L’économie du partage : enjeux et opportunités pour la transition écologique Damien DEMAILLY, coordinateur du programme Nouvelle Prospérité, IDDRI L’IDDRI est une fondation rattachée à Sciences Po Paris qui travaille sur le développement durable et l’énergie. Depuis deux ans, l’IDDRI s’est intéressé aux nouveaux modèles économiques avec notamment le modèle de l’économie du partage. C’est un nouveau concept porteur d’une immense promesse pour la transition énergétique. Cette présentation résume rapport publié en juillet 2014 par l’IDDRI que chacun aura la possibilité de télécharger sur internet avec le lien suivant : (http://www.iddri.org/Publications/Collections/Analyses/ST0314_DD%20ASN_eco%20partage.pdf ) C’est quoi l’économie du partage ? Elle part d’une intuition assez traditionnelle selon laquelle les personnes sous-utilisent de nombreux biens. Trois exemples classiques sont donnés : la voiture qui passe 92% de son temps sur le parking sans rouler ; la perceuse qu’on va acheter et qui sert deux fois par an ; la poussette qu’on a acheté pour un premier enfant, qu’on conserve dans sa cave pour un possible deuxième enfant et qui finit par être inutilisée. Ce capital matériel est aussi un capital économique qui est gaspillé. A partir du moment où on considère ces biens comme un capital qu’on a investi, le fait d’optimiser ce capital est une double promesse : une promesse environnementale : réduction des déchets, réduction de l’énergie nécessaire à la production des biens matériels, voire réduction de l’énergie liée à l’usage de ces biens et une promesse économique et sociale : retrouver du pouvoir d’achat, donner accès à des biens de manière beaucoup moins chère. On s’est demandé comment on peut partager, augmenter la durée d’usage de tous ce produits. On peut distinguer deux catégories de façons de faire : le réemploi (tout ce qui permet de donner, de revendre, de troquer ces biens quand on n’en a plus besoin) et la mutualisation c’est-à-dire rester propriétaire d’un bien et le louer ou le prêter à une personne pour un temps limité. Aujourd’hui, lorsqu’on parle d’économie du partage, on évoque surtout des modèles économiques à usage numérique intensif qui reposent sur les plateformes internet. Une des plus connues est « Le bon coin » qui est un site marchand ; mais il existe aussi des sites de dons et de récupérations comme « Donnons.org » qui fonctionne pour la France, la Belgique, la Suisse et le Canada. Si on parle de location, on peut aller sur « Zilock » qui permet de trouver tout type d’objet pour un besoin ponctuel. Le site rassemble toutes les offres de location entre particuliers, mais aussi de partenaires professionnels de la location. Il y a également beaucoup d’initiatives sur internet pour pouvoir réemployer, mutualiser des biens comme « Monjoujou.com » où, au lieu d’acheter des jouets, il est possible de les louer pour une période donnée et de renouveler en permanence l’éventail de ce dont les enfants disposent. Même si on ne le dit pas, ces services n’ont fait que renouveler, à la faveur de l’existence d’internet, des pratiques préexistantes : l’autostop, les emprunts familiaux, les petites annonces de presse par exemple. L’économie du partage n’a pas de définition partagée En effet, on observe des définitions plus ou moins inclusives selon qu’elles se concentrent sur le partage de biens matériels, intègrent les échanges de services et de biens immobiliers, voire le partage de nourriture et l’habitat partagé, si ce n’est – dans son acception la plus large – le partage de tous les « communs» via des coopératives, des services publics, de la démocratie participative, etc.. Par ailleurs, les définitions peuvent être plus ou moins larges, acceptant ou non : les modèles « anciens » qui ont un recours limité au numérique (alors même que la frontière est mince et mouvante) ; les modèles en B2C (pour certains seules les pratiques entre particuliers relèvent de l’économie du partage) ; l’échange monétaire ou marchand : pour certains seules les pratiques non monétarisées mériteraient d’y être associées, ou les pratiques monétarisées gérées par des structures dont l’objectif prioritaire n’est pas le profit, comme les associations. Il apparaît que définir l’économie du partage n’est pas exempt de considérations de nature politique, et que les débats sur les définitions révèlent des « visions idéologiques » contrastées. Les différents modèles de l’économie du partage On distingue trois types de modèles de partage : le réemploi ; la mutualisation ; la mobilité partagée. En