaucoup de la marge de la Nouvelle-
Écosse, qui représente une marge « non
volcanique », où la transition entre croûte
continentale et croûte océanique ne corre-
spond pas à un épaississement.
On discute à l'heure actuelle de l'origine
de cette épaisse croûte ignée qui forme un
bombement de quelque 70 km de largeur
et qu'on peut suivre en direction du sud sur
environ 2 000 km le long de l'anomalie
magnétique de la côte est, dans l'axe de
l'ancien rift (Keen, 1969; Emery et al.,
1970). L'une des explications avancées
serait que la source de matière mantélique
ait été excessivement chaude (plus chaude
de 150 à 200 °C) au cours de l'écartement,
donc que le volume de matière en fusion
ait été plus important. Toutefois, on parvient
mal à documenter la présence d'une bande
si longue et si mince de matière mantélique
chaude. Une autre théorie repose sur des
mouvements de convection à petite échelle
sous la dorsale dans l'asthénosphère qui
auraient, comme une « courroie
transporteuse », accru le volume de matière
mantélique en fusion apporté jusqu'à la
lithosphère (p. ex. Mutter et al., 1988). Cette
dernière suggestion est appuyée par les
travaux d'Anderson (1994, 1995) selon
lesquels la source des importantes prov-
inces ignées pourrait bien être le manteau
sublisthophérique relativement peu profond
de faible viscosité qui pourrait subir des
mouvements de convection résultant des
processus d'écartement de la plaque sus-
jacente. Ces deux explications sont
illustrées sous forme très schématique à la
figure 1.
L'épaisse croûte ignée aux marges
volcaniques aurait été créée durant
l'écartement, et un peu après (Austin et al.,
1990; Sheridan et al., 1993). Si on peut
expliquer l'épaisseur de la croûte ignée par
l'activation du mouvement de convection
à petite échelle durant le stade de
l'écartement, il est clair que la convection
productrice de matière en fusion a dû être
limitée dans l'espace, et aussi dans le temps.
Nos travaux comportent l'utilisation de
modèles numériques nous permettant de
vérifier quantitativement les paramètres
physiques entourant les mouvements de
convection à petite échelle sous une zone
d'écartement. Les modèles numériques
permettent de prédire le moment de la fu-
sion dans le manteau et le volume de
matière fondue. Nous pouvons ensuite
prédire les variations dans l'épaisseur de la
croûte, ces variations pouvant être
comparées avec les observations. L'une des
principales difficultés de la modélisation est
de mettre en évidence des facteurs qui
permettraient d'expliquer à la fois les
marges de plaques divergentes volcaniques
et les marges non volcaniques.
Outils et méthodes
Les méthodes utilisées ont été élaborées
à partir de celles qui sont décrites dans Keen
et Boutilier (1995). Ces modèles sont
bidimensionnels et permettent de résoudre
la structure thermique et les vitesses
d'écoulement dans l'asthénosphère qui
résultent de l'écartement. On présume que
le manteau est un fluide visqueux, la
viscosité dépendant en partie de la
température. La lithosphère, qui se
comporte comme un solide, est simulée
simplement comme une région froide au
sein de laquelle la viscosité est si importante
que l'écoulement est imperceptible durant
l'évolution du modèle. La viscosité dépend
aussi de la pression, qui augmente
lentement en profondeur, ainsi que de la
vitesse de déformation (c.-à-d. du taux de
changement de l'écoulement). Le résultat
est donc un comportement extrêmement
non linéaire, au cours duquel l'écoulement
réduit la viscosité, d'où un écoulement de
plus en plus localisé. Cela a un effet sur les
vitesses de refroidissement et crée d'autres
éléments de comportement qui dépendent
du temps. Il nous faut tenir compte de tous
ces facteurs avant de pouvoir déterminer
dans quelle mesure chacun des modèles est
réaliste. Ces propriétés matérielles sont
fondées sur des mesures en laboratoire
faites sur des roches ultrabasiques et sur de
la dunite mouillée (p. ex. Kirby et
Kronenberg, 1987; Chopra et Patterson,
1981).
Des calculs sont effectués au moyen du
modèle à divers intervalles du stade
d'écartement des continents (fig. 1). Une
zone de remontée semblable à une dorsale
médio-océanique en expansion est créée,
l'axe de la dorsale correspondant au centre
de remontée. À mesure que la matière
mantélique remonte dans l'axe de la dorsale,