rapport avec les deux étants. Quant à la seconde, tout en affirmant un étant un, elle lui donne trois
noms différents qui semblent bien désigner des aspects différents ; quel est donc le rapport entre eux,
et en particulier qu’est-ce que l’être qui s’attribue à l’un et au tout ? Nous voyons bien là l’insuffisance
des théories « physiques » des présocratiques exclusivement matérialistes : c’est exactement
l’insuffisance que comble Parménide en interrogeant la notion même d’être, et par suite celle de un,
comme nous l’avons déjà vu dans le Parménide.
En ce qui concerne les contemporains, poursuit Platon, certains ne reconnaissent comme étants que les
corps (il les appelle les « Fils de la Terre ») et d’autres que les formes intelligibles et incorporelles (ce
sont les « Amis des Formes »). Platon, manifestement, ne s’inclut pas parmi ces derniers, contrairement
à ce qu’il avait exposé dans la République, où l’être était réservé aux idées et aux objets mathématiques,
tandis que les corps sensibles n’étaient que devenir. Plutôt qu’un changement de théorie (car dans des
dialogues postérieurs il maintiendra cette distinction), il faut y voir une double signification de « étant »,
l’une plus large, incluant tout ce qui est d’une manière quelconque, et l’autre plus stricte, réservée à ce
qui est de façon immuable. Toujours est-il que, pour concilier les deux thèses antagonistes, l’Étranger
propose une définition de l’étant qui convienne à tout : « est étant tout ce qui a naturellement une
puissance d’agir ou de subir », en admettant que, pour les formes, pouvoir être pensées est une
puissance de subir quelque chose.
La notion d’être s’applique ainsi à tout ce qui est en repos et à tout ce qui est en mouvement, et, en
menant l’enquête dialectique comme il se doit, c’est-à-dire au niveau des notions seules, on peut
commencer à réfléchir aux relations qu’entretiennent ces trois notions : être, mouvement, repos. Cette
science dialectique est annoncée emphatiquement comme suit :
« Puisque nous avons reconnu que les genres sont susceptibles de mélange entre eux de la même
façon, n’est-ce pas muni d’une certaine science que doit avancer parmi les discours celui qui veut
indiquer correctement quels genres s’accordent entre eux et lesquels sont incompatibles ; et en
particulier si certains les relient tous, les rendent capables de se mêler, et de même, dans les
divisions, s’il y en d’autres qui sont causes de la division parmi tous ? — Comment n’y faudrait-il
pas une science, et même peut-être la plus élevée de toutes ? — Comment allons-nous l’appeler
maintenant, Théétète ? Ne serions-nous pas, par Zeus, tombés à notre insu sur la science des
hommes libres, et ne risquons-nous pas, en cherchant le sophiste, d’avoir d’abord trouvé le
philosophe ? (...) Celui qui en est capable distingue suffisamment une seule forme distribuée
partout, à travers toutes les autres qui restent chacune séparée, et de nombreuses autres
différentes entre elles, qui sont rassemblées par une de l’extérieur, et de nombreuses enfin qui
sont totalement séparées : c’est là savoir distinguer, genre par genre, à quoi chacun peut s’associer
et à quoi il ne le peut pas. — C’est tout à fait ça ! — Et donc, ce pouvoir dialectique, tu ne
l’accorderas à nul autre, je pense, qu’à celui qui philosophe purement et justement. » (id., 253b-e).
Il apparaît très vite qu’aux trois premières notions il faut en ajouter deux, le même et l’autre, qui
partagent avec les premières le fait de constituer les « plus grands genres », car elles s’appliquent à
toutes les autres formes. En effet, toutes les formes participent à l’être, puisqu’elles sont ; et toutes elles
participent au même, puisque chacune est nécessairement même à elle-même ; toutes participent ou
bien au mouvement ou bien au repos (ici, l’universalité n’est atteinte qu’avec les deux)3 ; et enfin, dès le
moment où on en pose au moins deux, elles participent à la forme « autre », car elles sont autres entre
3 La forme, en tant que forme, est bien sûr toujours en repos, mais ce qu’elle désigne parmi les étants sensibles peut être en
repos ou en mouvement.