Sonderdrucke aus der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg
ULRICH REBSTOCK
Qui est l’Autre?
L’Héritage Islamique dans l’Afrique de l’Ouest
Originalbeitrag erschienen in:
Vortrag gehalten im März 2005 im Goethe-Institut in Dakar
Qui est l’Autre? L’He´ritage Islamique dans l’Afrique de l’Ouest
Entre le 24 Novembre 1888 et le 17 Avril 1889, The Artisan, le journal quotidien de Freetown
(Sierra Leone), a suivi un de´bat publique qui avait e´te´ lance´e par la publication d’un livre au titre
suivant: Islamity, Christianity and the Negro race e´crit par un certain Dr. Edward Blyton. Le de´bat
finit s’e´puiser en colloque interreligieux dans le style d’un de´bat parlamentaire entre six disputeurs
musulmans, parmis eux une femme, et 11 disputeurs chre´tiens, ayant comme the`me: Le Christi-
anisme ou l’Islam est-il le mieux apte a` promouvoir les vrais inte´reˆts de la race noire?1. Il s’agit la`,
a` ma connaissance, du premier dialogue re´el et documente´ entre ces deux ›religions d’importation‹
en Afrique. Le ton ge´ne´ral du parti musulman ne nous e´tonne pas aujourd’hui: Alors que le
Christianisme est conside´re´ comme e´tant reste´ superficiel a` la culture noire, l’Islam estt conc¸u
comme ayant marque´ profondemment la vie Africaine. Il n’est gue`re e´tonnant, que les subtilite´s du
de´bat sonnent intemporellement, malgre´ les changements fondamentaux des parame`tres socio-his-
toriques.
Trois ans avant ce de´bat, le chancelier Otto von Bismarck avait retire´ sa promesse au ›Congre`s
de Berlin‹ de »favoriser et aider toutes les religions« a` la suite de l’insistance Ottomane a` y inclure
la mission islamique. Ce retrait ouvra la porte a` l’inte´gration de la confession et – a` la longue – a` la
conversion dans la strate´gie territoriale coloniale. Aujourd’hui, apre`s la pe´riode des djiha¯ds anti-
coloniaux, celui du colonialisme lui-meˆme, celui et de l’inde´pendance e´tatique, l’e`re de la mond-
ialisation revitalise la question de Freetown dans un contexte plus large et he´te´roge`ne. Avant
d’aborder mon sujet, le roˆle du facteur historique dans la recherche des facteurs identificateurs de
l’Islam contemporain en Afrique, surtout en Afrique de l’Ouest, il est ne´cessaire de pre´ciser ce
contexte. L’anglicisme ›globalisation‹, son e´quivalent franc¸ais ›la mondialisation‹, et meˆme leur
pendant dialectique ›la glocalisation‹, ont e´te´ suffisamment popularise´s por perdre leurs signifi-
cations originaires. Trois ans avant que Samuel Huntington publie son article The Clash of Civi-
lisations dans le journal Foreign Affairs, le re´sultat culturel de l’e`re globale avait e´te´ de´ja` formule´
1Lamin Sanneh: Piety & Power. Muslims and Christians in West Africa. New York: Orbis Books 1996, p.
67.
2U. REBSTOCK
en tant que programme en 1990 par l’historien ame´ricain Francis Fukuyma dans son article La fin
de l’histoire ou` il assurait: »Nous ne sommes pas seulement les te´moins de la fin de la guerre froide
[...] mais de la fin de l’histoire elle meˆme: ce qui est le point final de l’e´volution ide´ologique de
l’humanite´ et de l’universalisation de la de´mocratie libe´rale de l’Ouest comme forme finale du
gouvernement humain«2.
