Master II Professionnel « Expertise sociologique de l’action publique dans l’espace euro-méditerranéen » 2009-2010 La participation des habitants dans la Politique de la Ville : entre outil démocratique et instrument stratégique. Analyse des enjeux et pratiques de l’injonction participative dans les quartiers prioritaires, à travers l’exemple de la réalisation d’un diagnostic social d’une résidence HLM et de pré-diagnostics de situation partenariale de Gestion Urbaine de Proximité dans les Bouches-du-Rhône. Caroline COIGNARD Sous la direction de Mustapha EL-MIRI Sous le tutorat d’Anelise TALBOURDEAU 2 *** Cette année universitaire a été d’une importance particulière pour moi. Elle vient clôturer un parcours d’études de huit années et pour cela particulièrement, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont interagi de près ou de loin avec cette formation universitaire, les missions de stage et la rédaction de ce mémoire. Mes remerciements se tournent en premier lieu vers le bureau d’études ChOrus pour son accueil. À Anelise Talbourdeau pour toutes les connaissances théoriques et conceptuelles qu’elle m’a apportées, pour son implication et sa disponibilité dans ce travail de mémoire, et pour m’avoir donnée l’opportunité d’exercer mes compétences dans le champ professionnel. À Catherine Baldomar et Fabien Wickenburg pour leur patience, leurs apports empiriques, leurs capacités de compréhension, leurs enseignements, et pour avoir su entendre mes doutes et questionnements. A toute l’équipe pour sa convivialité et sa gentillesse. Je tiens également à remercier toute l’équipe du Master 2 qui a su nous préparer aux conditions de l’intégration professionnelle à travers un enseignement riche et critique, et en particulier Mustapha El-Miri pour ses conseils avisés et le suivi de ce travail. Toute ma sympathie va naturellement à mes acolytes du Master pour leur soutien et leur gaité. Enfin, je souhaite exprimer toute ma reconnaissance à mon comité de relecture pour sa disponibilité et sa mobilisation. *** 3 SOMMAIRE INTRODUCTION_________________________________________________________ 7 PREMIERE PARTIE : L’injonction à la « participation des habitants » dans les dispositifs de la politique de la Ville : une notion consensuelle aux enjeux stratégiques. _________________________ 20 I. Qu’est-ce que la « participation des habitants » dans la politique de la ville ? ____ 23 1.1. ESSAIS DE DEFINITION ___________________________________________________ 1.1.1. Un processus dynamique __________________________________________________ 1.1.2. La théorie des échelons ___________________________________________________ 1.1.3. Information, consultation, concertation, participation : quatre dimensions ____________ 1.2. HISTORIQUE D’UNE INJONCTION CONSENSUELLE__________________________ 1.2.1. A l’origine : la Commission Dubedout _______________________________________ 1.2.2. Décentralisation et territorialisation __________________________________________ 1.2.3. Conception française versus américaine ______________________________________ II. 23 23 24 25 27 27 27 29 Comment est-elle prévue ? Encadrement, réglementation et interprétation ______ 31 2.1. ENTRE INSCRIPTION SYSTEMATIQUE ET VIDE JURIDIQUE __________________ 2.1.1. L’affirmation de la nécessaire participation____________________________________ 2.1.2. Une notion soumise à interprétation _________________________________________ 2.2. LES AMBIGUITES DE LA PARTICIPATION : ADAPTATION ET CONTEXTUALISATION __________________________________________________________ 2.2.1. Partenariat et proximité au cœur de la GUP ___________________________________ 2.2.2. Le diagnostic social : consultation et participation, même combat ? _________________ 31 31 34 36 36 39 III. Pourquoi cette volonté participative ? Les enjeux d’une injonction systématisée _ 42 3.1. LA PARTICIPATION COMME DISPOSITIF COMPENSATOIRE __________________ 3.1.1. Une intention citoyenne ? _________________________________________________ 3.1.2. Une inscription territoriale spécifique… ______________________________________ 3.1.3. … et une certaine représentation des destinataires ______________________________ 3.2. DES ENJEUX STRATEGIQUES ET POLITIQUES ______________________________ 3.2.1. Participation et paix sociale ________________________________________________ 3.2.2. Une pratique électoraliste _________________________________________________ 3.2.3. Un instrument de légitimation de l’action publique______________________________ 3.3. LES PRE-DIAGNOSTICS DE GUP : ENTRE GESTION CONCERTEE ET SOUCI DE VISIBILITE _____________________________________________________________________ 3.3.1. La participation comme garante de la proximité… ______________________________ 3.3.2. … et de la visibilité des institutions __________________________________________ 3.4. LE DIAGNOSTIC SOCIAL : ENTRE CONSULTATION ET LEGITIMATION ________ 3.4.1. Une connaissance des habitants et usagers ____________________________________ 3.4.2. Un outil stratégique et politique_____________________________________________ 42 43 43 44 46 46 46 47 48 48 48 51 51 51 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE _________________________________ 54 4 DEUXIEME PARTIE : La participation des habitants : des pratiques controversées. _____________________ 56 IV. Comment s’applique la participation ? Un aveu d’impuissance des opérateurs ___ 59 4.1. LES DIFFICULTES RENCONTREES _________________________________________ 4.1.1. Des connaissances de terrain parfois insuffisantes ______________________________ 4.1.2. Des délais limités ________________________________________________________ 4.1.3. Une formation insuffisante ________________________________________________ 4.2. ET UN MANQUE DE VOLONTE ____________________________________________ 4.2.1. Une pertinence remise en cause _____________________________________________ 4.2.2. Huis-clos institutionnel et opacité ___________________________________________ 4.2.3. Une question de priorité___________________________________________________ 4.2.4. Un constat admis et accepté ________________________________________________ V. 60 60 61 61 63 63 64 65 65 Qui participe ? Le recours aux intermédiaires et « personnes ressources » ______ 67 5.1. LE DEVELOPPEMENT DE LA MEDIATION __________________________________ 5.1.1. La professionnalisation de la relation aux habitants. _____________________________ 5.1.2. Un relais d’informations __________________________________________________ 5.1.3. Secteur privé et médiation _________________________________________________ 5.2. LES ASSOCIATIONS : QUI SONT-ELLES ? ___________________________________ 5.2.1. Les associations de locataires : une posture adversative __________________________ 5.2.2. Les associations socio-culturelles : une posture ambigüe _________________________ 69 69 70 70 73 73 75 VI. A qui profite la participation ? Interactions et stratégies d’acteurs dans le processus participatif ____________________________________________________________ 77 6.1. Les associations : des représentants de la société civile ?____________________________ 6.1.1. La question de leur légitimité ______________________________________________ 6.1.2. Des porte-parole de l’intérêt général ? ________________________________________ 6.2. UNE RELATION D’INTERDEPENDANCE ____________________________________ 6.2.1. L’organisation de la participation : une posture stratégique _______________________ 6.2.2. Institutions et externalisation : entre négociation et instrumentalisation ______________ 77 78 78 80 80 81 CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE_________________________________ 83 TROISIEME PARTIE : Les préconisations pour une démarche participative effective _____________________ 85 VII. Les obstacles et limites à la participation ________________________________ 88 7.1. 7.2. 7.3. 7.4. 7.5. DES MOYENS INSUFFISANTS _____________________________________________ DES DIFFÉRENCES DE PERCEPTION _______________________________________ UN DÉFAUT DE CONFIANCE PARTAGÉ ____________________________________ UN MANQUE DE LISIBILITÉ POUR LES HABITANTS _________________________ UNE COMPLEXITÉ GÉNÉRATRICE D’UN SENTIMENT D’INCAPACITÉ _________ 88 91 93 94 95 VIII.Les préalables à une démarche participative ______________________________ 96 8.1. 8.2. 8.3. ASSOCIER LES USAGERS ET PERSONNELS DE TERRAIN _____________________ 96 RENFORCER ET VALORISER LES ÉTUDES DE TERRAIN ______________________ 98 ADAPTER LA PEDAGOGIE DE LA PARTICIPATION __________________________ 99 5 8.4. 8.5. 8.6. ENCOURAGER UNE CONFIANCE PARTAGEE DES ACTEURS __________________100 ACCEPTER LA TRANSPARENCE ___________________________________________101 INSCRIRE LA DEMARCHE DANS UNE TEMPORALITE APPRECIABLE __________102 IX. La mise en place d’actions spécifiques _________________________________ 103 9.1. 9.2. 9.3. 9.4. 9.5. UNE INFORMATION TRANSPARENTE, ADAPTEE ET PARTAGEE ______________104 LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION DES ACTEURS ____________________105 LE SOUTIEN AUX INITIATIVES ASCENDANTES _____________________________107 LA PROMOTION ET L’ORGANISATION DU PARTAGE D’EXPERIENCES ________109 LA PARTICIPATION PAR LA CONTRAINTE ? ________________________________110 CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE _______________________________ 111 CONCLUSION GENERALE _____________________________________________ 113 BIBLIOGRAPHIE ______________________________________________________ 122 LEXIQUE _____________________________________________________________ 129 ANNEXES_____________________________________________________________ 130 6 INTRODUCTION “Pourquoi la règle qui est applicable à un homme ne le serait-elle pas également à tous les autres?” Alexis de Tocqueville. Dans le contexte politique actuel de renforcement sécuritaire, les quartiers dits « sensibles » et leurs habitants sont l’objet d’une forte attention. Bénéficiaires de dispositifs ciblés et spécifiques à travers la Politique de la Ville, cette différenciation tend à renforcer l’image d’exclusion qui leur est généralement attribuée. Cette politique désigne les actions mises en place par les pouvoirs publics afin de revaloriser les zones urbaines en difficultés et réduire les inégalités entre les territoires1. Elle a été initiée en France alors que le « problème des banlieues » émergeait. Dès les années 1970, les pouvoirs publics prennent conscience des difficultés liées aux « grands ensembles » d’habitat social. S’ensuivent une série de mesures, souvent formulées en réponse à des crises urbaines ou sociales ponctuelles et parfois violentes. Elles sont inscrites dans la perspective de compenser des handicaps sociaux et territoriaux. Quarante ans après, la désignation du « problème des banlieues » perdure dans les discours politique et médiatique, et ceci malgré les multiples dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la Politique de la Ville. Les nombreux clichés véhiculés par les médias sur les quartiers d’habitat social, désignés comme de prétendues « zones de non-droit », où violence et deals en tous genres feraient la loi et où même la police n’oserait plus intervenir, ont contribué à la stigmatisation de ces territoires et de ses habitants2. Nous avons souhaité nous intéresser à ces personnes résidant sur les territoires de la Politique de la Ville: comment se définit cette catégorie d’ « habitants des banlieues » ? Comment est-elle traitée dans les dispositifs de l’action publique? Dans quelle mesure est-elle intégrée aux dispositifs et prise en compte ? 1 Sa mise en place remonte à 1977 et au dispositif HVS (Habitat et Vie Sociale). 2 Nous faisons en particulier référence à la figure du « jeune des banlieues ». 7 Le stage de 4 mois3 effectué au bureau d’études ChOrus nous a permis d’explorer et d’analyser les pratiques et dispositifs relatifs à cette population (désignée par sa résidence) dans ce champ de l’action publique qu’est la Politique de la Ville (et plus particulièrement dans sa dimension « habitat et cadre de vie »). Le stage : missions au sein ChOrus4, un cabinet d’études en ingénierie urbaine et sociale : ChOrus est un cabinet d’études spécialisé dans l’ingénierie sociale 5 et urbaine. Ses missions s’inscrivent principalement dans le champ de la Politique de la Ville, à travers la réalisation de diagnostics, de coordinations, de suivis opérationnels, d’évaluations, de méthodologies de projet et d’expertises. Le cabinet propose ses services aux élus, collectivités territoriales et maîtres d’ouvrage. Au cours de ce stage, prolongé par la suite par un contrat salarié de 4 mois, j’ai participé simultanément à la réalisation de deux missions dans les Bouches du Rhône entrant dans le cadre de la Politique de la Ville : réalisation d’un diagnostic social et de 12 pré-diagnostics de situation de Gestion Urbaine de proximité (GUP). La première de ces missions consiste en un diagnostic social d’une résidence HLM de la ZUS6 d’une commune de 44 000 habitants des Bouches-du-Rhône. Il entre dans le cadre d’une étude pré-opérationnelle de définition d’une opération ANRU7 isolée, commandée par la commune sur laquelle se situe cette résidence. Ce diagnostic social doit s’accompagner parallèlement d’une étude urbaine et technique du bâtiment, réalisée par deux autres cabinets privés (spécialisés en architecture et en thermicité). L’ensemble des conclusions de ces trois diagnostics doit permettre aux cabinets partenaires d’élaborer des propositions d’actions via la présentation de scenarii préférentiels. 3 4 De janvier à mai 2010. http://www.chorus-ingenierie.com/ 5 L’ingénierie sociale assure « une fonction d’ « assemblier » qui aide à trouver des solutions partagées (projets) dans un champ sociétal où les pouvoirs, les compétences et les expertises sont répartis entre des acteurs multiples » in Rapport : La fonction d’ingénierie sociale, Annick Morel pour l’IGAS. 6 Zone Urbaine Sensible. 7 Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. 8 Ainsi, l’objet de la mission est : « d’établir un diagnostic urbain et social précis de la situation actuelle, d’étudier les alternatives de restructuration urbaine (espace et bâti), en préconisant un scénario préférentiel, d’arrêter le périmètre pertinent au regard de l’opération ANRU, et de préciser les conditions de faisabilité (contraintes techniques et juridiques, relogements, concertations, budgets prévisionnels, démarches préopérationnelles, phasage) »8. La méthode employée par ChOrus pour le diagnostic social s’est présentée en deux temps. Rencontres et entretiens avec les représentants de la commune, du bailleur social, des professionnels de terrain, et des associations du quartier ont constitué une première phase. Cette première étape a permis de recueillir des informations et données quantitatives et qualitatives (études antérieures réalisées par d’autres cabinets d’études, données sociodémographiques des locataires, services présents sur le secteur, appréciations des travailleurs de terrain, etc) sur le quartier, et plus particulièrement sur la résidence concernée. La deuxième phase du diagnostic social, plus longue, consistait en une étude de terrain par entretiens directifs avec les 195 ménages locataires de la résidence. Après élaboration d’un questionnaire9 (autant quantitatif que qualitatif), nous sommes allés à la rencontre des résidents de cette cité. Ce travail d’enquête de terrain nous a permis de recueillir des données et informations sur leur situation familiale, leurs ressources financières, l’état et l’appréciation de leur logement, de la résidence, et du quartier, leurs modes d’habiter, leurs pratiques urbaines, leurs besoins, leurs souhaits et leurs attentes. Le délai imparti pour l’intégralité de la mission (rendu final d’un rapport synthétique des observations et préconisations des trois cabinets d’études) était de 4 mois. Le cahier des charges prévoyait 2 mois à la réalisation des enquêtes et études de terrain, et 2 mois pour l’élaboration du diagnostic et d’un rapport commun. Le démarrage de cette mission prévue 8 Relevé dans le mémoire technique des bureaux d’étude, en réponse à l’appel d’offre lancé par la commune, août 2008. 9 En accord avec les dispositions mentionnées dans le cahier des charges et la réponse à l’appel d’offre des cabinets d’études. 9 à l’automne 2009 a été retardé10. Par conséquent, l’étude dans sa globalité s’est déroulée de décembre 2009 à avril 2010. Nous avons ainsi pu participer à l’ensemble des phases de la mission : sa préparation (rencontres, construction du questionnaire), l’étude de terrain (enquêtes auprès des ménages), et le rapport final présentant les résultats et propositions de scénarii. La seconde mission à laquelle nous avons participé lors de notre stage s’inscrit dans le cadre de la dynamique Espoir Banlieues, initiée par la secrétaire d’Etat Fadéla Amara en 2008. Cette commande correspond à la réalisation de pré-diagnostics de situation de Gestion Urbaine de Proximité (GUP)11 sur l’ensemble des territoires CUCS12 prioritaires de la Politique de la Ville dans les Bouches-du-Rhône13. Le graphique ci-dessous14 présente quelques éléments socio-démographiques de la population de ces territoires : 10 Les raisons de ce retard seront présentées ultérieurement dans le mémoire. 11 Par la méthode du diagnostic partagé, ou « diagnostic en marchant ». 12 Contrat Urbain de Cohésion Sociale. 13 3 phases programmatives sont prévues, de 2009 à 2011 et correspondent au total à 50 territoires dans le département. Les Bouches-duRhône se composent de 48 territoires CUCS, dont 10 à Marseille, et sur un ensemble de 15 communes. Précisons que ces territoires sont déterminés par des critères fondés sur des indicateurs statistiques et des caractéristiques urbaines. 14 http://www.sig-ville.gouv.fr 10 Pour la première programmation de ces pré-diagnostics, 18 territoires15 (dont 12 à Marseille) étaient concernés. Seuls 17 pré-diagnostics ont pu être réalisés16, et nous avons participé à 12 d’entre eux (9 à Marseille, et 3 dans d’autres communes des Bouches-duRhône). Cette mission est une commande de l’Acsé17 sur tout le territoire français Politique de la Ville. Dans son cahier des charges, elle mandate des bureaux d’études dans chaque département pour « permettre aux Préfets de dresser un diagnostic partenarial de la situation de GUP dans les quartiers de la Politique de la Ville ». Par cette commande, l’Acsé souhaite disposer d’un état des lieux des « quartiers prioritaires », à travers le constat de leurs dysfonctionnements, manques et atouts18. Ce marché est d’une durée d’un an et peut être reconduit 2 fois par l’Acsé. La première année de programmation comporte 17 territoires dans les Bouches-du-Rhône et l’ensemble doit concerner, à l’issue des trois ans, 50 secteurs. Au niveau national, l’Acsé souhaite pouvoir évaluer 215 quartiers prioritaires au titre de la dynamique Espoir Banlieue fin 2011. 15 Liste annexée p.131. 16 Nous expliciterons ce point ultérieurement dans le mémoire. 17 Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances. « L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances est l’opérateur des programmes sociaux en faveur des habitants des quartiers sensibles. Créée par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances a été créée en remplacement du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild) pour mettre en œuvre à la fois la politique d’intégration et les actions de développement social de la politique de la ville, antérieurement développées par la Délégation interministérielle à la ville. Les préfets de département sont les délégués territoriaux de l’agence. Elle est placée sous la tutelle administrative du Secrétariat général à la Ville. » www.ville.gouv.fr 18 Par la circulaire du 21 janvier 2009 et du 19 mars 2009, M. le Délégué Interministériel à la Ville a fait part de l’attention apportée par le Comité Interministériel des Villes (CIV) du 20 juin 2008, sur la mise en place d’actions spécifiques en matière de gestion urbaine de proximité dans les quartiers sensibles. Par conséquent, le CIV a décidé de consacrer des crédits, de 2009 à 2011, destinés à soutenir l’amélioration de la GUP. 11 L’objet de cette mission pour le prestataire consiste, dans un premier temps, à organiser et animer une « visite en marchant » 19 sur chaque secteur avec l’ensemble des partenaires concernés par la question de la gestion urbaine, de synthétiser les observations des participants et de proposer des pistes d’action partenariale pour une amélioration de la gestion. Dans un deuxième temps, et 6 mois après la restitution de cette première visite, une seconde est organisée et doit permettre d’identifier les points de blocage, les dysfonctionnements, ou les partenariats réussis. Le déroulement de la première phase de la mission se découpe en trois temps : la phase préparatoire, la visite de terrain, et la restitution. La préparation s’effectue lors d’une réunion préalable avec, le plus souvent, le chef de projet CUCS du secteur, le Délégué du Préfet, et parfois un représentant du bailleur social du secteur. Cette rencontre permet aux équipes opérationnelles de présenter au prestataire le quartier et de lui fournir une documentation complète sur ses caractéristiques et les projets en cours ou à venir20, d’identifier un parcours et un tracé pour la visite, les partenaires à convier, et les thématiques d’observations principales sur lesquelles ils souhaitent mettre l’accent21. La deuxième étape du pré-diagnostic consiste en une « visite en marchant »22 : les participants (préalablement conviés par la Préfecture selon la liste élaborée lors de la réunion préparatoire) sont invités, accompagnés d’un plan du quartier, à remplir un tableau 19 Cette approche s’apparente à la méthode des parcours commentés, formalisée par le sociologue et urbaniste Jean-Paul Thibaut, chercheur au CRESSON, Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’environnement urbain, à Grenoble. Il s’agit d’organiser un itinéraire pour dire et/ou lire l’espace vécu, perçu, imaginé, représenté. L’objectif est de susciter une expression spontanée des représentations, des perceptions et des usages sur l’espace urbain et favoriser l’expression collective sur cet espace. 20 Projet de rénovation urbaine par exemple. 21 Une note de cadrage proposée par la DIV (Délégation Interministérielle à la Ville) en 1999 précise les objectifs et périmètre d’intervention de la GUP : « La GUP est l’ensemble des actes qui contribuent au bon fonctionnement d’un quartier. (…) [Elle] traitera essentiellement les actes de gestion liés à l’habitat tels que : - organisation des espaces publics et privés, - stationnement, circulation, - propreté, entretien, maintenance des immeubles et des espaces extérieurs et traitement paysager… - présence, accueil, gardiennage et surveillance, médiation, tranquillité publique… - travail social de proximité, accompagnement social lié au logement - services urbains : ordures ménagères et tri sélectif, économies d’énergie… » 22 La méthode du « diagnostic en marchant » s’est répandue en France depuis 2001, lancée par l’Assemblée Mondiale des Citoyens. Il s’agit d’une méthode d’observation sous la forme d’une visite collective des quartiers pendant laquelle sont recensés et discutés les problèmes et points de satisfaction. 12 d’observations de ses atouts et dysfonctionnements23. A l’issue de cette visite, un temps de partage de ces éléments permet aux partenaires d’en discuter grâce à l’apport et aux compétences de chacun. Le bureau d’études réalise ensuite, à l’aide des fiches d’observations recueillies après la visite et des documents fournis par l’équipe opérationnelle, une synthèse hiérarchisée des principaux points (forts ou à améliorer) relevés, et propose des pistes d’actions partenariales. Ce document est transmis à l’ensemble des partenaires invités au diagnostic en marchant et fait l’objet d’une restitution. Au cours de cette présentation, les partenaires sont invités à ordonner les problématiques à traiter en priorité, à débattre sur les potentielles actions à envisager et à proposer des groupes de travail inter-acteurs. Ces groupes seront l’objet d’une évaluation de suivi lors de la deuxième phase du pré-diagnostic 6 mois après. Enfin, l’équipe opérationnelle (CUCS et délégué du Préfet) remplit une fiche de synthèse récapitulative (en 2 pages) du déroulement du diagnostic, des principaux dysfonctionnements repérés et des actions partenariales initiées, qui sera transmise par le bureau d’étude à l’Acsé. Chacune des deux phases de réalisation du pré-diagnostic est prévue par le cahier des charges par une durée de 3 jours. La première phase de diagnostic de la première programmation dans les Bouches du Rhône a débuté fin février 2010. Dans le cadre de notre stage, nous avons pu participer aux réunions préparatoires et visites en marchant de 12 quartiers. Notre stage s’étant prolongé avec un contrat salarié de 4 mois, nous avons aussi réalisé les synthèses de ces visites et restitutions. Toutefois, précisons que cette étude se limitera à l’utilisation des données recueillies pendant la période de stage, comme prévu par l’engagement contractuel entre l’Université de Provence, le cabinet ChOrus et l’étudiant-stagiaire. Définition et contours de l’objet d’étude : La définition de notre sujet d’étude pour ce mémoire est le fruit des nombreux questionnements qui se sont posés en phase initiale du stage. En effet, l’étudiant en sociologie découvre les pratiques professionnelles, souvent éloignées de celles portées par son imaginaire profane. A cet étonnement s’ensuit une découverte, parfois critique, des 23 Voir exemple de fiche d’observation en annexe p.132. 13 mécanismes qui régissent les rapports économiques et sociaux dans le champ professionnel. L’introduction dans une dimension opérationnelle du champ de l’action publique permet à l’apprenti sociologue un recul critique quant aux limites et aux enjeux des missions qu’il doit remplir. Les jeux d’acteurs, les rapports et interactions stratégiques, les enjeux, les méthodologies, sont autant d’objets auxquels nous nous sommes intéressés. Concernant plus particulièrement les deux missions décrites précédemment, la question de la place de l’ « habitant » a retenu notre attention. En effet, il y est toujours fait référence comme sujet et objet premiers des dispositifs. Son bien-être est recherché comme finalité première. Or, une première observation des pratiques et discours nous a semblé contredire cette perspective. En effet, alors que les cahiers des charges insistaient sur une dimension compréhensive et participative des habitants, nos observations en révélaient plusieurs limites. Aussi, le délai imparti à la mission de diagnostic social, de 4 mois, dont 2 dévolus au travail de terrain et à l’analyse des entretiens, permet-il une prise en compte approfondie des besoins et attentes des habitants ? Par conséquent, la volonté des commanditaires de connaitre et d’impliquer les habitants est-elle effective ? Comment peut-on expliquer les discours de découragement et le sentiment d’abandon évoqués par les locataires ? De même, les contraintes du calendrier de la mission de pré-diagnostic de GUP permettent-elles une participation effective des habitants ? Dans quelle mesure ces acteurs ont-ils été impliqués dans la démarche ? L’objectif affiché d’amélioration du cadre de vie des habitants peut-il être rempli dans ces conditions ? Y a-t-il une réelle volonté politique locale et institutionnelle ? Nous nous sommes interrogés sur cette volonté affichée dans les deux missions d’agir AVEC et POUR les habitants et sur le caractère participatif de ces dispositifs, en tant que norme de l’action publique spécifique à ces territoires. Démocratie participative, participation citoyenne, appel à la société civile, consultation, concertation… ces notions sont devenues courantes dans les discours ou programmes de la Politique de la Ville. Toutefois, l’utilisation confuse de ces différents termes renvoie à une définition de la participation tout aussi floue. En effet, le terme de « 14 participation » apparaît très consensuel et recouvre, en réalité, des situations et des formes organisationnelles multiples. Thème majeur et transversal24 des réponses de la Politique de la Ville aux « problèmes des banlieues » en France, la participation repose sur une confusion entre un modèle politique de démocratie, un modèle d’intervention sociale pour favoriser les liens de proximité et une ambition philosophique de restaurer la cohésion de la société et de la nation (Bresson, 2007). Nous entendons dans ce travail la notion de participation au sens que lui donne la science politique, à savoir comme l’ensemble des différents moyens grâce auxquels les citoyens peuvent contribuer directement aux décisions publiques et politiques. Son inscription n’est pas nouvelle et l’idée de participation a été introduite dès 1983 dans la Politique de la Ville. Depuis, ce champ de l’action publique place la « participation des habitants » au cœur de ses dispositifs. Les destinataires sont inscrits comme sujets et objets de ces politiques, et il s’agit de les intégrer au processus délibératif et décisionnel. Cette prérogative s’oppose au principe d’égalité républicain de traitement des citoyens par la spécificité de son inscription territoriale. Cette disposition, proche des politiques d’affirmative action25 américaines, pose la question de sa légitimité dans une démocratie représentative égalitariste et républicaine : dans quelle mesure ce type de politique trouve-til une inscription réglementaire en France ? Comment cette discrimination positive est-elle justifiée ? A quels publics s’adresse-t-elle et pourquoi ? Quels types d’enjeux concourent à son affirmation ? Dans quelle mesure ce concept de « participation des habitants », présenté comme une extension de la démocratie, peut-il aussi être un outil instrumental et stratégique ? Nous traiterons la question de la participation des habitants en tant qu’injonction normative et réglementaire de la Politique de la Ville. Notre attention se portera plus 24 Il s’applique à tous les domaines de la Politique de la Ville : emploi, formation, insertion, éducation, santé, habitat et cadre de vie. 25 Politiques de discrimination positive établies aux Etats-Unis dans le but de contre-carrer les discriminations ethniques et raciales. 