Nouvelle étud e Étude SHIVA Essai de phase II randomisé de preuve de concept comparant l’efficacité d’un traitement fondé sur le profil moléculaire de la tumeur à celle d’un traitement conventionnel chez des patients atteints d’un cancer métastatique réfractaire Investigateur/coordinateur : Dr Christophe Le Tourneau, oncologue médical responsable des essais de phase I et de l’unité d’investigation clinique, Institut Curie, Paris. R eplaçons l’étude SHIVA dans son contexte avant de rentrer dans le vif du sujet. Il existe plusieurs modalités thérapeutiques pour le traitement du cancer, parmi lesquelles la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hormonothérapie et les thérapies ciblées. À la différence des chimiothérapies, qui détruisent grossièrement toutes les cellules en division, les thérapies ciblées ne sont censées être efficaces que lorsque leur cible est exprimée. Il s’agit souvent d’une anomalie moléculaire présente au niveau de la cellule tumorale ou de son environnement. Bien que ce soit la présence ou l’absence de l’anomalie moléculaire qui soit théoriquement importante pour prédire l’efficacité des thérapies ciblées, ces médicaments ont suivi le même développement clinique que les chimiothérapies, c’est-à-dire organe par organe. Ainsi, le trastuzumab, anticorps monoclonal ciblant HER2 (Human Epidermal growth factor Receptor 2), est approuvé chez les patientes qui ont un adénocarcinome mammaire et présentent une surexpression protéique ou une amplification génique de HER2. De la même manière, l’erlotinib est un inhibiteur de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) approuvé dans le traitement du cancer bronchique chez Tableau. Algorithme de choix des traitements dans l’étude SHIVA. Anomalies moléculaires Thérapies ciblées KIT, ABL, RET Imatinib AKT, mTORC1/2, PTEN, PI3KCA, YES, STK11 Évérolimus BRAF Vémurafénib PDGFRA/B, FLT-3 Sorafénib EGFR Erlotinib HER2 Lapatinib + trastuzumab SRC, EPHA2, LCK, YES Dasatinib ER, PR Tamoxifène (ou létrozole si contre-indication) AR Acétate d’abiratérone AR : récepteur aux androgènes ; ER : récepteur aux estrogènes ; PR : récepteur à la progestérone. 182 les patients dont la tumeur présente une mutation de l’EGFR. Il y a ainsi un certain nombre d’anomalies moléculaires pour lesquelles il existe des thérapies ciblées. Cependant, ces différentes anomalies moléculaires ne sont testées que dans certains types tumoraux particuliers, alors qu’elles sont présentes dans quasiment tous les cancers, même si parfois leur incidence est faible. La question qui se pose alors est la suivante : est-il pertinent de développer les thérapies ciblées en fonction de la localisation tumorale, comme cela est fait pour les chimiothérapies ? Ne faudrait-il pas les développer sur la base de la biologie de la tumeur ? Cette stratégie est ce que l’on entend par médecine personnalisée : un traitement spécifique pour chaque patient fondé sur le profil moléculaire de sa tumeur. Elle représente un nouveau paradigme. Mais encore faut-il démontrer que la prescription d’une thérapie ciblée basée sur le profil moléculaire de la tumeur des patients améliore leur devenir. C’est l’objectif de l’étude SHIVA. SHIVA est un essai clinique de phase II de preuve de concept. SHIVA s’adresse à des patients atteints de tous types de cancers métastatiques réfractaires aux traitements standard. Les traitements standard sont les 1 ou 2 premières lignes de traitement dont l’efficacité a été démontrée. En pratique clinique, d’autres traitements sont proposés après ces traitements standard, sans pour autant que nous ayons la preuve qu’ils améliorent le devenir des patients, même si une certaine efficacité a été rapportée. L’essai SHIVA vise à comparer l’efficacité (en termes de survie sans progression) d’un traitement fondé sur le profil moléculaire de la tumeur et du traitement conventionnel que l’on donne habituellement dans ces situations. Cet essai est promu par l’Institut Curie. En plus des sites de Paris et de Saint-Cloud, 6 autres centres de lutte contre le cancer participeront, dont Lyon, Marseille, Nantes, Toulouse, Dijon et Nancy. D’autres ouvriront ultérieurement à l’issue de la phase de faisabilité. