Colloque international d’éthique biomédica le sur « Bioéthique et recherche scientifique :
problématique et perspectives »
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Communication du Pr Amadé BADINI
Professeur titulaire de philosophie
Université de Ouagadougou, UFR/SH
Département de philosophie et psychologie
«Regard critique, épistémologique des sciences biomédicales et de l’éthique »
En guise d’introduction
D’emblée, si l’on fait référence au sujet central de ce colloque international
d’éthique biomédicale consacré à « Bioéthique et recherche scientifique :
problématique et perspectives » d’une part, et à l’appartenance scientifique et
académique de ses éminents orga nisateurs et intervenants privilégiés d’autre part, je
serais tenté de me demander : «qu’est-ce que le philosophe va -t-il faire dans cette
galère ? »
Très vite, heureusement, je me suis ravisé en pensant non seulement à la
prétention de la philosophie en tant que forme particulière de la pensée humaine et à
sa responsabilité sociale, mais aussi à l’épistémologie « science qui pense la
science », et enfin et surtout à l’éthique dont on peut dire dès maintenant qu’elle
marque la limite humaine, pour ne pas d ire morale, qui s’impose à la science et aux
pratiques qu’elle inspire ou rend possible surtout quand elle s’intéresse ou s’applique
à l’homme. À cela s’ajoute le concept de biologie lui -même (qui partage avec
bioéthique et biomédicale la même racine « bio » signifiant la vie) qui depuis
l’Antiquité (cf Aristote) a hanté et continue de hanter la philosophie. On pourrait
même dire qu’il pourrait servir de paradigme d’analyse et de compréhension de
l’histoire de la philosophie, non seulement à cause de la div ersité des compréhensions
et réflexions auxquelles il a donné lieu, mais aussi et surtout si on l’applique
spécifiquement à l’homme (Stoïcisme, Épicurisme, Vitalisme, ...) .
C’est très certainement à partir de là et compte tenu des statuts controversés de
«l’homme »dans l’univers du vivant en général que, de manière implicite ou
explicite, le concept « éthique » s’est progressivement invité dans les réflexions sur la
science (et pas seulement la biologie), ses méthodes et ses applications humaines sur
l’homme.
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Il s’agira alors pour nous de réfléchir sur les dimensions éthiques de la
recherche scientifique en général, et de la recherche et des pratiques biologiques en
particulier, avant d’arriver à la bioéthique proprement dite comme préoccupation
actuelle de notre monde en mutation plus rapide que jamais.
I. Épistémologie des sciences biomédicales
Une science, quelle qu’elle soit, se définit par ses trois (3) topiques que sont :
son objet, sa méthode et la nature de ses conclusions. La connaissance scientif ique,
c’est-à-dire la vérité sur son objet est , malgré les apparences, l’objet d’un consensus
entre les hommes dits spécialistes qui s’adonnent à l’étude de l’objet de ladite
science : un accord entre des esprits avisés, entre des hommes donc avec les attr ibuts
reconnus à notre humanité. La vérité scientifique est historique, donc culturelle et
même sociopolitique.
En effet, depuis Claude Bernard ( Introduction à la médecine expérimentale ) et
Gaston Bachelard (De la formation de l’esprit scientifique et La philosophie du non),
en passant par Jean Piaget ( Epistémologie des sciences humaines ), entre autres
œuvres, on est habitué à accepter l’idée que la science n’est jamais neutre et que ses
conclusions sont aussi loin d’être objectives qu’on le croit habituellement.
Même les mathématiques, considérées comme la science hypothético -
déductive, pleines de rationalité et se suffisant à la seule logique interne de son
raisonnement, n’échappent pas à cette réalité : les problèmes qu’elles s’attachent à
résoudre lui étant suggérés, voire imposés par les besoins et préoccupations
existentiels des hommes dans l’histoire et la géographie : n’importe qui ne posant pas
n’importe quelle question, n’importe où ni n’importe quand ! Et les réponses, fussent -
elles mathématiques ou purement rationnelles, ne manqueront pas d’être entachées
par les besoins, les réalités et les préoccupations du chercheur en tant qu’être social
engagé dans l’histoire et la culture ambiantes. Toutes les sciences, à ce propos, sont
« filles de leur temps », depuis la définition de leurs objets jusqu’à la nature et la
profondeur de leurs conclusions, sans oublier les moyens et caractéristiques de leurs
méthodes.
