Non, les exportations ne sont pas (et ne peuvent pas être) un bon

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Non, les exportations ne sont pas (et ne peuvent pas être) un
bon indicateur de santé économique
Le processus de mondialisation a accru considérablement l'interdépendance économique entre
les nations, au travers des flux de commerce et d'investissement. Le taux d'ouverture des
économies riches ainsi que celui des économies en développement, mesuré comme la somme
des importations et exportations relativement au PIB, a augmenté fortement depuis la fin de la
seconde guerre mondiale. Dans le même temps, la performance à l'exportation est devenue,
dans les médias, un indicateur phare de la santé économique d’un pays dans son ensemble. Le
débat public tend ainsi à se cristalliser autour des questions de compétitivité des entreprises
domestiques exportatrices, dans un environnement l'accroissement de la concurrence liée à
la mondialisation fait peser la « menace » d'une perte de parts de marché, un exercice devenu
traditionnel en France consiste à vanter le modèle allemand, beaucoup plus extraverti, avec un
tissu industriel composé de nombreuses PME très innovantes.
Cette idée, néo-mercantiliste, que de bonnes performances en termes d'exportation, et
l'existence d'un solde commercial excédentaire, sont le reflet de la bonne santé d'une
économie dans son ensemble, n’a pourtant aucune base économique. La théorie économique
nous enseigne en effet que la spécialisation et l'échange permettent d'accroître l'efficacité de la
production au niveau mondial et d'accroître le revenu des pays qui participent à l'échange
grâce à la possibilité de consommer des biens produits à l’étranger. Les performances en
termes d'exportation, ou le solde commercial, ne renseignent pas sur la santé économique
d’un pays.
Cette note vise donc à recentrer le débat, en replaçant la question des exportations à sa juste
place.
Exports, exports, exports
La France perd des parts de marché à l’exportation l’Allemagne en gagne depuis 2000.
Notre solde commercial est très déficitaire, alors que celui de l'Allemagne est resté
excédentaire. Est-ce aussi grave que cela en a l’air? Le « modèle » français doit-il être aligné
sur le « modèle » allemand sous peine de désertification industrielle de l’hexagone ? Cette
conclusion alarmiste, martelée à grand renfort de tribunes, a attiré plusieurs critiques, fondées,
qui ne touchent cependant pas au fond du problème, celui de la pertinence des exportations
comme indicateur de santé macroéconomique.
La vision alarmiste des performances comparées de la France et de l’Allemagne sur les
principaux marchés d'exportation est discutable. Le premier niveau de critique porte sur le
modèle de croissance extravertie de l’Allemagne, et en particulier sur les politiques de
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modération salariale appliquées depuis une dizaine d’année et ayant permis à l’Allemagne
d’augmenter la compétitivité prix de ses entreprises exportatrices, au détriment de sa
consommation intérieure. Le prix payé par les salariés allemands est important : la part des
salaires dans la valeur ajoutée allemande a diminué de 10 points de pourcentage depuis dix
ans. La stratégie allemande s'est donc soldée par une contraction de la demande interne,
forçant les entreprises domestiques à exporter davantage. Or il existe d'autres moyens
d'accroître la compétitivité des entreprises domestiques, au travers notamment des politiques
visant à accroître l'innovation et la compétitivité hors prix dans tous les secteurs, ou au travers
du développement et du partage entre entreprises des compétences spécifiques à l’exportation.
Un second niveau de critique se concentre sur la pertinence d’une telle stratégie au niveau de
la zone euro dans son ensemble. Si tous les partenaires européens de l’Allemagne adoptaient
eux aussi une stratégie de baisse des coûts salariaux, cela conduirait à une baisse de la
demande intérieure dans l'ensemble de l'Union, alors même que les pays européens sont les
principaux consommateurs les uns des autres. De plus, une baisse des coûts salariaux pourrait
conduire à une appréciation de l’euro, ce qui compenserait les gains de compétitivité-prix liés
à la baisse des coûts salariaux. Cette politique, efficace à l’export pour un pays, se révélerait
donc moins efficace si elle était appliquée dans l’ensemble de la zone euro.
Plus largement, les exportations représentent un mauvais indicateur de la « santé » d'une
économie. Accroître les exportations revient à accroître la production domestique vendue à
l’étranger, et donc non consommée par le pays lui-même. Si, à court terme, la hausse des
exportations peut prendre le relais d’une demande domestique atone, dans le cas de crises
économiques par exemple, dans le long terme, exporter davantage n’a pas de sens de manière
isolée, mais seulement de façon à pouvoir importer, et donc consommer, davantage. Un
excédent commercial réduit la consommation nationale aujourd’hui, et doit permettre
d’augmenter la consommation future. Présenter un excédent commercial n’apporte donc pas
de gain dans le long terme.
Un excédent à tout prix ?
Pourquoi alors focaliser le débat économique sur le niveau des exportations ? La théorie
économique montre que c'est l'abaissement des barrières aux échanges, et la hausse des
importations aussi bien que des exportations, qui permet d’allouer de manière optimale les
ressources au niveau mondial. Dans un environnement plus concurrentiel, cette nouvelle
allocation des ressources vers les secteurs et les entreprises les plus efficaces engendre alors
une hausse du revenu des pays participant à l’échange. En revanche, la théorie économique ne
trouve aucune logique à encourager spécifiquement les entreprises domestiques à exporter.
