
française : le fou est un citoyen, et en tant que tel, le médecin peut
l’aider ; il est ainsi libéré des prisons et des culs de basse fosse dans
lesquels il croupissait antérieurement sur la seule action d’une lettre de
cachet ; le désormais malade mental a le droit d’être soigné dans une
tentative de compréhension humanisante, par un traitement moral qui
repose sur une position philosophique révolutionnaire. Mais cette
position pionnière, éclairée différemment par Foucault
, par Gauchet
et Swain
, et plus récemment par Laure Murat
, tenant en grande partie
au charisme de ses deux premiers fondateurs, se dévoiera peu à peu
dans une réforme centrée par Esquirol sur les espaces dédiés aux
désormais malades mentaux, au détriment de l’art de les habiter avec
humanité. La loi de 1838 commence par cette fondation : « Il est créé
dans chaque département un asile d’aliénés
», traduction législative
de la pensée opératoire d’Esquirol pour qui ce nouvel espace constitue
« un instrument de guérison à la condition d’être gouverné par un
médecin habile »…Une fois passées les quelques années de la lune de
miel consécutive à cette réalisation oblitérant le caractère relationnel
que l’utopie du traitement moral portait en elle, et minéralisant ses
potentialités libératrices dans les désormais célèbres « murs de
l’asile », l’expérience a montré que sans l’inspiration qui guidait les
premiers philosophes-psychistes, cette projection de la folie dans des
lieux médicalisés, était purement et simplement vouée à échouer sur le
roc de l’inconnue transférentielle. Dans l’après coup nous avons
compris que sans l’invention freudienne réhabilitant le monde des
névroses, et permettant la découverte de ce levier puissant du transfert
pour mieux approcher la présence de l’infantile dans l’actualité de son
rapport au monde de l’intersubjectivité, le piège de l’aliénation
mentale ne pouvait être déjoué sans le recours obligé à la
surdétermination inconsciente. Cette première étape ne répondait que
partiellement aux questions posées par les destins entropiques
asilaires, dans le mesure où les transferts de personnes névrosées
n’avaient que peu à voir avec ceux des personnes psychotiques,
Didier, M., Dans la nuit de Bicêtre, Paris, Gallimard, 2006.
Foucault, M., Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1971.
Gauchet, M., Swain, G., La pratique de l’esprit humain, Gallimard, Paris, 1980.
Murat, L. L’homme qui se prenait pour Napoléon, Gallimard, Paris, 2011.
Article 1 de la Loi du 30 juin 1838.