Avis du clinicien sur le vieillissement de la thyroïde Avis du clinicien sur le vieillissement de la thyroïde. Service d’Endocrinologie Diabétologie Maladies Métaboliques CHU Gabriel Montpied - Clermont-Ferrand Philippe Thieblot Résumé Le vieillissement de la thyroïde s’accompagne de modifications de la structure et de la fonction thyroïdienne. Mais le plus souvent l’équilibre est obtenu et la TSH reste dans les valeurs de référence. De nombreuses études ont été faites pour déterminer la fréquence des dysthyroïdies chez la personne âgée. Les chiffres sont très variables et doivent être interprétés avec prudence en raison de l’hétérogénéité des populations étudiées souvent des sujets malades et de la variation dans l’apport iodé. L’hypothyroïdie est souvent plus fréquemment rencontrée que l’hyperthyroïdie mais surtout en raison de la grande fréquence des formes infracliniques de l’hypothyroïdie. Les formes patentes de dysthyroïdie sont souvent de présentation atypique chez la personne âgée. Les formes infracliniques présentent une difficulté de prise en charge particulièrement l’hyperthyroïdie. Les goitres plurinodulaires sont fréquents mais souvent peu évolutifs. Le cancer thyroïdien doit être dépisté tôt en raison d’un plus mauvais pronostic chez la personne âgée. Thyroïde / Maladie thyroïdienne / Age Correspondance : Philippe Thieblot Service d’Endocrinologie Diabétologie Maladies Métaboliques - CHU Gabriel Montpied – BP 69 – 63003 Clermont-Ferrand Cedex 604 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°9 Ph. Thieblot !Avec l’âge la structure thyroïdienne se modifie. L’échographie thyroïdienne témoigne pour le clinicien de ce vieillissement en objectivant la fréquence des dystrophies multi-nodulaires de la thyroïde après 65 ans [1,2,3], confirmant des données autopsiques en les sousestimant [4]. Les perturbations de l’auto-immunité thyroïdienne sont fréquentes. La physiologie thyroïdienne est elle aussi modifiée dans la plupart des études. Les maladies de la thyroïde augmentent en fréquence mais il n’y a pas de corrélation nette avec les modifications morphologiques et fonctionnelles liées à l’âge [5]. La prédominance féminine persiste [3]. De plus, les différents signes des maladies thyroïdiennes prennent souvent un aspect particulier. Nous allons voir en détail ces différents points. LES MODIFICATIONS DE STRUCTURE ET DE FONCTIONS DE LA THYROÏDE AVEC L’ÂGE L’examen histologique [3,5] !Il met en évidence une dilatation des follicules, l’apparition de kystes colloïdes, la présence de micro-follicules et d’infiltrats lympho-plasmocytaires et de fibrose tion sanguine reste le plus souvent dans les valeurs de référence. - Diminution de l’activité 5’ désiodase mais conservation d’une production satisfaisante de T3 chez la personne âgée non malade. - Diminution de la concentration nucléaire de T3 par diminution des récepteurs et de leur affinité. Mais il faut tenir compte de la population étudiée, beaucoup de sujets âgés ayant des maladies ou des médications pouvant altérer la fonction thyroïdienne [1,3,5]. Il faut tenir également compte de l’apport iodé de la région étudiée. De toute façon la TSH, le paramètre le plus fiable d’appréciation de la fonction thyroïdienne, reste le plus souvent dans les valeurs de référence [2]. Les processus auto-immuns sont accentués avec l’âge dans certaines études !Mais il n’y a pas toujours de lien entre le taux des anticorps et la présence de dysthyroidie patente [2,3,6]. De plus des études plus précises mettent en évidence une différence entre sujets âgés non malades, notamment des centenaires chez qui le taux des anticorps anti-thyroïdiens est plus faible par rapport à des sujets âgés malades hospitalisés ou des sujets plus jeunes [6], ainsi l’étude de Magri F [7] montre la présence d’anticorps anti-thyroïdiens chez 4,16% de centenaires contre 10,4% de sujets âgés de plus de 65 ans et 13,5% de sujets plus jeunes. LES DYSTHYROÏDIES DU SUJET ÂGÉ De nombreuses fonctions de la thyroïde sont modifiées [2,3,5] Epidémiologie - Diminution de la clairance rénale de l’iode. - Diminution de la clairance thyroïdienne. - Diminution modérée de la production de thyroxine, mais la concentra- !L’estimation de la fréquence des dysthyroïdies est variable d’une étude à l’autre en raison de l’hétérogénéité des populations étudiées [8]. Une des constatations la plus fréquente est le grand nombre de for- Médecine Nucléaire - mes frustes aussi bien pour l’hyper que pour l’hypothyroïdie [1,8]. Les différentes études : 1) Etude Française - Steinmetz et al. [9] rapportent les résultats d’une étude multicentrique réalisée dans 11 centres de santé où 4403 femmes entre 45 et 70 ans ont été examinées, 2235 de 55 à 70 ans et 469 de 65 à 70 ans. Un dosage de TSH a été pratiqué. La médiane de TSH est non modifiée par l’âge. Les maladies thyroïdiennes mises en évidence dans la tranche d’âge 65-70 ans sont : hyperthyroïdie (TSH < 0,3 mUI/L) 1,8%,TSH > 4 : 4%. - Etude en Limousin, Teissier et col. [10] : 102 patients hospitalisés âgés de plus de 65 ans, avec un âge moyen de 81,7 ± 7,3 années (65 à 101 ans), 3,9% d’hypothyroïdie, 3% d’hyperthyroïdie. Aucun cas masculin. Mise en évidence d’anomalies morphologiques, goitres ou nodules dans 31,4% des cas avec une grande prédominance féminine. 2) A l’étr ang er l’étrang anger - L’étude WICKHAM : 7,5% de femmes ont une hypothyroïdie infraclinique [9] pour 17,5% d’hypothyroidie patente chez la femme, 3,5% chez l’homme [2]. - ROSSES Study [11] : 1544 femmes adultes dont 544 > 50 ans : hypothyroïdie patente 8,6%, hypothyroïdie infraclinique 0,9% (double des chiffres du reste de l’Irlande), hyperthyroïdie patente 1,8%, hyperthyroïdie infraclinique 3,2%. - Flynn RWV et col. [12] ont recherché rétrospectivement le nombre de personnes traitées pour dysthyroïdie dans la région du TAYSIDE en Ecosse. Les résultats sont les suivants : incidence pour 1000 personnes par an . Hyperthyroïdie : hommes - 60 à 69 ans : 0,27, 70 à 79 ans: 0,29, au dessus de 80 ans : 0,45 . femmes - 60 à 69 ans : 1,12, 70-79 ans : 1,29, au dessus de 80 : 1,05. L’incidence de l’hypothyroïdie est de : Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°9 605 Avis du clinicien sur le vieillissement de la thyroïde - hommes – 60 à 69 ans : 1,78, 70 à 79 ans : 2,69, plus de 80 : 4,85 - femmes – 60 à 69 ans : 9,06, 70 à 79 ans : 8,84, au delà de 80 ans : 4,98 En comparaison, l’incidence de l’hyperthyroïdie est identique à la WICKHAM Survey, inférieure à une étude danoise citée par les auteurs. Pour l’hypothyroïdie, l’incidence est plus forte que dans la WICKHAM Survey et dans l’étude danoise. La différence en apport iodé pourrait être une explication, les zones avec un bon apport iodé ont plus d’hypothyroïdie que les zones de faible apport iodé qui ont plutôt plus d’hyperthyroïdie. - Etude de FRAMINGAM [2] : 4,4% de TSH > 10 mUI/L. Ainsi dans la majorité des études l’hypothyroïdie prédomine sur l’hyperthyroïdie mais surtout en raison de la fréquence des formes infracliniques de l’hypothyroïdie. PATHOLOGIES Les formes patentes !Elles se présentent souvent de manière atypique [1,2,3,5,8,13]. L’h yper th yr oïdie ’hyper yperth thyr yroïdie Des troubles confusionnels, de l’anorexie avec altération de l’état général, une apathie paradoxale, des troubles du rythme, sont plus souvent l’occasion de découvrir une hyperthyroïdie que chez un sujet plus jeune. L’h ypoth yr oïdie ’hypoth ypothyr yroïdie On enregistre plutôt moins de plaintes chez le sujet âgé hypothyroïdien alors que les signes sont présents [8], mais ces signes sont peu spécifiques comme la fatigue, la prise de poids, la constipation, la frilosité, l’altération des phanères, la surdité. 