Contester en situation coloniale - Centre d`histoire sociale du

Raberh ACHI
IEP d’Aix-en-Provence
Ce texte, destiné à la publication, est une version provisoire. Merci de ne pas reproduire et de ne pas citer.
« Ouvrir les portes du colonialisme »
La mobilisation de l’Association des Oulémas d’Algérie pour la « séparation du culte
musulman et de l’État » (1931-1956)
En situation coloniale, l’expression politique des indigènes fut, par des voies multiples et
routinisées, fortement limitée par le caractère hégémonique de la domination1. De sorte que la
forme prise par la contestation se résumait le plus souvent dans le choix entre la violence douce,
se traduisant notamment par une forme de résistance passive2, et la violence directe3. Entre ces
deux modes typiques d’action, coexistèrent l’apathie, l’aspiration aux valeurs prônées par le
projet colonial ou leur rejet par la formulation d’un anticolonialisme4. Or, certains groupements,
s’évertuant à contourner les contraintes exorbitantes de l’ordre colonial, ciblèrent spécifiquement
et à des fins stratégiques l’absence d’effectivité des principes politiques du colonisateur, sans
pour autant adhérer à leurs soubassements idéologiques.
En Algérie, les ébauches de mobilisations se traduisirent par une critique du régime
colonial qui fut souvent limitée par des obstacles au rassemblement autour d’un programme
commun. En effet, les acteurs politiques représentant les indigènes et susceptibles de contester
l’État colonial présentèrent généralement leurs revendications en ordre dispersé. Lorsque l’union
se concrétisait de façon conjoncturelle, en particulier lors de l’élan réformateur suscité par
l’arrivée au pouvoir du Front Populaire, les divergences idéologiques réapparaissaient et
obéraient ainsi toute possibilité de mobilisation unitaire. Pour autant, la contribution de chaque
mouvement fut relativement décisive à l’élaboration d’une cause anticoloniale alimentant le
discours nationaliste. Les groupements politiques traditionnels, c’est-à-dire ceux qui participèrent
au jeu politique bien que vicié par des mesures d’exception limitant leur représentation, jouèrent
effectivement un rôle déterminant mis en évidence par l’historiographie5. En revanche, l’apport
d’acteurs religieux a été le plus souvent caricaturé ou minoré6.
1 Voir notamment le travail collectif dirigé par Shula Marks et Dagmar Engels, Contesting Colonial Hegemony. State
and Society in Africa and India, Londres, British Academic Press, 1994. On retrouve cette hypothèse formulée dans
Gregory Maddox, ed., Conquest and Resistance to Colonialism in Africa, New York-Londres, Garland Publishing,
1993.
2 Les travaux de James Scott permettent de caractériser cette forme de résistance en situation coloniale, se traduisant
notamment par le refus de l’impôt. Cf. Domination and the Art of Resistance. Hidden Transcripts, New Haven-
Londres, Yale University Press, 1990.
3 Pour reprendre la distinction typique, en français dans le texte, élaborée par S. Marks et D. Engels, « Hegemony in
a Colonial Context » in Contesting Colonial Hegemony, op. cit., pp. 1-15.
4 Aziz Al-Azmeh, « Religious and Cultural Reactions to Colonialism in the Muslim World », Social Action, vol. 49,
n° 3, 1999, pp. 276-291.
5 Voir notamment Benjamin Stora, Les sources du nationalisme algérien. Parcours idéologiques, origines des
acteurs, Paris, L’Harmattan, 1989.
6 Ce constat peut s’appliquer à l’ensemble du Maghreb comme le met en lumière l’important travail collectif dirigé
par Ali Abdullatif Ahmida, Beyond Colonialism and Nationalism in the Maghrib. History, Culture, and Politics,
New York, Palgrave, 2000.
Ainsi, l’action de l’association des oulémas7 musulmans d’Algérie, groupement religieux
fondé en 1931 par Abd El-Hamid Ben Badis (1889-1940) et regroupant des lettrés se réclamant
du courant réformiste de l’islam (islah), a été doublement escamotée. Cet acteur associatif a
d’abord été négligé en raison de son apolitisme constitutif et de son cantonnement proclamé dans
le travail culturel et religieux. Par ailleurs, son combat fut réapproprié, sans être véritablement
évalué, par les dirigeants de l’Algérie indépendante soucieux d’inscrire l’islam dans le combat
contre le colonisateur, faisant de son fondateur le héraut de la révolution nationale et de son
héritage une des valeurs centrales du nouvel État8.
