Les conséquences de la crise économique au
Mexique
Gérald Cadet
Chercheur associé à la Chaire d’études du Mexique contemporain
et Principal, Magerigo Consulting Group
Patricia Martin
Professeur adjointe professeure adjointe
au Département de géographie de l’Université de Montréal
et Directrice scientifique de la Chaire d’études du Mexique contemporain
Préparé pour le Ministère des Relations
internationales
Québec
28 septembre 2009
2
Résumé exécutif
* Introduction. La crise financière globale a un impact à la fois sur les pays développés
et en développement. Les données montrent que le Mexique est particulièrement touché
par la crise. Cette étude examine l’impact de la crise sur quatre secteurs de l’économie
mexicaine. Les conséquences sur le veloppement social de la société mexicaine sont
également abordées.
* Contexte historique. La crise économique actuelle doit être placée dans le contexte
du développement économique du Mexique depuis les années 1960. Le pays est passé
de l’ISI à la promotion des exportations. Cette transformation est accentuée par la crise
de la dette et les programmes d’ajustements structurels imposés par les institutions
multilatérales. Ce contexte conditionne la structure de l’économie Mexicaine
d’aujourd’hui.
* Transferts de fonds. Les remesas constituent une part importante de l’économie
nationale et jouent un double rôle : un revenu pour des millions de Mexicains et un outil
de gestion de la dette extérieur pour l’État. Depuis l’an 2000, les remesas ont crû
rapidement dans un premier temps, puis se sont stabilisés. À Partir de 2008, il y a un
renversement de la tendance. Si la diminution des remesas se confirme pour 2009, cela
aurait des conséquences sur certaines régions, en particulier le centre du pays.
* Secteur pétrolier.
La crise économique actuelle ne constitue pas le détonateur de
la crise du secteur pétrolier, elle en est un accélérateur. L’impact de la crise se fait
surtout sentir par la baisse des revenus en provenance des ventes internationales et
de la difficulté à financer les activités de la pétrolière Pemex sur les marchés
internationaux. En outre, Pemex fait face à de nombreux défis stratégiques et
productifs, mais il n’est pas certain que le gouvernement soit en mesure de lui
fournir les outils nécessaires afin de se sortir de l’impasse.
* Secteur bancaire. Le secteur bancaire et financier mexicain est quelque peu épargné
par la crise actuelle. Les banques mexicaines sont presque totalement sous contrôle
étranger, ce qui accroît la nécessité de générer des profits élevés. Bien que les banques
se portent relativement bien, on note une détérioration du crédit à partir de 2007. Dans
le courant 2009, la question s’est posée à savoir si la participation du gouvernement
américain dans Citibank devait mener à la vente de Banamex. Le gouvernement
mexicain a conclu par la négative. Ce dernier est également intervenu afin de pallier à
un possible tarissement du crédit.
* Secteur manufacturier. Le secteur manufacturier est le secteur le plus touché par la
crise économique, plus particulièrement les maquiladoras. aussi, le gouvernement
fédéral doit intervenir afin d’aider les entreprises en difficulté. Quant à l’industrie
automobile, l’incertitude demeure grande. D’un côté, les filiales des constructeurs
américains maintiennent leurs plans d’expansion originaux, mais doivent tenir compte de
la situation aux États-Unis. D’un autre côté, les constructeurs non-américains semblent
mieux se porter.
* Impacts sur le Québec. Deux impacts possibles sont identifiés : une augmentation
des demandes d’immigration vers le Québec, prenant en compte l’immigration légale et
illégale; une diminution des exportations québécoises en direction du Mexique.
3
Introduction
Depuis plus d’un an, les sociétés à travers le monde sont submergées par une crise
économique de dimension planétaire. Les origines de cette crise font consensus : une
bulle spéculative dans le marché immobilier associée à un secteur financier
déréglementé et reposant sur des fondations fort questionnables aux États-Unis. Dans
un récent essai, le Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz met en lumière le réseau
d’institutions politiques et économiques américaines ayant contribué à créer cette crise.
Les banques et investisseurs furent les acteurs centraux, bien qu’ils furent aidés en cela
par un réseau complexe d’institutions telles que les agences de notation, les courtiers
immobilier, les organismes réglementaires financiers et corporatifs et ‘les économistes,
lesquels ont fourni les arguments que les opérateurs des marchés financiers ont trouvé
très commodes et intéressants’ (notre traduction)
1
. Finalement, Stiglitz souligne
l’influence néfaste que le secteur financier exerce sur le système politique américain à
travers le financement des partis politiques. Le haut degré d’intégration des marchés
financiers et de capitaux signifie que la crise, initiée et centrée aux États-Unis, a pris une
ampleur globale.