606 Les formes frustes ou infracliniques [1,2,3,5,8,13] !Elles sont définies par un taux normal de T4 et de T3 et un taux anormal de TSH. Elles soulèvent de nombreux problèmes, particulièrement de prise en charge thérapeutique. L’h yper th yr oïdie infr ac linique ’hyper yperth thyr yroïdie infrac aclinique Elle est définie par une T4 libre et une T3 libre normales,une TSH inférieure à 0,1 mUI/L. L’hyperthyroïdie infraclinique est liée à une plus grande mortalité chez les personnes âgées malades [14]. Le risque majeur est l’apparition d’un trouble du rythme cardiaque qui est multiplié par 3 [3,5,8]. Une discrète augmentation de l’épaisseur du ventricule gauche a été mise en évidence. La possibilité d’un retentissement sur la densité osseuse est très discutée et varie d’une étude à l’autre. Par contre, il n’y a aucun argument pour une augmentation du taux de fractures [8]. Le risque de passage à une hyperthyroïdie patente a été peu évalué mais le risque est grand, de 6 à 30% sur 2 à 4 ans [8]. Mais la TSH peut aussi se normaliser [8]. Les causes des hyperthyroïdies sont les mêmes que chez les sujets plus jeunes mais dans des proportions différentes. L’adénome toxique et surtout le goitre plurinodulaire toxique sont : - soit plus fréquents que la maladie de Basedow [2,5], - soit la fréquence du goitre plurinodulaire est augmentée par rapport à la maladie de Basedow qui prédomine largement chez le sujet jeune [8]. A noter l’augmentation de fréquence des hyperthyroïdies avec surcharge iodée particulièrement liée à des médicaments comme la Cordarone surtout chez l’homme. Le traitement de l’hyperthyroïdie infraclinique est basé sur les mêmes traitements que l’hyperthyroïdie patente : anti-thyroïdiens de synthèse, chirurgie, iode 131. A l’âge de ces patients l’iode 131 est souvent la première thérapeutique Médecine Nucléaire - proposée, la chirurgie étant à réserver à des cas particuliers. Chez les personnes très âgées refusant tout traitement radical, un traitement par de petites doses d’antithyroïdien de synthèse au long cours peut être envisagé. ypoth yr oïdie infr ac linique L’h ’hypoth ypothyr yroïdie infrac aclinique Elle est définie par une T4 libre et une T3 libre normales et une TSH supérieure à 4,5 mUI/L. La nécessité d’un éventuel traitement dépend des conséquences éventuellement délétères de cette situation clinico-biologique. Les avis sont divergents. Mais un certain nombre d’études mettent en évidence les données suivantes : - Risque de passage vers une hypothyroïdie patente, surtout chez les patients ayant une positivité des anticorps antithyroperoxydases [8]. - Présence de facteurs de risque cardiovasculaire. - Elévation du taux du LDL cholestérol - Elévation du taux de l’homocysteinémie. - Dysfonction endothéliale accentuée. - Mais les chiffres de ces modifications sont souvent modestes. - Enfin risque de dépression, perte de mémoire, polyneuropathie Les causes des hypothyroïdies chez le sujet âgé sont les mêmes que chez le sujet plus jeune. La thyroïdite chronique auto-immune de Hashimoto est largement prédominante [1,2,5]. Puis viennent les causes médicamenteuses : iode, lithium, interféron plus rarement. Un traitement peut être envisagé dans les circonstances suivantes : - TSH > 10 mUI/L - Présence d’anticorps antithyroperoxydases - Présence d’un goitre - Des signes cliniques à minima comme une fatigue. Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°9 Ph. Thieblot Le traitement est institué progressivement en évitant une surcharge thérapeutique qui serait particulièrement délétère à cet âge, avec une surveillance clinique, biologique et électrocardiographique renforcée. Un dosage de TSH est nécessaire, éventuellement une cytoponction, le plus souvent une surveillance est mise en route. Les cancers sont classiquement plus agressifs avec l’âge pour les cancers différenciés [15] mais le traitement substitutif et freinateur après le diagnostic de cancer ne peut pas toujours être adapté au mieux car une TSH très basse peut être contre-indiquée en raison d’une maladie cardiovasculaire [1]. Une diminution des doses optimales thérapeutiques est souvent mise en évidence chez le sujet âgé mais ceci n’est pas constant et nécessite une adaptation individuelle. Si aucun traitement n’est mis en route, un dosage de TSH est pratiqué à 6 ou 12 mois [3]. A noter le redoutable mais rare cancer anaplasique qui ne survient que chez les personnes âgées. Les pathologies nodulaires et cancers de la thyroïde chez le sujet âgé [1,5] Les lymphomes sont un peu moins rares que chez les sujets plus jeunes. !La découverte d’un goitre pluri-nodulaire est fréquente chez le sujet âgé. Par contre, pour les cancers différenciés, les nodules ou les goitres, leur récidive, après chirurgie, n’est pas supérieure [16]. Il s’agit souvent d’un goitre anciennement présent et peu évolutif car l’apparition de nouveaux nodules est moins fréquente avec l’âge [5] EN CONCLUSION Avec l’âge, la morphologie, la fonction thyroïdienne se modifie. Il n’y a souvent pas de corrélation entre les modifications et l’apparition des maladies thyroïdiennes. La fréquence des maladies thyroïdiennes après 65 ans est très diversement appréciée en fonction des populations observées et des lieux d’observation. Les données qui ressortent le plus souvent sont : - l’atypie des présentations cliniques des maladies thyroïdiennes - la fréquence des formes infracliniques. Le traitement des maladies thyroïdiennes après 65 ans doit donc être individualisé et réservé aux patients ayant des risques importants liés à ces maladies thyroïdiennes [13]. Clinical advice on thyroid ageing Structural and functional thyroid modifications are observed with ageing. But an equilibrium is more often reached and TSH is maintained within its normal limits. Many studies have been performed to determine the frequency of thyroid diseases in the elderly. Figures are variable and must be interpreted with caution on account of population heterogeneity and variations in iodine supply. Hypothyroidism is more frequent than hyperthyroidism mostly because hypothyroidism generally remains sub-clinical. Thyroid disease is often clinically atypical. Multinodular goiter are very frequent but slowly progressive in elderly. Thyroid cancer must be diagnosed early because its prognosis becomes worse with ageing. Thyroid / Thyroid diseases / Ageing Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2005 - vol.29 - n°9 607 Avis du clinicien sur le vieillissement de la thyroïde RÉFÉRENCES 1. Habra M, Sarlis NJ. Thyroid and aging. Reviews in Endocrine & Metabolic Disorders 2005;6:145-54. 2. Hornick TR, Kowal J. Clinical epidemiology of endocrine disorders in the elderly. Endocrinol Metab Clin North Am 1997;26;14563. 3. Schlienger JL, Goichot B, Grunenberger F, Sapin R. Fonction et dysfonctions thyroïdiennes des personnes âgées. Rev Med Interne 1996 ;17 :653-60. 4. Püllen R, Hintze G. Size and structure of the thyroid in old age. J Am Geriatr Soc 1997;45(12):1539. 5. Frankart L, Van Nes MC. La thyroïde du sujet âgé.Annales d’Endocrinologie (Paris) 1998 ;59 :59-66. 6. Pinchera A, Mariotti S, Barbesino G, Bechi R, Sansoni P, Fagiolo U et al. Thyroid autoimmunity and ageing. Horm Res 1995;43:64-8. 7. 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