L’association contribua pourtant à révéler certaines contradictions de l’État colonial en
pointant notamment ses interventions répétées dans la sphère religieuse. Son action s’inscrivait
dans un objectif général de restauration du caractère arabo-musulman de l’Algérie en s’opposant
aux tendances prônant une distanciation des indigènes musulmans à l’égard de la pratique de
l’islam. En raison de la qualification religieuse de ses principaux membres, de son indépendance
à l’égard des autorités coloniales et de l’audience croissante de sa prédication, l’association fut
ostracisée par la majorité des clercs qui officiaient de façon exclusive le culte musulman grâce au
financement octroyé par l’administration coloniale. En effet, un régime d’exception à la loi de
séparation des Églises et de l’État, qui prit forme avec le décret d’application du 27 septembre
1907, permettait au gouverneur général de perpétuer son contrôle sur les cultes. Il intervenait
surtout, dans les limites définies par ce décret, dans l’octroi d’indemnités temporaires de fonction
aux ministres du culte soumis préalablement à une procédure d’agrément auprès de ses services.
S’agissant du culte musulman, leur sélection était en fait basée sur des enquêtes de moralité qui
jaugeaient leur « loyalisme », leur apolitisme ainsi que le « degré d’influence sur leurs
coreligionnaires ». Ce paradigme de gouvernement permit de rationaliser les contours d’une
cléricature adjuvante de l’administration coloniale et poursuivit la dépolitisation de la sphère
religieuse musulmane par sa limitation au ritualisme9.
Le mouvement réformiste occupa donc une position marginale, mais se revendiqua
comme le garant exclusif de l’orthodoxie face à l’ingérence de l’administration coloniale dans les
affaires religieuses. Parallèlement, il se positionna en rempart à la « magification » de l’islam
face aux confréries et aux marabouts10. Le soupçon d’hérésie qui pesa sur l’idéologie réformiste
en Algérie incita ces derniers à stigmatiser les oulémas. L’insistance de leur doctrine religieuse à
vitupérer les pratiques magiques, en les considérant notamment comme des innovations
blâmables (bid’a)11, constitua le principal motif de cet anathème. Cette position n’entrava
nullement sa transformation progressive en un mouvement d’avant-garde. Il créa écoles,
7 Terme provenant de l’arabe ‘ulama, pluriel de ‘alim, qui désigne toute personne dépositaire d’un savoir dans le
domaine des sciences religieuses. Nous conserverons la transcription française, désormais commune.
8 Pour un exposé et une critique des différentes thèses historiographiques, on se reportera à l’étude de James Mc
Dougall, « S’écrire un destin : l’Association des ‘ulama dans la révolution algérienne », Bulletin de l’I.H.T.P.,
dossier « Répression, contrôle et encadrement dans le monde colonial au XXe siècle », n° 83, juin 2004.
9 Pour une analyse plus détaillée de ce régime d’exception et de ses conséquences pratiques, je me permets de
renvoyer à mon étude, « La séparation des Églises et de l’État à l’épreuve de la situation coloniale. Les usages de la
dérogation dans l’administration du culte musulman en Algérie (1905-1959) », Politix, dossier « L’État colonial »,
vol. 17, n° 66, septembre 2004, pp. 81-106.
10 Il y a, comme l’a très bien mis en lumière Bryan Turner, dans le réformisme musulman une tentative de
rationalisation de la croyance qui revêt certains traits du processus de « démagification » observé par Max Weber à
propos du protestantisme ascétique. Cf. Weber and Islam. A Critical Study, Londres, Routledge, 1998 [1974], pp.
145-149.
11 La notion d’innovation blâmable (bid’a), présente dans diverses traditions prophétiques (ahadith), désigne toute
croyance, pratique ou coutume qui ne s’appuie pas sur un précédent datant de l’époque du Prophète de l’islam.
Contrairement à la signification polémique et univoque qu’en firent les oulémas, cette notion comporte plusieurs
degrés très largement discutés. Cf. « Bid’a » in Encyclopédie de l’Islam, Leiden-Paris, E.J. Brill & Éditions
Maisonneuve & Larose, vol. I, 1991, pp. 1234-1235.