Initialement, l’intérêt fut presqu’exclusivement porté aux États-Unis et à l’Union
européenne; cependant, la chute vertigineuse des bourses de certains pays en
développement a rapidement démontré que la nature globale de la crise dépassait le
cadre des pays industrialisés (eg. Brésil 55%; Inde 63%; Afrique du Sud 52%)
2
. Dans le
cas du Mexique, les récentes statistiques laissent à penser que le pays a été
particulièrement frappé par la crise économique. Cela est en grande partie au haut
niveau d’intégration économique asymétrique du pays avec les États-Unis. En juillet
2009, l’OCDE a prédit que le PIB diminuerait de 8% en 2009. En outre, la valeur du
peso a chuté d’environ 25 à 29% au cours de la dernière année
3
. L’Institut de la
statistique mexicaine (INEGI) rapporte pour sa part que les exportations ont baissé de
30% entre janvier et juillet 2009. Selon le Centre d’Études du Secteur Privé (CEESP), la
récession actuelle est la pire depuis la Grande dépression
4
.
Étant donné ces tendances peu réjouissantes au Mexique, il nous semblait de première
importance de faire une évaluation de la situation économique actuelle au Mexique.
Dans le présent travail, nous tenterons donc de répondre aux questions suivantes :
Quel est l’impact de la crise économique actuelle sur l’économie mexicaine?
Comment évoluent certains des secteurs clés de l’économie?
Quelle a été la réponse du gouvernement mexicain face à la crise?
Pour répondre à ces questions, nous offrons tout d’abord une mise en contexte du
développement économique au Mexique. Par la suite, nous procédons à une évaluation
de l’évolution des transferts de fonds; du secteur pétrolier; du secteur bancaire et; du
secteur manufacturier. Cette évaluation sectorielle est suivie par avec une discussion
1
Joseph Stiglitz, “The Anatomy of a Murder: Who Killed America’s Economy?”, Critical Review,
21 (2-3), 2009, pp. 329-339, p.333.
2
Neil McCulloch et Andy Sumner,(2009). “Introduction: The Global Financial Crisis, Developing
Countries and Policy Responses”, IDS Bulletin 40(5), 2009, pp. 1-13.
3
OECD. Mexico, OECD Economic Outlook, Preliminary Edition, 2009; OECD, Policy Brief,
Economic Survey of Mexico, 2009.
4
http://www.jornada.unam.mx/2009/08/24/index.php?section=economia, accès le 24 août 2009.
4
portant sur les taux de pauvreté qui prévalent au Mexique, ainsi que sur les mesures
que le gouvernement a mises en place pour faire face à la crise. Ce rapport conclut avec
une discussion sur les impacts possibles de cette crise mexicaine sur le Québec.
Le Mexique, en transition depuis 30 ans
Si les causes à court terme de la crise actuelle font consensus, les causes à long terme
demeurent un sujet de discorde; elles dépendent largement du modèle politico-
économique que l’on utilise pour comprendre le fonctionnement du capitalisme. Les
critiques de la globalisation néolibérale notent que la déréglementation financière, liée à
la montée subséquente du capitalisme financier se sont imposées comme forces
motrices du développement économique global. Cela s’est accompagné d’un glissement
vers un modèle de développement économique pouvant être qualifié de “consommation
financée par des dettes, i.e. un modèle basé sur les emprunts et les dépenses au lieu
d’économiser et d’investir. Les libéraux répliquent cependant que la crise est normale
il s’agit d’un aspect de la nature ‘auto-régulatrice’ du marché. Selon un autre aspect de
leur argumentaire, il n’y aurait pas eu suffisamment de déréglementation, comme le
montrent des institutions hybrides publiques/privées américaines telles que la Réserve
fédérale, Fanny Mae et Freddy Mac. Quoi qu’en soit les causes, l’impact de la crise est
bien réel pour de nombreux individus.
Étant donné la proximité géographique du Mexique de l’épicentre de la crise et sa
grande intégration économique, bien qu’asymétrique, aux États-Unis, le pays est affecté
par la crise économique de manière bien particulière. Avant d’aborder l’impact qu’exerce
cette crise sur l’économie mexicaine, il est utile de rappeler certains éléments du
développement économique mexicain depuis l’après-guerre afin de fournir un contexte à
la crise actuelle. Une telle analyse montre que la proximité géographique n’explique pas
à elle seule la relation entre les États-Unis et le Mexique; cette relation est également
conditionnée par des politiques et des liens économiques et politiques. Depuis les
années 1960, l’économie mexicaine a vécu une énorme transition, passant d’une
économie organisée autour du modèle d’industrialisation par substitution aux
importations (ISI) à un modèle d’industrialisation par les exportations. Il existe une
certaine similitude entre cette évolution et celle au Nord, nous sommes passés d’une
économie keynésienne à une économie néolibérale et globalisée. Toutefois il semble
que cette transformation soit plus profonde et plus dramatique dans des pays tel le
Mexique.
