Entrevues
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Mais maintenant, je sens que j’ai un certain devoir, parce que je suis une
vieille sage.
A.S. Que pensez-vous du retour, depuis quelques années, de la
philosophie dans la sociologie québécoise?
N.G. Je ne suis pas contre ça. D’abord, elle a toujours eu une certaine
présence, dès mon époque. Dumont était, comme il dit, «sociologue par
métier, philosophe par vocation». Déjà, on avait un grand philosophe qui
était Dumont. La différence c'est que son enseignement était distinct de
son écriture. Quand il nous donnait des cours, évidemment, c’était
structuré par un regard philosophique, mais il nous a enseigné une
sociologie un peu positive, je dirais. Quand il a publié son livre de
sociologie intitulé Les idéologies, ce que je considère comme son livre où
toute sa pensée sociologique est rassemblée, j'ai été un peu estomaquée.
Il m’avait montré son manuscrit pour savoir ce que j’en pensais et c’était
des choses qu’il n’avait pas dites. Je ne reconnaissais pas dans le livre ce
qu’il enseignait dans ses cours sur l’idéologie. Ce n’était pas le contraire,
mais c’était différent. Maintenant, a posteriori, je conseille de lire ce
livre-là, car c’est là que se trouve la sociologie de Dumont.
Deuxièmement, je crois que Freitag par exemple, comme Dumont,
est un philosophe qui a fait de la belle sociologie. Dans ce qu’il enseigne,
moi j’ai retenu sa belle typologie des trois modes de reproduction.
Cependant, je n’aime pas tellement quand les étudiants se mettent à
raisonner avec des concepts philosophiques. Quand on parle d'ontologie,
par exemple, je suis obligé de traduire dans des concepts plus
positivistes. Par ailleurs, j’ai aussi pour principe que la sociologie est
œcuménique. Il y a des étudiants qui font des thèses philosophiques,
d'autres qui font des thèses gestionnaires, d'autres qui font des thèses
psychologiques... on prend tout, on n’est pas regardant, on accepte tout.
A.S. Pensez-vous que la philosophie découle de la sociologie?
N.G. Non. Il y a une belle phrase – que disait Dumont – selon laquelle le
philosophe, parce qu’il a un regard singulier, voit les choses avant le
sociologue dans la réalité. Après, il abandonne ces thèmes à la science.
La sociologie, si l’on veut faire la distinction avec la philosophie, c'est un
savoir plus objectif et plus positif que la philosophie. C’est le métier du
sociologue que d’apporter certaines raisons objectives plutôt que