2
mosquées indépendantes et cercles de réflexion dans les principaux centres urbains au sein
desquels il diffusait un discours promouvant le retour à l’authenticité (asala) islamique. Ce
dernier se déclina par un enseignement basé sur l’apprentissage de l’arabe classique, du texte
coranique et de la tradition prophétique. Malgré son apolitisme déclaré, il y stipendia, par des
voies détournées, l’universalisme limité du projet colonial français. Son action culturelle et
religieuse fit progressivement de cet organe un des principaux opposants à l’État colonial et, par
là même, du registre religieux une thématique incontournable lors des différentes conjonctures
réformatrices.
En raison du contrôle exercé par les autorités coloniales sur ses activités et, plus
généralement, de l’instauration de limites drastiques à la liberté d’expression dans les lieux de
culte, l’association orienta sa critique sur le sort réservé à l’islam et le césaropapisme12 de l’État
colonial à son endroit. Elle cibla ses revendications sur les atteintes aux principes républicains
susceptibles d’ébranler sa légitimité13. De sorte que l’effectivité de la séparation des Églises et de
l’État pour le culte musulman14 constitua, à rebours de la vision essentialiste de l’islam
entretenue par l’État colonial, le principal credo des oulémas réformistes. Son corrélat fut une
critique des « agents du culte musulman », accusés de justifier d’un point de vue religieux l’ordre
colonial en raison de l’existence d’un « clergé officiel ». Aussi, l’exigence de « séparer le culte
musulman et l’État » fut imaginée, pour une reprendre une expression de Bachir Brahimi –
successeur de Ben Badis à la tête de l’association – comme un « moyen d’ouvrir les portes du
colonialisme ». L’association s’ingénia donc à formuler et à diffuser cette revendication à
l’origine d’un âpre enjeu de réforme jusqu’au déclenchement de la guerre d’indépendance.
Cette mobilisation revêt, de ce fait, un double enjeu. Elle permet tout d’abord d’avoir une
vue concrète des conséquences paradoxales de la projection de l’idéal républicain en situation
coloniale. En effet, en élaborant un régime d’exception à la loi de séparation des Églises et de
l’État permettant le maintien du contrôle politique du culte musulman, l’État colonial contribua à
une nouvelle configuration du champ religieux favorisant l’émergence d’un acteur porteur d’une
critique discursive et pratique de son projet. Ensuite, la mise au jour de cette contestation a
l’ambition de rééavaluer la construction du nationalisme algérien à partir d’une cause très
largement éludée. La revendication des oulémas de « séparer le culte musulman et l’État » visa
en effet l’unification religieuse et linguistique des indigènes musulmans, donnant lieu à une
inventivité contestataire qui déborda la sphère religieuse avec pour cible les ressorts mêmes du
colonialisme.
12 Ce concept désigne, chez Max Weber, l’idéal-type de la subordination du pouvoir religieux au pouvoir politique.
Cf. Max Weber, « L’État et la hiérocratie » in Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996. p. 244. Dans le cas
colonial algérien, cela se caractérisa par la haute main des autorités sur les lieux de culte, l’intégration dans le
Domaine de l’État des fondations pieuses (habous) qui servaient à en financer l’activité et, enfin, la formation d’une
cléricature musulmane ad hoc. L’objectif fut de créer des agents du culte interchangeables, formés au sein des trois
medersas gérées par l’administration coloniale, à même de relayer un islam dépourvu de toute opposition politique.
Pour une analyse générale de ce processus, cf. Pierre Bourdieu, « Genèse et structure du champ religieux », Revue
française de sociologie, vol. 12, n° 3, 1971, p. 320 ainsi que Sociologie de l’Algérie, Paris, Puf, 1958, pp. 96-104.
13 À propos du caractère stratégique de certaines revendications qui contribuèrent à forger le discours nationaliste en
situation coloniale, voir Partha Chatterjee, Nationalist Thought and the Colonial World. A Derivative Discourse ?,
Londres, Zed Books, 1986, p. 42.
14 On retrouve, le plus souvent, l’expression de « séparation du culte musulman et de l’État » dans les revendications
des oulémas réformistes. Elle signifiait, concrètement, la fin du régime d’exception en matière cultuelle. Ils ne
reprirent nullement le terme d’Église, qui leur parut sans doute impropre s’agissant de l’islam, pour lui préférer le
culte afin de disqualifier son exercice sous le patronage du « clergé officiel », détenteur exclusif de la représentativité
de l’islam en Algérie.