15 particulièrement sur le terrain des Bouches-du-Rhône. Par conséquent, et dans le cadre de cet exercice universitaire à vocation professionnalisant, nous ne nous interrogerons pas sur la pertinence de ce concept et de son inscription. Nous chercherons à analyser les acteurs et enjeux qu’il implique mais aussi à proposer des pistes d’amélioration à prétention opérationnelle. Description méthodologique : Pour mener à bien notre travail, nous avons dû opérer à des choix méthodologiques. Notre investigation s’est construite autour des données empiriques et d’observations recueillies dans le cadre de notre stage, ainsi que par l’analyse des documents officiels (règlements, circulaires) et cahiers des charges relatifs à nos missions. Notre travail suit une méthode inductive. Nous avons conduit notre investigation à un niveau micro-sociologique et utilisons ces analyses de terrain à l’aube d’une pratique plus globale. La participation à deux missions, aux objets et enjeux différents, constitue un matériau d’une grande richesse pour notre étude. Nous avons choisi d’opérer sur le terrain à travers l’observation participante à couvert. La méthodologie de l’entretien a été écartée. En effet, « la situation d’entretien est (…) une situation sociale, dans laquelle l’enquêté cherche à se valoriser aux yeux de l’enquêteur » (Fijalkow, 2002 : 101) et à laquelle les professionnels rencontrés sont des habitués. Nous avons jugé que leur maîtrise discursive aurait constitué un biais trop important pour notre travail et qu’étant donnés les enjeux relatifs à notre objet d’étude, peu d’informations pertinentes auraient pu en émerger. Toutefois, l’observation à couvert nous a permis de recueillir des remarques de leur part présentant un intérêt notoire et que nous n’aurions certainement pu obtenir dans le cadre d’un entretien. Ces données orales seront donc l’objet de retranscriptions ponctuelles et d’analyses au sein de notre mémoire. De plus, par des questionnements spécifiques sur « la participation », auprès des personnes enquêtées (locataires notamment, dans le cadre du diagnostic social) mais aussi des professionnels et institutionnels, nous aurions encouru un double-risque : le premier étant de devoir mettre à jour notre investigation et risquer par conséquent de ne plus avoir accès à certaines informations ; le second renvoyant à notre rattachement, en tant que 16 stagiaire, au bureau d’études, et au fait que notre posture éthique personnelle ne nous autorisait pas à impliquer la structure d’accueil26. Précisons que l’engagement contractuel entre le cabinet d’études et ses commanditaires nous contraint à une certaine confidentialité27. Par conséquent, nous ne désignerons pas nominativement les secteurs, communes ou professionnels. Ainsi, nous nous sommes attachés à recueillir des informations grâce à l’observation participante et à notre introduction et investissement dans la réalisation des missions du cabinet d’études. Grâce à notre présence sur le terrain, nous avons aussi pu prendre acte des interactions entre les différents acteurs et des rapports qui les lient. L’analyse des dispositions réglementaires et législatives, des documents et rapports officiels et des cahiers des charges des missions ont constitué un matériau d’enquête d’une grande pertinence. Enfin, nous nous sommes appuyés sur des auteurs et ouvrages investis dans le champ de la sociologie urbaine, politique et des organisations, de l’analyse des politiques publiques et en particulier de l’action sociale, et de la science politique. Nous souhaitons aussi, par souci d’honnêteté scientifique, présenter un possible biais de notre travail. En effet, cette étude se situe dans le cadre de la formation professionnelle de Master 2 de sociologie. Nous avons, par conséquent, conduit notre enquête en tant qu’étudiante en sociologie, intégrée dans le stage professionnalisant que la formation prévoit. Cependant, à l’issue de cette période de stage, nous avons été embauchée en tant que salariée-consultante du bureau d’études. L’ambivalence de cette double posture (étudiante en sociologie et consultante dans le lieu du stage) a pu interagir avec la conduite de ce mémoire. Nous avons tenté, avec le plus de discernement possible, de différencier ces deux périodes et statuts. Cette doublecasquette a ajouté à la difficulté de mise à distance critique nécessaire à l’apprenti chercheur. Malgré tous nos efforts, notre activité professionnelle a pu interagir avec notre travail universitaire. Nous espérons que ce biais est limité mais il nous semble indispensable de l’énoncer au lecteur préalablement. 26 Rappelons que notre identité d’investigation n’était pas connue des acteurs rencontrés. 27 Malgré la grande liberté autorisée par le cabinet à notre égard, consciente de l’intérêt de la recherche et encourageant une analyse critique. 17 Présentation du plan de l’étude : Le travail d’analyse sociologique et d’études de cas qui va suivre s’attachera à répondre aux quatre questions suivantes: Comment l’injonction à la participation des habitants se présente-telle dans les dispositifs de la Politique de la Ville ? Quels sont les enjeux sous-tendus par cette prérogative affichée ? Dans quelle mesure est-elle appliquée ? Comment l’améliorer ? Dans un premier temps de cette étude nous présenterons l’inscription de la participation comme pratique systématique dans la Politique de la Ville. Depuis le rapport « Ensemble refaire la ville » de la Commission Dubedout en 1983, cette notion est en effet affichée dans la quasi-totalité des dispositifs de ce champ de l’action publique. Sa signification reste néanmoins soumise à interprétation et à confusion. Nous en présenterons une définition. Une attention particulière sur son encadrement réglementaire et législatif permettra de relever ses contours et les modalités prévues pour son application. Enfin, nous désignerons les enjeux de la « participation des habitants », dans son inscription, mais aussi pour les deux missions du stage. Nous analyserons les objectifs clairs et affichés de cette attribution, et également enjeux sous-tendus. Cette première partie de notre étude s’articulera donc autour de trois questions : qu’est-ce que la participation ? Comment est-elle prévue ? Pourquoi cette volonté participative ? Nous analyserons ensuite l’établissement pratique de la participation des habitants. À travers l’étude de son application, nous présenterons les difficultés rencontrées par les opérateurs. Nous questionnerons leur volonté effective d’instaurer une démarche participative. Le recours à des intermédiaires et « personnes-ressources » du quartier semble systématique dans les pratiques opérationnelles. Nous examinerons les figures et métiers auxquels les institutionnels se réfèrent en matière d’implication des habitants. Pour ce faire, nous développerons une analyse des fonctions de régulation sociale dans les quartiers « sensibles » et porterons une attention particulière sur le recours au secteur privé et associatif. Enfin, nous dévoilerons les stratégies d’acteurs et les interactions qui entrent dans le processus de la participation. Ainsi, dans cette seconde partie nous répondrons aux questions suivantes : comment la participation est-elle appliquée ? Qui est invité à participer ? A qui profite cette injonction ? 18 Enfin, nous porterons notre attention sur les conditions d’amélioration de la démarche participative : quels sont les obstacles et préalables à son développement ? Que peut-on préconiser pour accroitre son effectivité ? Nous présenterons donc une analyse des contraintes et limites en matière de « participation des habitants », ce qui nous permettra de distinguer les conditions et préalables à l’instauration d’une telle démarche. Enfin, nous proposerons des pistes d’actions opérationnelles autour de cinq préconisations. 19 PREMIERE PARTIE : L’injonction à la « participation des habitants » dans les dispositifs de la politique de la Ville : une notion consensuelle aux enjeux stratégiques. 20 « Dans le domaine de l’action sociale, la nécessité de faire participer devient le support et la garantie de réalisation du développement social territorial, qui est partout dans les discours, dans les schémas directeurs d’action sociale et dans les interventions. » (Bresson, 2004 : 103). Ainsi, comme nous l’avons présenté précédemment, l’injonction à la participation des habitants dans les dispositifs de la politique de la Ville, initiée depuis la fin des années 1970 en France, est devenue l’un des principaux piliers affichés de cette politique. Ce changement paradigmatique est, dès lors, devenu un principe fondamental et transversal, rappelé dans tous les textes attenant à la politique de la Ville. Aucun dispositif n’échappe à cette notion autour de laquelle un consensus semble s’être établi. Elle représente la condition sine qua non, en tout cas affichée, à la réussite d’un projet ou d’une action dans les quartiers dits « sensibles », comme l’illustre une déclaration de Lionel Jospin en 1998, alors qu’il est Premier Ministre de la République : « la participation des habitants (…) est au cœur de la politique de la ville. Cette plus forte implication conditionne la réussite des contrats ». Cette modalité est affirmée en tant qu’exigence démocratique et pratique du quotidien et constitue à ce jour une notion consensuelle intégrée. Elle apparait désormais comme une norme sociale de l’action publique territorialisée, son inscription réglementaire étant systématique et sa légitimée intériorisée dans les cadres cognitifs actuels. Par conséquent, dès lors que les notions de « transparence », « gouvernance », « délibération », « démocratie participative », « appel à la société civile », sont utilisées dans les projets urbains et sociaux des quartiers d’habitat social, elles confèrent à ces derniers un ingrédient indispensable à leur légitimité et leur réussite. Ce mouvement de démocratisation de l’action publique s’observe en particulier au niveau local, et ce notamment suite à la décentralisation initiée dès 1982. La démocratie participative est devenue un nouveau paradigme de l’action publique en France. Elle fait suite, en effet, au mouvement de décentralisation et de territorialisation des politiques publiques, initié dès les années 1980 et ne semble pas avoir été, depuis, structurellement remise en cause. L’idée est que, contre l’organisation bureaucratique qui régissait l’action publique auparavant, un projet de territoire doit intégrer une dimension démocratique, transversale et partenariale. Néanmoins, loin des annonces et contraintes réglementaires, la participation des habitants tend à constituer une notion floue, voire « fourre-tout ». Qu’est-ce que la 21 « participation des habitants » telle qu’elle est affichée dans la politique de la ville ? Comment s’est construit ce concept auquel plus aucune politique territoriale n’échappe ? Quels sont les enjeux d’une telle démarche ? Nous présenterons donc dans une première partie l’origine de la participation dans les dispositifs publics, expliciterons sa définition mais aussi ce qu’elle sous-tend via le prisme de la tradition sociopolitique française. Nous analyserons ensuite son cadre réglementaire afin d’explorer les modalités prévues de son application, ainsi que son inscription dans les missions auxquelles nous avons participé pendant le stage à ChOrus. Enfin, nous nous interrogerons sur les raisons qui poussent les pouvoirs publics à afficher cette volonté participative des citoyens à la conception des projets : quels sont les enjeux à faire participer les « habitants » de certains territoires ? Dans quelle mesure le recours affiché aux citoyens comme partenaires de l’action publique sert-il les intérêts d’autres acteurs ? Nous nous questionnerons ici plus particulièrement sur les enjeux de la participation prévue des habitants comme partenaires des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône ainsi que sur la consultation des locataires de la cité HLM sur laquelle le bureau d’études a réalisé un diagnostic social. 22 I. Qu’est-ce que la « participation des habitants » dans la politique de la Ville ? « La participation des habitants », quoi qu’étant désormais une notion commune du discours public, nécessite un éclairage et une explicitation. Nous présenterons donc ici la définition générique de cette expression dans le champ de la politique de la Ville, ainsi que l’historique de son apparition sur la scène politique, et enfin la conception particulière à laquelle elle renvoie en France, en comparaison par exemple de sa signification aux EtatsUnis. 1.1. ESSAIS DE DEFINITION 1.1.1. Un processus dynamique La participation dans les dispositifs de la politique de la Ville s’entend comme : «l’implication des habitants d’un territoire comme acteurs du processus, et pas seulement comme bénéficiaires des résultats attendus (voire comme des personnes qui « subissent » les changements, sans les comprendre, sans les intérioriser, ni en percevoir les plusvalues) »28. Une autre définition de la participation est donnée par Michel Monbeig (2007 : 31) : « (…) la participation est un ensemble d’activités ou d’actions visant à permettre aux habitants des quartiers d’habitat social, éligibles dans le cadre du contrat de ville, de prendre part effectivement à la construction et à la mise en œuvre de l’action publique ». Ces deux définitions renvoient à l’inscription territoriale de la notion de participation, mais aussi à sa dimension active pour les publics auxquels elle se réfère : elle est un processus, une action. 28 Note méthodologique sur la démarche participative – Bureau d’études ChOrus. 23 1.1.2. La théorie des échelons La participation peut intégrer plusieurs dimensions effectives selon différents degrés d’implication des habitants. L’une des théories fondatrices, et qui constitue à l’heure actuelle la référence dans la typologie des niveaux possibles d’implication d’une population à la prise de décision, est l’échelle de participation formalisée par la sociologue Sherry Arnstein en 196929. Les formes de la participation sont définies selon le degré d’implication. Deux facteurs rendent ces formes variables : la définition qui est faite de la société civile et les rôles qui lui sont attribués. Sept niveaux sont ainsi présentés (dans l’ordre croissant du degré d’implication du public) : la sensibilisation du public, l’information, la consultation, la concertation, la co-construction (ou aussi co-production), la gestion participative, et l’auto-gestion. Pour accéder au niveau le plus élevé, deux conditions doivent être réunies : le public doit avoir accès au processus de décision et disposer du savoir-faire pour pouvoir influencer ce processus. Si ces deux facteurs sont réunis, les citoyens peuvent alors devenir des stakeholders30 des projets et politiques. Cette théorie de la participation a fortement influencé la politique américaine et y a fait émerger la notion d’empowerment: « La notion d’empowerment va ainsi servir à décrire le processus par lequel chacun devient partie prenante de son destin individuel et de celui de la communauté dans la ville » (Donzelot, 2003 : 184). En France, le Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU (mars 2006) utilise cette typologie de participation citoyenne. Les huit échelons présentés prennent en considération la mesure du pouvoir du citoyen et sa propension à déterminer la production finale : 29 « A Ladder Citizen Participation in the USA », Journal of American Institute of Planners, n°35, p.216-224. 30 = parties-prenantes. 24 8. Contrôle citoyen 7. Délégation de pouvoir Pouvoir effectif des citoyens 6. Partenariat 5. Réassurance (Placation) 4. Consultation Coopération symbolique 3. Information 2. Thérapie Non participation 1. Manipulation Ces huit échelons sont intégrés à trois catégories qui établissent si la participation est effective ou si elle constitue un leurre pour les citoyens. Nous nous référerons à cette typologie dans cette étude afin de caractériser les formes d’intégration et d’implication des habitants dans les situations que nous analyserons. En effet, et comme nous le verrons plus loin, les conceptions française et américaine concernant la « participation des habitants » sont grandement différentes. Notre étude se situant dans le cadre français (et plus particulièrement sur l’un de ses départements, à savoir les Bouches-du-Rhône, à travers les exemples que nous analyserons), nous prendrons comme cadre référentiel l’échelle utilisée par les instances évaluatives de ce pays. Néanmoins, la présentation du cadre et de la conception de la participation des habitants aux Etats-Unis trouvera toute sa pertinence dans une perspective comparative afin de mieux comprendre la conception française et ses enjeux. 1.1.3. Information, consultation, concertation, participation : quatre dimensions Dans la pratique, comme le souligne Michel Monbeig (2007 : 32) « (…) l’association effective des habitants s’organise à partir de quatre dimensions : l’information, la consultation, l’implication, l’évaluation ». Ces dimensions représentent l’agencement normal opérationnel relevé dans les logiques de projet. Chacune de ces dimensions 25 correspond à une phase du projet : l’information et la consultation se situent en amont du projet, l’implication et la négociation dans la construction du projet, et enfin l’évaluation, c’est-à-dire le contrôle de l’exécution et du résultat se fait in fine. La participation effective des habitants suppose leur implication à ces différentes étapes du projet afin de permettre à tous les habitants-usagers qui le désirent de s’impliquer aux différents stades d’élaboration d’un projet et suppose donc par conséquent la concertation, la consultation et l’information. Certaines confusions étant régulièrement faites entre ces différents termes, il convient de préciser le sens de chacun. Ainsi, « l’information vise à communiquer et à informer les habitants concernés des modalités pratiques de la politique qui sera menée. Cette information est un préalable à la connaissance indispensable à toutes actions publiques ; les modalités concrètes peuvent prendre là différentes formes : bulletin municipal, réunion publique, courriers… » (Monbeig, 2007 : 32). « La consultation est la deuxième dimension visant à prendre en compte par des moyens appropriés l’avis des habitants concernés sur une question, un problème, une suggestion ou une décision que souhaiteraient prendre les autorités, et à intégrer ces opinions dans la décision terminale ; les modalités là sont plus réduites, elles peuvent aller de l’enquête d’opinion à des forums citoyens en passant par les enquêtes d’utilité publique » (Monbeig, 2007 : 32). Enfin, la concertation « consiste pour les collectivités à consulter des citoyens élus et/ou choisis pour orienter le cours des décisions » (Fijalkow, 2002 : 85). C’est à ce niveau seulement que les citoyens peuvent commencer à exercer une certaine influence directe, bien que, par certains aspects, la participation reste symbolique. Ajoutons enfin que la mise en place, effective ou non, ainsi que les modalités d’application de ces processus dépendent des systèmes et relèvent de choix de nature politique, comme nous allons le démontrer par la suite. Cependant, il convient dans un premier temps de comprendre d’où vient cette idée qu’il « faut faire participer les habitants » dans les quartiers d’habitat social, et pour ce faire, il nous faut revenir aux origines de la politique de la Ville en France. 26 1.2. HISTORIQUE D’UNE INJONCTION CONSENSUELLE 1.2.1. A l’origine : la Commission Dubedout Les prémices à l’idée de participation des habitants dans la politique de la Ville peuvent être définis avec le rapport de la Commission Dubedout31, en 1983 « Ensemble, refaire la ville ». Le Président de la République François Mitterrand demande, en 1982, la mise en place d’une Commission afin d’élaborer des préconisations pour pallier les difficultés que connaissent certains quartiers de grands ensembles d’habitat social, et notamment suite aux émeutes qu’ont connu les banlieues lyonnaises peu de temps auparavant. Le rapport met en avant deux problèmes majeurs : celui de la bureaucratie et celui de l’inorganisation des habitants. Pour traiter les problèmes inhérents aux cités, la Commission Dubedout préconise d’orienter les actions vers les habitants de ces quartiers plutôt que vers les territoires directement. Naît alors le concept de « développement social des quartiers » (DSQ) avec l’idée sous-jacente de valoriser le collectif comme moyen de résolution des problèmes. Deux solutions majeures sont proposées : étendre le rôle des élus politiques et développer le pouvoir des habitants en déployant l’offre de participation (à travers la création de financements spécifiques). Ce rapport présente les prémices d’une notion devenue depuis consensuelle et dont l’inscription deviendra quasi-systématique dans les dispositifs de la politique de la Ville en France. 1.2.2. Décentralisation et territorialisation Parallèlement, le mouvement de décentralisation fait émerger dans les années 1980 l’idée d’une réoganisation des rapports entre les différents acteurs d’un territoire : élus, institutionnels, bailleurs, associations, habitants. Les politiques publiques se territorialisent et l’échelon local se trouve privilégié dans les politiques destinées aux quartiers dits « sensibles », malgré une volonté de recentralisation de l’action publique de l’Etat pour la politique de la Ville. La démarche participative et l’idée d’une démocratisation de l’action publique à l’échelle locale se développent, de même que le nombre d’associations et l’importance de ce secteur ces territoires. Ce mouvement de démocratisation est rendu 31 Ancien maire de Grenoble, et connu pour son engagement pour la promotion de la société civile dans la démocratie locale. 27 possible par le phénomène de territorialisation. En effet, l’implication de l’ensemble des citoyens à la décision va en décroissant au fur et à mesure que l’on s’éloigne du niveau local pour aller vers le régional ou le national. Durant les trois décennies qui suivirent, la participation des habitants, comme préalable au règlement de la « question des banlieues », se renforce jusqu’à faire l’objet d’un consensus politique et d’une inscription systématique dans la politique de la Ville. Trois lois ont, en particulier, ancré durablement l’injonction participative dans ce champ de l’action publique : la Loi d’Orientation pour la Ville (LOV) en 1991, le Pacte de Relance de la politique de la ville en 1996, et enfin, la Loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbain (SRU) en 2000. Depuis, d’autres s’y sont ajoutées, entérinant le caractère normatif et systématique de cette injonction. Ajoutons que la territorialisation des politiques publiques, le phénomène de fragmentation du gouvernement et des services urbains depuis les années 1990 ont permis l’émergence d’un recours à la société civile comme acteur des procédures locales. La réforme institutionnelle et constitutionnelle de la décentralisation, initiée en 1982, s’est traduite par l’émergence des villes comme acteur à part entière. Ce déplacement de l’échelon étatique central vers une gouvernance plus locale a engendré le développement du secteur associatif comme partenaire de ces politiques. De plus, avec la décentralisation et la création ces dernières années de communautés d’agglomération, les niveaux intermédiaires de pouvoir se sont « empilés », ce qui a conduit à éloigner paradoxalement les habitants et leurs représentants les plus directs pour un grand nombre de projets, notamment d’urbanisme et d’équipement. Ce bref rappel historique permet de comprendre que la volonté et l’affirmation selon laquelle les habitants doivent être considérés comme des acteurs des programmes de la politique de la Ville remontent à près de 30 ans. La rhétorique relative à cette idée et plus largement à celle d’une démocratisation de l’action publique a trouvé une place dans la plupart des pays occidentaux, et notamment dans le domaine des quartiers d’habitat social, qualifié parfois de « problème des banlieues ». 28 1.2.3. Conception française versus américaine Néanmoins, afin de mieux comprendre les conceptions et enjeux relatifs à cette injonction participative, il convient d’en présenter une analyse comparative entre les EtatsUnis et la France. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’ouvrage Faire société. La politique de la ville aux Etats-Unis et en France de Jacques Donzelot (2003), dont l’analyse nous semble complète et pertinente. L’auteur propose d’établir une comparaison, en ce qui concerne la participation, entre l’idée de participation « communautaire » aux Etats-Unis (comme construction d’un pouvoir venant des habitants, soit une politique bottom-up, d’où l’impulsion vient « d’enbas ») et celle d’une participation « citoyenne » en France (comme accomplissement d’un devoir, soit une politique top-down, d’où l’impulsion vient « d’en-haut »). Plus qu’une comparaison, Jacques Donzelot démontre l’opposition réelle qui existe entre ces deux formes de participation et les conceptions qu’elles sous-tendent. En effet, alors qu’aux Etats-Unis l’objectif de cette démarche consiste en la constitution d’un véritable pouvoir PAR les habitants (l’empowerment) afin qu’ils puissent agir comme groupes de pressions envers les administrations, en France la participation ne relève pas de la construction d’un pouvoir « d’en-bas » mais plutôt comme la possibilité pour les habitants d’être représentés (par le secteur associatif notamment) et de pouvoir s’exprimer sur des projets. Derrière cette conception française de la participation se trouve l’idée selon laquelle une action ne peut être réussie sans le consentement des habitants du territoire sur lequel elle se trouve. Cependant, elle ne prévoit pas réellement la coconstruction du projet AVEC les habitants. De plus, il convient de préciser que la participation, telle qu’elle est prévue en France, s’adresse en particulier aux habitants des quartiers bénéficiaires de la politique de la Ville. Cette injonction participative s’applique en effet, quasi-exclusivement à des territoires particuliers, et, par conséquent, à une population déterminée. Nous tenterons de comprendre plus loin dans cette étude les raisons de cette différenciation de traitement. L’attachement français à raisonner principalement en termes de « territoires » d’action correspond à ce que l’auteur nomme l’option place. Ainsi, la politique de la Ville en France se donne pour mission d’œuvrer sur les territoires urbains dégradés, de traiter et de restaurer les lieux. Elle prend racine dans le principe d’égalité inscrit dans la Constitution. Aux Etats29 Unis, l’option people régit les politiques publiques agissant sur les quartiers d’habitat social, ce qui signifie qu’elles sont orientées vers la volonté de donner aux gens les capacités pour agir et franchir les obstacles. Cette opposition entre les deux options place et people détermine les conceptions et modalités d’application de la participation. À ceci s’ajoutent les différences de traditions politiques fondatrices de ces deux nations. Pour comprendre la conception américaine de la participation, telle que définie précédemment, il faut s’intéresser à la tradition politique de ce pays et à sa construction. Ainsi, la démocratie aux Etats-Unis trouve ses fondements dans une philosophie politique différente de celle que nous connaissons en France. Comme l’a décrit Alexis de Tocqueville32, les Etats-Unis ont, dès leur création, présenté un modèle démocratique fondé sur l’auto-détermination des citoyens, et laissant un pouvoir réel aux « institutions libres » (Eglises, associations, assemblées locales, etc.). À l’inverse, le modèle de démocratie représentative fondé en France, dans un Etat centralisé, ne prévoit pas de place pour un pouvoir exercé par des corps intermédiaires : le peuple délègue sa souveraineté à des représentants qu’il a élus. Par conséquent, la participation ne trouve sa place qu’en ce qu’elle constitue un régulateur consensuel de l’action publique. Ce rappel historique sur les conceptions et philosophies aux fondements de ces deux Etats démocratiques n’est donc pas sans intérêt pour comprendre ce qui est entendu et attendu dans chacun d’eux derrière la notion de « participation des habitants ». Idéal politique, philosophique, notion consensuelle et systématique, cette injonction participative dans les quartiers « sensibles » est désormais ancrée dans tous les textes et discours relatifs à la politique de la Ville. Cependant, outre son caractère normatif et omniprésent, nous pouvons nous interroger sur ce qu’elle vise véritablement : qui sont ces « habitants » auxquels elle se réfère ? Comment cette volonté participative est-elle prévue ? Mais surtout, la question centrale que nous pouvons nous poser est : pourquoi souhaite-t-on faire « participer » dans les quartiers prioritaires plus qu’ailleurs ? Quels sont les enjeux réels de cet idéal affiché ? 32 De la démocratie en Amérique (1835). 30 II. Comment est-elle prévue ? Encadrement, réglementation et interprétation La participation des habitants, comme nous l’avons énoncé précédemment, représente un des principes fondamentaux de constitution de la politique de la Ville en France. Nous allons voir ici dans quelle mesure la réglementation et la législation fixent le cadre de cette démarche, quelles sont les modalités d’application de la « participation », qui sont les « habitants » qu’elle désigne, et enfin montrerons à travers l’exemple des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône et du diagnostic social d’un ensemble HLM du même département, que l’idée de « participation » peut revêtir des formes très différentes. 2.1. ENTRE INSCRIPTION SYSTEMATIQUE ET VIDE JURIDIQUE La participation des habitants est partie constituante de la politique de la Ville depuis environ trente ans. Afin de définir plus précisément ce que cette démarche recouvre, il convient de faire un état des lieux et une analyse réglementaire et législative des modalités d’application de celle-ci. Pour ce faire, nous présenterons les lois édictées durant la dernière décennie et procéderons à une analyse de ce qu’elles recouvrent et prévoient. 2.1.1. L’affirmation de la nécessaire participation Au début des années 2000, quatre lois majeures sont votées qui définissent, parmi leurs prérogatives, l’implication, le plus en amont possible, des habitants et associations dans l’élaboration des projets qui concernent leur cadre de vie. Aux principes instaurés par la loi de 1992 pour l’Administration Territoriale de la République, à savoir le devoir d’information et de consultation de la population, s’ajoute dès 1999 la référence à des nécessités de concertation, voire de participation. La loi Voynet d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (LOADDT) du 26 juin 1999 prévoit en effet la participation de la société civile en instaurant la mise en place des « conseils de développement ». Ces conseils sont des 31 instances regroupant des membres de la société civile s’organisant librement et devant être consultées sur toute question relative à l’Agglomération et au Pays. La loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) du 13 décembre 2000 oblige les collectivités locales à associer la société civile (via les conseils de quartier) à l’élaboration des SCOT33 et du PLU34. S’ensuit la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 : la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) devient une autorité administrative indépendante et pour chaque ville de plus de 80000 habitants doivent être créés des conseils de quartier ayant un rôle consultatif et de proposition auprès du Maire. Enfin, la loi dite « Borloo » d’Orientation et de Programmation pour la Ville et la rénovation Urbaine du 1er août 2003, prévoit la création de l’ANRU35 et la participation des habitants des territoires concernés par un projet de rénovation pour toute convention passée avec celle-ci. Elle précise les principes et modalités de cette démarche à travers : le libre accès des habitants à l’information, la mise en place d’un calendrier de consultation, la concertation a priori et a posteriori, l’affectation de moyens à la participation, la représentativité des publics concernés, le caractère délibératif de la participation et enfin son évaluation. Nous retrouvons dans cette loi les quatre dimensions essentielles de la démarche participative énoncées par Michel Monbeig (2007): information, consultation, implication et évaluation. Cependant, un rapport du Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU de juin 2006 note le manque effectif de participation, notamment du fait des difficultés d’application liées à l’absence de précisions quant à sa mise en œuvre : « Le récent courrier adressé par la Direction Générale de l’ANRU aux Préfets, qui rappelle la législation en vigueur en matière de concertation, atteste la prise de conscience de l’enjeu de la participation pour l’Agence. Toutefois, en 33 Schéma de Cohérence Territoriale. « Le SCOT est un document d’urbanisme qui fixe, à l’échelle de plusieurs communes ou groupements de communes, les orientations fondamentales de l’organisation du territoire et de l’évolution des zones urbaines, afin de préserver un équilibre entre zones urbaines, industrielles, touristiques, agricoles et naturelles. (…) il fixe les objectifs des diverses politiques publiques en matière d’habitat, de développement économique, de déplacements ». Wikipédia. 