Depuis, ironiquement, un concours des cultures a e´clate´, qui n’a produit rien de moins qu’une
culture du dialogue auquel nous prenons part aujourd’hui activement. Dans son livre The Culture
Cult (Le culte des cultures), Roger Randall3de´veloppe une the`se qui va servir d’enjeu analytique a`
mon proce´de´. Cette the`se se de´ploie en deux pas: Tout d’abord, le ›culte des cultures‹ commence
avec la perception mutuelle respectueuse des diffe´rences culturelles; le refus ine´vitable d’accepter
des particularite´s inadmissibles de l’autre – une des pre´conditions du dialogue – oblige a` faire
ressortir des diffe´rences plus de´taille´es renforc¸ant ainsi ces incompatibilite´s. Ensuite, ce respect
mutuel cultive un dialogue dans lequel de plus en plus d’experts et de me´diateurs mettent au jour de
plus en plus de diffe´rences subtiles – un processus qui aboutit ne´cessairement a` la construction de
l’e´trange authentique incommensurable. Randall appelle cette construction designer tribalism, tri-
balisme modele´. Pour ne pas tomber dans ce panneau, je m’appuie sur la premie`re voix musulmane
africaine qui prenait la parole contre la the`se de Fukuyama: le Kenyan Ali Mazrui, qui e´crivait en
1993: »Je crois qu’il est important de confronter le sujet de la de´mocratie et celui du capitalisme
chez Fukuyama et ou` ceci conduit les Musulmans«4.
A
`cette e´poque, Ali Mazrui s’e´tait de´ja` fait un nom par son livre portant le titre The Africans: A
Triple Heritage (Les Africains: un triple he´ritage) dans lequel il conclut: »Une explication de la
vigueur de l’Islam en Afrique de l’Ouest pourrait eˆtre le plus haut degre´ d’indige´nisation et d’Afri-
canisation. L’Islam n’est plus conduit par les Arabes et a acquis un dynamisme inde´pendant dans
l’Ouest de l’Afrique«5. La triplicite´ de Mazrui renferme l’Africanite´, le Christianisme et l’Islam, les
deux derniers e´tant d’origine exoge`ne et importe´s lors de processsus historiques divers. Mazrui ne
2Cf. Henner Fürtig (ed.): Islamische Welt und Globalisierung. Aneignung, Abgrenzung, Gegenentwürfe.
Würzburg: Ergon Verlag 2001, p. 23–25 (trad. U.R.).
3Roger Randall: The Culture Cult, Oxford: Westview Press 2001.
4Henner Fürtig: Islamische Welt, p. 25 (trad. U.R.).
5Ali Mazrui: The Africans: A Triple Heritage, London: BBC, 1986, p. 136–7 (trad. U.R.).
3 Qui est l’Autre? (DAKARVOR)
re´clame pas seulement le retour du facteur historique dans la recherche de l’identite´ Islamique
Africaine, il reve`le aussi la relation intrinse`que entre Islamite´ et Arabite´. Pour lui, guide´ par la
perspective de l’Afrique de l’Est et de sa culture ›Shira¯¯‹, une re´-Africanisation de l’Islam ne
s’impose pas en Afrique, mais plutoˆt en Arabie qui fut – par une ruse ge´ographique et a` contre-
cœur – de´chire´e du continent Africain.6
Les conse´quences de la globalisation semblent surmonter ce fosse´. Depuis les anne´es quatre-
vingt, les socie´te´s musulmanes Africaines voient une re´inte´gration dans le monde islamique. Apre`s
la fondation de la Ra¯bit
˙at al- A
¯lam al-isla¯¯ (La Ligue islamique mondiale) en 1962, une multitude
d’organisations pan-islamiques sont devenues plus re´cemment actives en Afrique, parmi elles:
l’Organisation de l’Islam en Afrique (The Islam in Africa Conference), le Centre Islamique Afri-
cain (The African Islamice Centre of Khartoum), la Confe´rence Arabe Populaire et Musulmane
(The Popular Arab and Muslim Conference) et l’organistion la plus re´pandue, et l’Organisation de
l’Appel Islamique (The Islamic Call Conference, OIC). Cette dernie`re a admis tout les e´tats Afri-
cains a` majorite´ musulmane comme membres; pour la meˆme raison, les Indes et le Liban, gou-
verne´s par des non-Musulmans, ont e´te´ refuse´s – accepte´s, par contre, ont e´te´ le Be´nin, le Gabon et
l’Uganda, chacun he´bergeant une minorite´ musulmane de moins de 10%. Aus dessous du niveau
e´tatique, une multitude similaire d’organisations non-gouvernementales (ONG) ouvraient des bu-
reaux dans plus des quarante e´tats africains, et de mentionner, par exemple, les organisations de
bienfaisance an-Nu¯r et l’Agence des Musulmans d’Afrique (AMA).