En nous intéressant tout particulièrement aux « sciences biomédicales », fille
cadette de la biologie, on pourrait s’apercevoir déjà que la « vie », et «l’être vivant »
ont connu et continuent de connaitre une diversité de sens et de significations, ainsi
que des compréhensions variées entrainant parfois des contradictions. Dès lors, peut -
on avoir une connaissance unique, durable et universelle d’une réalité elle -même
fluctuante et sujette à des interprétations différentes, voire opposées ? En effet, que
signifie « la vie » ? Qu’est-ce qu’un « être vivant » ? Des questions d’abord
philosophiques avant que d’être des objets de science appelée biologie.
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L’opposition classique entre la « vie » et la « mort », entre «l’être vivant »et
la « matière inerte » non seulement ne suffit pas pour tenir lieu de définition
acceptable et suffisante, de plus elle n’est ni sans équivoque, ni définitive. On se
surprend à se demander quelle est la limite entre ces notions, et si elle existe
vraiment, en quoi elle consiste pour peu qu’elle soit consistante. L’histoire de la
biologie depuis Aristote jusqu’à nos jou rs souffre de la complexité et des variations -
nuances plus ou moins fortes -que subit son objet. De même l’histoire de la
philosophie pourrait se conjuguer avec la diversité des sens reconnus au concept
« vie » (Descartes et l'idée de « l'homme machine ».
Au XVIIIè siècle, on a cru résoudre la difficulté en préférant au concept
« vie » celui de « vitalisme » qui, lui, serait sensé dissoudre à un moule unique les
trois catégories fondamentales de la vie (nutrition, locomotion et reproduction) avec
les catégories de la stabilité, du dysfonctionnement et de la crise qui sont tout aussi
données comme les caractéristiques du vivant, incluant ainsi la mort. (J. Monod,
Hasard et nécessité ; F. Jacob, La logique du vivant et G. Canguilhem, La
connaissance de la vie ).
Aujourd’hui, la question est loin d’être résolue. Pire, allons -nous dire, elle se
complexifie davantage avec cette réflexion de François ritier qui dit fort à propos
que « d’une certaine façon, c’est l’idéologie qui crée le biologique. » (Nouvel
observatoire des essentiels, « Les grands penseurs d’aujourd’hui », Hors série N°3, p.
46.) Il ne s’agit pas pour autant de nier les acquis fondamentaux de la science
biologique amassés depuis des siècles, ni de minimiser les connaissances dont
l’humanité dispose au sujet du vivant. Sauf que, ici plus qu’ailleurs et aujourd’hui, les
connaissances fournies par la biologie vèlent, paradoxalement, l’ignorance de
l’homme en la matière ; surtout quand il s’agit de la biologie humaine ayant l’homme
comme épicentre.
Avec cette multiplicité des sens du concept « vie » on peut comprendre
pourquoi les domaines de la biologie sont extensibles à l’infini : de la macrobiologie
on est arrivé aujourd’hui à la microbiologie (biologie moléculaire, …) avec le
paradoxe encore une fois, que les résultats de l’une ne complètent ni n’enrichissent
forcément ceux de l’autre. Pire les connaissances en microbiologie peuvent remettre
en cause les « vérités » jadis réunies par la macro -biologie, et vice-versa.
Cela n’est pas un mal en soi, dès lors qu’on admet avec G. Bachelard que la
science avance au rythme des « erreurs rectifiées », qu’elle a «l’âge de la
technique » et qu’elle entretient des liens ambigus et ambivalents avec des champs du
savoir humain qui lui parait raient contradictoires, voire hostiles épistémologiquement
tels que la magie, la religion, en un mot ceux relevant du domaine de
«l’irrationnel ».
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A ce sujet justement, qu'il nous suffise d'évoquer après la nécessaire précision
de son objet, la prétention souvent vaine de la science, (plus pour les sciences exactes
que pour les sciences humaines toutefois) d'être objective. L'objectivité des sciences,
qui suppose la distinction de l'objet par rapport au chercheur, (condition pour que
celui-ci le regarde « froidement »), la « décentration » (J. Piaget), la nécessité de
considérer le fait social comme une « chose », et d'être historien sans appartenir ni à
une époque, ni à une société ... reste une « valeur asymptotique ». Elle n'est jamais
réalisée totalement, et l'hypothèse, voie d'entrée de la recherche scientifique, est a
priori une « idée » (Claude Bernard) qui prend nécessairement en compte, justement
la dimension humaine, donc culturelle et socio -historique du savant.
Et quand on considère la liaison entre l'hypothèse (c 'est-à-dire la question
qu'on se pose ou qu'on pose à l'objet de la recherche) et la conclusion ( la vérité
provisoire à laquelle on parvient) en passant par l'expérimentation et le dispositif
technique disponible ... force sera de reconnaître - même péniblement - l'intimité qui
lie le savant à la vérité de sa découverte. L'origine historique, géographique et
politique des sciences (tant pour leurs apparitions et évolutions que pour les résultats
auxquels elles parviennent) confirme bien cette réalité. Il e n vaut de même pour la
technique qui n'est que l'opérationnalisation réussie d'une vérité scientifique établie
ou à découvrir.