Ce résultat pourrait cependant être nuancé si le fait d’exporter encourageait les entreprises
domestiques à innover permettant alors d'accroître la productivité et le revenu domestique.
Dans quelle mesure cela se vérifie-t-il dans la réalité ? Les entreprises exportatrices sont plus
grandes et plus productives que les entreprises concentrant leurs ventes sur le territoire
domestique. Cela n’implique pas pour autant que le simple fait d’exporter les rende plus
efficaces. Les études réalisées sur le sujet à partir de données d’entreprises montrent en effet
que le fait d’exporter n’apporte pas de gains supplémentaires en termes d’efficacité. Chercher
à accroître spécifiquement les exportations ne permet donc pas d’accroître, in fine, le revenu
par habitant, contrairement aux déterminants traditionnels de la croissance comme
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l’investissement, l’accumulation de capital humain, l’innovation et l’adoption de nouvelles
technologies.
Si le fait de chercher à favoriser spécifiquement les exportations n’apportent aucun gain en
termes de revenu, il semble étrange de choisir le solde commercial comme l’un des
indicateurs « phare » de la santé d’une économie. Le solde commercial n’apporte qu’une
information très floue, et peut être le reflet de bons ou mauvais « fondamentaux » suivant les
circonstances. Ainsi, la plupart des économies développées ont dégagé depuis le début des
années 2000 des déficits commerciaux, à l'exception de l'Allemagne. Un creusement du
déficit commercial peut signifier à la fois une perte de compétitivité des entreprises
domestiques vis-à-vis des principaux concurrents étrangers, ou au contraire un très fort
dynamisme de la demande domestique associé à une croissance du revenu des ménages, ou
une croissance importante des investissements dans les secteurs productifs. Le fait de dégager
un déficit commercial à court ou moyen terme n'est donc pas, a priori, problématique dans la
mesure des investissements sont réalisés dans les secteurs à forts potentiels de croissance
en termes de productivité. Dans le cas des économies en développement, par exemple, les
importations de biens d'équipements doivent permettre un rattrapage technologique et peuvent
donc nécessiter un déficit commercial temporaire. Dans le cas des économies riches, une
demande interne très dynamique et une forte croissance des investissements peuvent conduire
à une situation similaire. A l’inverse, un excédent commercial peut aussi bien être le reflet de
gains de compétitivité que le résultat d'une demande très atone. L’évolution de productivité
permet, en revanche, de mieux prédire l’évolution du revenu d’un pays sur le long terme.
Les exemples de la France, du Royaume-Uni ou des États-Unis d'une part, et celui de
l'Espagne et de l'Irlande d'autre part, sont très illustratifs du caractère peu informatif des
statistiques de solde commercial dans le long terme. Ces cinq pays ont accru leur déficit
commercial, ou sont passés d'une situation d'excédent à celle de déficit au cours de la dernière
décennie. Cette tendance a été particulièrement marquée pour les États-Unis. Tous ces pays
ont connu, dans des proportions diverses, des bulles immobilières avant le déclenchement de
la crise, ces bulles absorbant dans le même temps une part importante de l'épargne
domestique n'étant pas dirigée vers des secteurs productifs. En termes de gains de productivité
sur le long terme, ces pays se distinguent encore davantage. Ainsi, la croissance annuelle de la
productivité est restée stable depuis 1995 pour le Royaume-Uni et les États-Unis (environ
1.5% par an), a légèrement baissé pour le France et l'Allemagne (environ 1% par an à partir
de 2001). Pour l'Espagne et l'Italie, la croissance annuelle de la productivité des facteurs a été
quasi nulle depuis 1995, voire négative en moyenne sur la période 2001-2007.
Le solde commercial nous renseigne sur les (dés)équilibres globaux
Comment peut-on interpréter le solde commercial dans les statistiques de balance des
paiements ? Dans un monde ouvert aux échanges de marchandises et de capitaux, le solde du
compte courant nous donne une indication sur la dépendance de l'économie domestique vis-à-
vis des investissements étrangers. Les territoires attractifs attirent une partie de l'épargne
étrangère sous la forme d'investissements directs, d'investissements de portefeuille ou de
prêts, ce qui leur permet d'accroître consommation et importations de biens ou services
étrangers. Ainsi, si les pays de l'OCDE ont dégagé depuis le milieu des années 1990, ou le
début des années 2000, des déficits du compte courant, ils ont également attiré un volume très
important de capitaux étrangers provenant notamment des économies en développement.
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Cette situation, caractérisée de « déséquilibres globaux», a alimenté de nombreuses
discussions quant à la « soutenabilité » de déficits commerciaux très importants dans les
économies développées. Plus généralement, il est admis qu'un creusement excessif du déficit
commercial peut conduire à une situation de très forte instabilité macroéconomique, lorsque
ce déficit est associé à de mauvais fondamentaux économiques, tels qu’une bulle du crédit,
une bulle immobilière, ou une inflation trop élevée.
Néanmoins, un chiffre de déficit commercial, seul, ne peut pas être interprété comme le
symptôme d'une mauvaise santé économique.
Les performances à l’exportation ou le chiffre du déficit
commercial ne fournissent qu'une information très partielle
sur la santé d'une économie dans son ensemble ; un même
niveau de déficit ou d’excédent commercial peut refléter des
situations complètement opposées. Seuls des indicateurs
économiques plus fondamentaux, comme la croissance de la
productivité ou la croissance du revenu par habitant,
permettent de jauger de la santé d’une économie.
Site Internet : www.ecolinks.fr
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