France, une étude du CREDOC basée sur la déclaration de particuliers nous révèle que la plupart des produits dont ils se « délaissent » ne sont pas jetés ou stockés, mais donnés, revendus. Ceci à l’exception des téléphones et de certains objets comme les ordinateurs sont souvent données à des proches ou à des associations. Un tiers des français utilisent des sites comme Le bon coin. La moitié des tonnes de produits réemployés le sont via des sites internet P2P (aujourd’hui, en terme de quantité de matière en tonnes, Emmaüs fait infiniment moins que Le bon coin ou Ebay). Cette pratique fait appel à la notion d’emprunt de courte durée ; elle est ancienne mais encore peu développée. Seuls 6% des français utilisent les plateformes internet pour emprunter des biens avec ou sans échanges monétaires. La faible diffusion des pratiques de mutualisation peut s’expliquer par le fait que tous les types de bien ne sont pas facilement mutualisables. Plus un objet est d’usage régulier, quotidien, moins la location ou l’emprunt de court terme sont des options pertinentes. L’auto- partage est une exception. La mutualisation est une pratique qui se situe entre la niche et la sortie de niche. Outre Zilok déjà évoqué, Kiwizz, lancé en 2013, met en relation des particuliers pour qu’ils puissent se prêter gratuitement des objets. La mobilité partagée Par mobilité partagée, on entend ici le partage de voiture individuelle, via des systèmes d’autopartage ou de covoiturage. Le second se distingue du premier et des modèles étudiés jusque-là en ce qu’il ne consiste pas à mutualiser un bien, un véhicule, mais plutôt un service, un trajet. Il ne s’agit pas de mieux utiliser un véhicule qui demeure trop souvent stationné, mais d’augmenter le taux de remplissage d’un véhicule. C’est néanmoins l’une des pratiques phares de l’économie du partage, souvent citée comme exemple type par ses promoteurs. La location courte durée de véhicules est un marché ancien mais c’est aussi un marché étroit : seulement 17% des français ont loué une voiture au cours de l’année écoulée et près de la moitié l’ont fait via une plateforme d’autopartage ou près d’un particulier. Les systèmes de location courte durée de voitures sont donc en plein renouvellement, les modèles alternatifs ayant de nombreux avantages, à commencer. Si les utilisateurs de ces formules sont encore peu nombreux, les perspectives de développement semblent fortes pour elles et pour le marché de la location en général. L’autopartage Les nouvelles pratiques de location courte durée de véhicules s’additionnent-elles ou se substituentelles aux systèmes anciens ? Intuitivement, on peut s’attendre à un remplacement des systèmes traditionnels. Mais, là encore, l’intuition mériterait d’être creusée. Et si ces systèmes alternatifs permettaient de répondre à une demande de mobilité à laquelle les acteurs traditionnels ne répondent pas (la très courte durée) ou ne peuvent pas répondre pendant les « pics de consommation » (le weekend ou les vacances) ? Et si l’avenir était plutôt à l’hybridation de ces modèles, à l’image du système d’auto-partage Zipcar racheté en 2013 par… Avis ? Notons par ailleurs que les constructeurs de voiture développent aussi des offres de partage : Peugeot a lancé son service de mobilité Mu permettant d’avoir accès au véhicule le plus approprié selon ses besoins (une petite voiture, une grosse voiture, un scooter, etc.), et Renault met sa voiture électrique en partage avec Tweezy Way. Ces évolutions ont lieu dans le cadre d’une reconfiguration potentiellement majeure de la chaîne de valeur de la mobilité, les constructeurs risquant de ne plus être au contact direct du client final et de laisser la place à des entreprises offrant un service de mobilité. Le covoiturage Le covoiturage est une pratique encore peu développée en France. Il peut être vu comme une pratique ancienne, à l’image de l’auto-stop, prenant aujourd’hui de nouvelles formes plus organisées, par des entreprises et au sein d’entreprises, par des collectivités ou des associations et ayant recours à des plateformes internet. Il existe des formes différentes de covoiturage selon qu’il s’adresse à des trajets en agglomération ou à des trajets occasionnels et de longue distance. Pour ces derniers, il faut noter le succès grandissant de la plateforme de covoiturage entre particuliers BlaBlaCar qui affiche aujourd’hui un million de trajets covoiturés par mois et le doublement de sa « communauté » en moins d’un an. L’autre nouveauté dans le domaine est le covoiturage dynamique. Les personnes qui