34 Plan Local d’Urbanisme. « Le PLU est le principal document de planification de l’urbanisme au niveau communal ou éventuellement intercommunal » Wikipédia. 35 Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine. « L’ANRU est un établissement public industriel et commercial créé par l’article 10 de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, afin d’assurer la mise en œuvre et le financement du programme national de rénovation urbaine (PNRU). Elle est placée sous la tutelle du ministre chargé de la politique de la ville qui fixe les orientations générales de son action ». Wikipédia. 32 l’absence de prescriptions formelles, d’exigences procédurales ou même de propositions de dispositifs institutionnels ad hoc au-delà du rappel du cadre législatif existant, ce courrier reste de l’ordre de la déclaration d’intentions. A aucun moment la concertation ne fait l’objet d’une définition ». Cette déclaration est significative des difficultés à mettre en application le principe de participation. Il relève, comme cela est clairement indiqué, dans la majorité des cas, de l’ordre de la coopération symbolique plus que de la co-construction de projet du fait de l’absence de définition et de prérogatives précises. L’injonction participative ainsi que son affirmation comme principe structurel de la politique de la Ville, sont aussi inscrites dans les CUCS36, (forme contractuelle ayant remplacés les contrats de ville depuis 2007). Dans l’appel à projet 2010 des CUCS de Marseille37, « la participation des habitants et des associations» constitue l’un des quatre objectifs mis en avant et conditionnant l’attribution de subventions (les trois autres étant : l’appui à la vie associative, l’accès aux droits sociaux et la lutte contre les discriminations). Concernant la participation des habitants et associations, l’appel à projet précise cet objectif par trois éléments : « - en facilitant leur expression et leur participation à la vie locale, - en améliorant la communication, - les secteurs où une réflexion autour d’une requalification urbaine est en cours seront plus particulièrement soutenus ». De même, la participation était prévue dans les contrats de ville par les modalités suivantes (DIV) : « la participation des habitants (…) pourra emprunter différentes formes : - l’information sur les projets à l’étude, - la consultation des habitants sur des projets déterminés, - l’implication à la prise de décision ». 36 Contrat Urbain de Cohésion Sociale. « Le CUCS est un dispositif de la politique de la ville. Les contrats de ville version 2001-2006 sont arrivés à échéance le 31 décembre 2006. Le gouvernement français a alors décidé de mettre en place un nouveau cadre contractuel de la politique de la ville en faveur des quartiers en difficultés, les CUCS, dont le cadre général et les orientations ont été définis par le Comité Interministériel des Villes et du développement urbain (CIV) du 9 mars 2006. Ces contrats, d’une durée de 3 ans reconductibles, sont proposés aux villes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents en la matière. Ils sont entrés en vigueur au début de l’année 2007 ». Wikipédia. 37 Document en annexe p.135. 33 2.1.2. Une notion soumise à interprétation Les dispositifs contractuels mais aussi les textes législatifs de la politique de la Ville affirment et inscrivent la démarche participative dans leurs fondements. Cependant, nous pouvons remarquer un certain flou et une évidente confusion quant aux formes de la participation : consultation ? concertation ? information ? Ces termes sont tous employés pour désigner la participation mais sans distinction réelle et sans précision concernant les modalités d’application sur les territoires de ces préconisations. Un certain « flou juridique » (voire conceptuel et définitionnel) semble peser sur la participation des habitants, pourtant affirmée et prévue depuis presque trente ans. A l’origine (avec le rapport Dubedout), la participation des citoyens était une condition nécessaire pour obtenir un financement. Par la suite, la logique de projet l’a emportée et les financements n’étaient plus conditionnés à la mise en œuvre de la participation, celle-ci devait néanmoins apparaître dans le projet. Ainsi, la logique de projet a petit à petit pris le pas sur la démarche participative comme fondement de tout bon programme de la politique de la Ville. En effet, le vide juridique quant aux modalités d’application de cette démarche l’a rendue difficile à mettre en œuvre et par conséquent peu effective. Un point d’arrêt semble nécessaire par ailleurs afin de préciser ce qui est entendu derrière le terme d’ « habitants ». En effet, tout comme celui de « participation », ce terme utilisé dans tous les textes et discours relatifs à la démarche participative ne constitue pas une entité précise définie, laissant un flou que chaque acteur peut alors interpréter à sa guise. Les appels à la « société civile » se sont multipliés dans tous les champs de l’action publique depuis les années 1990. La politique de la Ville n’échappe pas à cette règle et l’on peut alors supposer qu’à la notion d’ « habitants » correspond celle de « société civile ». Le Livre Blanc de la gouvernance de l’Union Européenne (2001) en donne une définition : « La société civile regroupe notamment les organisations syndicales et patronales (les « partenaires sociaux »), les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des Eglises et communautés religieuses ». 34 Néanmoins, comme le souligne Richard Raymond (2009), cette définition prête à confusion entre le caractère collectif de la société civile, comme ensemble de citoyens d’un territoire, et son acception représentative, comme groupe d’organisations censées représenter les citoyens. « Cette confusion pose problème lorsque certaines de ces organisations prétendent incarner l’ensemble des citoyens et s’attribuent ainsi la légitimité de représenter la « société civile » en général » (Raymond, 2009 : 17). Ce questionnement n’est pas sans intérêt quant à la pratique de la participation et nous ne manquerons pas d’y revenir ultérieurement. L’habitant est conçu dans le cadre de la politique de la Ville et de l’injonction participative comme un sujet collectif. Il est à la fois un usager (d’un service, d’un espace, etc.), un occupant (ou locataire d’un logement), mais aussi la cible et le bénéficiaire d’une action ou d’un projet. Chacune de ces dimensions de la figure de l’habitant est utilisée tour à tour dans les discours, textes et saisines, relativement au statut et fonctions nécessaires et à intégrer, mais aussi au contexte de la démarche et aux finalités du projet ou de l’action. Ainsi, le terme d’ « habitant » tel qu’il est désigné dans le cadre de la politique de la Ville peut revêtir diverses attributions et le flou persiste quant au public ciblé par cette injonction. Le terme d’habitant inclut donc celui de citoyen, d’usager, ou encore de locataire. Jacques Donzelot (2003 :101) en donne une définition générique dans la politique de la Ville puisque, selon son analyse, elle ne désigne les gens « que par le statut d’habitant que leur confère le territoire où ils vivent ». Par « habitant », il faut donc entendre « habitant d’un territoire spécifique » lorsque ce terme rejoint celui de la participation dans les dispositifs dont il est question. Nous observons donc un manifeste manque de clarté autour des notions de « participation » et d’ « habitants » telles qu’elles sont employées dans les textes de référence de la politique de la Ville. Il est alors nécessaire d’adapter leur interprétation à chaque dispositif, de tenter de comprendre par l’analyse des commandes et donc à travers les cahiers des charges, ce qui est entendu et prévu pour la « participation des habitants ». Par conséquent, nous allons procéder à cette analyse pour les deux missions confiées au bureau d’études ChOrus dont nous avons été les acteurs pendant la période de stage. 35 2.2. LES AMBIGUITES DE LA PARTICIPATION : ADAPTATION ET CONTEXTUALISATION Dans chacune de ces missions, la participation était présentée comme devant faire partie de la démarche. Cependant, sa signification était fondamentalement différente pour chacune : participation des « personnes-ressources » dans le cadre des pré-diagnostics de GUP ou consultation des locataires dans le cadre du diagnostic social de l’ensemble d’habitat social. 2.2.1. Partenariat et proximité au cœur de la GUP En ce qui concerne la mission commandée par l’Acsé au bureau d’études, à savoir la réalisation de pré-diagnostics de GUP sur les territoires prioritaires de la politique de la Ville dans les Bouches-du-Rhône, les notions de « proximité » et de « partenariat » apparaissent comme centrales. Un des objectifs de cette commande est d’instaurer (ou de relancer) des relations partenariales entre les différents types d’acteurs d’un territoire dans le but d’en améliorer la gestion quotidienne. La note d’ « éléments de cadrage sur la gestion urbaine de proximité » adressée par l’Acsé aux bureaux d’études ayant en charge l’animation de cette mission sur l’ensemble du territoire national concerné précise l’importance de l’aspect partenarial du dispositif : « La GUP est une démarche fondamentalement partenariale, qui ne peut fonctionner sans une mobilisation soutenue de l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion du quartier. » A ce stade, rien n’est clairement précisé concernant la qualité des acteurs à impliquer. La note méthodologique accompagnant la circulaire de la DIV38 du 21 janvier 2009 ajoute, quant à elle : « (…) certains partenaires doivent impérativement participer à la visite de terrain et à la réunion de restitution : 38 Le préfet de département ou son représentant et/ou le délégué du préfet, Délégation Interministérielle à la Ville. 36 - Les services de l’Etat (équipement, sécurité publique…), - Les représentants des collectivités locales, - Les services des collectivités locales et/ou de l’EPCI en charge du CUCS, du PRU et de la GUP, - La direction régionale de l’Acsé, - Les bailleurs, - Le cas échéant, les syndics de copropriété et syndicats de copropriétaires, - Les habitants et usagers (amicales de locataires, conseils de quartiers, associations…) ». En regard de cette précision du commanditaire, nous pouvons en déduire que le terme d’« habitants » renvoie ici à des collectifs organisés agissant sur le territoire donné, et ne concerne pas la figure de l’habitant ou usager non-investi dans une structure de ce type. La notion de « proximité », au cœur de la GUP, désigne la nécessité de saisir et de réunir les acteurs de terrain afin de coller au plus près des difficultés, attentes et demandes des habitants de ces quartiers. Ainsi, suite à l’analyse des termes du cahier des charges (et notes méthodologiques et de cadrage), les organisations de locataires ainsi que les associations du quartier sont définies comme légitimes dans ce rôle d’expertise d’usage et de porte-parole de l’ensemble des habitants d’un territoire. Néanmoins, cet encadrement des habitants structurés comme partenaires à associer à la démarche n’est plus aussi évident dans les fiches de synthèse que le prestataire doit remettre à l’Acsé à la suite de la première étape du diagnostic39. En effet, le bureau d’études doit renseigner le « nombre d’habitants » (du secteur concerné) et quelques lignes plus loin une case « saisine des habitants [lors du premier diagnostic]» (à laquelle il faut répondre par oui ou non). Etant données les contraintes de limitation du nombre de personnes invitées à participer au diagnostic en marchant, nous pouvons de toute évidence affirmer que dans ces deux rubriques l’emploi du terme d’ « habitants » ne désigne absolument pas les mêmes acteurs. L’utilisation du même terme pour désigner deux entités différentes mène à la confusion. Nous postulons l’hypothèse que cette confusion, loin d’être volontaire, reflète 39 Dans cette fiche de 2 pages, plusieurs rubriques sont à renseigner à l’issue du premier puis du second diagnostic. Elle permet à l’Acsé d’avoir un retour (par un bref récapitulatif) sur le déroulement et les résultats mais aussi de participer à une évaluation des situations de ces territoires ainsi que du travail du bureau d’études pour cette mission. 37 l’ambiguïté entretenue au sein des instances commanditaires et de l’Etat autour de la notion d’ « habitant ». Un autre élément important quant à la démarche participative qui nous intéresse dans cette étude concerne la forme que doit prendre la « participation ». Nous n’avons repéré dans les documents officiels de la commande que très peu d’indications quant aux modalités de sa mise en œuvre. Pourtant, cette injonction est clairement affirmée et se place même comme un des objectifs principaux de ces pré-diagnostics : « - Quelles sont les principales finalités de la GUP ? - Le principal but de la GUP consiste à améliorer le cadre de vie des habitants dans les quartiers de la politique de la ville. Il s’agit également de développer la qualité des services rendus aux habitants. De ce fait, l’implication et la participation des habitants dans le processus de décision liés à l’évolution et à la transformation des quartiers sont fortement recherchés. Pour cela, il est important de mieux coordonner et adapter l’ensemble des démarches des acteurs par une gestion concertée ». La participation est donc « fortement recherchée » et pour cela le moyen invoqué est la « gestion concertée ». Aucune information n’apparait sur les modalités permettant d’atteindre ce but. Pourtant, la fiche de synthèse de rendu à l’Acsé comporte une rubrique « Mise en place de dispositifs de concertation » à renseigner (par la mention « oui » ou « non » ainsi que « détails »). La participation des habitants telle qu’elle est énoncée pour la réalisation des prédiagnostics de GUP peut donc s’apparenter à l’instauration de partenariats entre les différents acteurs structurés du quartier. A priori, la notion d’ « habitants » désigne les organisations structurées ainsi que les associations du quartier (excluant alors les habitants, résidents et usagers non organisés) et celle de « participation », la coordination et la gestion partenariale. Ainsi, la participation des habitants dans cette démarche s’apparenterait à la concertation telle qu’elle est définie par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) : « La concertation consiste à constituer des groupes de travail avec les habitants-usagers. Ces derniers sont choisis pour leur « représentativité », (…), selon des procédés plus ou moins aléatoires ». Néanmoins, des confusions persistent quant à ce qui est véritablement attendu 38 de cette démarche et un certain vide demeure sur sa mise en œuvre. Par ailleurs, la démarche de concertation pose une autre interrogation, à laquelle nous tenterons de répondre dans la suite de cette étude, et formulée par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) : « mais reste souvent incertaine, la question de la prise en compte de leur travail tout au long et dans l’élaboration du projet ». 2.2.2. Le diagnostic social : consultation et participation, même combat ? Concernant le diagnostic social réalisé par ChOrus dans le cadre d’une étude préopérationnelle de définition pour une opération ANRU isolée commandée par la commune sur laquelle se situe la résidence HLM en question, le cahier des charges comporte une partie (dans la rubrique « méthode » : 13) intitulée « Modalités relatives à la participation des habitants ». Elle prévoit : « Le Bureau d’Etudes devra présenter les méthodes utilisées pour l’information, et la concertation des habitants tout le long de l’étude et la gestion de l’interface entre habitants et institutions ». Ainsi, les clauses de la mission comportent un volet participatif mais restreint aux notions d’ « information » et de « concertation ». Le commanditaire précise aussi que les éléments à recueillir par le prestataire et qui constitueront la base du diagnostic à fournir se feront par la méthode de l’enquête auprès des locataires de la résidence. Aucune autre disposition n’est prévue pour la « participation » ou même la concertation. Au niveau de l’information auprès des habitants, celle-ci a été réalisée en deux temps : un premier lors d’une réunion avec les « acteurs de terrain » (à savoir l’équipe opérationnelle du CUCS, un représentant du bailleur social gestionnaire de la résidence, des personnels du centre social du quartier et des principales associations) et le second lors de l’enquête en face à face avec les résidents. Notons que la réunion préalable au démarrage de l’enquête a pour but d’informer les acteurs de terrain (dont la liste avait été fournie par la Ville) afin qu’ils se fassent le relai auprès des habitants de la réalisation de cette étude et du passage prochain du bureau d’études dans les logements afin de procéder aux enquêtes. 39 Au niveau de la « concertation » prévue par le cahier des charges, le bureau d’études a souhaité, dans sa réponse, mettre une précision quant à la pertinence et la faisabilité de cette démarche. Ainsi, la réponse comprend un rappel des conditions de la concertation et de sa mise en place et ajoute qu’un tel type de démarche ne peut être réalisée en phase d’étude. Seules l’information, la communication et la consultation peuvent être effectives à ce stade d’autant que le délai imparti à la mission (4 mois au total dont 2 pour le diagnostic social) ne permet pas une véritable concertation avec les habitants. En effet, la note méthodologique sur la participation des habitants annexée à la réponse du bureau d’études précise: « Le délai imparti à la mission comme les jours prévus pour entrer dans un budget correspondant aux attentes de la commune laissent peu de place à cette dernière démarche qui pourra être envisagée, en revanche, dans la phase opérationnelle. (…) Les habitants pourront alors une nouvelle fois réagir, sachant que les domaines de changements possibles seront décrits comme le seront les contraintes incontournables, pour que le discours soit clair et les marges de manœuvre bien comprises, mais qu’ils n’aient pas l’impression de se trouver face à un projet entièrement ficelé qui leur échappe complètement ou ne reflète en rien leurs attentes ou conception ». Par conséquent, la notion de « concertation », bien qu’utilisée par le commanditaire, ne correspond pas aux possibles et l’analyse des demandes de celui-ci ainsi que la réalisation de la mission renvoient plutôt à celui de « consultation ». Une confusion semble donc s’être introduite dans la signification de ces notions par la commune. En effet, le cahier des charges prévoit, outre le recueil d’éléments auprès du bailleur, « une enquête auprès de la population logée ». Cette étude entre donc dans le cadre d’une démarche informative et consultative, telle qu’elle est définie par Jodelle Zetlaoui-Léger (2005 : 5) : « Dans un dispositif d’information et de consultation, les habitants ne sont pas associés directement à la réalisation : ils sont informés par différents médias de l’évolution du projet. Ils sont invités à donner leur avis lors de réunions publiques ou par la procédure de l’enquête publique par exemple, sans pour autant que les élus, la maîtrise d’ouvrage soit dans l’obligation de suivre ces avis ». 40 Cependant, la réalité comprise dans la notion d’ « habitants » est, pour cette mission, clairement identifiée : il s’agit là des locataires et occupants de la résidence pour laquelle l’étude est commandée. A l’issue de cette présentation des textes mentionnant la participation des habitants, nous avons relevé une multitude de confusions à tous les niveaux dans les significations et par conséquent les modalités prévues pour cette démarche. Plusieurs termes (concertation / consultation / participation) sont utilisés parfois pour un même dispositif et les contours de ces derniers ainsi que les publics visés semblent souvent flous. Par l’analyse des documents de référence et cahiers des charges, nous avons pu établir une relative explicitation de ce que la « participation des habitants » signifie dans les dispositifs observés lors du stage. Ainsi, les pré-diagnostics de GUP tendent plutôt à impliquer des acteurs de terrain ou habitants structurés (Amicales de locataires, associations, conseils de quartier) dans une démarche d’amélioration de la gestion d’un territoire, alors qu’en ce qui concerne le diagnostic social, ce sont les habitants de la résidence (locataires et occupants) qui sont désignés et pour lesquels l’information et la consultation seront de mise. Ces écarts témoignent bien du flou réglementaire et conceptuel qui règne dans le champ de la politique de la ville quant à l’encadrement et aux modalités de « la participation des habitants », concept pourtant transversal, consensuel et systématique des dispositifs. Mais alors pourquoi, étant donné le flou qui régit cette injonction et les difficultés d’application qui en découlent, la participation des habitants est-elle sans cesse réaffirmée et constitue-t-elle un des principes centraux de ce champ de l’action publique ? Quels sont les enjeux relatifs à la participation des habitants dans la politique de la Ville ? 41 III. Pourquoi cette volonté participative ? Les enjeux d’une injonction systématisée Comme nous l’avons décrit précédemment, la territorialisation de l’action publique ainsi que le désengagement de l’Etat des dispositifs urbains locaux a engendré un contexte de multiplication des acteurs privés et publics et une redéfinition des modalités d’interaction entre les autorités publiques locales et les groupes d’intérêt. Le développement de cette gouvernance urbaine a placé le public au centre des dispositifs. L’impératif délibératif et la nécessité de mettre en œuvre des actions « de proximité » se sont imposés. 3.1. LA PARTICIPATION COMME DISPOSITIF COMPENSATOIRE Cependant, la participation des habitants est une injonction spécifique de la politique de la Ville. Par conséquent, son inscription dépend d’une appartenance territoriale : cette volonté d’implication des habitants n’est recherchée et prévue que pour les quartiers classés en politique de la Ville, et donc pour une partie seulement de la population française. Il convient de s’interroger sur cette dérogation au principe républicain d’égalité de traitement entre les citoyens. 42 3.1.1. Une intention citoyenne ? Pour certains politistes et sociologues, la « crise du politique » et la remise en cause des formes traditionnelles de gouvernement seraient à l’origine de la volonté d’impliquer la société civile au plus près des décisions. L’objectif est de remobiliser les citoyens pour la chose politique. La perte de confiance de la population dans les institutions et le système politique, manifestée par la montée de l’abstention en particulier dans les quartiers socialement défavorisés, pourrait être palliée par l’implication des citoyens aux décisions locales, aux projets proches de leur quotidien. Ainsi, pour certains, la crise du politique s’apparenterait à une crise de la représentation. Le développement de démarches plus participatives permettrait alors d’impliquer et d’intéresser les citoyens au politique et à la chose publique, notamment dans les territoires où le taux d’abstention est le plus élevé. Cette analyse de la crise de la démocratie représentative apporte des éléments quant aux enjeux qui guident le développement d’une politique plus participative dans les quartiers d’habitat social. Cependant, la seule volonté des gouvernants d’organiser autrement leurs relations à la société civile afin de « séduire » à nouveau des personnes marginalisées de la vie politique locale afin de « séduire » à nouveau des personnes marginalisées de la vie politique locale ne semble pas exhaustive. Nous estimons que d’autres raisons et enjeux commandent cette injonction participative dans les territoires de la politique de la Ville. 3.1.2. Une inscription territoriale spécifique… Comme indiqué précédemment, l’idéal selon lequel il faut impliquer les citoyens dans le processus décisionnel local trouve son affirmation dans le cadre de la politique de la Ville, excluant ainsi une grande partie du territoire national. Cet encadrement législatif et réglementaire est donc implicitement basé sur l’idée de différenciation et de particularisme dans le traitement de ces territoires. Nous pouvons supposer que l’enjeu de l’injonction participative se situe au niveau de cette inégalité de traitement entre les territoires, au travers de cette discrimination positive et de ce qu’elle révèle quant aux représentations de ces quartiers et de leurs habitants. 43 Le problème de la « crise des banlieues » et la visibilité médiatique des émeutes urbaines dans certains quartiers, notamment en 2005, a contribué à faire émerger une certaine représentation des habitants de ces territoires. Considérés à la fois comme des victimes de la société, à l’écart du fait de leur condition sociale et de leur appartenance territoriale, et parallèlement comme potentiellement enclin à produire des réactions violentes et négatives, leur participation a été conçue comme une compensation de leur condition mais aussi comme un rempart au mécontentement. La nécessité de leur attribuer un traitement particulier provient de ce double mouvement de victimisation mais aussi de stigmatisation. L’institutionnalisation de l’injonction participative comme dispositif compensatoire en est un révélateur, tout comme les diverses mesures de discrimination positive que comporte la politique de la Ville. Elle se justifie par les difficultés que présentent les publics défavorisés mais aussi comme contrepartie (implicite) à l’effort que fait la nation à leur intention. 3.1.3. … et une certaine représentation des destinataires Comme le décrit Jacques Donzelot (2003) la conception française de la participation renvoie à celle de « citoyenneté », entendue comme un ensemble de droits et de devoirs auquel l’individu doit répondre. Ce recours à la référence à la « citoyenneté » républicaine (et aux devoirs des citoyens) a été accentué avec le retour de la question de l’insécurité au début des années 2000 dans l’actualité. Encore une fois, ce sont certains quartiers, et par conséquent certains citoyens, qui sont spécifiquement visés par l’injonction à une plus grande « citoyenneté ». « Cette notion aux contours flous correspond à un devoir-être (participer, voter, sortir du registre de la plainte) plus souvent demandé aux couches dominées (jeunes, immigrés, chômeurs, habitants des cités) qu’aux autres membres de la société » (Fijalkow, 2002 : 87). Contre ce phénomène d’exclusion de certains membres de la société et dans le but de pallier les mécontentements dans les territoires qualifiés de « sensibles » ou défavorisés, l’idée d’augmenter la proximité (des services publics notamment) s’est développée. Elle visait à restaurer la confiance politique (rapprocher les élus des citoyens), rétablir du lien social (rapprocher les institutions des usagers et les usagers entre eux) et reconstruire 44 l’efficacité publique (coller à la demande sociale afin de produire les réponses appropriées). « La justification implicite (…) est que le renforcement des liens de proximité, l’organisation de petites actions communautaires par en bas, vont empêcher l’individu de basculer dans l’exclusion, et le quartier de se dégrader complètement et de devenir une zone de relégation » (Bresson, 2007 : 124). 45 3.2. DES ENJEUX STRATEGIQUES ET POLITIQUES 3.2.1. Participation et paix sociale L’injonction à la participation des habitants s’est construite comme une nécessité pour restaurer la citoyenneté dans certains territoires où elle apparaissait comme défaillante ainsi que pour contrebalancer leurs « handicaps ». L’enjeu pour les pouvoirs publics est d’impliquer les habitants de ces territoires afin de bénéficier de leur expertise d’usage du quartier et donc de coller au mieux à leurs attentes et besoins mais aussi d’empêcher les conflits qui pourraient naître. Faire que les habitants prennent part aux décisions implique qu’ils ne pourront les critiquer par la suite et que d’autres mesures pourront être envisagées sous le couvert de cette participation. Ainsi cette implication renvoie aussi à un « objectif de prévention de la résistance aux décisions qui seront prises ultérieurement sans participation des citoyens » (Raymond, 2009 : 12). Un des enjeux de la participation des habitants dans les quartiers de la politique de la Ville est donc aussi cette volonté d’acquérir une certaine paix sociale. L’écoute de ces voix permet aux gouvernants de recenser les difficultés du quotidien et de prendre la mesure du degré d’adhésion des habitants aux politiques et différentes actions en projet, facilitant par conséquent l’anticipation des potentiels conflits ou mécontentements à venir et permettant de construire un discours et des réponses qui tiennent compte de ces aspects. 3.2.2. Une pratique électoraliste L’intégration du citoyen peut ainsi être comprise comme une manœuvre stratégique et opportuniste de la part des gouvernants et notamment des élus pour qui elle peut s’apparenter à une pratique clientéliste et de séduction d’un électorat catégoriel et par conséquent constituer avant tout un processus conduisant à un gain électoral. La référence à l’habitant dans les projets donne l’impression que l’action publique est ainsi naturellement légitimée et le processus participatif abonde dans le sens d’une régulation consensuelle de façade. Elle peut se présenter comme un instrument électoraliste 46 et de marketing public (ou politique, entendu au sens de « publicité » sur les actions menées) pour les élus locaux. 