Phonologie du français contemporain : usages, variations, structures
Le comportement des liquides post-consonantiques finales montre une forte
variation inter-locuteur. Parmi les français régionaux, les cas extrêmes sont pro-
bablement ceux du français méridional, où les schwas finals sont traditionnelle-
ment réalisés, ce qui protège les liquides de l’élision, et le français antillais, où
le cas typique est la non-réalisation, ce qui suggère des entrées lexicales sans
schwa ni liquide (p. ex. /kat/, /tab/), comme en créole (p. ex. cr. kat ‘quatre’, tab
‘table’). Mais on constate aussi que (presque) aucun locuteur réel ne correspond
entièrement à ces cas prototypiques. Ce sont surtout les jeunes et les personnes
avec un niveau d’études élevé qui présentent un comportement plus proche
du français d’oïl (possédant des liquides variables, que l’on pourrait modeler
comme flottantes
4
), avec lequel ils se trouvent en contact. Ces grammaires de
production ‘mixtes’ posent un problème sérieux à la modélisation phonologique,
si l’on ne veut pas se contenter d’étiqueter ces différences de ‘variation libre’.
Le but de cet article est de trouver des régularités dans ces variations inter- et
intra-locuteur et de les expliquer.
L’analyse se base sur six enquêtes menées entre 2001 et 2004 dans le cadre
du projet Phonologie du Français Contemporain (Durand et al. 2002 ; Durand
et al. 2005 ; http://www.projet-pfc.net/) par l’auteur de cet article : les enquêtes
de Rodez et de Salles-Curan (Aveyron) pour le français méridional, l’enquête
de Guadeloupe pour le français antillais ainsi qu’une enquête de Paris pour le
français d’oïl ; de plus, les enquêtes sur les Aveyronnais et les Guadeloupéens
à Paris livrent des cas extrêmes de ‘mixité’ linguistique (pour les détails de ces
enquêtes, cf. Pustka 2007). Au total, 20 minutes de parole spontanée pour chacun
des 100 locuteurs analysés (de tous âges et de différents milieux sociaux) ont été
prises en compte, c’est-à-dire 33 heures d’enregistrements orthographiquement
transcrits et annotés selon le codage de PFC, qui note également si la consonne
précédant le schwa est produite ou non
5
. Les 4 314 liquides de ce corpus ont
été soumises à une analyse corrélationnelle. La quantité des données, largement
supérieure aux analyses précédentes, permettra de préciser et de consolider la
description du phénomène et d’affiner les explications.
L’analyse du corpus confirme, en effet, que l’élision des liquides est condi-
tionnée par le lexique (cf. Thurot 1883 ; Martinon 1913 ; Laks 1977 ; Dell 1977 ;
Pooley 1996 ; Armstrong 2001). L’objectif de cet article est d’explorer la systé-
maticité de cette variation lexicale. Il commencera par un passage en revue
épistémologique de l’importance du lexique en phonologie (section 2). Ensuite,
sera présenté l’état de l’art sur le conditionnement lexical de l’élision des liquides
4.
Je propose de postuler des liquides flottantes dans les cas d’absence de variations lexicales, quand la présence
ou l’absence de la liquide peut être prédite par des facteurs phonologiques (segmentaux et prosodiques) ainsi
que sociolinguistiques (fidélité à la graphie dans les registres élevés et les couches sociales favorisées).
5.
Pour une analyse plus détaillée, un certain nombre d’informations supplémentaires a été ajouté dans une
base de données Access, en particulier la nature de la liquide devant le schwa (/r/ ou /l/) et celle de l’obstruante
qui précède celle-ci (/p/, /t/, /k/, /b/, /d/ ou /g/).
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“LF_169” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2011/4/21 — 22:46 — page 20 — #20
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