désirent effectuer un trajet – généralement courte distance – contactent le service quelques minutes seulement avant leur départ, et ce service leur trouve un conducteur qui peut les prendre en covoiturage sur le trajet demandé. La promesse économique et environnementale du partage Les biens qui peuvent être partagés représentent environ un quart des dépenses des ménages français et un tiers des déchets qu’ils génèrent. Mais le poids environnemental des biens partageables ne peut être mesuré seulement à l’aune des déchets qu’ils génèrent. Il faut également considérer une dimension énergétique : la production de ces biens implique une consommation d’énergie dans l’industrie, et leur utilisation peut également nécessiter de l’énergie, en particulier dans les transports. L’impact environnemental de l’utilisation de ces biens doit être étudié, car le partage peut modifier leur usage. Quels gains économique et environnemental peut-on espérer en augmentant la durée d’usage des biens partageables ? Les pratiques de réemploi (revente, don, troc) permettent de donner une seconde vie à de nombreux produits qui n’en auraient pas eu, et ainsi de rapprocher la durée d’usage d’un bien de sa durée de vie « technique ». La durée de vie technique d’un téléviseur peut atteindre 80 000 heures, alors que sa durée d’usage ne dépasse pas, en moyenne, 60 000 h. La durée technique d’un téléphone portable est estimée à plus d’une dizaine d’années, mais les français changent leur téléphone en moyenne tous les deux ans et demi. Les pratiques de mutualisation (emprunt et location de court terme) concernent un nombre restreint des biens partageables. Mais si le nombre de produits concernés est inférieur, leur durée d’usage peut être très fortement augmentée si la mutualisation va de pair avec des produits durables. Ainsi, un outil de bricolage peut servir non plus à une mais à des dizaines de personnes et une voiture en autopartage remplace plus de quatre voitures individuelles. La qualité des biens partagés apparaît comme une condition clef de la durabilité environnementale des modèles de partage. Deux autres conditions clefs pour la durabilité des modèles de partage ont trait : 1) à l’optimisation du transport des biens ; le bien doit être produit à proximité du lieu de mutualisation ; 2) aux modes de consommation : ce qu’on échange beaucoup ce sont des vêtements de luxe dans le but d’avoir accès à plus de vêtements de marque qu’il ne serait pas possible d’acheter. A l’image de l’auto partage, un bien partagé peut être utilisé très différemment d’un bien individuel. L’autopartage permet aux personnes d’adopter un nouveau profil de mobilité. Les gens n’utilisent pas la voiture partagée comme si c’était leur propre voiture mais seulement quand ils ont réellement besoin d’une voiture et qu’ils sont certains de pouvoir disposer d’une voiture. Ils n’ont plus vraiment besoin d’avoir une voiture en permanence, ce qui leur permet d’adopter un profil mobilité plus durable. Des conditions aux leviers de réalisation : faire de l’économie du partage une économie durable Le rôle des pouvoirs publics Les pouvoirs publics doivent construire un cadre économique et réglementaire favorable aux modèles « vertueux »: fiscalité écologique, réglementations sur l’éco conception, recyclage, transports en commun performants. Tant qu’elles sont émergentes/à petite échelle, les initiatives du partage peuvent être soutenues car elles explorent de nouvelles pistes. Passé une certaine échelle, elles doivent faire la preuve de leur intérêt social. Le rôle des entrepreneurs Le risque est de tomber dans le « Greenwashing ». Ils doivent inscrire le partage comme un objectif et analyser la durabilité du modèle. Les entrepreneurs doivent agir, user de leur pouvoir d’influence sur la production des biens pour les adapter au partage, les recycler etc.. Le rôle des usagers De manière générale ces modèles conduisent à une dilution exacerbée de la responsabilité environnementale et nous renvoient à notre responsabilité individuelle Dans son avis sur le concept frère de consommation collaborative, le Comité économique et social européen les dépeint comme étant en rupture avec « la surproduction et à la surconsommation, stimulées par le désir de «posséder» ». Ces utilisateurs n’envisageraient pas « la consommation comme la simple possession de biens mais comme un accès partagé à leur jouissance, pour satisfaire des besoins réels et un épanouissement personnel détaché de la consommation symbolique et de la poursuite de désirs provoqués artificiellement. »