3.2.3. Un instrument de légitimation de l’action publique A l’échelon national, « faire participer » les habitants constitue aussi un outil de légitimation et de restauration de la crédibilité de l’action publique. Ce point représente même un des trois objectifs clairement affichés de la DIV quant à la participation des habitants. En effet, elle permet de donner une cohérence et une justification à certaines mesures, invoquant leur légitimité « d’en bas ». Ainsi, croire ou faire croire à la population que les décisions prises viennent d’elles et de leurs avis participe à une œuvre de justification et de persuasion ex-post de l’action publique. La participation des habitants peut donc constituer une manœuvre stratégique électoraliste au profit des élus et des institutionnels mais aussi un instrument d’apaisement social des quartiers « sensibles ». 47 3.3. LES PRE-DIAGNOSTICS DE GUP : ENTRE GESTION CONCERTEE ET SOUCI DE VISIBILITE 3.3.1. La participation comme garante de la proximité… Dans le cadre de la mission de pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône, l’enjeu affiché de la participation des habitants à cette démarche se situe dans son renforcement potentiel de la proximité (dans les services et la gestion du quartier). Comme l’a souligné Jacques Donzelot (2003), l’idéologie française promeut cette conception de la « proximité » dans les quartiers d’habitat social. En effet, par le rapprochement entre les services publics et la population, elle permettrait de créer du lien social sur ces territoires. Ce rapprochement et cette volonté d’adéquation des services publics dans les quartiers constituent un des objectifs premiers de la GUP, comme le stipule le cahier des charges de l’Acsé : « Il s’agit également de développer la qualité des services rendus aux habitants ». Par conséquent, afin de rendre la gestion de proximité la plus efficiente possible, la commande prévoit la mise en place d’un partenariat dans lequel les habitants sont des acteurs à part entière. L’intégration de ces derniers dans la démarche est requise de toute évidence afin de recueillir leurs expériences pratiques et leur expertise d’usage du quartier. Ils sont amenés à fournir aux autres participants leurs connaissances du quartier en tant qu’observateurs de première ligne et « experts » des pratiques du territoire. Le but de ces pré-diagnostics étant de produire un « diagnostic partagé » du périmètre observé par l’ensemble des acteurs concernés, leur participation est nécessaire. Néanmoins, leur avis n’est pas clairement requis en ce qui concerne leurs attentes et besoins. 3.3.2. … et de la visibilité des institutions A cet enjeu affiché de produire un diagnostic partagé et d’apporter des connaissances d’usages du quartier en question aux autres acteurs participants à ces pré-diagnostics, d’autres enjeux de l’implication des « habitants » dans cette démarche peuvent être analysés. En effet, rappelons-le, cette commande a été engagée par l’Acsé dans le cadre du plan Espoir Banlieues, initié en 2008 par la secrétaire d’Etat Fadéla Amara et concernant 48 les 215 quartiers classés « prioritaires » dans ce dispositif. Ce plan (appelé aussi parfois « dynamique ») consacre, parmi ses objectifs, de restaurer la place de l’Etat dans la politique de la Ville et la volonté de le rendre plus visible dans les banlieues. Ainsi, la création des postes de Délégués des Préfets en charge de la cohésion sociale et de l’égalité des chances en 2009, en tant qu’agents référents dans les quartiers politiques de la Ville, illustre ce propos. La circulaire de la DIV du 30 juillet 2008 précise : « Leur mission : renforcer la présence de l’Etat dans les quartiers les plus prioritaires, en vue de faire remonter les dysfonctionnements et les réussites, et d’être les interlocuteurs de proximité de l’ensemble des intervenants locaux présents sur le terrain. (…) Ces derniers sont des vecteurs de connaissance des quartiers, reconnus par les préfectures et les services déconcentrés de l’État, des correspondants de proximité des élus, des chefs de projet et des associations œuvrant sur les quartiers. ». Le délégué du Préfet d’un secteur CUCS de la ville de Marseille résume bien cette volonté : « C’est l’Etat qui finance une grande partie de la politique de la ville et on l’oublie trop souvent. Donc moi je suis là pour ça, pour montrer que l’Etat est là, qu’il agit dans les quartiers et que c’est lui qui paie ». L’un des objectifs des pré-diagnostics de GUP est donc de réaffirmer la présence de l’Etat dans les quartiers prioritaires. La méthode du « diagnostic en marchant » par la visibilité physique qu’elle offre, est un instrument de mise à vue. La visite de quartier (d’une demi-journée), la présence de participants de la plupart des institutions et administrations, mais aussi de la société civile (nous préciserons la composition de cette « société civile » ultérieurement) permet, via le relai que constitue le délégué du Préfet, de souligner le rôle de l’Etat (notamment financier) dans la politique de la Ville auprès des institutions locales et collectivités, mais aussi auprès du secteur associatif et des habitants. De plus, la visite en elle-même, de par sa forme (une vingtaine de participants parcourent le quartier avec des fiches d’observation) provoque la curiosité des personnes présentes et par conséquent, permet la démonstration de la présence « sur le terrain » de ces institutions et leur volonté d’action auprès de la population. Le fait d’associer à cette démarche des « habitants », ou tout au moins des personnes du monde associatif agissant sur le quartier, 49 constitue une voix de transmission de la démarche auprès d’autres personnes vivant sur le territoire. L’exemple de cette commande montre bien que la « participation des habitants » est recherchée dans la politique de la Ville en tant qu’elle permet, outre une meilleure connaissance du « terrain » et par conséquent une meilleure adaptation et un ajustement plus efficace des dispositifs aux réalités empiriques, le développement d’un marketing public, au profit ici de l’Etat central. 50 3.4. LE DIAGNOSTIC SOCIAL : ENTRE CONSULTATION ET LEGITIMATION 3.4.1. Une connaissance des habitants et usagers Concernant la mission de diagnostic social d’une cité HLM des Bouches-du-Rhône, la participation des habitants se limite à leur information et consultation quant à leurs souhaits et attentes. L’enjeu est bien ici de recueillir des données auprès de la population occupante afin de définir leurs caractéristiques (économiques et socio-démographiques) ainsi que leurs pratiques, usages et besoins. La consultation doit donc alimenter les connaissances quant à la maîtrise d’usage, qui serviront par la suite dans la définition d’un projet (démolitionreconstruction). Elles permettront une adéquation et une adaptation des programmes aux usages, et par conséquent participeront de la pertinence et de l’efficacité du projet. Mais pas seulement. 3.4.2. Un outil stratégique et politique Cette étude pré-opérationnelle intervient dans le but de bénéficier d’une opération ANRU isolée. Or, l‘enquête publique et la consultation des locataires dans la phase amont du projet est une des conditions pour pouvoir prétendre au financement de cette Agence. Olivier Thomas (2003 : 153) définit ce type de « participation » comme une « consultation de principe », permettant par la suite aux gouvernants (à la commune ici en l’occurrence) de légitimer les décisions prises, par le fait qu’elles correspondent aux besoins exprimés par les habitants (besoins identifiés par l’enquête réalisée par le bureau d’études). L’enjeu sous-tendu est que « le projet (…) a à être construit comme « désirable » et que c’est là, probablement, que la communication (de projet) a un rôle important à jouer ainsi que les différentes formes de concertation mobilisables » (Noyer et Raoul, 2008 : 7). Le préalable consultatif constitue donc un instrument de légitimation des actions qui seront engagées, mais aussi un outil permettant le ralliement d’une partie des enquêtés au projet. Nous nous rapprochons donc ici de l’enjeu de légitimation de l’action publique mais aussi de paix sociale énoncés précédemment dans la démarche participative. 51 Précisons aussi que dans le cadre de cette mission, le commanditaire (la commune) et le bailleur social dont relève le patrimoine locatif présentent des intérêts communs très forts. En effet, le maire de cette commune est aussi le vice-président de l’Office HLM en question. Les enjeux de l’opération à venir se trouvent donc mêlés sur différents niveaux. La connaissance de caractéristiques et toute autre information sur les habitants de cette cité sont inévitablement un enjeu politique et électoral fort pour le maire, mais aussi d’ordre professionnel pour ce même maire en tant que vice-président de l’office HLM. En témoigne le fait que le courrier d’information concernant l’étude et le passage des enquêteurs a pris 3 mois de retard d’envoi car des questions de communication politique était en jeu pour cette personne aux multiples casquettes professionnelles. Finalement, le courrier a été signé avec les deux statuts (de maire et de vice-président du bailleur social), alors que l’appel d’offre et le financement de l’étude relèvent de la commune uniquement. Ajoutons à cela qu’une pression forte a été mise par la commune afin de disposer des résultats de l’enquête deux semaines avant la fin du délai de la mission. Une visite sur la cité nous a permis de comprendre les raisons de cette pression. En effet, de nombreuses affiches placardées dans la cité annonçaient la visite prochaine du maire sur ce secteur, visite prévue avant la date de rendu de l’étude par le prestataire. Nous pouvons supposer que le maire aurait certainement souhaité avoir connaissance des résultats avant sa visite de terrain, dans une perspective communicationnelle et électoraliste. L’exemple de cette commande illustre bien l’utilisation, voire l’instrumentalisation, de l’implication des habitants (par l’information et la consultation) à des fins politiques, mais aussi dans le but d’obtenir une enveloppe financière pour la réalisation d’une opération de restructuration urbaine. Rien cependant n’indique que les résultats de l’étude de consultation seront suivis et que la « parole » des habitants sera prise en compte. Comme l’a souligné un locataire enquêté : « On nous entend mais on nous écoute pas ». Ces deux missions, par les exemples qu’elles fournissent, mettent en lumière différentes formes de la participation que peut prendre cette injonction dans le champ de la politique de la Ville, mais aussi les différents enjeux qu’elle implique. Certains d’entre eux sont clairement affichés et relèvent de la volonté pour les institutions et politiques d’accroitre leurs connaissances du terrain ainsi que de bénéficier de l’expertise d’usage des habitants. D’autres relèvent plutôt de stratégies et manœuvres politiques et 52 institutionnelles visant à transmettre un message ou une image, à améliorer une communication, voire à utiliser cette implication à des fins instrumentales. Dans le cas des pré-diagnostics de GUP, l’enjeu sous-tendu principal renvoie à l’affirmation de la présence de l’Etat dans les banlieues. Concernant le diagnostic social, le but est de mener une opération de restructuration urbaine en évitant les potentiels conflits futurs en affichant une écoute des habitants et en anticipant de possibles contestations. 53 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE « L’objet de la concertation se décline (…) en forme d’accréditation de la communication de projet bien plus qu’en prise de risque démocratique ».40 Cette première partie nous a permis un recadrage tant au niveau historique que réglementaire de l’injonction à la participation des habitants dans les dispositifs de la politique de la Ville. Nous avons ainsi pu analyser et comprendre les origines, la signification mais aussi les enjeux de cette prérogative. Ainsi, il nous semble important de rappeler le caractère systématique de l’injonction participative depuis les années 1980 en France dans la politique de la Ville, mais aussi sa dimension territoriale spécifique. Les contours de cette notion restent cependant flous, tant au niveau réglementaire et législatif qu’au regard des modalités d’application qui sont prévues. La mise en pratique de cette prérogative semble souffrir de ces confusions. L’observation et l’analyse des textes, documents et discours qui y sont relatifs révèlent le caractère discriminatoire de cette injonction à travers une certaine représentation des publics auxquels elle s’adresse. De plus, aux enjeux affichés de co-construction des projets afin de satisfaire au mieux les attentes et besoins de ces populations, s’ajoutent d’autres enjeux dont la finalité vise moins à l’amélioration du bien-être des « habitants ». En effet, comme nous l’avons décrit, la participation des habitants constitue aussi un outil d’instrumentalisation au service du politique. « (…) la notion de concertation, prise à la fois dans des temporalités complexes, dans des stratégies de restructuration de territoires et leurs implications symboliques, dans les enjeux politiques locaux et leurs ramifications nationales… ouvre, de par son flou définitionnel, sur un jeu duquel les acteurs qui la promeuvent tirent parti pour signifier volonté d’écoute, d’attention, de prise en compte et faire valoir l’image d’une institutionnalisation consensuelle de la concertation. » (Noyer et Raoul, 2008 : 10-11) 40 Noyer et Raoul, 2008 : 11. 54 L’étude de terrain que nous avons menée lors du stage au sein du bureau d’études nous a permis d’observer deux exemples particuliers de missions dans lesquelles la participation des habitants était prévue. L’analyse des cahiers des charges de ces commandes a d’une part confirmé le caractère confus de cadrage de la notion de « participation » mais aussi de celle d’ « habitants » et d’autre part révélé une dimension parfois politique et de nombreux enjeux en cours derrière cette injonction. À présent, il semble intéressant d’étudier dans quelle mesure cette prérogative est appliquée sur le terrain. Comment, malgré le flou juridique, conceptuel et réglementaire, la « participation des habitants » est-elle mise en place ? À l’aide des données empiriques recueillies sur le terrain, nous allons procéder à l’analyse de la mise en œuvre de l’injonction à la participation, de ses difficultés ainsi que des interactions et jeux de pouvoir qu’elle produit. 55 DEUXIEME PARTIE : La participation des habitants : des pratiques controversées. 56 Nous avons décrit précédemment les origines de l’affirmation de la participation des habitants comme prérogative indissociable des dispositifs de la politique de la Ville. Ainsi, systématiquement prévue, elle souffre néanmoins d’un manque de définition quant à ce qu’elle désigne mais aussi aux modalités de son application. Nous pouvons donc supposer que sa mise en place est soumise aux interprétations des professionnels et équipes opérationnelles en charge de la mise en œuvre des dispositifs territoriaux. En effet, parmi les pré-diagnostics de GUP auxquels nous avons participé, nous n’avons pu relever qu’un seul territoire sur lequel l’implication des « habitants » (selon la conception française, à savoir de citoyens organisés) est apparue effective et participant de la construction des actions et projets à venir. La faiblesse de cette proportion est significative des conséquences du flou décrit précédemment mais aussi peut-être d’autres facteurs inhérents aux outils mobilisables et au système d’acteurs impliqués. Nous pouvons donc nous interroger sur les difficultés relatives à la mise en œuvre de la participation des habitants. Dans quelle mesure cette injonction est-elle applicable ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les acteurs institutionnels ? Qui sont les « habitants » invités à participer ? Nous travaillerons dans cette seconde partie sur l’aspect opérationnel de la participation des habitants. Nous nous interrogerons sur l’établissement de cette prérogative dans les faits, sur le terrain. L’étude des données empiriques relevées au travers de notre observation participante constituera ici le point de départ de notre analyse sur les réalités de l’ application de l’injonction participative. Les données utilisées relèveront en majorité de la mission de réalisation de pré-diagnostics de GUP. En effet, la mission de diagnostic social se situant dans le cadre d’une étude pré-opérationnelle de définition, la décision d’engager un projet ou une réhabilitation n’a pas encore été prise par la commune et dépend des résultats de l’étude41. Il n’est donc pas possible de voir les suites qui y seront apportées ni comment sera utilisée l’enquête : quelles seront les décisions prises, et dans quelle mesure les habitants seront informés, associés, concertés, à la suite du projet s’il y en a une. 41 Notons que le rapport du bureau d’études a été rendu au début du mois de juin 2010 à la commune commanditaire et qu’à ce jour (septembre 2010), aucune réunion relative aux conclusions de cette étude ainsi qu’aux suites à y apporter n’est programmée. Dans l’hypothèse où cette réunion n’aurait pas lieu avant la fin 2010, un nouveau diagnostic social devrait être réalisé car les données recueillies début 2010 nécessiteraient alors une mise à jour. Dans ce cas, la deuxième phase serait alors repoussée d’encore quelques mois. 57 Cette seconde partie s’articulera autour de trois questions sur la réalité de la mise en place de la participation des habitants dans la politique de la ville, à travers l’exemple des deux missions réalisées dans le cadre du stage au bureau d’études ChOrus : Comment fait-on participer ? Qui participe effectivement ? Quelles sont les conséquences et enjeux de cet ajustement ? Ainsi, dans un premier temps nous analyserons les moyens entrepris par les équipes opérationnelles42 pour mettre en place la participation mais aussi, et surtout, les difficultés auxquels ils se confrontent. Dans un deuxième temps, nous nous attacherons à décrire les acteurs réels de la participation, et en particulier les intermédiaires et « personnes ressources » auxquels les institutions et collectivités ont recours dans le processus participatif. Enfin, nous nous interrogerons sur la représentativité de ces acteurs ainsi que sur les interactions régissant leurs rapports avec les institutions et administrations. 42 Du CUCS ainsi que des délégués du Préfet dans le cadre des pré-diagnostics de GUP. 58 IV. Comment s’applique la participation ? Un aveu d’impuissance des opérateurs « Il serait important d’impliquer les habitants dans cette démarche, mais bon, on sait que c’est compliqué et que la plupart du temps on n’y arrive pas. Par expérience, on sait que c’est rarement le cas ». Ce constat a été énoncé lors de la réunion préparatoire au lancement des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône, en Préfecture, par un membre de l’Union Sociale pour l’habitat. Elle reflète une réalité constatée mais aussi le discours majoritaire relevé lors de nos observations auprès des équipes opérationnelles des CUCS et délégués du préfet. En effet, lors des quatre mois de stage, force a été de constater l’aveu d’impuissance quasi-généralisé des opérateurs de terrain quant à la démarche participative, lorsque celle-ci était évoquée. Parmi les 17 quartiers programmés dans la 1ère phase de pré-diagnostics dans les Bouches-du-Rhône, nous avons pu participer à 12 d’entre eux et avons relevé un quasiéchec de l’implication des habitants à cette démarche. Ainsi, parmi les 12, 3 secteurs n’ont fait l’objet d’aucune tentative de recours aux habitants ou associations implantées sur le quartier dans la démarche partenariale requise, 8 ont intégré des partenaires associatifs ou sociaux de terrain, et 1 seul a bénéficié d’une véritable volonté d’impliquer de façon la plus exhaustive possible les acteurs représentatifs des habitants du territoire et dont une majorité d’entre eux réside effectivement dans le quartier en question. Ce constat apparait plutôt négatif en rapport à la prérogative qui était donnée d’impliquer les « habitants » dans cette démarche. Il est important de souligner aussi que pour le secteur faisant exception par sa réussite en matière de participation, les membres de l’équipe opérationnelle ont avoué que cette mise en œuvre s’avérait très difficile et demandait beaucoup d’énergie et une très forte volonté. 59 4.1. LES DIFFICULTES RENCONTREES 4.1.1. Des connaissances de terrain parfois insuffisantes La raison principale de cet « échec » de la participation semble renvoyer aux difficultés instrumentales et pratiques mais aussi à un manque de formation des personnels sur les moyens à engager pour mener à bien ce processus. Dans les 8 quartiers où une tentative a été faite d’intégrer des « habitants »43, nous avons pu noter une relative volonté de la part des équipes opérationnelles de remplir cette prérogative. Pourtant dans la moitié des cas, leur aveu d’impuissance quant aux moyens de faire participer les a contraints à réduire cette démarche a minima en invitant uniquement les représentants d’associations avec lesquelles elles avaient déjà eu des contacts, concernant d’autres questions. Dans les 4 autres cas, la réunion préalable à la « visite en marchant » permettait aux équipes opérationnelles de s’interroger sur l’existence et la nature des associations présentes sur le secteur, et de questionner le bailleur, lorsque celuici y était associé, sur la présence et le contact d’éventuelles « personnes-ressources » du quartier. Ce manque de connaissances des acteurs de terrain s’explique, pour ces 4 secteurs, par le fait que les chefs de projet, venaient d’intégrer ce poste de façon assez récente (dans les 6 mois précédents). Cette situation représente un tiers des secteurs étudiés, et d’autres changements de poste sont intervenus ultérieurement à notre période de stage. Il existe, en effet, un fort turn over au sein de ce secteur professionnel, notamment à Marseille. Cette situation a pour conséquence de ralentir l’avancée des actions en cours, mais aussi, pour le sujet qui nous intéresse ici, d’accroitre les difficultés de mise en œuvre d’une participation des habitants. Par manque de connaissances du quartier, des professionnels de terrain, des associations de locataires, et des habitants, le chef de projet n’a pas encore créé de relation de confiance avec des « relais de terrain » ou « personnes ressources ». 43 Nous mettons ce terme entre guillemets afin de souligner le fait que ce ne sont souvent pas des habitants du secteur qui ont été saisis mais plutôt des acteurs de terrain, mais que ces acteurs représentent les habitants aux yeux des opérateurs. Nous reviendrons plus loin sur ce point. 60 L’invitation de participants « habitants » à la visite en marchant est ainsi limitée : soit aucun « habitant » n’est associé à la démarche, soit ne le sont que des personnes spécifiquement identifiées (et se pose alors la question de leur représentativité). 4.1.2. Des délais limités Une contrainte à la participation des habitants aux pré-diagnostics de GUP ayant été évoquée par les chefs de projet et délégués du préfet faisait référence au temps imparti à la préparation de la mission. En effet, du fait du retard pris par la Préfecture pour le lancement de la première phase de programmation des pré-diagnostics dans les Bouches-du-Rhône, les délais impartis à la mission s’en sont trouvés réduits. Par conséquent, dans les secteurs où les opérateurs n’avaient que peu de connaissances du terrain ou d’interlocuteurs « habitants » de terrain, le temps leur a manqué pour mener à bien une investigation leur permettant d’identifier des « personnes-ressources » avant la date de la visite en marchant. Par ailleurs, le cahier des charges prévoyant 3 jours de mission par quartier, il est clair qu’elle ne permet pas la mise en œuvre, à elle seule, d’une démarche participative sur un temps si restreint. Rappelons aussi que dans le cadre de la mission de diagnostic social d’une résidence HLM, la question du temps, trop court, prévu par la commande, a constitué un frein majeur à l’instauration d’une démarche participative, qui demande un investissement dans la durée et des actions pérennes. Cette question des délais et de leur adéquation constitue un obstacle de taille à la participation des habitants. Une autre dimension contraignante a été soulevée à lors d’un Atelier Régional de la Ville relatif à la participation (CRPV – PACA, 2007 : 22) : « Comment concilie-t-on la question du temps (temps du projet ou du mandat) et le temps de la démarche participative (que l’on nous a présenté comme chronophage) ? ». 4.1.3. Une formation insuffisante Un grand vide juridique et un flou certain sur les modalités d’application de la participation règnent, comme nous l’avons décrit précédemment. Par conséquent, il est parfois difficile pour les équipes opérationnelles de savoir comment la mettre en œuvre. 61 Plusieurs d’entre elles ont avoué leur impuissance un niveau des moyens à saisir et à mettre en place pour une démarche participative. A l’heure actuelle, ces professionnels ne sont pas formés à l’instauration de cette démarche et sont souvent enfermés dans une logique et des pratiques bureaucratiques. Ils préfèrent, le plus souvent, s’en remettre à des acteurs externes (bureaux d’études, associations) pour les appuyer, voire pour leur confier des missions relatives à la compétence participative. Le corps institutionnel manque donc cruellement de formation et d’informations quant à l’application d’une démarche participative, malgré son inscription systématique dans les dispositifs qu’il doit mettre en place. Cet aveu d’incapacité se traduit par une externalisation de cette injonction mais aussi par la demande pour certains de bénéficier de formation leur permettant de répondre euxmêmes à cette prérogative. « La demande de bonnes pratiques, de méthodologie, de formation, d’information, de la part des techniciens, d’agents territoriaux ou simplement de personnes civiles engagée dans des processus participatifs s’est faite entendre » (CRPV – PACA, 2007 : 28) 62 4.2. ET UN MANQUE DE VOLONTE 4.2.1. Une pertinence remise en cause En ce qui concerne les trois secteurs pour lesquels l’équipe opérationnelle n’a pas jugé utile de faire participer des « habitants », deux cas se sont différenciés. Dans le premier cas (1 territoire), l’équipe avait une bonne connaissance des associations œuvrant sur le quartier mais jugeait qu’elles n’étaient pas représentatives des habitants (et justifiait cette idée par le fait qu’elles étaient très peu fréquentées par les personnes résidant sur le quartier). N’ayant pas d’interlocuteurs « habitants » et invoquant la restriction à 20 personnes pour la visite en marchant, l’équipe a décidé de ne pas convoquer d’habitants mais s’est engagée à reproduire la démarche du pré-diagnostic en marchant ultérieurement avec des habitants du quartier, dans la perspective d’élaborer une charte de GUP à plus long terme44. Dans le deuxième cas de figure (2 territoires) où aucun « habitant » n’a été invité à participer à la visite en marchant, les raisons étaient différentes. En effet, le chef de projet (qui est le même sur ces deux quartiers) a estimé qu’il n’était ni nécessaire ni pertinent d’associer des « habitants » à la démarche. Deux raisons semblent avoir déterminé ce choix. La première concerne la volonté de ne pas divulguer d’informations, notamment quant aux projets en cours afin de ne pas susciter de crainte ou de « rumeurs » parmi la population. La deuxième raison est directement liée puisqu’elle renvoie à un aveu d’appréhension très fort de la part de ce chef de projet par rapport aux « habitants ». Il a, à plusieurs reprises, exprimé sa « peur » des habitants, de leurs réactions, de leurs critiques et a ainsi souhaité que tout se déroule dans la confidentialité la plus totale. De ce fait, il a aussi imposé que les visites en marchant sur ces deux secteurs se déroulent le matin « car il y a moins de monde dehors ». De plus, par de nombreuses questions posées, il s’est assuré auprès du bureau 44 Ce quartier venait d’engager un chargé de mission GUP afin de mettre en place une charte sur le quartier dans un délai d’un an. Ce poste étant nouvellement mis en place, le pré-diagnostic réalisé avec le bureau d’études devait permettre d’initier une démarche plus longue, et donc de répéter l’exercice de la visite en marchant avec différents partenaires et à plusieurs reprises. Le chargé de mission devait alors dans les mois à venir engager une investigation afin de repérer des « personnes-ressources » à associer ultérieurement à ces démarches. 63 d’études que ce dernier se « chargerait » des éventuelles interpellations d’habitants au cours de la visite en marchant. 4.2.2. Huis-clos institutionnel et opacité La crainte des habitants et de leurs réactions, mais aussi la volonté de ne pas dévoiler certaines informations ont été observées de façon récurrente et constituent deux facteurs désincitatifs à l’implication des habitants par les équipes opérationnelles. Par conséquent, peu de chefs de projet jouent la carte de la transparence vis-à-vis des acteurs noninstitutionnels, ce qui explique que certains ne mettent rien en œuvre pour impliquer les habitants dans le pré-diagnostic de GUP. Pour la même raison, quelques uns insistent lors des réunions préparatoires sur le caractère confidentiel de certaines informations sur les projets en cours ou à venir et prévoient un discours commun auquel toutes les personnes informées doivent se tenir. L’exemple est significatif de la crainte des opérateurs de voir divulguées des informations sur les projets en cours et les conséquences possibles : réactions négatives des habitants, propagation de rumeurs sur le projet, etc. La 1ère phase de programmation des pré-diagnostics de GUP devait concerner 18 quartiers des Bouches-du-Rhône mais seulement 17 ont pu être réalisés. En effet, un des pré-diagnostics a dû être reporté à la demande du bailleur social en charge du patrimoine sur ce quartier car il craignait que cette démarche révèle les projets qu’il avait entrepris. Le Président de l’office HLM a téléphoné à l’équipe opérationnelle du CUCS du secteur afin de demander l’annulation ou le report du pré-diagnostic par peur que des éléments d’information soient communiqués lors de cette démarche pour laquelle avaient été invitées des associations de locataires. L’organisme a menacé de ne pas participer au pré-diagnostic (remettant ainsi en cause l’efficacité de la mission). Craignant de détériorer ses rapports avec le bailleur, l’équipe opérationnelle a demandé à la Préfecture de reporter le pré-diagnostic (et de le déplacer à la 2ème phase de programmation), demande qui lui a été accordée. Cet exemple illustre bien les pratiques opaques qui peuvent avoir lieu et notamment les stratégies de communication établies envers les habitants. Nous avons, à travers ce cas particulier, un exemple d’obstacle à la participation des habitants, et postulons l’hypothèse que ces pratiques ne sont pas isolées. Soulignons aussi le fait qu’en acceptant de décaler le pré-diagnostic, la Préfecture, au nom 64 de l’Acsé, accepte ce type de pratiques et par conséquent la cautionne, en même temps qu’elle se doit d’être le garant des modalités d’application de ces pré-diagnostics parmi lesquelles la participation des habitants est une composante forte. 