Après la Seconde guerre mondiale, le Mexique, comme la majorité des États
d’Amérique latine, adopte un modèle d’industrialisation par substitution aux importations.
L’objectif de l’ISI est de favoriser le développement économique en donnant la priorité à
la production industrielle pour consommation nationale et en limitant le commerce
international par une série de politiques spécifiques. Avec l’ISI l’État joue un rôle direct
et manifeste dans l’organisation de l’économie. Dans le cas du Mexique, l’État est
également vu comme l’institution responsable de garantir le bien-être de la population.
5
Vu sous un certain angle, l’ISI est un succès : durant les années 1960, on parle du
‘miracle mexicain’ en matière de développement économique
6
. Néanmoins, l’ISI
5
Cela est l’un des héritages clés de la révolution mexicaine. Voir également Laura Carlson,
“Armoring NAFTA: The Battleground for Mexico’s Future”, NACLA Report on the Americas, vol.
41(5), 2008, pp. 17-22.
6
Jon Shefner, The Illusion of Civil Society, University Park: Pennsylvania State University, 2008.
5
présente certaines contradictions insolubles de même que certaines faiblesses notoires,
notamment une constante inflation et des déficits commerciaux. La priorité est
systématiquement accordée à l’industrialisation au détriment de l’agriculture, alors que
les inégalités économiques persistent
7
La transition et l’ouverture de l’économie mexicaine représentent des éléments d’une
plus grande transformation de l’économie mondiale, transformation liée à l’échec du
système de Bretton Woods. Elle débute avec l’accumulation d’une phénoménale dette
extérieure durant les années 1970 grâce à la disponibilité du crédit et aidée en cela par
les réserves pétrolières. Alors que la hausse des taux d’intérêt asphyxie de plus en plus
la dette, le gouvernement n’est plus en mesure d’effectuer les paiements sur celle-ci.
L’administration López Portillo déclare un moratorium sur la dette en 1982, déclenchant
la crise de la dette qui engouffre plusieurs pays du Sud. La socialisation de la dette par
des prêts par le FMI et la Banque Mondiale crée le contexte de la réorientation en
profondeur de l’économie mexicaine. Ces changements sont suivis par une vague de
privatisations à la pièce. Le secteur manufacturier qui, auparavant, est organisé selon la
demande de consommation interne, est réorienté vers les exportations, en grande partie
par l’expansion du secteur des maquiladora. Finalement, le commerce international est
libéralisé alors que le Mexique joint le GATT en 1986 et l’Aléna huit ans plus tard
8
.
Le Mexique dont on parle aujourd'hui est donc un pays qui s’est profondément
transformé au cours des vingt-cinq dernières années. Deux traits de l’économie politique
du Mexique ressortent de cette transition. D’une part, il faut noter le haut degré de
dépendance de l’économie mexicaine vis-à-vis des États-Unis. Ceux-ci représentent de
loin le plus important partenaire commercial du Mexique. En 2008, 73,1% des
exportations mexicaines sont destinées aux États-Unis (le Canada vient au second rang
avec 6.2%)
9
. D’autre part, le Mexique doit continuellement accumuler des devises
étrangères afin de servir sa dette extérieure (d’où une constante préoccupation pour une
balance commerciale positive et un haut niveau de réserves de devises fortes). Au cours
des vingt dernières années, il y a eu une réduction drastique des dépenses sociales.
Alors que le gouvernement fut l’institution responsable de garantir le bien-être sociétal
durant la période d’ISI, le marché assure aujourd'hui ce rôle
10
.
La transition économique vers le néolibéralisme entraîne également une réingénierie
(restructuration) des salaires. S’appuyant sur une analyse de Portes et Hoffman,
Shefner soutient que « la baisse annuelle des salaires varie de 7.7% à 12.3% durant
une période de déclin quasi ininterrompu de 1982 à 1997. En 1998 Les salaires réels
équivalaient à 57% des salaires réels de 1980; le salaire minimum en 1998 représentait
29.5% du salaire minimum de 1980. »
11
Certains observateurs de la scène mexicaine
avancent que, dans le cadre de ce nouveau régime politico-économique, le véritable
7
Thomas Perreault et Patricia Martin, “Geographies of neoliberalism in Latin America”,
Environment and Planning A., vol. 37(2): 2005, pp. 191-201.
8
Patricia Martin, “Comparative topographies of neoliberalism in Mexico”, Environment and
Planning A, vol. 37(2), 2005, pp. 203-220.
9
CIA World Factbook, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/mx.html
accès le 24 août 2009.
10
Laura Carlson, op. cit.
11
Alejandro Portes et Kelly Hoffman, “Latin American Class Structures: Their Composition and
Change during the Neoliberal Era, Latin American Research Review, vol. 38(1), 2003, pp. 41-
82; Shefner, op cit., p. 9.
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