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 Étude SHIVA L’essai SHIVA est rendu possible aujourd’hui par l’évolution des techniques d’analyse à haut débit qui permettent d’établir un profil moléculaire en un temps compatible avec la pratique clinique et pour un coût raisonnable. Les thérapies ciblées proposées dans le cadre de l’essai ne sont que des thérapies ciblées déjà approuvées dans d’autres types tumoraux (tableau). D’autres thérapies ciblées pourront être incluses dans l’essai au fur et à mesure que des autorisations de mise sur le marché seront obtenues en France. En effet, les patients inclus dans SHIVA ayant un cancer réfractaire aux traitements standard auront déjà reçu les thérapies ciblées approuvées pour leur cancer. SHIVA a reçu les autorisations des comités de protection des personnes (CPP) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et a démarré au début du mois d’octobre à l’Institut Curie. Au début du mois de décembre, 50 patients étaient inclus. En pratique, un premier consentement est demandé au patient afin de réaliser la biopsie d’une métastase (figure). Les prélèvements sont adressés aux différentes plateformes pour la recherche des mutations par séquençage (AmpliSeq™ 46 sur Ion Torrent™) et des amplifications (CytoScan® HD). L’expression des récepteurs aux estrogènes, à la progestérone et aux androgènes est déterminée par immuno­ histochimie. Un compte-rendu intelligible est alors émis par la bioinformatique et discuté lors d’un staff de biologie moléculaire qui rassemble par téléconférence les personnes des plateformes, les chercheurs spécialistes des voies de signalisation impliquées et les investigateurs des centres. Le rôle de ce staff de biologie moléculaire est de hiérar­ chiser les anomalies moléculaires et de déterminer s’il existe une thérapie ciblée correspondante, ce qui devrait être le cas pour au moins 20 % des patients. Le choix de la thérapie ciblée est basé sur l’algorithme présenté dans le tableau. Un second consentement est alors remis au patient pour qu’il participe à la partie thérapeutique. Un tirage au sort est réalisé entre thérapie ciblée basée sur le profil moléculaire de la tumeur et chimiothérapie conventionnelle. La thérapie ciblée basée sur le profil moléculaire de la tumeur est proposée à progression aux patients randomisés dans Patient réfractaire aux traitements standard Consentement éclairé SHIVA : essai de phase II randomisé de preuve de concept comparant l’efficacité d’un traitement orienté à partir du profil moléculaire de la tumeur à celle d’un traitement conventionnel chez des patients atteints d’un cancer réfractaire (investigateur principal : Christophe Le Tourneau) Biopsie tumorale + prélèvement sanguin Séquençage + CytoScan® HD + immunohistochimie Profil moléculaire Patient non éligible NON Staff de biologie moléculaire Thérapie ciblée approuvée pertinente Consentement éclairé R Patient éligible Thérapeutique moléculaire ciblée basée sur le profil moléculaire Chimiothérapie cytotoxique au choix du médecin référent Cross-over OUI Figure. Déroulement de l’étude SHIVA. le bras chimiothérapie conventionnelle. Afin que la population des 2 bras de traitement soit comparable, l’essai est stratifié sur le pronostic des patients en utilisant le score du Royal Marsden Hospital (RMH) ainsi que sur la voie de signalisation altérée. Les patients pour lesquels aucune anomalie moléculaire correspondant à une thérapie ciblée proposée dans le cadre de l’essai n’a été identifiée peuvent être orientés vers des essais de phase I/II évaluant des molécules innovantes correspondant aux autres anomalies moléculaires identifiées, si tel est le cas. SHIVA est le premier essai randomisé incluant des patients atteints de tous types de tumeurs solides. Si l’essai est positif, il apportera la preuve qu’il faut changer le paradigme de traitement des cancers et ne plus développer les médicaments par localisation tumorale mais bien en fonction de la biologie propre de la tumeur de chaque patient. C’est seulement à partir de ce moment-là que l’on aura vraiment franchi le pas vers la médecine personnalisée. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. I - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2012 C. Le Tourneau 183