4.2.3. Une question de priorité Lors des réunions préparatoires et donc de la définition des participants à inviter en tant que partenaires des pré-diagnostics, la liste était établie par les équipes opérationnelles selon un ordre identique dans la quasi-totalité des cas auxquels nous avons pu assister. Les institutionnels à associer étaient désignés en premier lieu, et généralement, selon un ordre hiérarchique. S’ensuivaient la liste des techniciens de la CUMPM45 ou de la Ville, puis celle des professionnels de terrain (des centres sociaux, gardiens des bailleurs, médiateurs du CUCS, etc). Tous ces acteurs constituaient a priori pour les opérateurs CUCS et délégués du préfet les incontournables partenaires à inviter, soit que leur action sur le terrain soit directement liée à la GUP, soit que, pour des raisons économiques ou politiques, le fait de ne pas les convier aurait constitué une faute. À ce stade d’élaboration de la liste, le nombre de participants était déjà souvent très conséquent (entre 15 et 20 personnes) et il ne restait donc que peu de place (voire aucune) pour les « habitants ». Le « sacrifice » de partenaires intervenait alors au détriment de la catégorie des « habitants », considérés par conséquent comme moins incontournables que les autres, selon les priorités des opérateurs. Ces choix étaient parfois justifiés par le doute qui était alors émis sur la pertinence d’associer les habitants à cette démarche « trop technique pour eux ». 4.2.4. Un constat admis et accepté Les difficultés des institutions publiques dans à la mise en place de la participation des habitants aux dispositifs sont nombreuses. L’exemple de ces obstacles dans la démarche de pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône confirme ce constat. 45 CUMPM : Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole. 65 Cet aveu d’impuissance des équipes opérationnelles semble admis, voire accepté, comme le prouve le comportement de la Préfecture, garante du bon fonctionnement de cette mission. En effet, la Préfecture doit veiller au respect des modalités prévues dans le cahier des charges. Pourtant, elle-même semble fermer les yeux sur le déficit de participation des habitants aux pré-diagnostics. Consciente de cette lacune (rappelons que la Préfecture valide la liste des participants associés à la visite en marchant et leur envoie les invitations), elle n’a néanmoins à aucun moment (même dans les secteurs où aucun «habitant », usager ou acteur associatif de terrain n’avait été convié) émis le moindre désaccord. De plus, comme nous l’avons décrit, elle a accepté le report d’un pré-diagnostic sur demande du bailleur social qui ne souhaitait pas qu’une quelconque information quant aux projets à venir ne soit divulguée aux habitants. Un sentiment consensuel de renoncement semble donc peser sur la prérogative participative et la connaissance et l’acceptation des difficultés liées à sa mise en œuvre ne paraissent pas remises en cause. En effet, « la participation prend du temps, requiert de la pédagogie, de la transparence » (CRPV- PACA, 2007 : 16) et ces conditions ne sont que trop rarement réunies. 66 V. Qui participe ? Le recours aux intermédiaires et « personnes ressources » La définition de la notion d’ « habitants » dans le dispositif participatif présente des contours flous, comme nous l’avons précisé précédemment. Par conséquent, ce qu’elle relève est soumis à interprétation de la part des opérateurs qui doivent ainsi composer avec les textes et les possibilités mises à leur disposition. Face à ces difficultés, le recours à des intermédiaires ou « personnes-ressources » censées représenter l’ensemble des habitants et fournir des informations sur leurs attentes et besoins est quasi-systématique. Nous allons ici analyser comment, dans la pratique, est comprise cette catégorie d’ « habitants », et qui, dans les dispositifs opérationnels, est appelé à participer. Nous décrirons, par conséquent, tous les acteurs qui interviennent dans les processus participatifs, leurs rôles et leurs apports auprès des institutions. Nous nous attacherons à présenter dans quelle mesure les habitants (au sens de « résidents du quartier ») sont impliqués, et plus particulièrement qui est cette minorité qui participe. Cette précision nous permettra de mieux comprendre et appréhender la pratique opérationnelle. Ensuite, nous porterons notre attention sur les professionnels de la médiation et tenterons de comprendre en quoi ils sont devenus des acteurs incontournables de la participation. Enfin, nous présenterons le secteur associatif en tant qu’intermédiaire et « relai de terrain » pour les opérateurs. Lors de la mission de pré-diagnostics de GUP nous avons pu constater que très rares étaient les habitants (au sens de « résidents du quartier ») non impliqués dans une quelconque structure (association de locataires, association socio-culturelle, autre structure du quartier) parmi les personnes invitées en tant qu’ « habitants ». En effet, le plus souvent, les opérateurs requéraient, pour cette catégorie, des membres de structures (associations, amicales, collectifs), résidents ou non du quartier. Peu d’habitants-résidents sont identifiés par les institutionnels en tant que « personneressource » du quartier. Pour être plus précis, parmi les 12 quartiers pour lesquels nous avons réalisé les pré-diagnostics de GUP dans le cadre du stage, le recours à ce type 67 d’habitant-résident n’appartenant à aucune organisation du quartier n’est intervenu que dans un seul cas. Dans les autres situations, (excepté les 3 secteurs où aucun intervenant « habitant » n’a été convié), les habitants-résidents conviés à la visite en marchant étaient impliqués dans une organisation ou structure du quartier (ce qui justifiait le fait qu’ils soient connus et identifiés par les opérateurs). Pour ce cas unique si la personne-ressource ne relevait pas d’une structure du secteur, elle en faisait néanmoins partie auparavant. Ainsi, son identification par l’équipe opérationnelle était antérieure à sa désaffiliation et c’est en effet par son rattachement passé à une organisation qu’elle avait été amenée à remplir la fonction officieuse de personne-ressource du quartier. Son inscription en tant que partenaire au pré-diagnostic se justifiait donc en ce que son passé l’avait fait connaitre auprès des institutions et qu’elle avait conservé depuis une relation d’intermédiaire entre celles-ci et la population. Cet exemple indique bien le caractère exceptionnel, voire relatif, du recours à l’habitant-non-structuré en tant que personne-ressource. Cette démonstration illustre le recours, dans l’interprétation française admise de « la participation », à des personnes « structurées » dans le quartier. Le terme de « personneressource » qui intervient en tant qu’informateur des pouvoirs publics et référent en matière de connaissance du terrain, renvoie à une inscription dans une organisation, soit regroupant des personnes résidant sur le quartier, soit faisant appel à des personnes extérieures mais agissant sur ce même territoire. « Le chef de projet s’emploie ainsi à détecter les initiatives locales émergentes qui favoriseraient les objectifs des conventions territoriales opérationnelles et les programmes thématiques des contrats de ville » (Donzelot, 2003 : 208). Le recours à des intermédiaires dans le cadre de la démarche participative et en tant que représentants des habitants (aux yeux des institutions) est récurrent dans la politique de la ville, voire institutionnalisé. Nous distinguerons deux pratiques des opérateurs dans le recours aux intermédiaires et l’externalisation de la participation (qui mériteront d’être à leur tour décomposées selon les particularités inhérentes à ces acteurs) : la médiation comme nouvelle forme de la participation, et les associations comme relai incontournable. Nous procéderons par conséquent à une identification des acteurs qui entrent en jeu auprès des institutions en tant que relais de terrain : les bureaux d’études, les travailleurs sociaux, 68 les organisations de locataires et les associations (à vocation éducative, culturelle, socioculturelle, sportive, etc) intervenant sur le quartier. 5.1. LE DEVELOPPEMENT DE LA MEDIATION La médiation est emblématique des changements survenus dans le champ de l’action publique, et en particulier de l’action sociale, depuis les lois de décentralisation de 19821983. Ainsi, en accroissant la responsabilité à l’échelon local, la décentralisation a mené à une recomposition complète de la répartition des compétences et des pouvoirs et à la mise en place d’une nouvelle configuration de l’intervention publique avec l’externalisation de certaines politiques sociales et le recours au secteur privé. De nouveaux niveaux intermédiaires sont alors apparus, notamment dans les quartiers dits « sensibles ». La médiation fait partie de ces nouveaux métiers de la régulation qui se sont largement développés dès les années 1990. Ainsi, elle répond à deux dimensions de l’action publique : sa nécessaire régulation, et la triangulation dans les rapports sociaux (dans le but de recréer du lien social). 5.1.1. La professionnalisation de la relation aux habitants. Ces deux fonctions justifient leur présence dans le champ de la politique de la ville, et plus particulièrement dans les relations entre institutions et habitants. La médiation se situe comme échelon intermédiaire entre ces deux types d’acteurs. Béatrice Muller (2005) caractérise les fonctions de ce nouveau corps d’action. Ainsi, elle précise que les agents chargés de la médiation sont considérés comme des révélateurs de la réalité sociale. Ils ont pour caractéristique la professionnalisation de la relation avec la population. Ces métiers ont émergé et se sont territorialisés, notamment à travers les emplois-jeunes dans les cités. La fonction de médiation a été reprise par tous les types de structures agissant ou présentant des intérêts sur le quartier : collectivités locales, bailleurs sociaux, transporteurs et associations. Ce développement rapide et transversal des fonctions de médiation a fait apparaitre ce que Maryse Bresson nomme la figure du « médiacteur » : « il est (doit être) un stratège capable d’analyser les situations locales, d’établir des diagnostics issus de son 69 analyse, de construire des propositions de traitement (…) pour qu’elles soient soumises à la réflexion et au débat de tous les partenaires. » (2004 : 107). 5.1.2. Un relais d’informations La description des fonctions de la médiation nous apporte un éclairage sur les raisons qui poussent les institutions à faire appel à ces « professionnels de la relation aux habitants » (Muller, 2005 : 165) comme intermédiaires et personnes-ressources. Parfois, un secteur CUCS dispose de son propre médiateur, qui devient alors pour le chef de projet le principal informateur. Les « médiacteurs » permettent donc d’avoir des « remontées de terrain ». Précisons qu’en plus de cette fonction de relai des connaissances de terrain envers les institutions, ces professionnels (pouvant être issus de structures diverses comme nous l’avons évoqué précédemment), sont aussi des relais des informations provenant des institutions envers les habitants. Ils se situent au centre de relations triangulaires, comme passeurs d’informations, mais aussi régulateurs des potentiels conflits que ces informations peuvent engendrer. Cette relation intermédiaire particulière leur confère un positionnement central, que nous ne manquerons d’analyser ultérieurement. 5.1.3. Secteur privé et médiation Les bureaux d’études remplissent eux aussi des fonctions de l’ordre de la médiation, tout comme certaines associations, au sens où ils se situent comme échelon intermédiaire entre les institutions (collectivités, bailleurs sociaux, Etat) et les habitants. Leur financement (par « commande » ou au travers des subventions pour les associations), les place dans une relation marchande avec ces institutions pour lesquelles ils doivent assurer certaines fonctions. Faire transiter l’information et la communication du commanditaire (le « discours commun » construit en amont), rassurer les habitants, prévenir et résoudre les conflits et faire remonter les données de terrain constituent une large part de ces fonctions. En cela, le bureau d’étude peut être considéré comme un intermédiaire auquel ont recours les institutions comme personnes-ressources. 70 À travers les informations fournies par le prestataire dans le cadre de ses missions (suite aux diagnostics, évaluations, etc.), et selon la conception française de la participation des habitants telle que nous l’avons explicitée, le recours au bureau d’études peut être assimilé à un instrument d’implication des habitants. Cette implication doit être comprise au sens où elle confère des outils de connaissance du terrain, tel que le précise Pascal Nicolas-Le Strat (2003 : 128) : « La consultance, en s’appuyant sur un travail d’évaluation et de diagnostic, est susceptible d’apporter de nouveaux éclairages, une meilleure visibilité de l’action, une plus grande pertinence d’argumentation ». En interrogeant les habitants sur leurs pratiques et leurs besoins, en réalisant des études quant à leurs usages et modes d’habiter, mais aussi en diffusant de l’information, le bureau d’étude « fait participer » les habitants46. La note de cadrage sur la participation de ChOrus atteste de cette mission du cabinet d’études (12): « Pour être un bon « relais de l’information », il doit être un analyste des expressions des différents acteurs, un traducteur et un « facilitateur » (…) » (p.5), « (…) la démarche participative est récente, du moins dans une conception réorientée et implique un changement dans les cultures aussi bien des habitants que des institutionnels. Les deux pôles d’acteurs sont donc aussi déterminants et le travail de consultation, de médiation et de catalyseur des bureaux d’étude, ONG, … doit porter simultanément sur ces deux pôles ». Ainsi, lors des pré-diagnostics de GUP, les cabinets d’études en charge de missions sur le quartier concerné (MOS47, MOUS48, OPAH49, RHI50, etc.) étaient convoqués, notamment en qualité de « porte-parole » des habitants, au même titre que les associations. Néanmoins, il nous semble important de souligner à nouveau la relation commerciale qui unit institutions (bailleurs sociaux, collectivités locales et territoriales) et cabinets privés. Dans cette relation, les institutions lorsqu’elles sont commanditaires, 46 Rappelons que cette conception de la participation correspond à sa signification française telle que décrite dans la première partie de ce travail. 47 Maîtrise d’Oeuvre Sociale. 48 Maîtrise d’Oeuvre Urbaine et Sociale. 49 Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat. 50 Résorption de l’Habitat Insalubre. 71 s’apparentent à des « clients » des bureaux d’études. Cette interaction peut agir comme un biais dans la représentativité présumée de ces professionnels du secteur privé. Il s’avère parfois difficile pour ces derniers d’éviter des négociations et compromis avec les institutions. Soulignons que le positionnement déontologique propre à chaque cabinet d’études joue ici un rôle déterminant. L’enjeu (et la complexité) tient à satisfaire le commanditaire et la population sans se compromettre ni être instrumentalisé. 72 5.2. LES ASSOCIATIONS : QUI SONT-ELLES ? Au sein des 9 territoires sur lesquels un pré-diagnostic de GUP a été réalisé avec une implication des habitants (tentée ou effective), les équipes opérationnelles ont à chaque fois invité des représentants d’associations présentes sur le quartier. Au même titre que le bureau d’études, ces associations sont convoquées en tant que « représentants de la parole des habitants » et « experts » du terrain auprès des institutions. Leur rôle est donc primordial, bien que controversé. Leur diversité (d’actions, de financeurs, de personnels, etc.) permet de les différencier selon deux types : les associations ou organisations de locataires, souvent revendicatrices et en position adversative face aux institutions, et les associations à vocation culturelle, sportive ou sociale, qui entretiennent souvent des rapports partenariaux et des relations positives avec les administrations. Ainsi, l’une se compose d’habitants-locataires du quartier, unis pour défendre leurs intérêts, et l’autre de professionnels d’activités à vocation socio-culturelle51, externalisée de l’action publique et dans une relation de dépendance vis-à-vis des institutions, notamment du fait des subventions qu’elles lui accordent. 5.2.1. Les associations de locataires : une posture adversative Le premier type d’associations identifié correspond donc aux organisations de locataires et s’apparente à « un groupe d’intérêts à vocation identitaire » (Braud, 2001 : 51). Ces organisations sont constituées d’habitants-résidents, regroupés dans le but de faire-valoir leurs droits (notamment auprès du bailleur social et des institutions) quant à l’habitat et au cadre de vie. Ils se positionnent comme des acteurs revendicateurs, voire contestataires. Le fonctionnement de l’organisation est assuré par les cotisations de ses adhérents et un local lui est parfois (dans le meilleur des cas) prêté par le bailleur social. Le profil de ses membres peut être décrit par un bon niveau de connaissances du fonctionnement locatif et administratif et par des compétences techniques, notamment en matière de législation relative à l’habitat et aux droits civiques. Nous avons pu observer que 51 L’acception « professionnel » renvoie ici à la spécialisation des membres et à la salarisation de leur activité. 73 ces personnes sont souvent à la retraite, donc relativement âgées, et consacrent une part importante de leur temps à l’association dont ils font partie. La question de leur représentativité se pose donc, malgré l’intérêt général des locataires qu’ils semblent défendre. Bien que leur légitimité représentative soit couramment remise en cause par les autres acteurs de terrain, ils constituent, aux yeux des institutionnels, des partenaires incontournables à associer aux projets. Du fait de leur influence (et de leur connaissance des institutions et des moyens de pression), les opérateurs ne peuvent se permettre de les écarter. Dans le cadre des pré-diagnostics de GUP, nous avons pu observer que bon nombre de chefs de projet réfutaient leur pertinence et leur représentativité. Beaucoup ne souhaitaient pas véritablement les inviter à la visite en marchant, du fait de leur caractère protestataire, mais évoquaient la nécessité de les associer malgré tout afin d’éviter d’envenimer des relations parfois déjà conflictuelles. Malgré leur invitation à participer, nous avons pu remarquer que leur parole n’était pas prise en considération et qu’aucun crédit n’était accordé à leurs requêtes lors du prédiagnostic. Le fait de les impliquer comme partenaires s’apparente plus à une démarche habile qu’à une volonté d’écoute des informations qu’ils peuvent fournir. Consigne a même été faite au bureau d’études par un chef de projet et un délégué du préfet de contenir la parole du Président de l’association de locataires lors de la visite en marchant afin « qu’il ne nous ennuie pas avec des préoccupations qui ne concernent que lui ». Précisons que le président en question apostrophe de façon régulière la presse locale pour dénoncer les conditions de vie et d’habitat de la cité dans laquelle il vit, raison pour laquelle l’équipe opérationnelle n’a pas pris le risque de l’évincer de la démarche de pré-diagnostic, craignant des conséquences médiatiques. Il a néanmoins saisi tous les médias locaux et rédigé une lettre à la secrétaire d’Etat Fadéla Amara à la suite de la visite en marchant, s’insurgeant contre le fait que les logements n’aient pas fait l’objet d’observation52. Cet exemple illustre la figure de l’ « habitant-protestataire » (Noyer et Raoul, 2008 : 85) à laquelle les institutions ne portent aucun crédit quant à la représentativité ni aux informations qu’elle transmet, mais qui constitue un acteur incontournable lorsque l’on parle de « participation des habitants ». 52 Rappelons que les pré-diagnostics de GUP ont pour objet l’observation des espaces extérieurs et du cadre de vie mais ne prévoient pas l’intégration de l’intérieur des logements à cette observation. 74 5.2.2. Les associations socio-culturelles : une posture ambigüe Le second type d’associations identifié correspond aux associations à vocation sociale53, sportive, cultuelle, humanitaire, éducative ou culturelle, et dont le financement, voire la création, relèvent des institutions (collectivités locales ou Etat…). Elles ont pris le relais des actions auparavant assurées par les pouvoirs publics et qui tendent de plus en plus à être externalisées et reléguées au secteur associatif. Elles sont considérées comme des « groupes d’intérêts supports d’une cause » (Braud, 2001 : 52). Ces organisations sont constituées de professionnels des activités proposées et parfois de bénévoles, ne résidant que rarement sur le quartier où se situent leurs activités. En effet, certaines d’entre elles ont installé leurs locaux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville car cela leur permet de prétendre à plus de subventions de la part des pouvoirs publics et ont, de ce fait, adapté leur activité au public de ces territoires. Leur existence et leur pérennité sont soumises aux subventions et financements publics. Elles se situent par conséquent dans une relation de dépendance vis-à-vis des institutions et doivent justifier et légitimer chaque année leur présence et leur action. Cette dépendance constitue une contrainte par rapport à leur projet et oblige à un encadrement de leur action. Par exemple, dans le cadre des CUCS elles doivent répondre à un appel à projet et être choisies pour pouvoir bénéficier de fonds publics. Ainsi, elles doivent correspondre au mieux aux prérogatives et thématiques annoncées par le CUCS et se retrouvent en concurrence entre elles pour l’obtention des financements. En 2010 par exemple, le thème de la « citoyenneté » était à l’honneur dans l’appel à projet des CUCS de Marseille : « L’axe citoyenneté est par nature transversal à l’ensemble des priorités du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, et peut donc être considéré comme devant être pris en compte par tous les programmes territoriaux et chaque acteur social »54. Face à une concurrence de plus en plus grande, les associations doivent tenter de « coller » au mieux aux prérogatives annoncées. L’appel à projet précise que les objectifs du CUCS seront pour 2010 : l’appui à la vie associative, l’accès aux droits sociaux, la lutte contre toutes les discriminations, et la participation des habitants et associations. 53 54 Nous incluons dans cette catégorie les centres sociaux. Extrait de l’appel à projet du CUCS de Marseille 2010, p.1. 75 Dans une logique de dépendance, ces structures doivent en permanence défendre et justifier leur action. Pour cela, la victimisation des habitants (et donc la nécessité d’agir POUR eux) et leur positionnement en tant que « porte-parole » de ces derniers et relais des informations de terrain constituent deux facteurs sur lesquels elles s’appuient et qui leur confèrent une légitimité sur le territoire. En effet, ces acteurs locaux doivent justifier et négocier leur présence et leurs compétences : « (…) la coordination entre les secteurs privé, public et civique (associatif et humanitaire), (…), repose la question des différences de normes et de valeurs entre les acteurs ainsi que celle de la légitimité de leur présence dans le champ d’action considéré » (Fijalkow, 2002 : 81). Par conséquent, ces acteurs locaux s’auto-proclament représentatifs des habitants et se positionnent comme des acteurs de la démocratie. Ils agissent aussi comme des gestionnaires de la participation des habitants en revendiquant des actions pour le développement de la citoyenneté (pour lequel leur financement est conditionné), de l’intérêt et de la compétence des citoyens pour la chose publique. Ainsi, « les centres sociaux revendiquent de façon plus générale de faire émerger la citoyenneté en œuvrant dans la proximité pour intéresser les citoyens aux enjeux politiques » (Bresson, 2004 : 100). Elles constituent donc un interlocuteur privilégié pour les pouvoirs publics dont elles dépendent. Cependant, « le professionnel de la participation propose un service organisé, qui ne laisse qu’une très faible part d’initiative aux citoyens ordinaires (…) » (Bresson, 2004 : 109). Nous affirmons que ces structures sont des acteurs de la démocratie représentative mais que leur revendication participative est plus controversée par le fait qu’elles se posent comme relais entre citoyens et institutions (position qu’elles entretiennent, notamment pour des raisons économiques) et se saisissent de toute initiative d’ « en bas ». Le recours généralement fait aux intermédiaires et personnes-ressources en lieu et place de la participation des habitants soulève la question de la représentativité de ces acteurs et de leur présence comme groupe de pression. Elle interroge aussi sur ce qu’induit la « participation », qui, a priori, ne signifie pas « représentation ». De plus, la pratique externalisée, via la médiation et le recours aux associations, semble contrainte par la relation marchande qui unit le cabinet d’études et son commanditaire et la dépendance économique qui lie le secteur associatif aux institutions. 76 VI. A qui profite la participation ? Interactions et stratégies d’acteurs dans le processus participatif « Dans la pratique, les citoyens d’un territoire n’agissent pas individuellement mais ils prennent part à l’action publique dans un cadre associatif » (Raymond, 2009 : 17). Les structures intermédiaires remplissent en effet un rôle de capteur des initiatives citoyennes et constituent, comme nous l’avons signalé auparavant, un relais entre les citoyens et les institutions. Par conséquent, elles peuvent être considérées comme un instrument au service de la participation des habitants. Cependant, plusieurs questions se posent quant à leur représentativité et à la notion d’intérêt général dont elles revendiquent le monopole, ainsi qu’aux relations qu’elles entretiennent avec les institutions. Soumises aux subventions publiques pour leur fonctionnement, elles développent des relations de connivence avec les institutions desquelles elles sont économiquement dépendantes et justifient leur existence notamment par les liens qu’elles entretiennent avec la population. Elles doivent, d’un côté, affirmer leur caractère de représentant du terrain afin de légitimer les subventions qu’elles perçoivent, et, de l’autre, négocier leur instrumentalisation par les pouvoirs publics. 6.1. LES ASSOCIATIONS : DES REPRESENTANTS DE LA SOCIETE CIVILE ? Nombreuses sont les connivences qui existent entre les institutions et les associations financées par les pouvoirs publics et les cabinets d’étude. La relation de dépendance économique et commerciale impose un biais de taille, et leur marge de manœuvre, s’en trouve contrainte. Les missions confiées aux cabinets d’étude exigent le plus souvent (notamment dans le cadre des diagnostics) de rencontrer tous les locataires du secteur concerné. Par conséquent, le prestataire est à même de porter la voix de la population de façon quasi-exhaustive sur le sujet pour lequel il l’a interrogée. 77 6.1.1. La question de leur légitimité Les structures associatives (nous parlerons ici uniquement du deuxième type d’associations décrit précédemment, et exclurons donc les associations de locataires) ne rencontrent que les habitants qui viennent participer à leurs activités. Elles n’ont de relation qu’avec les personnes qui s’investissent et par conséquent ne connaissent pas les opinions des autres. Certains habitants isolés ou ne participant pas aux actions organisées dans le quartier ne se verront donc pas représentées par les associations auprès des institutions. Le fait que ces structures n’est affaire qu’à une partie de la population d’un territoire constitue un biais important dans la question de leur représentativité. 6.1.2. Des porte-parole de l’intérêt général ? Les intérêts qu’elles prétendent ainsi porter n’ont pas un caractère exhaustif et ne peuvent être assimilés à l’intérêt général des habitants du territoire. Elles sont les représentantes d’intérêts particuliers : les leurs d’abord, mais aussi ceux des publics qu’elles accueillent. Pourtant, les institutions leur confèrent un caractère représentatif exhaustif puisque, comme nous l’avons démontré, elles associées par les opérateurs à ce titre. Ainsi, comme le note ….. « (…) une association est toujours constituée autour d’une perception particulière des questions de société. Elle n’est donc pas nécessairement représentative de la société dans son ensemble » (Raymond, 2009 : 17). La perception des opérateurs du quotidien de vie des habitants des quartiers dont ils sont en charge est guidée par les intérêts particuliers relayés par ces groupes. Ces organisations se présentent comme des représentants légitimes de la société civile et des garantes de l’expression démocratique. Cependant, elles sont avant tout porteuses d’intérêts particuliers liés à leur activité, et ne peuvent être considérées comme représentantes de l’intérêt général. « L’observation des faits montre que la démocratie n’est pas, au quotidien, le triomphe de la loi du plus grand nombre mais, bien davantage, une culture de négociation avec les représentants de revendications minoritaires » (Braud, 2001 : 54). En ce sens, elles peuvent être définies surtout comme des groupes d’intérêt, 78 agissant pour leur propre cause et celle de la portion des habitants (et usagers) qu’elles représentent. Ces associations considérées par les pouvoirs publics comme représentatives des habitants, représentent et défendent des intérêts propres. Ce constat pose la question de la construction de ces collectifs comme représentants de la société civile mais aussi de l’influence qu’elles exercent et des conséquences qui en découlent. En effet, « les décisions prises favorisent les parties actives (les présents) au détriment des parties non-actives (les absents) » (Raymond, 2009 : 24). Qu’en est-il en effet des habitants qui ne fréquentent pas ces structures et dont les intérêts divergent des leurs ? Comment sont-ils représentés ? Dans quelle mesure sont-ils, par conséquent, exclus de la participation ? Comme nous l’avons signalé, la liste des personnes-ressources confiée au bureau d’études par les opérateurs et leur implication dans les dispositifs (pré-diagnostics de GUP et diagnostic social) a valeur de « participation des habitants ». Néanmoins, ajouté à la question de la validité de cette démarche comme participative, cette pratique interroge sur la représentativité des personnes ainsi identifiées, leur stabilité et leur constance dans le temps, impose un cadre biaisé. En effet, puisque ce sont les institutions qui désignent les personnes et structures à impliquer, ne peut-on pas s’interroger sur les rapports qui les lient ? Quelles relations entretiennent ces deux pôles d’acteurs ? Quels sont les intérêts de chacun dans le rapport qui les lient ? Quels bénéfices tirent-ils de cette collaboration ? Quelles stratégies développent-ils pour promouvoir leurs intérêts ? 