12 | Mercredi 18 avril 2012 | Le Quotidien Jurassien
MAGAZINE santé } Cette page Magazine santé
est réalisée en collaboration
avec l’Hôpital du Jura et le
Service cantonal de la santé
publique.
«On ne ferme la porte à personne aux urgences»
surprendre, explique la jeune
femme. Dans ce domaine, il
est très difficile de savoir ce
qui se passe vraiment et d’agir
en conséquence. Une fois
qu’une victime se déclare, les
choses sont souvent plus gra-
ves qu’on ne l’imagine.»
Lorsqu’on l’agresse verbale-
ment, Claudine a appris à gar-
der son calme. Et si la situa-
tion devient intolérable, elle
sait qu’elle peut compter sur
ses collègues. Car aux urgen-
ces, «on ne ferme la porte à
personne et on travaille tou-
jours en équipe». PF
té, ces épouses cassées par les
coups du mari. «En tant que
femme, je supporte mal de
voir qu’une femme se laisse
violenter. Le pire, c’est que je
n’ai pas le droit de dénoncer la
chose si elle ne le veut pas…
Parfois, je me sens prise entre
l’ange et le démon.» Toujours
dans le dialogue et l’instaura-
tion d’un rapport de confian-
ce, Claudine se montre alors
patiente, écoute ce qu’une vic-
time voudra bien lui dire, lui
propose une aide adaptée.
«Souvent, la violence n’est
pas on croit et on se fait
Claudine Moser,
infirmière-ambulanciè-
re aux urgences
de Delémont, évoque
la violence dans
son métier
Dynamique, Claudine Mo-
ser n’est pas du genre à se lais-
ser faire. Un tempérament
sans doute utile dans sa pro-
fession d’infirmière au service
des urgences de l’Hôpital du
Jura. Lorsqu’on lui parle de
violence, la jeune femme pen-
se directement à celle qu’elle
voit chez les autres, ces pa-
tients «abimés» par la brutali-
La violence, parasite nocif des urgences
V
HÔPITAL Dans un service d’urgences, la violence, sous ses formes les plus diverses et pernicieuses,
est fréquente. Tour à tour, citoyens et personnel soignant peuvent en être victimes
Depuis le début de l’année, une quinzaine de femmes sont venues aux urgences pour coups et blessures. Elles ne représentent certainement que la partie émergée de l’iceberg et cachent toutes
celles qui n’ont pas le courage de parler.
souvent sur place pour voir si tout se
passe bien. Le plus difficile, c’est lors-
qu’un deuxième acteur du différend
arrive aussi aux urgences et que les
coups continuent dans nos locaux!
Là, nous sommes obligés d’intervenir
physiquement, voire de calmer médi-
calement un surexcité ou de l’enfer-
mer dans une pièce d’isolement spé-
cialement prévue à cet effet.
– Ces cas restent extrêmes, non?
La violence verbale dirigée
contre un membre précis du person-
nel ou envers le service en général
est de plus en plus fréquente et aiguë
dans les termes. Les urgences sont le
reflet de la société: si elle devient
plus violente et «tolérante» envers
les insultes, nous en supportons les
conséquences ici. Plusieurs fois par
semaine quelqu’un se fait agresser
verbalement dans le service. Les cas
de violence physique envers le per-
sonnel sont, fort heureusement,
rares.
PEGGY FREY
ble de sa personne et consentant, l’en-
fant et sa famille ne peuvent refuser
une dénonciation en cas de violence.
Pour les hommes, si la brutalité
conjugale existe, elle est marginale.
Par contre, ils ne sont pas épargnés
par la violence morale. Mais c’est plus
à l’occasion de bagarres, souvent liées
à l’alcool, que nous les soignons aux
urgences. Dans ces cas-là, la violence
se tourne parfois vers le personnel
soignant lorsqu’ils arrivent à l’hôpital.
Comment gérez-vous un patient
violent aux urgences?
Pour réagir de la manière la plus
appropriée qui soit, tout le personnel
des urgences suit une formation sur
la gestion de la violence. Cet appren-
tissage lui permet de garder son
calme et d’agir le plus posément pos-
sible.
Nous pouvons aussi compter sur
l’aide de la police qui intervient sur
simple appel. Lorsqu’un patient est
amené par les services d’ordre suite à
une altercation, les policiers restent
reconnaissance de la violence est dif-
ficile à établir, même s’il y a séquelles
physiques.
Pour moi, une personne qui arrive
en burnout au service des urgences à
cause d’une pression professionnelle
trop importante subit aussi une vio-
lence cachée, professionnelle cette
fois.
Vous évoquez beaucoup la violen-
ce envers les femmes. Qu’en est-il de
celle dont sont victimes les enfants et
les hommes?
Repérer un enfant victime de vio-
lence est aussi compliqué. Une fois de
plus, la brutalité est souvent cachée
derrière une chute, une bagarre avec
un copain, ou autre excuse bancale.