3
Un engagement religieux : dépister et lutter contre la « désislamisation » de l’Algérie
L’Algérie de l’entre-deux-guerres est marquée par un contexte annonciateur, à bien des
égards, de basculements irrémédiables. L’État colonial magnifia, durant cette période, l’œuvre de
la France à travers les célébrations du centenaire de la colonisation de l’Algérie. L’heure n’était
donc nullement à la remise en cause des principes qui fondèrent la présence française sur ce
territoire mais bien à leur valorisation, faisant de l’Algérie un modèle au sein de l’Empire
colonial français15. Pour autant, et de façon relativement isolée, des acteurs formulèrent des
revendications politiques non pas tant dans l’objectif de contester la légitimité même de l’État
colonial mais de lui réclamer des améliorations dans sa politique à l’égard des indigènes
musulmans16. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’absence de mobilisation contestataire de
leur part. Leur statut de nationaux excluant l’exercice de la citoyenneté17, la limitation de la
liberté d’expression qui les visa18, le régime répressif de l’indigénat19 ainsi que leur enclavement
par rapport à l’évolution politique du monde arabo-musulman en furent les principales causes20.
La conjoncture fut donc caractérisée par un blocage politique latent, ce que Jacques Berque
appela, à propos de cette période, « la problématique fondamentale »21.
Ce contexte hybride favorisa l’émergence de l’association des oulémas musulmans
d’Algérie. Elle fut créée en vertu de la loi de 1901 sur les associations dans l’objectif de
contourner le système, restrictif et sous le contrôle de l’administration coloniale, des associations
cultuelles. Ce fut la rencontre de plusieurs lettrés ayant suivi une formation classique en arabe et
en sciences religieuses qui fut à l’origine de ce rassemblement. Abd-El Hamid Ben Badis
appartenait à une famille qui s’était déjà manifestée par son intérêt de maintenir une relative
indépendance des lieux de culte musulman à Constantine22. Sa prédication débuta dès le début du
siècle et s’accéléra en 1925 par la publication de l’éphémère périodique Al-Muntaqid. Ils lui
succédèrent deux bulletins se rattachant à la tradition de l’apologétique musulmane, El-Shihab et
El-Basa’ir, ainsi que des journaux en langue française, La Défense et Le Jeune Musulman, qui
gravitèrent autour de ces publications régulières. La présence de figures relayant la doctrine
réformiste dans les principales villes d’Algérie mit progressivement au jour une véritable division
géographique du travail religieux, permettant d’asseoir le caractère national du groupement.
Tayeb El-Okbi s’imposa à Alger, Bachir Brahimi dans l’Oranie et Ben Badis conserva le fief du
15 En témoigne la série éditée à cette occasion par le gouvernement général de l’Algérie recensant et louant
l’ensemble de l’action menée par la puissance impériale en Algérie dans les domaines aussi variés que la réforme du
droit, la propriété ou l’activité économique. Voir notamment Louis Milliot et alii, L’œuvre législative de la France
en Algérie, Paris, Librairie Félix Alcan, collection du centenaire de l’Algérie, 1930.
16 Pour une présentation voir Jean-Claude Vatin, « Nationalisme et socialisation politique. De quelques conditions de
regroupement national entre 1939 et 1945 », Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques,
vol. 11, n° 4, décembre 1974.
17 On trouvera des éléments pour une analyse de cette contradiction juridico-politique dans l’étude de Laure Blévis,
« La citoyenneté française au miroir de la colonisation : étude des demandes de naturalisation des sujets français en
Algérie coloniale », Genèses, n° 53, décembre 2003, pp. 25-47.
18 Dans le domaine de la presse, on se reportera à l’étude de Claude Collot, « Le régime juridique de la presse
musulmane algérienne (1881-1962) », Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, vol. 6,
n° 2, juin 1969, pp. 343-405.
19 Pour une approche des principes à l’origine des infractions et des peines spéciales visant les indigènes, cf. Isabelle
Merle, « De la "légalisation" de la violence en contexte colonial. Le régime de l’indigénat en question », Politix, op.
cit., pp. 137-162.
20 Ali Merad, « Islam et nationalisme arabe en Algérie à la veille de la première guerre mondiale », Oriente Moderne,
vol. 49, avril-mai 1969, pp. 213-222.