Face a` cette tendance inte´griste, qui est accompagne´e d’une politisation ge´ne´rale des affaires
islamiques et caracte´rise´e par le mot-vedette de l’umma, la communaute´ des croyants, un e´cho
audible se fait entendre. Une voix de cet e´cho polyphone s’articule par une notion qui est devenue
un mot-cle´ en Afrique Noire: Je l’appelle ›Bila¯lisme‹, le rappel a` Bila¯l, l’affranchi E
´thiopien et le
mu ad
¯d
¯in du Prophe`te Muh
˙ammad. Il n’y a gue`re de mouvement islamique re´formiste qui ne
renonce a` sa mention symbolique. Dans le contexte de la lutte contre l’apartheid, une organisation
islamique de l’Afrique du Sud s’en est servi, Bila¯l figure comme l’ide´al historique des Mourides et
est le nom du journal clandestin du FLAM, des Forces de Libe´ration Africaines de Mauritanie.
6Pour plus des de´tails de cette controverse, John Alembillah Azumah: The Legacy of Arab-Islam in Africa. A
Quest for Inter-religious Dialogue. Oxford: Oneworld 2001. p. 210–216.
4U. REBSTOCK
Mais l’articulation de l’Africanite´ n’est pas borne´e a` la symbolique, ni aux mouvements islamiques.
A
`coˆte´ d’Ali Mazrui et d’Ahmadou Hampaˆte´ Baˆ, des auteurs connus comme Lamine Sanneh ou
John Alembillah Azumah7se prononcent audiblement pour la reconside´ration de l’he´ritage africain
face aux deux cultures d’importation. Il n’est pas trop risque´ d’interpre´ter ces expressions d’une
identite´ islamique particulie`rement africaine comme re´action antiglobaliste. E
´videmment, cette re´-
action montre deux visages diffe´rents. L’E
´tudiant Musulman, organe regulier de L’Association des
Etudiants Musulmans de l’Universite´ de Dakar (AEMUD) ouvrit son nume´ro 39 (2000) avec
l’e´ditorial suivant: De´gradation des mœurs: une fille de la mondialisation.8Parmi ces ›mœurs‹
pernicieuses figure le khessal, la technique cosme´tique, re´pandue dans votre pays, de blanchir son
teint. Je cono¸is ces deux visages comme expressions complexes d’un antagonisme entre Africanite´
et Arabo-Islamite´, un antagonisme qui a empreint l’histoire de l’Islam en Afrique, qui est en train
de s’articuler de fac¸on varie´e actuellement, et dont l’histoire est indispensable pour une re´cognition
mutuelle – le but primaire de nos efforts.
L’histoire de l’islamisation de l’Afrique – et de l’Afrique de l’Ouest, du Soudan et du Sahel, en
particulier – est une histoire de conversion, d’une conversion qui e´tait – a` travers des pe´riodes
diffe´rentes – active´e par des motifs et des acteurs diffe´rents. Un trait e´minent, cependant, de
l’histoire de ces types de conversions est leur occurrence synchronique. A
`travers plus d’un mil-
le´naire ils se manifestent simultane´ment dans des re´gions diverses. Si l’on conside`re l’histoire dans
sa totalite´, on peut distinguer trois types principaux: la conversion sociale, impliquant la conversion
individuelle et collective a` la religion islamique; la conversion politique: l’adaption des formes de
pouvoir islamiques; et la conversion culturelle: l’assimilation des pratiques se´culaires et sprituelles
arabo-islamiques.
La pe´ne´tration de l’Islam dans le bila¯d as-su¯da¯n, les pays des Noirs, peut eˆtre de´crite comme
l’inte´gration successive de ces pays dans le re´seau commercial international islamique. Dans ce
milieu de commerc¸ants, la conversion individuelle ou familiale fit avancer les normes et les valeurs
7Voir Sanneh: Piety, chapitre 6: The Crown and the Turban, p. 111–145, et Azumah: Legacy, chapitre 5:
Encountering the Encounters: Arab-Islam and Black African Experience, p. 170–240.
8Adriana Piga: Neo-traditionalist Islamic Associations and the Islamist Press in Contemporary Senegal. In:
Thomas Bierschenk and Georg Stauth (eds.): Islam in Africa, (Yearbook of sociology of Islam 4), Münster:
LIT 2002, 43–68, p. 62.
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