Et, malheureusement, lorsqu’un en-
fant violenté arrive jusqu’aux urgen-
ces, la situation est souvent grave. Si
nous avons un doute sur le cas de l’en-
fant, nous faisons automatiquement
appel au médecin-pédiatre, qui déci-
dera de la suite à donner. Contraire-
ment à l’adulte, légalement responsa-
berg et cachent toutes celles qui n’ont
pas le courage de parler.
Le viol ou l’agression sexuelle sont
une autre forme de violence que nous
devons constater aux urgences par
des examens médicaux. Ces situa-
tions sont extrêmement pénibles
pour la victime, qui vit souvent cette
consultation comme une seconde
agression, et aussi pour le personnel
soignant tenu de faire l’examen.
La violence peut aussi être psychi-
que. Nous voyons des personnes vic-
times d’humiliation permanente, de
privation de liberté ou d’agression
verbale continue. Souvent, ce type de
victimes vient aux urgences et de-
mande à voir un psychiatre car elle se
sent peu en forme, fatiguée et un peu
dépressive. En la questionnant un
peu, il n’est pas rare de déceler une
violence morale à l’origine de ces
maux.
Certaines personnes malades s’au-
tomutilent. D’autres acceptent la vio-
lence dans certaines pratiques dé-
viantes, mais consenties. aussi, la
Violence. Derrière ce mot se
cache une multitude de bru-
talités allant de l’agression
verbale aux harcèlements
moral ou physique. Quatre syllabes
qui, du mot blessant au coup porté,
font mal.
Dans un hôpital, le service des ur-
gences, porte d’entrée des trois quarts
des admissions de malades, est parti-
culièrement exposé à la violence. Celle
subie par une personne venue se faire
soigner, ou celle endurée par le per-
sonnel médical ou soignant face à des
patients menaçants. Dans l’un ou l’au-
tre cas, cette violence reste intolérable
et doit être dénoncée. Rencontre avec
Frédéric Duplain, infirmier-chef du
service des urgences de l’Hôpital du
Jura.
Comment se définit la violence
dans un service d’urgences?
Frédéric Duplain: – De manières très
diverses, allant du spectaculaire à l’invi-
sible. Dans le cas d’une altercation phy-
sique, par exemple, une personne peut
venir ou être amenée chez nous parce
qu’elle a été victime de violence et doit
être soignée. Ce cas est le plus simple:
les choses sont dites et la raison du trau-
matisme clairement identifiée. Outre
les soins, notre travail est alors de
constater les coups et blessures et de fai-
re un rapport. Il peut être utilisé ou non
par le patient dans le cas de poursuites
judiciaires ou dans la constitution d’un
dossier de plainte.
Bien plus difficile à déceler, la violen-
ce est souvent cachée. Dans le cas d’une
agression sexuelle, de violence conjuga-
le ou familiale, la brutalité n’est pas for-
cément révélée. La victime peut avoir
peur des représailles, honte de sa situa-
tion… Il n’est pas rare qu’une personne
arrive pour une fracture soi-disant due à
une chute. Après examen, nous voyons
bien que la blessure se révèle être la
conséquence d’un coup. Il nous faut
alors être très prudents et ne pas brus-
quer encore plus le patient, essayer de
lui apporter de l’aide sans rien lui impo-
ser. Parfois, une personne violentée est
dans un tel déni qu’elle ne se sent
même plus victime.
Quels sont les cas de violence ca-
chée les plus fréquents aux urgences?
Malheureusement les cas de fem-
mes battues. Depuis le début de l’an-
née, elles sont une quinzaine à être ve-
nues directement pour coups et blessu-
res. Courageuses d’avouer leur situa-
tion, ces femmes ne représentent certai-
nement que la partie émergée de l’ice-
A l’Hôpital du Jura, le service des urgences est organisé en
trois unités sur les sites de Delémont, Porrentruy et Saigne-
légier. Au total, 58 professionnels travaillent directement
ou sont partiellement rattachés à ces unités de soins.
Il s’agit principalement d’infirmiers, dont plusieurs sont
diplômés en soins d’urgences ou ambulanciers, de méde-
cins internistes et de chirurgiens. «Selon la situation, nous
pouvons à tout moment faire appel à un autre spécialiste
de permanence», explique Fréderic Duplain, infirmier-chef
du service des urgences de l’Hôpital du Jura. Si une urgence
ne peut être traitée dans le canton, le patient est transféré
vers un autre hôpital, le plus souvent vers Bâle, Berne ou
Lausanne, selon la pathologie.
Chaque mois, 1000 personnes passent par le service des
urgences de Delémont, 500 à Porrentruy et une cinquantai-
ne à Saignelégier. A cela s’ajoutent encore, sur le site de
Delémont, près de 700 consultations en urgence de pédia-
trie et de maternité. Ces dernières années, dans le Jura
comme ailleurs, les courbes de sollicitation des urgences
sont en hausse. PF
FLes urgences à l’Hôpital du Jura
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