79 6.2. UNE RELATION D’INTERDEPENDANCE 6.2.1. L’organisation de la participation : une posture stratégique Les associations se situent à l’interface entre les institutions et les citoyens d’un quartier qu’elles côtoient. Coincées entre la nécessité de répondre aux prérogatives des institutions (pour des raisons économiques) et la volonté de porter au mieux les attentes des habitants (pour lesquels elles rendent un service), elles développent des stratégies à double entrée. Elles ont un intérêt stratégique à jouer le jeu de la démocratie participative, tel qu’il leur est demandé par les pouvoirs publics. Elles sont désignées comme acteur de ce processus, mais aussi gestionnaires de la participation des habitants. Leur financement est conditionné à la réalisation d’actions pour le développement de la citoyenneté, comme indiqué précédemment, et « (…) sont amenés à gérer la participation comme une commande publique » (Bresson, 2004 : 105). En se revendiquant comme les interlocuteurs des pouvoirs publics, professionnels de la relation aux habitants, elles se placent dans une position d’acteur incontournable de la participation des habitants. Ce statut leur confère un monopole qui garantit leur financement et par conséquent la pérennisation de leur existence. Il leur octroie aussi une position avantageuse vis-à-vis des institutions qui bénéficient de leurs connaissances de terrain, leur délègue la mise en place de la participation sur le terrain55, et leur demande de jouer le rôle d’intermédiaire entre elles et les habitants. Pour toutes ces raisons, les associations tirent profit de leur positionnement à l’interface entre institutions et habitants56. Ainsi, elles peuvent exercer un pouvoir d’influence (somme toute relatif) sur les décisions, et accéder à certaines de leurs demandes. Lors de la restitution d’un pré-diagnostic de GUP sur un quartier du centre ville 55 Entendue au sens de la consultation, voire de la concertation. 56 Précisons que l’objet ici n’est, bien évidemment, pas de porter une accusation sur les pratiques de ces associations qui agissent ainsi pour leur survie. Il s’agit de présenter un système de relations inter-acteurs et ses conséquences pour la question qui nous intéresse ici, à savoir la participation des habitants dans les quartiers de la politique de la ville. 80 de Marseille, plusieurs associations57 qui y avaient été associées à la démarche ont profité de cette occasion pour plaider en faveur de leurs intérêts. L’une en particulier a présenté un comportement illustrant bien ce que nous venons de démontrer. En effet, cette association a pour activité la retranscription de « paroles d’habitants » recueillies sur le terrain, par l’édition de petits livrets et via une émission de radio hebdomadaire sur une antenne locale. Lors de la visite en marchant, elle a affirmé à plusieurs reprises son positionnement en tant que porte-parole des habitants du quartier, dont elle avait le monopole parmi les personnes présentes. Elle revendiquait clairement sa connaissance des besoins et difficultés des résidents du territoire et se plaçait ainsi aux yeux des opérateurs comme une personne-ressource importante du fait des informations qu’elle leur fournissait. A l’occasion de la restitution du pré-diagnostic en marchant, cette personne en a profité pour interpeller l’équipe opérationnelle sur le financement de son association pour l’année à venir58, invoquant à nouveau son rôle de relais de la parole habitante et prenant pour argument son intervention dans le cadre du pré-diagnostic de GUP59. 6.2.2. Institutions et externalisation : entre négociation et instrumentalisation Cependant, au profit qu’elles tirent de leur statut d’interlocuteur privilégié des institutions concernant la participation des habitants, est associée une contre-partie non négligeable. Les enjeux de pouvoir se situent dans les deux pôles. Comme nous l’avons présenté, ces structures sont dépendantes des financements publics et répondent donc à une commande publique. Cette situation les oblige à entretenir des rapports clientélistes avec leurs financeurs. Par conséquent, leur marge de manœuvre, d’autonomie et de liberté en est contrainte et les institutions peuvent exercer un contrôle sur elles. Ainsi, elles doivent composer avec le politique et sont parfois instrumentalisées. Elles doivent servir les institutions en tant que relais de la communication des institutions auprès de la population. De plus, leur dépendance économique les empêche de se constituer en contre-pouvoir et 57 Associations financées par le CUCS et qui, précisons-le, étaient les seules « représentants des habitants » invités à participer à la démarche. 58 Cette restitution se situait en plein durant la période de redéfinition des CUCS et des subventions destinées au secteur associatif. 59 Le financement de son association a depuis été reconduit. 81 donc parfois de soutenir et d’aider les habitants dans leurs initiatives. Ces salariés « (…) sont devenus des médiateurs assez habiles pour rendre acceptable un projet aux habitants d’une part, aux administrations décideurs d’autre part (…) » (Bresson, 2004 : 110). La participation des habitants, via le recours à des structures externes, se trouve biaisée par les rapports de force (économique, de pouvoir et d’influence) qu’entretiennent les différents acteurs. Chacun des deux pôles (associations d’un côté, institutions de l’autre) développe une stratégie lui permettant de servir au mieux ses intérêts propres et de défendre la pertinence de son existence. Chacun négocie ses bénéfices et instrumentalise l’autre : les associations revendiquent et façonnent leur position de représentant des habitants afin de négocier leurs relations avec les institutions, et ces institutions, par le contrôle qu’elles exercent sur ces associations, se servent de leur intermède pour diffuser un certain discours. Une certaine relation de connivence, entre négociation et instrumentalisation les unit. Dans ce contexte, la finalité n’est pas l’implication directe des habitants dans les processus de décision, ni même la représentation de tous, puisque, comme nous l’avons souligné, ces associations défendent des intérêts particuliers. Institutions et associations sont contraintes dans une relation clientéliste et d’interdépendance60. La participation, à travers le recours aux intermédiaires, est donc fortement biaisée. 60 Ce fonctionnement peut conduire à des dérives de détournement de fonds ou de pratiques clientélistes illégales. A l’heure où nous écrivons ce mémoire, une affaire de ce type éclabousse Michel Vauzelle, président socialiste de la Région PACA. 82 CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE « L’action publique se construit ainsi, sous le signe d’une exception généralisée, (…), dans la mesure où elle s’appuie sur des dynamiques coopératives et interactives pour garantir sa réussite (eu égard à sa puissance d’intervention, sa démultiplication) tout en les récusant dans le même temps (en regard de son pouvoir de contrôle, sa souveraineté) ».61 Cette seconde partie de notre travail a mis en avant les difficultés évoquées par les opérateurs pour la mise en place d’une démarche participative. En effet, « L’ambition trop grande et plurielle de cette politique peut contribuer à expliquer sa difficulté à être à la fois évaluée, à être perçue comme légitime et à éclairer les difficultés rencontrées par les acteurs, notamment associatifs, qui veulent promouvoir des actions de proximité » (Bresson, 2007 : 127). L’analyse du déroulement des pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-du-Rhône a confirmé ce constat d’impuissance des opérateurs d’impliquer les habitants dans la démarche. Le manque de formation des acteurs à la participation des habitants, leur crainte des conséquences de cette implication, leur doute sur sa pertinence, ainsi que leurs difficultés à identifier les personnes correspondantes, contribuent au déficit de participation que nous pu observer. Les pratiques révèlent qu’à défaut de recourir à des démarches participatives directes, les opérateurs s’adressent à des intermédiaires, professionnels de la médiation et de la relation aux habitants. Ainsi, la participation s’opère via les acteurs de la médiation, mais aussi les associations présentes sur le quartier. Ces acteurs de terrain sont considérés pour les institutions comme des personnes-ressources, des informateurs de la vie sociale. Ils se positionnent à l’interface entre institutions et habitants et jouent le rôle de transmetteur et de tampon entre ces deux pôles. Pour cette dernière raison, ils constituent un instrument de la participation par les « remontées de terrain » qu’ils transmettent. 61 Nicolas-Le Strat, 2003 : 88. 83 Les associations et structures financées par les pouvoirs publics ont une place particulière auprès des institutions. Considérées comme des représentantes des habitants par ces dernières, elles sont invitées (par la contrainte financière) à encourager et développer les outils permettant une plus grande participation des habitants (entendue au sens d’un accroissement de la citoyenneté). A la fois référents des institutions pour les connaissances de terrain et à l’écoute des attentes des citoyens qui les fréquentent, elles disposent d’une double reconnaissance. Néanmoins, pour maintenir et pérenniser cette position et leur double légitimité, elles doivent se plier aux contraintes et au contrôle qui leur sont imposés au travers du conditionnement de leur subvention. Prises dans une logique clientéliste, elles disposent d’une marge d’action restreinte et d’un devoir de service aux institutions. L’injonction à la participation des habitants se décline, en pratique, comme un recours des institutions à des professionnels intermédiaires, désignés comme représentants, leur permettant un va et vient avec le terrain et ses habitants. Nous sommes loin de la conception idéologique visant l’implication directe des publics et la co-production des décisions. Les pratiques correspondent plus à l’idée qu’ « (…) il s’agit de représenter la société civile et de construire au fond un mode alternatif de démocratie représentative chargé de formaliser le débat avec les groupes d’intérêt locaux » (Faure et Négrier, 2007 : 105). Ces pratiques font courir le risque que les dispositifs participatifs échappent à l’initiative des habitants et les en éloignent du fait de l’existence et du recours aux intermédiaires et professionnels de la médiation. « Dorénavant, il est bien difficile pour les citoyens de s’adresser au responsable légitime ou plus exactement au responsable légitimé par le système » (CRPV – PACA, 2007 : 8). 84 TROISIEME PARTIE : Les préconisations pour une démarche participative effective 85 « Dès lors, si la gouvernance semble une politique sans sujet, ne peut-on craindre que la participation devienne une politique sans objet ? »62 La participation des habitants constitue une prérogative quasi-systématique des dispositifs de la politique de la ville. L’analyse de sa mise en application nous a permis d’identifier les pratiques et les acteurs qui y sont associés, leurs relations et leurs stratégies. À partir de ce travail, nous avons constaté des lacunes opérationnelles de la part des institutions en ce qui concerne l’instauration d’une telle démarche, mais aussi un recours à des acteurs intermédiaires et groupes d’intérêt désignés comme représentants des habitants. Ces relations et pratiques renvoient à un processus plus proche de la représentation que de la participation. De plus, ce système présente le risque d’éloigner les citoyens d’une pratique directe de leur possible implication. Dans quelle mesure la participation des habitants dans la politique de la ville peut-elle être rendue plus efficiente et plus effective ? Quels sont les préalables au développement de ce processus ? Quelles actions peuvent-être envisagées afin d’en améliorer la pratique ? La participation des habitants telle qu’elle est actuellement pratiquée a besoin d’ajustements pour devenir pleine et effective. Afin de définir des facteurs et actions qui permettraient d’améliorer cette pratique, nous nous attacherons dans un premier temps à analyser tous les obstacles qui s’y posent à l’heure actuelle. En effet, diverses contraintes (de temps, de moyens, d’habitudes professionnelles, etc) réduisent les possibilités et l’application de véritables démarches participatives. Nous identifierons et détaillerons ces difficultés. De plus, la participation requiert un contexte favorable à sa mise en place. Différents préalables sont nécessaires pour permettre l’instauration d’une dynamique participative et la mobilisation des acteurs (institutions, habitants). Nous présenterons donc ces conditions indispensables au démarrage et au fonctionnement d’une démarche dans laquelle tous les acteurs sont parties-prenantes. 62 Fijalkow, 2002 : 89. 86 Enfin, dans une dernière partie nous proposerons plusieurs préconisations pour pallier les difficultés préalablement identifiées et différentes pistes d’actions. Avant de développer plus particulièrement ces trois points, nous souhaitons préciser que l’objet de ce travail n’est pas d’interroger sur la légitimité ou la pertinence de l’injonction participative, ni même sur son inscription spécifique dans les territoires de la politique de la ville. Cette prérogative existe et est, comme nous l’avons démontré, sans cesse réaffirmée, tant sur le plan législatif que réglementaire ou discursif. Par conséquent, les propositions d’actions qui suivront se situent dans le cadre existant et sont destinées à être applicables. Cette dernière partie de notre étude renvoie à l’objectif opérationnel qui est celui d’un mémoire professionnel. L’enjeu qui est le nôtre ici est donc de réfléchir dans le champ des possibles et non dans la déconstruction de la pertinence de l’existant. 87 VII. Les obstacles et limites à la participation "Les gens ne se sentent pas partie prenante de la société. Ils ont le sentiment de ne pas avoir d'existence politique. C'est une tendance longue, qui accompagne le mouvement de ghettoïsation", Didier Lapeyronnie. Afin de déterminer d’éventuelles solutions aux difficultés qui se posent pour organiser la participation des habitants, il convient d’en présenter d’abord les principaux obstacles récurrents. Plusieurs facteurs limitent les possibilités de mener à bien une démarche participative sur les territoires de la politique de la ville. Sont majoritairement en cause les contraintes administratives, financières ou politiques émanant des institutions elles-mêmes. S’ajoutent des contraintes dues à la complexité technique et de langage relatives aux projets sociaux-urbains. Enfin, la question de la compétence et du sentiment d’incapacité ressentie par certains habitants rendent difficiles leur mobilisation. 7.1. DES MOYENS INSUFFISANTS Parmi les principaux obstacles à la mise en place d’une démarche participative, les modalités prévues pour son application ainsi que les outils mis à disposition des professionnels sont en cause. En effet, la participation demande, pour être effective, du temps et des moyens adaptés. Elle exige que des outils soient déployés. Néanmoins, comme nous l’avons observé, dans la majorité des missions confiées à des prestataires externes et pour lesquelles la démarche participative est inscrite, le temps imparti est très court et ne permet pas de l’initier. De plus, il est rare qu’un poste soit particulièrement attribué au sein des institutions à cette mission. Présentée comme transversale, la participation relève de tous les opérateurs… et de personne à la fois. Par conséquent, et sans stratégie d’action globale pour un territoire, elle est souvent très limitée. La démarche participative requiert aussi une inscription dans la durée et d’être sans cesse réactivée. L’intervention de prestataires externes qui, dans la mesure de leurs moyens 88 et possibilités, participent de cette démarche (à travers la consultation, la concertation ou la mise en place d’ateliers), est ponctuelle. L’action entreprise est soumise à la durée prévue par le cahier des charges de la commande et ne peut donc être pérenne sans un soutien et un pilotage institutionnel ou politique fort et durable. Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons signalé un taux de rotation important des opérateurs institutionnels qui ne permet pas toujours de garantir la pérennité des démarches entreprises par leurs prédécesseurs. Enfin, les lacunes au niveau de la formation des acteurs institutionnels, voire associatifs, à développer et encourager une démarche participative, constitue un obstacle pour sa mise en œuvre. Il convient de souligner que la participation des habitants, au sens de leur implication dans les décisions, est limitée. En effet, elle n’est possible que là où se situent des marges de manœuvre dans un projet. Les contraintes d’ordre technique, financier ou temporel encadrent et limitent les marges du possible. C’est ce que rappelle la note de cadrage sur la participation de ChOrus : « Les habitants pourront réagir, sachant que les domaines de changements possibles seront décrits comme le seront les contraintes incontournables, pour que le discours soit clair et les marges de manœuvre bien comprises (…). (…) Dans la phase opérationnelle ou de suivi du projet, les « outils » décrits précédemment participent de la mise en œuvre de la « participation des habitants » : tables rondes, focus groups, … Ils sont cadrés et réalistes et n’interviennent que sur les zones du projet où existe une marge de manœuvre ». Il apparait donc nécessaire de prendre en compte la réalité de cette contrainte lorsque l’on parle de participation. Le sociologue Michel Monbeig décrit une autre limite provenant des institutions et conditionnant la participation des habitants. « (…) nous disons que l’analyse faite par les groupes dominants aux habitants s’apparente à un octroi ; elle est proche d’un registre que nous qualifierons d’enrôlement ; la participation de l’habitant est possible mais à condition qu’elle soit sous contrainte (maîtrise de la structure de l’échange instable et incertaine) et correspondant au modèle proposé par le groupe dominant » (2007 : 44). Les normes et conditions définies sont celles des institutions et opérateurs. Par conséquent, cela les place en position de groupe dominant et contraint la participation à cet encadrement. La répartition des pouvoirs se fait alors de façon asymétrique. Cette situation représente une 89 contrainte forte et une logique de « participatif contrôlé » (Avenel, 2007) : les institutions ont tendance à vouloir encadrer, voire contrôler, les formes de la mobilisation. Enfin, la question du politique peut poser des difficultés dans la mise en place d’une dynamique participative. En effet, son instrumentalisation ou son utilisation à des fins électorales ou clientélistes influe sur la démarche en elle-même et l’éloigne de ce qu’elle devrait être. « (…) lorsque l’intervention est réalisée par un tiers, on retrouve une certaine liberté de ton, mais cette intervention est limitée dans le temps. A contrario, lorsqu’on fait confiance à l’interne, on fait les frais de l’hégémonie du politique : on perd en liberté de parole » (CRPV – PACA, 2007 : 22). La participation des habitants est une démarche, en l’état, limitée et contrainte. 90 7.2. DES DIFFÉRENCES DE PERCEPTION La perception de l’avancement de projets ou de la progression de la gestion d’un territoire, sont ressenties différemment pour les acteurs professionnels et les habitants. Ainsi, une remarque très souvent entendue lors des visites en marchant dans le cadre des pré-diagnostics de GUP résume cette situation : « le temps des habitants n’est pas celui des institutions ». Les temporalités sont vécues de façon différente selon que l’on vit sur un territoire ou que l’on travaille à son amélioration. Lors des enquêtes que nous avons effectuées pour le diagnostic social, les résidents interrogés évoquaient régulièrement cette question du temps. Leurs discours révélaient souvent une impatience : leur impression était que cela faisait des années que des programmes étaient annoncés, des études effectuées, et que « rien ne se passait ». Leur sentiment était que les institutions cherchaient à les leurrer, à les faire patienter, mais que rien n’allait se faire « sinon ils l’auraient déjà fait avant ». Les opérateurs ont un rapport aux temps et aux délais radicalement différent. Ils ont conscience que la mise en place et la réalisation d’un projet nécessite plusieurs années. Ce temps long apparait d’autant plus long pour les personnes résidentes et qui sont en attente d’une amélioration de leurs conditions de vie et d’habitat. Incompréhension et impatience se mêlent ainsi, suivies d’un découragement. Les locataires rencontrés n’ont pas forcément conscience des contraintes et délais nécessaires à la réalisation d’action. L’un d’entre eux nous dit par exemple : « tracer des lignes au sol pour délimiter des places de parking, ça prend une journée et ça coûte pas cher, alors vous allez pas me dire qu’ils peuvent pas le faire ? Non, ils le font pas parce qu’ils s’en foutent de nous ! Eux ils sont bien, ils vivent bien, et nous tout le monde s’en fout ». Ces conditions sont peu propices à l’établissement d’une confiance entre institutions (bailleur, collectivités, mairies) et habitants. Peu de communication est faite autour de la question des contraintes et démarches (et par conséquent de la temporalité et des délais) pour effectuer des travaux ou lancer un programme d’actions. Il en est de même au niveau des coûts de réalisation, souvent minimisés par les non-professionnels. Le manque d’information auprès des locataires, les temps d’attente perçus comme très longs, les contraintes de gestion des institutions, provoquent chez certains habitants un 91 sentiment d’abandon. Dans un climat de suspicion, d’impuissance et de découragement, les possibilités d’impliquer des habitants déçus et « qui n’y croient plus » est difficile. De plus, il s’avère difficile de mobiliser des habitants sur des projets de grande ampleur et nécessitant une inscription dans la durée. Ces grands programmes peuvent paraitre abstraits du fait de leur ampleur et de leur étendue, mais aussi par leur technicité. Les premiers changements pouvant intervenir seulement plusieurs mois ou années après l’annonce du lancement du projet, cela constitue un obstacle dans l’appropriation par les habitants et leur volonté d’implication. De plus, le faible taux de participation électorale dans les quartiers d’habitat social montre un désengagement pour le politique et la chose publique, notamment pour les raisons évoquées précédemment. Face à cette réalité de démobilisation des habitants, les faire participer n’est pas chose facile. La question que pose Maryse Bresson (2004) est de savoir : comment demander à quelqu’un qui se sent exclu de participer au fonctionnement d’une société qui semble le rejeter ? 92 7.3. UN DÉFAUT DE CONFIANCE PARTAGÉ Comme nous l’avons évoqué précédemment, les habitants n’ont pas confiance dans les institutions car ils ont le sentiment (justifié ou non) que, in fine, leur avis n’est pas pris en compte. Dans ce contexte, ils ne perçoivent pas d’intérêt à s’impliquer. Dans la balance des coûts (en temps, énergie, etc.) investis et des bénéfices possibles, ils choisissent rationnellement de ne pas s’engager. A l’inverse, les institutions n’ont pas confiance dans les habitants. Certains opérateurs remettent en cause la pertinence de les intégrer aux processus décisionnels. Ils évoquent leur manque de compétences en la matière et leur méconnaissance des diverses contraintes relatives à un programme (que nous avons décrites précédemment). 93 7.4. UN MANQUE DE LISIBILITÉ POUR LES HABITANTS La politique de la ville se caractérise par une multiplicité de dispositifs et leur empilement. L’actualité et l’exhaustivité de connaissance de tout ce qu’elle implique est vaste et dense pour les professionnels du secteur, mais plus encore pour des habitants « novices » et pas toujours informés. Cette complexité cognitive constitue un obstacle à la participation des citoyens. Identifier les acteurs compétents, les politiques et leurs enjeux, s’avère parfois complexe. Ce manque de lisibilité peut provoquer un sentiment d’incapacité chez les citoyens et par conséquent contraindre la participation. Le fouillis institutionnel (Avenel, 2007) et l’opacité ressentie quant au partage des compétences et la multiplicité des interventions des institutions participent de la résignation et du manque de mobilisation des habitants. En effet, la politique de la ville souffre d’une logique d’empilement des divers dispositifs et d’un manque de clarté. L’opacité de ces actions provient aussi d’un problème d’huis-clos institutionnel. L’utilisation d’un vocabulaire technique, d’un langage expert est un autre facteur de cette mise à distance entre profanes et professionnels. Ainsi, « pour participer à la cité, il faut savoir et posséder quelques qualités pratiques qui permettent de se mouvoir dans le monde proposé » (Monbeig, 2007 : 38). Soulignons aussi le fait que la langue peut parfois constituer une barrière à la participation. Lors du diagnostic social, nous avons été confrontés à 5 ménages63 (soit environ 2,6% de l’ensemble) ne parlant pas suffisamment la langue française pour échanger des opinions. Le bureau d’études a fait appel à un traducteur arabe pour 4 de ces ménages. Le cinquième parlant uniquement une langue d’Asie, il ne nous a pas été possible d’obtenir une quelconque information de sa part car le coût et le manque de temps ne permettaient pas de faire appel à un traducteur dans ce cas. Par conséquent, les personnes de ce ménage ont été « exclues » de la consultation. 63 Parmi les 195 ménages locataires de la résidence. 94 7.5. UNE COMPLEXITÉ GÉNÉRATRICE D’UN SENTIMENT D’INCAPACITÉ La complexité à laquelle doit se confronter l’habitant « moyen » d’un territoire désigné comme prioritaire est génératrice d’un sentiment d’incapacité. Il devient alors rationnel pour lui de se désintéresser de ces projets. Afin de participer et d’être considéré comme compétent et légitime, le citoyen doit user des outils et instruments des institutions. Il doit intérioriser les normes dominantes et les maîtriser. Pour cela, ils doivent a minima adopter les pratiques langagières, techniques et expertes des opérateurs. Ces raisons conduisent parfois certains citoyens à s’autocensurer par intériorisation de leurs lacunes et difficultés à se sentir légitimes face aux professionnels. La participation suppose donc que les citoyens soient attentifs à la politique et aient les outils pour la déchiffrer et l’interpréter. Seuls les agents socialement et culturellement favorisés disposent des instruments pour participer. Ce problème révèle une tension entre démocratie et expertise, entre citoyens-habitants et professionnels-opérateurs, et un malaise certain. Combler les lacunes en informations et technicité suffit-il à mobiliser et à rendre compétents ? « (…) promouvoir la diffusion de l’information est voué à ne favoriser que la participation de ceux qui disposent ex ante des aptitudes à assimiler cette information, et non pas à combler les inégalités cognitives » (Thomas, 2003 : 149). Ce constat de disqualification du public est accentué par l’apparition des professionnels de la participation qui justifient la nécessité de leur activité par cette « incompétence » des habitants. Ainsi, le problème de la gouvernance urbaine peut prendre l’allure d’une organisation de la résignation (Thomas, 2003 : 150). « (…) l’habitant doit à la fois être un citoyen pleinement investi de sa grandeur au point de saisir les contraintes techniques qui sont intégrées au problème à traiter, altruiste au point d’abandonner ses égoïsmes pour refonder le lien social » (Monbeig, 2007 : 39). Ce système favorise le développement d’un paradoxe de la participation « sans participants ». 95 VIII. Les préalables à une démarche participative La participation des habitants nécessite plusieurs conditions indispensables pour sa mise en place. Prendre en considération les usagers et habitants à travers leur expertise d’usage, informer et sensibiliser la population quant aux bénéfices d’une implication, adapter les formes et la pédagogie de la participation aux acteurs concernés, disposer d’une volonté et d’un soutien politique forts, et inscrire la démarche dans la continuité constituent les préalables indispensables pour instaurer et favoriser la participation des citoyens. 8.1. ASSOCIER LES USAGERS ET PERSONNELS DE TERRAIN La participation nécessite en premier lieu une considération envers l’expertise d’usage des habitants, certes, mais aussi des usagers et personnels de terrain (commerçants, gardiens, employés municipaux, travailleurs sociaux, etc). En effet, nous postulons que la notion d’ « habitants » telle qu’elle est utilisée dans l’injonction participative englobe toutes les personnes qui vivent ou agissent sur le terrain en question. Comme nous l’avons observé, certains usagers d’un territoire sont fortement consultés au titre de représentants des habitants. Néanmoins, la maîtrise d’usage, pour être exhaustive, nécessite la prise en compte de tous : résidents et usagers. Leurs connaissances et pratiques du quartier, loin d’être similaires, sont avant tout complémentaires et aucune ne doit être négligée. Le processus participatif doit aussi permettre une plus grande compréhension et communication entre les acteurs pour constituer une démarche constructive. Connaitre les contraintes des personnels de terrain, mais aussi de tous les autres acteurs professionnels est un préalable à des propositions constructives. Lors du diagnostic social mené, beaucoup de locataires se sont plaints du fait que le ménage dans leur cage d’escalier n’était pas fait correctement ni régulièrement. Tous imputaient ce désagrément à l’agent de nettoyage et plusieurs souhaitaient qu’il soit remplacé. Un dialogue avec cette personne mettait en avant les contraintes imposées par son employeur et la lourdeur de la tâche en rapport avec le peu de temps qui lui était imparti pour l’effectuer. Cet exemple illustre la diversité des points de vue, et la nécessité pour chacun de comprendre ceux des autres. 96 Usagers et habitants sont compris, aux yeux des institutions, comme une même entité lorsqu’il s’agit de participation, comme nous l’avons démontré dans cette étude. Aussi, il est nécessaire que ces deux pôles d’acteurs échangent et communiquent afin qu’aucune voix ne soit privilégiée par rapport à une autre (et en particulier que celle des professionnels ne surplombe pas celle des habitants comme c’est actuellement souvent le cas). 