21 Jacques Berque, Le Maghreb entre deux guerres, Paris, éditions du Seuil, 1962, p. 107.
22 Allan Christelow, « Algerian Islam in a Time of Transition (1890-1930) », The Maghreb Review, vol. 8, n° 5-6,
septembre 1983, p. 125.
4
Constantinois. Le mouvement naissant se réclama explicitement du réformisme de l’Égyptien
Muhammad Abduh, figure de proue de ce courant qui visait la revivification de l’islam par le
retour aux principes de la révélation coranique et du modèle prophétique (sunna nabawiyya) en
les débarrassant des scories qui en altéraient la signification23. Les membres fondateurs du
mouvement furent d’ailleurs fortement influencés par leurs brefs passages dans les centres
religieux et universitaires que constituaient El-Azhar en Égypte ou la Zitouna en Tunisie. Ce
rattachement idéologique visait d’abord, non sans les couper des pratiques religieuses de la
population musulmane d’Algérie, à désenclaver l’Algérie du reste du monde musulman tout en se
désolidarisant de l’islam tel qu’il y était pratiqué sous le contrôle de l’administration coloniale.
Elle fit figurer parmi ses principaux objectifs le nécessaire retour aux véritables fondements de la
croyance (din sahih) et définit un objectif moral se traduisant par une volonté d’enrayer certains
fléaux sociaux comme la consommation d’alcool ou les superstitions tout en s’affichant comme
une entreprise dénuée de toute visée politique :
« Nous avons le devoir de dire (…) que l’Association devra être uniquement une
association de direction spirituelle, destinée à relever le peuple de sa déchéance intellectuelle et
morale, vers les plus hauts degrés du savoir et de la moralité, dans le cadre d’or de sa religion, et
dans la voie de son Prophète (…). En aucun cas, elle ne devra avoir le moindre rapport avec la
politique (…). »24
Elle exprima, dès sa fondation, une loyauté à l’égard de la puissance coloniale et opta
pour une démarche non-exclusive susceptible d’intégrer les autres tendances de l’islam. C’est à la
fois ce qui explique, à ses débuts, la tolérance des autorités coloniales à l’égard de ses activités et
la présence éphémère de marabouts dans l’association. Elle se concentra pourtant très vite sur les
concepteurs de la première heure, assurant ainsi une cohérence idéologique au groupement.
L’association objectiva le constat, moteur de sa prédication, d’une désislamisation
rampante entretenue par la colonisation. Ce phénomène aurait été façonné et accentué par une
triple influence. D’abord, la colonisation aurait suscité une forme de résignation auprès des
masses indigènes qui expliquerait très largement la banalisation de la domination coloniale.
Ensuite, le développement des confréries et des pratiques maraboutiques, à travers notamment le
culte des saints25, aurait contribué à la « magification » de l’islam, synonyme, pour les
réformistes, de régression. Dans la formulation de l’idéologie religieuse de l’association,
Mubarak El-Mili, sans doute le plus doctrinaire des oulémas, initia la diatribe à l’encontre des
marabouts qu’il accusa, dans l’objectif de les isoler, du seul pêché irrémissible dans la doctrine
religieuse musulmane, l’associationnisme (shirk). Les relations, empreintes de loyalisme,
qu’entretenaient les marabouts avec les autorités coloniales furent d’ailleurs très souvent
condamnées par les oulémas26. Enfin, les interventions de l’État colonial dans la sphère
religieuse, se concrétisant notamment par une cléricature dépendante du financement des
23 Pour une analyse du courant et des éléments de la tradition islamique revisités par le réformisme, cf. Malcom H.
Kerr, Islamic Reform. The Political and Legal Theories of Muhammad Abduh and Rashid Rida, Cambridge,
Cambridge University Press, 1966.
24 Cité par Ali Merad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale,
Paris/La Haye, Mouton & Cie, 1967, p. 131.
25 Cf. Émile Dermenghem, Le culte des saints dans l’islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1954. Cette étude classique
brosse un tableau des cultes des saints en Algérie ainsi que des pèlerinages et des différents rituels qui leur étaient
associés.
26 René Maunier, « Les confréries et le Pouvoir français en Algérie », Revue de l’histoire des religions, vol. 63, 1936,
pp. 256-274.
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