Si, comme il en a été dit précédemment, les sciences qu’elles soient
« exactes » ou « humaines et sociales » sont interpellées, il demeure à l’évidence que
la biologie et les sciences biomédicales sont de loin les plus exposées dès lors
qu’elles s’intéressent à l’homme dans ses spécificités d’être vivant.
A ces « obstacles épistémologiques » classiques viendront s’ajouter ce qu’on
pourrait nommer « les précautions épistémologiques » à considérer, la « délicatesse »
spécifique des expérimentations à faire à leur sujet et les conclusions auxquelles elles
aboutissent dans leur mise en pratique. Et ce dans la mesure où il s’agit de l’h omme, à
la fois comme « objet » et « fin ».
Des questions qui, hier seulement, relèveraient de la magie, de la religion ou
simplement de l’irrationnel, deviennent des préoccupations des sciences exactes, et
leurs « objets » progressivement des « objets de laboratoires », donc soumis à
l’expérimentation scientifique : laboratoire de parapsychologie pour l’analyse des
rêves ; la métempsychose ; la question de savoir si par le cerveau, nous ne serions pas
des programmés pour croire ! Le positivisme d’A. Comt e plutôt que de succéder
aux stades théologique et métaphysique comme il l’annonçait, parait plutôt condamné
à cohabiter ou à coexister avec eux, dans une logique qui trahit la vanité du
« scientisme » qui ne révèle que la dimension idéologique de la scien ce. Surtout
quand celle-ci, en l’occurrence la biologie pour ce qui nous concerne actuellement, en
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plus de la complexité intrinsèque du concept de « vie », s’attaque à celui de
«l’homme »incommensurablement plus malaià définir déjà, puis à comprendre
ensuite.
Dès qu’on dépasse le statut controversé de l’homme dans l’univers du vivant
en général, (ce qui déjà n’est pas facile) on se retrouve nez à nez devant la quasi
impossibilité de dire ce qu’est «l’homme ». Celui-ci, tout en étant l’objet de la
biologie, apparaît cependant dans le règne du vivant et de l’animal, comme
essentiellement « singulier ». Singulier dans son essence (corps, âme ou esprit ; corps
+ âme intimement/corps âme ; esprit raison corps, sensibilité), singulier dans sa
« réalité » (être social ; être de langage, être de raison, être individuel, sans que
l’on puisse raisonnablement et définitivement établir une hiérarchie significative entre
ces éléments malgré leur apparente contradiction).
En effet, cette série de « singularités » par rapport aux autres êtres vivants et
aux animaux impose à l’esprit de déterminer ce qui le distinguerait fondamentalement
des autres êtres vivants par essence et définitivement : de son corps et de son esprit,
de son individualité et de sa social ité, de sa raison et de sa sensibilité lequel serait
prépondérant, initial et déterminant quand il s’agira de le définir ? Des acceptions
philosophiques, sociologiques, psychologiques, religieuses, voire métaphysiques de
l’homme, laquelle suffirait à s’i mposer à la biologie sans l’appauvrir, la naturer
jusqu’à rendre aberrantes ses conclusions ? Les questions initiales desquelles il
conviendrait de partir seraient : qu’est-ce que l’homme ? En quoi consiste son
« humanité » c’est-à-dire grosso modo, ce q ui le distinguerait des autres « animaux »?
Quoique d’essence philosophique, ces questions et surtout les réponses
auxquelles elles conduisent, irradient, orientent et déterminent la science biologique
et les biologistes eux -mêmes en tant qu’ils se confond ent, de gré ou de force,
consciemment ou non, avec l’objet de leurs études. La rigueur avec laquelle la
science cherche à déterminer son objet, l’objectivité de sa démarche et l’universalité
dont elle rêve pour ses résultats, manifestent à nos yeux, les fis majeurs qu’elle doit
relever particulièrement quand elle s’applique à l’homme. La problématique de
l’éthique des sciences biomédicales se trouve dès lors posée.
II. L’éthique de la recherche scientifique
À l’origine, l’identification des « obstacles épistémologiques » et la nécessité
de les relever méthodiquement pour le succès des sciences, résumaient ce qu’on
appellera plus tard l’éthique de la recherche scientifique . Elle se décline aux
considérations générales suivantes : reconnaître que l’object ivité en science n’est que
« relative » que la science ne connait pas tout ni tout de suite son objet ; que ses
conclusions sont provisoires (science à l’âge de a technique !) que «l’homme de
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