97 8.2. RENFORCER ET VALORISER LES ÉTUDES DE TERRAIN La consultation des habitants est un préalable à une démarche participative. Elle en constitue une étape indispensable. Ainsi, l’expertise et la maîtrise d’usage sont nécessaires pour une meilleure connaissance des usages et pratiques des « habitants » du quartier. Les institutions font appel, lorsqu’elles désirent disposer de ce type d’observations, à des prestataires externes (cabinets d’étude, associations spécialisées, etc). Ces commandes donnent lieu à des études à caractère socio-ethnographique, souvent très riches en informations et établies sur la base d’une méthodologie empruntée aux sciences sociales, et en particulier à la sociologie. Dans le cadre de nos missions, nous avons constaté que ces rapports sont nombreux sur chacun des territoires rencontrés. Malheureusement, ces études sur les modes d’habiter, les pratiques et usages des habitants sont insuffisamment prises en compte. Ainsi parfois émergent et se construisent des projets inadaptés au territoire. De plus, les moyens (financiers et de temps) alloués à ce type de commande sont trop souvent insuffisants pour permettre au prestataire de mener à bien une investigation approfondie. Les temps impartis à ces missions sont en général courts en regard de ce qu’elles impliquent : 2 mois par exemple pour interroger 95 ménages et établir un diagnostic des modes d’habiter, usages et besoins d’une résidence HLM. Le chercheur en sociologie appréciera particulièrement cette difficulté. Ainsi, nous souhaitons attirer l’attention sur le fait qu’une démarche participative doit s’accompagner d’une attention particulière à la maîtrise d’usage. Il s’agira notamment de renforcer ses moyens et de valoriser les enquêtes ethnographiques et analyses sociologiques de terrain. 98 8.3. ADAPTER LA PEDAGOGIE DE LA PARTICIPATION La mobilisation des habitants dans l’objectif de leur participation nécessite de les élever au rang d’ « acteur » à part entière. Pour cela, une adaptation de la pédagogie spécifique à ce groupe, comme aux autres, est indispensable. En effet, l’aspect inhibant, évoqué précédemment, de la non-possession d’un langage particulier (expert et technique) les met dans une position d’infériorité. L’information divulguée par les opérateurs relève d’un vocabulaire formel et institutionnel. Le format n’est, par conséquent, pas toujours adapté à l’insertion des citoyens dans le débat démocratique. La méthodologie de la participation doit être spécifique aux acteurs concernés, mais aussi adaptée au terrain d’intervention. Par ailleurs, « les rencontres, les débats ne sont jamais dégagées des formes initiales de domination qui constituent l’espace social. (…) Si quelque chose est possible dans la démocratisation de l’action publique (…), c’est forcément sur une forme initiale négociée qui doit permettre la transaction » (Monbeig, 2007 : 46). Les formes de la participation sont déterminantes dans l’implication des citoyens au processus. Elles doivent être attractives, mais aussi clarifiées et accessibles. Les formes de réunion et d’animation ainsi que la transparence et la simplification des informations concourent de la nécessaire pédagogie que la démarche réclame. 99 8.4. ENCOURAGER UNE CONFIANCE PARTAGEE DES ACTEURS La négociation sur les formes de la participation et la démonstration d’une volonté politique forte et soutenue sont des conditions à l’instauration d’une confiance entre habitants et décideurs. Cette confiance est nécessaire si l’on souhaite que les citoyens s’impliquent. Jacques Donzelot (2003) décrit la participation « à la française » comme une dynamique produisant le consentement des habitants envers les décideurs. Il propose de s’inspirer de la conception américaine dans laquelle la confiance constitue le moyen d’une implication des habitants. Pour que cette confiance s’installe, les habitants doivent avoir la possibilité de se placer comme un véritable groupe de pression, intégré aux démarches et pris en compte comme tel. La conception et les pratiques ayant cours en France, et que nous avons analysées dans ce travail, tendent à considérer l’habitant comme bénéficiaire ou demandeur d’une politique, plus que comme partie-prenante et co-décideur de celle-ci. Placer la population au cœur des projets, la soutenir dans ses initiatives et organiser la concertation sont des préalables indispensables à la construction d’une dynamique participative. Dans un premier temps, le recours à des professionnels expérimentés dans la mise en place de ce type de démarche, en soutien et conseil aux habitants s’avère nécessaire. L’efficacité d’un tel projet est également soumise à une maîtrise d’ouvrage forte et une volonté politique effective. Les initiatives et organisations ascendantes doivent être encouragées, soutenues et prises en compte tout comme les conditions de faisabilité (incluant les contraintes et marges de manœuvre possibles) clairement énoncées et explicitées dans une perspective de confiance et de compréhension partagées. 100 8.5. ACCEPTER LA TRANSPARENCE Une pratique courante des institutions consiste à élaborer un discours commun en amont du démarrage d’une mission (lors du Comité de Pilotage précédant le lancement du diagnostic social par exemple). Une des raisons de ce plan de communication réside dans la crainte des opérateurs des possibles réactions des habitants. Par l’élaboration d’un discours et d’une information maîtrisés, il s’agit de ne pas inquiéter les habitants et de pallier de possibles rumeurs. De plus, certains opérateurs jugent parfois que la divulgation d’informations doit être échelonnée dans le temps et correspondre à un phasage stratégiquement calculé. Ce manque de transparence et le plan de communication qui y est associé participent d’une stratégie politique, électoraliste ou d’anticipation de potentielles contestations. Institutions, collectivités et prestataires détiennent des ressources qu’ils protègent. Jacques Donzelot (2003) désigne cette pratique du partenariat entre institutions unies par le secret par le concept de « magistrature sociale ». En instaurant ce type de relations asymétriques, les institutions tendent à dévaloriser et infantiliser les habitants. Dans un rapport dominé et manipulé, ces derniers ne sont pas en mesure d’agir comme des acteurs à part entière, au même titre que les autres. Toutefois, une démarche partagée, délibérative et associant les habitants ne peut trouver sa pleine satisfaction dans un contexte d’opacité et de rétention d’information. Pour qu’une action commune soit possible, les institutions doivent accepter de s’ouvrir aux habitants. Ils doivent pouvoir accéder aux informations jusqu’alors gardées « secrètes », mais aussi aux mécanismes et stratégies (inter-acteurs, inter-institutions) qui entrent en jeu dans les délibérations et la prise de décision. La transparence est une condition sine qua non à la participation des habitants dans la construction d’un projet. 101 8.6. INSCRIRE LA DEMARCHE DANS UNE TEMPORALITE APPRECIABLE Enfin, la question du temps et de la continuité d’une démarche participative est primordiale. Elle doit être inscrite dans un temps long et, pour ce faire, être sans cesse réactivée et réorganisée. De plus, il est important pour les habitants d’apprécier assez rapidement et concrètement les effets et l’intérêt de leur implication dans un projet. Par conséquent, cette contrainte implique que la démarche concerne tout autant des projets de grande ampleur que des micro-projets pour lesquels la réalisation est plus rapide. Les habitants perçoivent ainsi les bénéfices de leur participation dans le court terme. La démarche participative n’est pas une dynamique spontanée. Elle nécessité des conditions préalables à sa mise en œuvre. La transparence, la démonstration d’une volonté politique et institutionnelle, une pédagogie adaptée et la perception des bénéfices de leur investissement sont primordiaux pour qu’une relation de confiance partagée s’instaure. 102 IX. La mise en place d’actions spécifiques La participation des habitants, dans son acception pleine et effective, requiert un minimum de conditions au préalable. La dynamique pouvant être engagée dans un contexte favorable, la mise en place d’actions spécifiques est nécessaire pour rendre la démarche opérationnelle. Cette dernière partie de notre travail présente le type d’actions à développer pour encourager une participation et une implication des citoyens. Précisons toutefois que ces préconisations se veulent extrapolables à l’ensemble du territoire de la politique de la ville mais demandent un ajustement et parfois un complément pour chaque quartier concerné. Les préconisations que nous proposons ici n’ont pas valeur à être exhaustives et nous attirons l’attention sur le fait que chaque territoire est spécifique et que la prise en compte de ses particularités est nécessaire. Les sciences sociales, et en particulier la sociologie et l’anthropologie dans le cadre qui nous concerne, démontrent l’importance d’adapter la réflexion et les dispositifs opérationnels à la singularité d’un territoire, de sa population, de leurs usages et pratiques. Nous n’avons pas la prétention de présenter ici des « solutions miracles » à la question, très complexe, de la participation des habitants, ni même de proposer des pistes d’actions à caractère exhaustif et universel. Les préconisations ci-dessous sont des pistes, elles doivent donc être réinterrogées dans chaque cas, mais nous affirmons cependant qu’elles comportent un intérêt certain pour le lancement d’une dynamique participative. L’objectif n’est pas de promouvoir des bonnes pratiques mais de livrer des appuis opérationnels. Ces pistes proviennent d’analyses de chercheurs en sociologie et en urbanisme, mais aussi de rencontres et d’ateliers avec des professionnels, et enfin de notre réflexion propre. Aussi, nous proposons la diffusion d’une information transparente, adaptée et partagée, la formation et la sensibilisation des acteurs à la démarche participative, le soutien aux initiatives ascendantes, l’organisation d’ateliers urbains participatifs, la promotion et le partage d’expériences, et enfin un encadrement contraignant. 103 9.1. UNE INFORMATION TRANSPARENTE, ADAPTEE ET PARTAGEE Une information transparente constitue un préalable incontournable à la mise en place d’une dynamique participative. Cette information peut prendre plusieurs formes et doit tendre à une diffusion large et optimale. Divers supports peuvent servir cet objectif, tels que des journaux de quartier, plaquettes d’informations, réunions publiques, panneaux d’affichages, etc. De plus, l’allocation d’un espace de proximité destiné à accueillir ces outils d’informations, des ressources documentaires et des échanges entre les différents acteurs parait pertinente. L’information des habitants peut également être transmise par une équipe de professionnels spécialisés, dans la mesure où la transparence est de rigueur. Les supports écrits sont à encourager, tout comme l’oral et la possibilité du débat. La communication doit être renforcée et inscrite dans la durée et la continuité. Quelque soient les outils utilisés et mis à disposition, ils doivent être le plus attractifs, transparents et clairs possibles. Rappelons que tous les acteurs ne sont pas des experts ou des techniciens des questions sociales et urbaines et pour cette raison, et pour éviter un rapport de pouvoir asymétrique et l’inhibition des habitants, l’utilisation d’un langage et d’un vocabulaire partagés est nécessaire. Dans cette même perspective, un apprentissage des savoirs et compétences, ainsi que la connaissance des enjeux et des contraintes en présence semblent indispensables (Thomas, 2003 : 158). Le rôle d’une information simple et clarifiée, attractive et de proximité, mais aussi de professionnels s’assurant de la compréhension par tous est nécessaire. L’installation d’un local destiné à la population, la diffusion de supports d’information écrits, les rencontres entre acteurs et la possibilité de débats, l’accompagnement par des professionnels spécialisés, et l’adoption d’un langage et de savoirs communs doivent être encouragés. 104 9.2. LA FORMATION ET LA SENSIBILISATION DES ACTEURS Une étude commandée par la DIV64 sur cette thématique de la participation des habitants, recommande la formation des personnels à ce type de démarche. Comme nous avons pu l’observer, certains opérateurs se trouvent dépourvus et impuissants face à cette injonction dont ils ne savent comment la saisir. A l’inverse, nous avons démontré que les habitants ne sont pas toujours mobilisés et ne perçoivent pas les bénéfices d’un tel engagement. Aussi, une sensibilisation des tous les acteurs concernés aux enjeux et résultats d’une démarche participative s’avère nécessaire. De même, une formation aux pratiques et instruments, ainsi qu’à la mise en œuvre opérationnelle de la participation sont essentiels. Pour les habitants, il s’agit de les sensibiliser aux apports que peut représenter une telle démarche. Parfois déçus ou désabusés, beaucoup ne croient pas en la prise en compte de leur voix et ne veulent pas s’engager. De plus, ils peuvent se sentir dépassés par la densité et la multitude d’informations et de savoirs à acquérir pour disposer d’un outillage suffisant et crédible. L’apprentissage de l’outillage technique et intellectuel et des compétences spécifiques peut être l’objet d’une action collective, soutenue par les pouvoirs publics. L’expérience bien connue du budget participatif de Porto Alegre (Brésil) constitue une illustration d’une démarche collective constructive et réussie65. Lorsqu’une mobilisation habitante, quelqu’en soit l’échelle, est soutenue et entendue, elle permet un retour positif sur les coûts engagés (en temps, en énergie). L’habitant rationnel prenant acte des bénéfices de son engagement sera plus à même de réitérer cette expérience et de convaincre ses pairs d’en faire de même. Au niveau des opérateurs, il est indispensable de mettre en marche une campagne de sensibilisation et de formation à la participation. Beaucoup d’entre eux ne perçoivent pas l’intérêt et la pertinence d’une telle démarche, mais aussi et surtout n’ont pas les outils ou moyens pour la soutenir. L’apprentissage des méthodes de concertation, et à terme de 64 Faraldi Luc, FLFRE, « La participation des habitants et la démocratie locale », pour la DIV, novembre 2005. 65 « Chaque année, les assemblées générales de chaque arrondissement lancent le processus. Ensuite, au cours du premier mois, lors d’assemblées « intermédiaires » qui se tiennent dans les quartiers et microarrondissements, les habitants définissent les priorités d’investissement au niveau du quartier. Les délégués au Forum régional du Budget participatif sont élus à la fois dans les grandes assemblées d’arrondissement et dans les assemblées intermédiaires. Après celles-ci, ces délégués se réunissent, parfois pendant plusieurs jours, pour négocier et rendre compatibles les priorités définies dans les quartiers sur une longue liste organisée par secteurs au niveau de l’arrondissement » (Abers, 1998 : 45-46). 105 participation, peut se faire dans un cadre imposé, via des journées de rencontres et de formation. De tels ateliers existent (le CRPV PACA en organise régulièrement par exemple) et ont pour but l’aide et l’accompagnement des personnels institutionnels par des professionnels de la participation (citons par exemple dans le cadre marseillais l’association Arènes66). Cependant, ces rencontres demandent de pouvoir y consacrer du temps, temps dont manquent souvent cruellement ces professionnels. Instaurer des journées spécifiquement dédiées à la formation de ces acteurs et prévues de façon obligatoire et contraignante constitueraient un bénéfice méthodologie et instrumental certain pour les opérateurs. La mise en place de moyens spécifiques à la démarche participative contribuerait à renforcer son importance symbolique et son effectivité. Dégager une ligne budgétaire spécifique67 à la participation des habitants permettrait de financer des postes d’agents spécialisés dans cette fonction et de développer l’ensemble des outils et supports nécessaires. La participation demande que chacun prenne conscience des enjeux et bénéfices d’une telle démarche, mais aussi dispose des moyens et outils nécessaires à son efficacité et sa pérennité. 66 Arènes est une association créée en 1999 à Marseille dans le but de développer la démocratie locale dans le développement et l’aménagement des territoires et la protection de l’environnement. Elle intervient principalement en appui aux acteurs locaux pour la conception, la préparation, l’animation et l’évaluation de processus participatifs et de concertation. Parmi l’ensemble de ses actions, Arènes propose et assure des missions de formation dans le cadre de formations universitaires ou professionnelles et auprès des agents de la fonction publique territoriale. 67 Comme cela est prévu dans les dispositifs aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où au moins 5% d’investissement du coût de financement total des opérations de rénovation urbaine doit être consacré à l’offre de participation et à la formation des habitants à la parole publique, au management mutuel et à l’organisation de partenariats. 106 9.3. LE SOUTIEN AUX INITIATIVES ASCENDANTES « Le projet doit être remontant et pas descendant (…) on a fait trop d’erreurs par le passé en ne prenant pas assez en compte les habitants ». Cette remarque émane d’un chef de projet CUCS d’un territoire marseillais lors d’une réunion préparatoire à la visite en marchant d’un pré-diagnostic de GUP. Elle illustre bien la nécessité de soutenir l’émergence de projets et initiatives venant du « terrain », des habitants. Malheureusement, à ce jour, trop rares sont les professionnels convaincus de ces bienfaits et associant les démarches habitantes à leurs projets et actions. La politique promue ici s’apparente à celle du bottom-up décrite par Donzelot (2003) concernant la participation des habitants aux Etats-Unis. A travers les Community Development Corporations68 (CDC), les habitants construisent un pouvoir et une force de lobbying leur permettant d’avoir une réelle influence sur les décisions prises par les pouvoirs publics. Le processus ne se cantonne pas à l’expression de souhaits ou d’attentes mais les CDC participent véritablement à la construction des projets. Leurs financements sont subordonnés à leur capacité à mettre d’accord les habitants sur les opérations. A l’inverse des dispositifs français où la participation doit être inscrite mais ne détermine pas les financements, l’action des CDC est conditionnée à l’implication des habitants. En France dans les quartiers d’habitat social, les initiatives soutenues financièrement sont celles qui correspondent à la ligne thématique définie dans les CUCS. Cette priorisation tend à privilégier les associations structurées implantées sur le territoire concerné, mais réduit les possibilités de développement et d’expression d’initiatives uniquement habitantes et non professionnelles, d’autant plus si elles ne collent pas aux exigences de l’appel à projet du CUCS. Par exemple, un soutien financier et organisationnel pourrait être instauré pour la construction et la diffusion de moyens de communication et d’échanges de proximité PAR les habitants du quartier. Aussi, l’établissement d’une « offre de participation » avec une ligne de crédits spécifiques, encouragerait les habitants à former des groupements et associations. 68 Les CDC sont des entreprises privées à but non lucratif qui agissent sur les questions d’urbanisme et de logement. Elles sont sous le contrôle d’un conseil d’administration où dominent statutairement les habitants du quartier (51% au minimum des membres du conseil). 107 Enfin, remettre aux mains de la population une partie des prérogatives assurées à ce jour par les institutions (la communication de projet par exemple, en partenariat avec des professionnels) permettrait certainement de toucher et de sensibiliser une proportion plus importante d’entre eux. Les relations de voisinage, le bouche-à-oreille, les discussions à la sortie des écoles, etc. sont autant de moyens de diffusion de l’information mais aussi de sensibilisation à la mobilisation et de promotion du volontarisme citoyen. Dans cette perspective, des ateliers participatifs urbains pourraient être organisés qui auraient pour but la diffusion d’informations régulières, la mise au point d’un « vocabulaire partagé », l’organisation de rencontres entre les mouvements « ascendants » et « descendants », de débats, etc. 108 9.4. LA PROMOTION ET L’ORGANISATION DU PARTAGE D’EXPERIENCES Partager les expériences mises en œuvre sur d’autres territoires, tant au niveau national que transnational, mais aussi dans les autres champs de l’action publique s’avèrerait bénéfique et constructif. En effet, une démarche comparative permet des échanges riches et un retour sur les dispositifs en cours. Elle développe la critique de l’existant tout en permettant de s’inspirer des dispositifs ou expérimentations en cours sur d’autres secteurs. L’exemple cité précédemment de la mise en œuvre participative aux Etats-Unis illustre cette idée et sensibilise au fait que d’autres fonctionnements sont possibles. Les expériences des pays anglo-saxons au sujet de la participation des habitants des quartiers d’habitat social constituent un enseignement riche pour les opérateurs français. De même, une présentation des tentatives de démocratie participative dans d’autres champs d’action, comme par exemple dans le champ de l’environnement, s’avère constructive. Nous avons, dans cette étude, cité à plusieurs reprises des remarques et constats effectués dans le cadre de l’Atelier Régional de la Ville organisé par le CRPV PACA le 5 octobre 2007. Le compte-rendu de cette journée d’échange renseigne sur la participation des habitants en France et en Europe, à travers la présentation de pratiques expérimentales éprouvées sur des territoires particuliers. La diffusion de ce type d’échanges permet une attitude de transposition souvent fructueuse et stimulante. Nous ne prétendons pas ici faire la promotion de « bonnes pratiques » universelles et intemporelles qui auraient valeur de modèle à suivre et attirons l’attention sur le fait que les pratiques participatives ne doivent pas être standardisées. La prise en compte et l’adaptation à un territoire et à sa population sont déterminantes. Néanmoins, il est intéressant de porter un regard attentif sur les pratiques et expériences existantes, leurs réussites et leurs limites, afin de s’en inspirer et de pallier les difficultés posées par l’injonction participative. Le partage des savoir-faire et d’expériences innovantes en matière de participation devrait ainsi être encouragé, promu et organisé par les instances décisionnaires centrales. 109 9.5. LA PARTICIPATION PAR LA CONTRAINTE ? Le Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU préconise, dans une note sur la participation des habitants (2006), de conditionner ses crédits à une participation effective des habitants. Cette préconisation contraignante pourrait être étendue à tous les crédits relatifs aux dispositifs de la politique de la ville pour lesquels la participation est inscrite. Le rapport prévoit plusieurs principes devant être respectés pour garantir la participation effective des habitants, principes pouvant être repris et transposés. Ainsi, il prévoit : « 1. L’accès libre des habitants à l’information relative aux projets de renouvellement urbain (…). 2. Le calendrier de la concertation avant l’envoi du dossier au Préfet (…). 3. La concertation a priori (…) et a posteriori (…). 4. L’affectation de moyens à la participation (…). 5. La représentativité des publics concernés (…). 6. Le caractère délibératif de la participation (…). 7. L’évaluation de la participation (…). ». Contre les effets d’annonce non suivis de mesures, et dans l’hypothèse où les moyens nécessaires seraient mis à la disposition des opérateurs, l’imposition par la contrainte financière du respect de la prérogative participative pourrait s’avérer efficace. Une inscription réglementaire contraignante et soumise au contrôle encouragerait certainement une meilleure application des dispositions participatives. Le contrôle de la mise en place de tous les éléments nécessaires à la participation des habitants pourrait s’effectuer dans le cadre d’une évaluation. L’encadrement des modalités de l’évaluation doit garantir son indépendance et sa transparence. Une analyse pertinente des lacunes et difficultés du territoire évalué en matière de participation doit conduire à son amélioration. Imposer un cadre réglementaire, législatif ou financier contraignant et dont le respect sera contrôlé par une évaluation régulière des actions mises en place, peut constituer une piste pour l’amélioration de la mise en œuvre de la démarche participative sur les territoires de la politique de la ville. 110 CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE L’étude de la pratique de la mise en place de la participation des habitants, en tant qu’injonction systématique de la politique de la ville a permis de relever de nombreuses difficultés. Le travail empirique d’observation que nous avons mené montre combien les moyens nécessaires à une démarche participative sont à ce jour encore insuffisants. Nous avons dans une première partie décrit et analysé les contraintes qui se posent pour une participation effective. Ainsi, les opérateurs doivent s’adapter à des délais de missions et d’élaboration de projets parfois trop restreints pour permettre l’implication d’une démarche participative. Les moyens temporels, ainsi que d’ordre financier et humain n’encouragent pas toujours la possibilité de mettre en œuvre un tel dispositif. De plus, les perceptions des contraintes et enjeux relatifs à une opération ou un dispositif sont souvent vécues différemment par les habitants et les opérateurs. Par méconnaissance du fonctionnement institutionnel et administratif, les habitants peuvent avoir l’impression que si rien ne se passe c’est parce que personne ne s’y intéresse. Le sentiment d’abandon, tout comme celui de rejet et de découragement participent de la non-mobilisation des habitants. Habitués à n’être écoutés que lorsque des enjeux politiques ou électoraux sont en cause, et parfois déçus, ils ne croient plus aux conséquences bénéfiques d’une quelconque mobilisation de leur part. Un climat de méfiance règne à l’égard des institutions. A ces facteurs de non-investissement s’ajoute le problème de la complexité technique et langagière. En effet, le caractère complexe et peu lisible des projets pour les habitants se présente comme une barrière, un frein à leur engagement et leur volonté de participer. Afin de contre-carrer les obstacles à la participation, quelques préalables sont nécessaires. Porter une attention particulière à l’expertise d’usage des habitants mais aussi des usagers et personnels de terrain s’avère indispensable. Pour une connaissance fine et approfondie du terrain, une meilleure prise en compte des études et analyses sociologiques et ethnographiques réalisées par des opérateurs externes doit contribuer à cette 111 connaissance. De plus, les conditions d’une confiance partagée entre tous les acteurs et garantie par l’accès à tous à une information claire et transparente doivent être réunies. Des actions spécifiques peuvent être engagées dans l’objectif d’optimiser la participation des habitants. Pour permettre une plus grande mobilisation de leur part, l’ « offre de participation » doit être repensée pour être plus effective, notamment à travers le soutien (financier et d’accompagnement) à leurs initiatives, une adaptation de la pédagogie, des formes et des outils de la participation, et la possibilité d’apprécier les effets à court terme de leur mobilisation. Au niveau des opérateurs et institutionnels, les actions doivent être orientées vers la sensibilisation et la formation de ces acteurs aux processus participatifs. En effet, nous avons remarqué que souvent ils pêchent par ignorance. Organiser des journées de rencontres, d’échanges et de formation pourrait leur donner des instruments pour améliorer leur offre de participation. Enfin, dans la mesure où cette injonction à la participation se veut être obligatoire, un dispositif d’évaluation contraignant permettrait d’accroitre la motivation de certains à dynamiser l’offre participative et à inclure les habitants dans les processus opérationnels. 112 CONCLUSION GENERALE 113 « (…) la participation sans redistribution du pouvoir est un processus vide de sens (…). Il permet à ceux qui ont le pouvoir de prétendre que toutes les parties ont été prises en compte, mais à seulement quelques unes d’en tirer profit»69 La thématique de la participation des habitants dans la politique de la Ville soulève de nombreuses interrogations. La question de son inscription territoriale spécifique sur les quartiers prioritaires va à l’encontre du principe républicain d’égalité de traitement de tous les citoyens. Cette discrimination positive à l’encontre d’une population ciblée par son inscription territoriale révèle une représentation sous-jacente de ces publics en tant que victimes pour lesquels l’Etat met en place une politique compensatoire. Notre étude s’est attachée à comprendre, dans un premier temps, ce positionnement institutionnel et par conséquent normatif, qui instaure un principe de participation à des publics territorialement (et souvent socialement) stigmatisés et électoralement démobilisés. Une analyse de la signification du concept de « participation des habitants » dans les textes et discours nous a permis d’identifier et de tracer les contours de la conception française de cette injonction. Un retour historique à l’origine de l’introduction de cette notion dans la politique de la ville révèle un changement paradigmatique. Suite au rapport de la Commission Dubedout en 1983 et au processus de décentralisation et de territorialisation de l’action publique, cette notion devient systématiquement inscrite dans les dispositifs de ce champ de l’action sociale. La volonté est alors de s’appuyer sur les habitants des cités, « faisant pour le coup de ceux-ci la cible principale de l’action » (Donzelot, 2003 :108). Depuis, l’injonction participative n’a pas été remise en cause et présente même un caractère consensuel durable. Présentée comme un idéal démocratique à atteindre, elle suscite peu de controverses au sein des institutions étatiques et décisionnaires. Une attention particulière sur les contours de cette notion révèle toutefois une ambigüité, tant dans les textes que dans son interprétation. Une grande confusion semble régner quant aux formes qu’elle peut revêtir : information, consultation, concertation, 69 Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU, 2006 :1. 