Loi sur la biodiversité : 5 mesures rabotées par les parlementaires

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Loi sur la biodiversité : 5 mesures rabotées
par les parlementaires sous la pression des
lobbies
Par Lara Charmeil I Publié le 21 Mars 2016
Elles ont été introduites, puis modifiées, voire supprimées : plusieurs mesures clés de ce
projet porté par la ministre de l'Écologie Ségolène Royal ont été retoquées depuis sa
première lecture. Décryptage de cinq reculs majeurs.
Image d'illustration (Crédit : maxresdefault/Youtube)
C’est le premier texte d’envergure sur la protection de la nature depuis 1976 : le projet
de loi "pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages", dont le
deuxième volet a été adopté dans la nuit du 17 au 18 mars par les parlementaires. Avec,
au passage, plus de 200 amendements votés.
La vocation première de cette nouvelle loi est de protéger la diversité des espèces, et,
selon le gouvernement, de"rétablir avec la nature des relations non seulement
harmonieuses mais fructueuses, bonnes pour la santé, [pour l'innovation et pour
l'emploi]." La France n'étant, en effet, rien de moins que le 6e pays au monde hébergeant
le plus d’espèces menacées, et les experts scientifiques estimant que la moitié des
espèces vivantes dans le monde pourrait disparaître d'ici un siècle.
Cette protection passe par l’adoption de mesures environnementales comme la
simplification des règles encadrant les 51 parcs naturels régionaux, qui couvrent 15 %
du territoire français, ou par la création d’une agence française de la biodiversité (AFB)
en janvier 2017, parrainée par l’astrophysicien Hubert Reeves. Le texte prévoit
également certaines interdictions, comme celle des sacs plastiques à usage unique à
compter du 1er juillet, qui a déjà beaucoup fait parler d’elle.
Pour autant, la loi est loin d’être définitivement adoptée, le texte devant encore, avant sa
promulgation, prévue avant l'été, repasser au Sénat, et éventuellement devant une
commission mixte paritaire en cas de désaccord majeur.
Depuis son premier passage à l’Assemblée, il y a dix mois, il a connu de nombreuses
modifications, de la part des sénateurs et des députés, sous la pression des lobbies
industriels. Décryptage de cinq reculs majeurs.
(Crédit : NY - http://nyphotographic.com/CC BY-SA 3.0)
Les "class action" environnementales ne verront pas le
jour en France
Grâce à cet amendement, les associations auraient pu se regrouper pour faire valoir
collectivement le droit des personnes ayant subi des préjudices environnementaux. Mais
ce dispositif, introduit par le Sénat suite à un amendement socialiste, n'a pas été retenu
par l'Assemblée.
En cause, selon les députés, le caractère "prématuré" et le manque de "sécurisation
juridique" et "d'études appropriées" d'une telle option. Les parlementaires socialistes et
républicains ont surtout invoqué le fait que la naissance de "class action" à la française
n'avait pas à être discutée dans le cadre de la loi sur la biodiversité, mais dans un projet
de loi sur l'organisation judiciaire.
(Crédit : Achmad Rabin Taim/Wikipedia Commons)
L'huile de palme du Nutella ne sera pas surtaxée
La fameuse "taxe Nutella", qui avait été réintroduite par les écologistes, est revue à la
baisse. Une taxe additionnelle sur les huiles de palme destinées à l'alimentation
humaine avait été adoptée en première lecture au Sénat. Son montant, élevé, allait de
300 euros la tonne en 2017 à 900 en 2020, pour un rendement de 149 millions d'euros à
partir de 2019. Mais suite aux protestations des deux principaux pays producteurs, la
Malaisie et l'Indonésie, l'Assemblée l'a réduit à 90 euros.