114 délibération, co-production. Le flou juridique et réglementaire qui l’entoure contribue à son interprétation par les acteurs sensés la promouvoir et la mettre en place. Loin d’être anodin, ce vide juridique témoigne d’une volonté relative et limitée des institutions de faire participer les habitants, alors que son inscription systématique et revendiquée révèle des enjeux politiques et stratégiques. Conçue comme un outil d’accès à la citoyenneté et de renforcement du lien social dans les quartiers dits « sensibles », la participation renvoie à une certaine représentation des habitants de ces territoires. Victimisés et infantilisés d’une part, ils représentent aussi un vivier de contestations et d’émeutes urbaines aux yeux des institutions. Un des enjeux de la participation consiste à contenir ces potentielles réactions et à acquérir une certaine paix sociale dans ces quartiers. De plus, cette pratique (ou tout au moins son affichage) peut être utilisée comme argument démocratique et servir à des fins électoraliste et politique. Enfin, impliquer les habitants ou tout au moins les consulter, permet de crédibiliser les décisions prises et de légitimer l’action publique sur le territoire concerné, ainsi que de prévenir d’éventuels conflits à venir. Revendiquée, mais pas nécessairement appliquée, la participation des habitants constitue un instrument stratégique au service du politique. Les deux missions auxquelles nous avons participé dans le cadre du stage au cabinet d’études ChOrus, ont révélé la diversité des formes que peut revêtir cette injonction et par conséquent ont démontré son caractère interprétable. A travers l’analyse de la commande via le cahier des charges, nous avons pu, pour chacune, déterminer les enjeux affichés mais aussi sous-tendus de la demande de « participation des habitants » dans ces démarches. Dans le cadre de la mission de pré-diagnostic de GUP dans les Bouches-du-Rhône, la participation des habitants était affichée en tant que garante de la proximité avec le terrain et dans l’objectif de mener une gestion concertée. Une analyse plus approfondie des enjeux révèle l’intention sous-jacente d’accentuer la visibilité des institutions dans ces quartiers, et en particulier celle de l’Etat70. La commande de réalisation d’un diagnostic social sur une commune des Bouchesdu-Rhône dans le cadre d’une étude pré-opérationnelle de définition d’une opération ANRU isolée démontrait les confusions existantes autour de la notion de « participation ». La réponse du cabinet d’études recadrait la définition des attentes du commanditaire (à 70 Prévue dans le cadre de la dynamique « Espoir banlieues ». 115 savoir une consultation des habitants via des enquêtes en face à face avec les locataires) et nuançait les véritables possibilités participatives dans le cadre de cette mission. L’enjeu premier de ce diagnostic social pour la commune, commanditaire de cette mission, consistait à disposer d’une connaissance plus approfondie des caractéristiques sociodémographiques de la population résidente, ainsi que de ses usages, modes d’habiter et attentes. L’objectif poursuivi est de posséder un maximum d’informations permettant de définir les contours d’une possible opération future. Toutefois, cette consultation relève d’enjeux politiques et stratégiques, notamment du fait des interactions et conflits d’intérêt entre les fonctions politiques et gestionnaires du maire de la commune, aussi vice-président de l’office HLM dont relève le patrimoine locatif concerné. Les données fournies dans le cadre du diagnostic peuvent ainsi devenir des outils au service de manœuvres électoralistes et instrumentales de légitimation des décisions futures. Systématiquement inscrite, l’injonction à la participation des habitants dans les dispositifs de la politique de la ville renvoie à une conception particulière de la citoyenneté ainsi que des destinataires auxquels elle s’applique. Juridiquement et réglementairement confuse, cette notion est soumise à interprétation et parfois instrumentalisation par les institutions chargées de sa mise en place. L’analyse des pratiques de la participation révèle les nombreuses difficultés auxquelles elle se heurte, ainsi que les enjeux de pouvoir et stratégies d’acteurs qu’elle produit. Notre observation et participation aux missions décrites précédemment ont révélé des pratiques si ce n’est inefficaces, tout au moins controversées en ce qui concerne l’implication des habitants dans les dispositifs. Les opérateurs doivent faire face à de nombreuses difficultés pour intégrer cette injonction. Leurs connaissances parfois insuffisantes du terrain, les délais impartis souvent trop courts ainsi qu’un défaut de formation et d’outils mis à leur disposition restreignent leurs capacités à développer et encourager la participation des habitants. Toutefois, les obstacles cognitifs et instrumentaux ne sont pas les seuls en cause. En effet, des difficultés relatives à leurs orientations et choix pratiques interviennent aussi. Nous avons pu constater à plusieurs reprises un manque de volonté de leur part. Les raisons invoquées renvoient à la fois à une remise en cause de la pertinence de cette injonction, au refus de s’ouvrir à la 116 transparence, à la priorisation d’autres actions sur celle-ci, et enfin à une acceptation quasigénéralisée et admise de la réalité de non-participation. L’aveu d’impuissance et les pratiques timides des opérateurs quant à la participation renforcent la tradition de recours aux intermédiaires et « personnes ressources » comme représentants légitimés des habitants. Le développement des activités de médiation a institutionnalisé la professionnalisation de la relation à la population et la triangulation des rapports sociaux dans les territoires où elle s’est installée. Les fonctions de la médiation la situent à l’interface entre les institutions et les habitants. Les professionnels de ce secteur se présentent alors comme des intermédiaires entre ces deux pôles d’acteurs et adoptent un rôle de transmetteur et de relais des informations des deux parties. Pour cette raison, ils sont désignés par les opérateurs comme des représentants de la parole des habitants par les remontées de terrain qu’ils sont à même de communiquer. Soulignons que leur activité relève le plus souvent du secteur privé auquel elle a été externalisée. Par conséquent, ils se trouvent dans une relation commerciale avec les institutions. Cette dépendance économique peut jouer comme un biais dans leur représentativité présumée et toute la difficulté de ces professionnels de la médiation consiste à déjouer toute tentative de compromission ou d’instrumentalisation par les institutions comme par la population. Dans le cadre de l’injonction à la participation des habitants, les institutions associent également le secteur associatif présent sur le territoire. Deux cas de figure sont à distinguer parmi ces structures, désignées par les instituions comme les représentantes de la population. En effet, un premier type d’association ou de structure se voit impliqué, souvent plus par nécessité diplomatique que par réelle volonté des institutionnels. Il s’agit des groupements de locataires, dont l’action se situe dans la revendication de droits. Dans une posture le plus souvent adversative vis-à-vis des bailleurs et institutions, ces derniers se voient contraints de les associer afin d’éviter un surcroit de contestation. Néanmoins, l’observation a mis en avant le peu d’écoute et de crédibilité qui leur était apporté. Un deuxième type d’association se trouve associé par les opérateurs en tant que représentants des habitants et de leur parole. Nous désignons ici les associations à vocation socio-culturelle agissant sur le territoire concerné. Leurs revendications se limitent en général à la défense de leur activité plus qu’à celle d’une amélioration des conditions de vie de la population, conditions légitimant leur présence sur le quartier. La question de leur représentativité pose question, étant donné qu’elles s’adressent à des publics spécifiques et 117 n’ont pas vocation à accueillir l’ensemble des habitants d’un secteur. Par conséquent, elles sont susceptibles de défendre des intérêts particuliers plutôt que l’intérêt général. Ces dernières doivent leur existence aux subventions publiques (des collectivités territoriales et du CUCS en particulier) dont elles bénéficient. Cette posture de dépendance vis-à-vis des institutions interroge sur leur légitimité à intervenir en tant que représentants des habitants. Ces financements sont soumis à des thématiques d’intervention définies ainsi qu’à leur délégation de l’offre de participation. Par conséquent, elles sont contraintes par ces prérogatives et doivent justifier leur existence par les connaissances de terrain qu’elles peuvent apporter aux opérateurs. Elles se situent dans un système de doublereconnaissance : à la fois désignées comme interlocuteur privilégié auprès des habitants, elles sont aussi des « personnes ressources » pour les opérateurs. Leur existence trouve sa légitimité dans cette posture centrale et duale. Cependant, dans une relation d’interdépendance avec les institutions, elles doivent se contraindre à un contrôle de leur activité et de leurs orientations. Les pratiques restreintes de la participation des habitants par les opérateurs bénéficient au secteur privé, associatifs ou cabinets d’étude. En délégant cette mission à la médiation et aux associations, les institutions affichent une implication des habitants par le recours à des « représentants » (dont la légitimité peut être discutée), et les structures privées justifient une partie de leur activité et de leur financement à travers l’offre de participation qu’elles développent. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur l’effectivité de la participation : ces pratiques négociées ne révèlentelles pas des obstacles à sa mise en place pleine et efficace, telle qu’elle est prescrite dans sa conception initiale ? Avant de présenter les pistes d’actions que nous avons proposées afin d’améliorer la démarche participative, rappelons le cadre de ce travail. Cette étude correspond à l’aboutissement d’une année de Master 2 professionnel de sociologie. Ce mémoire intègre les exigences et contraintes de la spécificité professionnelle et opérationnelle de cette formation. Les préconisations que nous avons présentées renvoient à cet encadrement et se veulent donc applicables dans le champ étudié. Nous ne questionnons pas ici la pertinence et la légitimité de l’injonction participative, notamment sur des territoires spécifiques mais intériorisons cette prérogative comme un acquis. Par conséquent, l’objet de cette dernière phase de notre étude tend à 118 prendre en compte les contraintes et réglementations existantes pour proposer des pistes opérationnelles. La dernière partie de notre étude s’attache à développer des préconisations et pistes d’action pour une possible démarche participative effective. Nous y démontrons qu’au-delà des pratiques précédemment décrites, certaines contraintes empêchent la mise en place d’une réelle offre de participation. Les institutions décisionnaires, pourtant initiatrices et garantes de cette démarche, sont en partie responsables de ces limites. Ainsi, malgré certaines bonnes volontés, des carences en moyens disponibles pour mettre en place une démarche participative freinent son effectivité. Les différences de perception de la temporalité, de l’efficacité et des contraintes en jeu par les divers acteurs provoquent une incompréhension et une méfiance des uns envers les autres. Sans confiance ni informations partagées, une relation asymétrique et de pouvoir du groupe dominant s’instaure et se pose en obstacle à l’implication des habitants. De plus, le manque de lisibilité et d’accessibilité des informations et enjeux, ainsi que la complexité technique et experte des opérations constituent une barrière invisible pour les citoyens profanes. Par conséquent, la mise en place d’une démarche participative nécessite des conditions préalables afin de surmonter ces difficultés. L’association des usagers et personnels de terrain au processus parait indispensable dans un souci de représentativité et de confiance partagée. Les études sociologiques et ethnographiques réalisées par des professionnels des sciences sociales apportent une analyse à la fois pertinente et critique et contribuent à une première étape de compréhension des enjeux en cours pour chaque groupe d’acteurs. Elles donnent des éléments de compréhension des réalités et mécanismes d’un territoire et d’une population. Or, dans la logique opérationnelle et réactive immédiate, peu d’attention leur est portée. Dans ce but compréhensif et analytique permettant une adaptation de la participation à un territoire, un contexte, un public, l’importance de ces études devrait être valorisée et renforcée. La participation nécessite aussi au préalable une confiance et une transparence des acteurs. Enfin, la mobilisation des habitants étant conditionnée aux effets qu’ils en perçoivent, la démarche nécessite une inscription dans une temporalité appréciable par tous. 119 Plusieurs actions pourraient être envisagées afin d’améliorer de façon opérationnelle la pratique de la participation des habitants dans les dispositifs et sur les territoires de la politique de la ville. L’élaboration d’une information transparente, mais aussi adaptée et accessible à tous les acteurs constitue un axe de travail nécessaire. De même, la formation et la sensibilisation des acteurs, et en particulier des professionnels, s’avère une démarche fondamentale pour développer les outils et instruments indispensables à la mise en place d’une offre de participation. Un soutien particulier (par le déblocage d’une ligne budgétaire spécifique par exemple) aux initiatives ascendantes permettant aux citoyens de se constituer en groupe d’intérêts reconnu, pourrait être envisagé. Nous insistons aussi sur l’intérêt et la pertinence de promouvoir le partage d’expériences. En effet, la comparaison et la présentation d’expériences dans d’autres territoires ou domaines, par la transposition qu’elle peut induire, est souvent riche d’enseignement pour les professionnels. Enfin, réaffirmer le caractère normatif et réglementaire de l’injonction, par le contrôle et l’évaluation des pratiques peut présenter des bénéfices et encourager une plus grande mobilisation des institutions. Les pistes d’actions présentées ici n’ont pas valeur à être exhaustives. Un travail de recherche-action sur un temps plus long serait nécessaire pour balayer les champs du possible, et présenterait un intérêt indéniable dans la perspective du développement de la participation dans le champ de la politique de la ville. Dans la réalité du terrain, la participation des habitants s’apparente le plus souvent dans le meilleur des cas à une coopération symbolique, et dans le pire à un instrument de manipulation. Ce constat renvoie à une interrogation plus profonde sur la volonté effective des institutions d’organiser cette injonction mais aussi sur sa pertinence. Le sociologue Cyprien Avenel affirme dans un article publié par la CNAF : « la politique de la ville encourage une démocratie participative à laquelle elle ne croit pas » (2007 : 148). Nous partageons ce point de vue et souhaitons aller plus loin. Ainsi, nous nous interrogeons sur la légitimité et la pertinence de la volonté participative dans un système démocratique représentatif ? A travers cette question, nous posons celle de la politique compensatoire mise en place spécifiquement sur les quartiers d’habitat social, et émettons l’hypothèse qu’elle participe d’une plus grande stigmatisation de sa 120 population et produit des effets pervers et contradictoires. Ce questionnement dépasse les limites et le cadre de notre travail, cependant, il mériterait une attention particulière et ouvre la réflexion vers d’autres perspectives de recherche. « Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses ; c’est celui qui pose les vraies questions » Claude Lévi-Strauss 121 BIBLIOGRAPHIE Ouvrages : BACQUE Marie-Hélène, REY Henri et SINTOMER Yves, (2005), Gestion de proximité et démocratie participative, Paris, Editions La Découverte. BRAUD Philippe, (2001, 8ème édition), La science politique, Paris, Presses Universitaires de France. CHAUVIERE Michèle, (2004), Le travail social dans l’action publique. Sociologie d’une qualification controversée, Paris, Dunod. CHEVALIER Gérard, (2005), Sociologie critique de la politique de la ville : une action sous influence, Paris, l’Harmattan. CROZIER Michel et FRIEDBERG Erhard, (1981, 1ère parution 1977), L’acteur et le système: les contraintes de l’action collective, Paris, Le Seuil. DEPAULE Jean-Claude (dir), (2006), Les mots de la stigmatisation urbaine, Most-Unesco, collection Les mots de la ville. DONZELOT Jacques (dir.), (1991), Face à l’exclusion. Le modèle français, Editions Esprit. DONZELOT Jacques, MEVEL Catherine et WYVEKENS Anne, (2003), « Faire société ». La politique de la ville aux Etats-Unis et en France, Paris, Editions du Seuil. DONZELOT Jacques, (2006), Quand la ville se défait. Quelle politique face à la crise des banlieues ?, Paris, Editions du Seuil. 122 FASSIN Didier et FASSIN Eric, (2006), De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, Paris, Editions La Découverte. FAURE Alain et NEGRIER Emmanuel (dir.), (2007), Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale, critiques de la territorialisation, Paris, Editions l’Harmattan. FIJALKOW Yankel, (2002), Sociologie de la ville, Paris, Editions La Découverte. GAUDIN Jean-Pierre, (2007, 2ème édition), Gouverner par contrat. L’action publique en question, Presses de Sciences-po. GRAFMEYER Yves et AUTHIER Jean-Yves, (2008, 2ème édition), Sociologie urbaine, Paris, Editions Armand Colin. GRET Marion et SINTOMER Yves, (2005), Porto Alegre. L’espoir d’une autre démocratie, Paris, Editions La Découverte. LASCOUMES Pierre et LE GALES Patrick, (2007), Sociologie de l’action publique, Essai. MONCOMBLE François, (2001), La déliaison. La politique de la ville en question ?, Paris, l’Harmattan. NICOLAS-LE STRAT Pascal, (2003), La relation de consultance. Une sociologie des activités d’étude et de conseil, Paris, l’Harmattan. REMOND Bruno, (2001), De la démocratie locale en Europe, Paris, Presses de Sciencespo. REYNAUD Jean-Daniel, (1997), Les règles du jeu : l’action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin. TISSOT Sylvie, (2009), L’Etat et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Paris, Le Seuil. 123 Articles : AVENEL Cyprien, (2007), « La politique de la ville et ses destinataires. Une politique de gestion d’un sentiment d’abandon ? » in Informations sociales, N°141, 136-147. BEHAR Daniel, (1997), « Territoire et nouvelle question sociale : incertitudes des politiques publiques » in Quaderni, N°34, 81-92. BIDOU-ZACHARIASEN Catherine, (1997), « La prise en compte de l’ « effet de territoire » dans l’analyse des quartiers urbains » in Revue française de sociologie, volume 38-1, 97-117. BRESSON Maryse, (1997), « Exclusion et « norme logement ». Pour une étude des représentations associées à la question sociale » in Sociétés contemporaines, volume 28, 111-126. BRESSON Maryse, (2004), « La participation des habitants contre la démocratie participative dans les centres sociaux associatifs du nord de la France » in Déviance et société, Volume 28, 97-114. BRESSON Maryse, (2007), « Peut-on parler d’un échec de la participation dans les quartiers « sensibles » en France ? Réflexion sur la pluralité des attentes et les confusions autour de ce thème » in Pensée plurielle, N°15, 121-128. CHEVALIER Gérard, (1996), « Volontarisme et rationalité d’Etat. L’exemple de la politique de la ville » in Revue française de sociologie, volume 37, 209-235. DAMAMME Dominique et JOBERT Bruno, (1995), « La Politique de la Ville ou l’injonction contradictoire en politique » in Revue française de science politique, volume 45, 3-30. DONZELOT Jacques, EPSTEIN Renaud et MOTHE Daniel, (2006), Dossier « Forces et faiblesses de la participation » in Esprit, N°326, juillet, 5-34. 124 EPSTEIN Renaud, (2004), « La loi Borloo : renforcement ou remplacement de la politique de la ville ? » in Revue de droit sanitaire et social, N°3, juillet-septembre, 714-731. EPSTEIN Renaud, (2005), « Acte II, scène 1ère : la fin de la politique de la ville ? Au crible de la loi Borloo » in Informations sociales, N°121, 88-97. FABRIS Etienne et PEILLON Pierre, (2007), « Evolution démographique des grands quartiers d’habitat social. Les représentations à l’épreuve de la réalité », in Informations sociales, N°141, 34-49. GENESTIER Philippe, OUARDI Samira et RENNES Juliette, (2007), « Le paradigme localiste au secours de l’action publique démocratique » in Mots. Les langages du politique, N°83, mars, 69-80. JOSSET Raphaël et LA ROCCA Fabio, (2006), « Quand la ville se défait. Entretien avec Jacques Donzelot » in Sociétés, N°94, 27-34. MADELIN Bénédicte, (2009), « Le travail social dans les quartiers « sensibles » : un rendez-vous manqué » in Informations sociales, N°152, 82-90. MESSU Michel, (1990), « L’Etat-Providence et ses victimes » in Revue française de science politique, N°40, 81-97. MONBEIG Michel, (20074), « L’impossible démocratie participative » in Pensée plurielle, N°15, 29-47. MULLER Béatrice, (2005), « Les nouveaux modes de régulation de l’action publique » in Pensée plurielle, N°10, 159-177. NOYER Jacques et RAOUL Bruno, (2008), « Concertation et « figures de l’habitant » dans les discours de renouvellement urbain » in Etudes de communication, N°31. 125 PAN KE SHON Jean-Louis, (2007), « Portrait statistique des zones urbaines sensibles. Population, mobilité, habitat, chômage, scolarité… » in Informations sociales, N°141, 2432. RAYMOND Richard, (2009), « La « société civile », ce « nouvel » acteur de l’aménagement des territoires » in L’information géographique, N°2, 10-27. THOMAS Olivier, (2003), « Gouvernement des villes et démocratie participative : quelles antinomies ? » in Pouvoirs, N°104, 143-158. TISSOT Sylvie, (2004), « Identifier ou décrire les « quartiers sensibles » ? Le recours aux indicateurs statistiques dans la politique de la ville » in Genèses, 90-111. TISSOT Sylvie, (2005), « Les sociologues et la banlieue : construction savante du problème des « quartiers sensibles » » in Genèses, N°60, septembre, 123-178. VULBEAU Alain, (2007), « L’approche sensible des quartiers « sensibles ». Une posture de proximité » in Informations sociales, N°141, 8-13. ZETLAOUI-LEGER Jodelle, (2005), « L’implication des habitants dans les micro-projets urbains : enjeux politiques et propositions pratiques » in Les cahiers de l’école d’architecture de La Cambre, Bruxelles. Rapports et études de cas : ANRU, (2009), Rapport d’étude : « La gestion urbaine de proximité dans les projets de rénovation urbaine » in FORS-Recherche sociale. BONETTI Michel et BOUVIER Jean, (2007), « L’amélioration de la gestion urbaine : un enjeu majeur du développement urbain durable » CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment), Laboratoire de sociologie urbaine générative, Paris. 126 Comité d’Evaluation et de suivi de l’ANRU, (2006), « Note sur la participation des habitants ». Comité d’Evaluation et de Suivi de l’ANRU, (2006), « Une échelle de participation citoyenne – Sherry Arnstein ». Compte-rendu de la journée du 5 octobre 2007 à Aubagne, Atelier régional de la ville n°12, CRPV – PACA, « La participation des habitants, enjeux et pratiques en France et en Europe ». Compte-rendu de la journée du 6 novembre 2003 à Puyloubier, Atelier Régional de la Ville n°2, CRPV - PACA, « La gestion urbaine de proximité, théorie et pratiques de terrain ». CREPAH (avec l’appui de Mr Khosrokhavar), 2000), « La gestion urbaine territorialisée en relation avec les opérations de renouvellement urbain. Méthodes et repères », pour le G.I.E. « Villes et quartiers ». EPSTEIN Renaud, (2008), « Gouverner à distance. La rénovation urbaine, démolition reconstruction de l’appareil d’Etat » Thèse de sociologie, ENS Cachan. KEDADOUCHE Zaïr, (2003), Rapport « La participation des habitants dans les opérations de renouvellement urbain » pour l’IGAS. Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles, (2009), Les Editions du CIV. 127 Sites internet : http://www.acse.fr http://www.adil13.org http://www.agam.org http://www.anah.fr http://www.anil.fr http://www.anru.fr http://www.caf.fr http://www.cairn.info/accueil http://www.chorus-ingenierie.com/ http://www.crpv-paca.org/ http://habitatindigne.logement.gouv.fr http://www.persee.fr http://www.revues.org http://www.salondeprovence.fr http://www.travail-solidarite.gouv.fr http://union-hlm.org http://www.ville.gouv.fr 128 LEXIQUE ACSé Agence Nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des Chances ANRU Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine CIV Comité Interministériel des Villes CUCS Contrat Urbain de Cohésion Sociale DIV Délégation Interministérielle à la Ville GUP Gestion Urbaine de Proximité HLM Habitation à Loyer Modéré LOADDT Loi d’Orientation pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire LOV Loi d’Orientation pour la Ville MOS Maîtrise d’œuvre Sociale MOUS Maîtrise d’Œuvre Urbaine et Sociale OPAH Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat PRU Programme de Renouvellement Urbain RHI Résorption de l’Habitat Insalubre SRU loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain ZUS Zone Urbaine Sensible 129 ANNEXES - Liste des territoires concernés par les pré-diagnostics de GUP dans les Bouches-duRhône pour la première phase de programmation…………………………………….131 - Exemple de fiches d’observations de la « visite en marchant »………………………132 - Appel à projet des CUCS de Marseille 2010………………………………………….135 130 Liste des quartiers concernés par le pré-diagnostic de GUP pour la première phase de programmation dans les Bouches-du-Rhône : Quartiers concernés Projet de Rénovation Urbaine Nombre logements sociaux (et copros) Bailleurs La Lèque- Aigues douces non 703 13 Habitat Les Comtes non 604 Logirem Florida oui Parc la Chaume oui Port Saint Louis Vauban non 370 La Ciotat les Abeilles oui 966 Marseille 1er Panier/ République/ Belsunce oui 348 Vilette/Strasbourg/ Caire Hoche oui 333 Saint Mauront oui Commune Port de Bouc Marignane Marseille 3° Marseille 9° La Cravache/ Copro SEVIGNE Triolet Marseille 11° Néreides – Bosquet Marseille 14è 15è ( St Barthélémy, Delorme, Canet) Marseille 15° (ND limite) Marseille 15è 16è (Nord littoral, Plan d'aou, Bricarde, Castellane) 13 Habitat et Sud Habitat 13 Habitat et Famille&Provence Erilia et Phocéenne d'habitation Domicil, Habitat Marseille Provence, 13 Habitat, Logirem, Marseille Habitat, Nouveau Logis Provençal, Sud Habitat, Régional de l'Habitat et Phocéenne d'habitation Domicil, Erilia HMP, 13 Habitat ICF, Logirem Marseille Habitat NLP, pact 13, Sogima, Sud Habitat 587 Copropriété SAGEC non 698 13 Habitat St Barth 3, picon, Busserine, Mail/ 1 oui 946 Logirem, HMP, 3 copros St Barth 3, Picon, Busserine, Mail/ 2 oui 1100 Logirem, HMP, 3 copros Bassens 2 non 800 Phocéenne d'habitation La Solidarité oui 765 Nouvelle d'HLM, 13 Habitat, Phocéenne, Plan D'Aou oui La Viste oui 600 ERILIA Ruisseau Mirabeau non 92 NLP Erilia, logirem, 131 133 134 Appel à projets 2010 Citoyenneté CADRE GÉNÉRAL Le Contrat Urbain de Cohésion Sociale de Marseille (2007-2009), quatrième génération de contrat de développement social et urbain, a concrétisé l’engagement de l’État, de la Ville de Marseille, de la Région, de la Communauté Urbaine Marseille Provence Métropole, de la Caisse d’Allocations Familiales et de l’ARO-HLM, sur un projet urbain de cohésion sociale. Les principes fondateurs de la Politique de la Ville y sont réaffirmés : - identification des territoires prioritaires, - définition de programmes d’actions structurantes, innovantes sur les champs prioritaires, - mobilisation des politiques de droit commun en appui des programmes contractuels, - contractualisation d’engagements financiers pour la durée du Contrat, - mise en place d’un pilotage partenarial, renseigné par une nouvelle procédure de suivi, d’observation et d’évaluation. Le projet urbain de cohésion sociale arrêté sur ces bases a engagé les partenaires sur une période de trois ans afin de permettre la mise en cohérence des programmations des services publics et celles développées avec le monde associatif. Afin de permettre la mise en œuvre d’une évaluation complète du CUCS et la prise en compte de ces résultats dans l’élaboration du prochain contrat, l’Etat a proposé de proroger les actuels CUCS pour l’année 2010. Le bilan de ces quatre exercices, appuyé par le dispositif d’évaluation des actions financières, et de suivi des quartiers, permettra de préciser les orientations et les moyens à engager pour la poursuite de la Politique de la Ville sur Marseille. Le programme proposé pour cette année supplémentaire est décliné par grands territoires de projets (Littoral Nord, Nord - Est, Grand Centre Ville et Grand Sud – Huveaune) et par axes thématiques stratégiques (Habitat et Cadre de vie, Emploi – Insertion – Formation, Réussite éducative, Prévention de la délinquance et Politique judiciaire de la ville, Citoyenneté et Accès aux droits, Santé, Culture). Il traduit l’effort conjugué de mise en cohérence entre les enjeux de développement des territoires prioritaires, les objectifs de développement et de rattrapage de ces quartiers. CITOYENNETÉ APPEL A PROJETS 2010 L’axe citoyenneté est par nature transversal à l’ensemble des priorités du Contrat Urbain de Cohésion Sociale, et peut donc être considéré comme devant être pris en compte par tous les programmes territoriaux et chaque acteur social. Pour l’année 2010, les partenaires du CUCS de Marseille souhaitent donner une priorité aux projets permettant de mettre en place des actions destinées à améliorer l’égalité hommes-femmes et/ou à lutter contre les violences faites aux femmes Dans cette optique, il sera accordé une attention particulière aux projets comportant les éléments suivants : - éléments statistiques sexués en rapport avec le projet - définition d’objectifs quantitatifs et qualitatifs répondant aux inégalités repérées entre les femmes et les hommes et/ou prenant en compte les besoins ou difficultés spécifiques à chaque sexe - projets faisant appel à une expertise lorsque les compétences nécessaires ne se trouvent pas déjà au sein de la structure porteuse Il est demandé de mettre l’accent sur les actions suivantes : - actions permettant d’accéder à une première étape de développement personnel et/ou de retrouver une estime personnelle lorsque celle-ci a été amoindrie par toute forme de violence - actions proposant un travail sur les comportements intégrés et automatismes d’auto-dévalorisation au quotidien En 2010, les objectifs poursuivis seront également : L’appui à la vie associative : sous réserve de la qualité des projets et de leur évaluation en veillant à la mutualisation et à la complémentarité des moyens et des compétences présentes sur la ville, sur l’objet des projets L’accès aux droits sociaux : soutien aux plates-formes de services publics soutien aux dispositifs d’accès aux droits des étrangers amélioration de l’accueil pour l’accès aux droits, et notamment aux systèmes de recours si nécessaire La lutte contre toutes les discriminations : en favorisant l’expression des victimes en sensibilisant les relais professionnels 136 en soutenant les actions auprès de populations en difficulté plus forte de lien social: - personnes âgées - populations très fragiles socialement - femmes peu autonomes Les projets se proposant d’agir contre une discrimination spécifique (notamment emploi et éducation) seront traités sur les pôles ou dispositifs ad hoc. La participation des habitants et des associations : en facilitant leur expression et leur participation à la vie locale en améliorant la communication les secteurs où une réflexion autour d’une requalification urbaine est en cours seront plus particulièrement soutenus. Une attention particulière sera portée au financement d’associations plus structurantes dans les quartiers, reconnues comme équipements de proximité de type centre social, accueillant du public dans le cadre des missions de services publics prioritaires pour le C.U.C.S. : emploi, éducation, actions familiales, permanences sociales, informations générales, etc… 137