Une modération importante que le député Jean-Louis Bricout (PS) justifie par des
raisons économiques : "Il s'agit de ne pas déstabiliser brutalement les approvisionnements
des entreprises installées en France, ainsi que les revenus des producteurs de ces huiles, qui
se situent majoritairement dans des pays en voie de développement". L'argument de
départ des écologistes, qui arguaient qu'il fallait surtaxer "les effets dévastateurs de la
culture industrielle du palmier à huile sur la biodiversité", n'a manifestement pas fait le
poids.
(Crédit : capture d'écran du dessin de Pénélope Bagieu sur le chalutage en eaux
profondes)
Le chalutage en eau profonde ne sera pas interdit
Elle menace des espèces vulnérables comme le flétan, l'empereur ou le sébaste marinus.
La pêche dans les grands fonds marins, serait, selon le député centriste Bertrand
Planchin, en outre, "peu génératrice d'emplois directs" : entre "44 et 112 marins" à temps
plein. À son initiative, un amendement visant à l'interdire par décret avait été voté par
les députés lors de la deuxième lecture du texte en commission.
Mais cette cause, qui avait provoqué une mobilisation citoyenne importante en 2014,
ainsi que l'engagement d'Intermarché, le principal acteur de ce secteur avec ScaPêche,
de "remonter ses fils à 900 mètres", a été rejetée par l'Assemblée jeudi 17 mars. Le
gouvernement a ainsi répondu à l'appel de la région Bretagne et à la grogne du Comité
régional des pêches de Bretagne, qui avait entrepris de bloquer des ports afin de
protester contre "la menace d'une interdiction totale du chalutage, soit la disparition de
toute une filière économique". Cette pratique doit désormais être encadrée au niveau
européen.
(Crédit : Thomas Bresson/Wikimedia Commons)
Les insecticides néonicotinoïdes ne seront pas prohibés
avant 2018
Ces substances chimiques entrent, depuis le début des années 1990, dans la composition
d'insecticides agricoles, reconnus nocifs pour les insectes pollinisateurs,
l'environnement et, plus globalement, la santé humaine. Réintroduite en commission
après sa suppression au Sénat, la mesure prévoyait d'interdire leur utilisation à compter
de… 2016.
Mais c'était sans compter sur la mobilisation des syndicats agricoles et les industriels
fabriquant ces pesticides, qui ont mis en avant des risques de "distorsions de concurrence
entre producteurs européens". Face à leurs revendications, Stéphane Le Foll, le ministre
de l'Agriculture, a cédé : Il a demandé aux parlementaires d'éviter leur "interdiction
brutale". Résultat, la mesure ne sera effective qu'à partir du 1er septembre 2018. Pas sûr
que cela aide à diminuer la mortalité des abeilles d'ici là : les insecticides agissent sur
leur système nerveux central et déciment des ruches entières.
(Crédit : Lamiot/Wikimedia Commons)
La végétalisation des nouveaux toits en zone commerciale
n'est plus obligatoire
We Demain vous en parlait en mars 2015 : l'Assemblée Nationale adoptait alors un
amendement qui disposait que tout nouveau bâtiment situé en zone commerciale devait
détenir une cinquième façade, c'est-à-dire de la végétation ou des dispositifs de
production d'énergies renouvelables sur "toute ou partie" de sa toiture. Quelques-uns
des avantages de cette mesure, défendue par la députée du Val-de-Marne Laurence
Abeille (EELV) ? Une meilleure isolation thermique, la limitation du ruissellement des
eaux de pluie, la lutte contre les îlots de chaleur en milieu urbain...
Un an plus tard, le Sénat a tout simplement supprimé cet amendement, craignant "un
impact négatif sur la vitalité économique et sur l'emploi dans nos territoires". Autre
argument avancé par la chambre haute du Parlement, en accord avec les industriels : "La
surcharge pondérale des végétaux ou des panneaux photovoltaïques nuirait au bilan
carbone des centres et poserait de graves problèmes de climatisation et d’aérations,
aboutissant à augmenter la consommation énergétique".
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