L`Ïuvre de Massimo

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JEAN-PHILIPPE UZEL
SOCIOLOGIE DE L'INDICE :
L'ŒUVRE DE MASSIMO GUERRERA
La sociologie de l'art peut-elle parler des œuvres en évitant, d'un
côté, les discours esthétisants qui singularisent l'artiste et sa
production afin de mieux les admirer et, de l'autre, les discours
sociologisants qui les généralisent afin de mieux les dénoncer ?
Nous avons choisi de répondre à cette question, qui a récemment
fait l'objet d'une nouvelle actualité1, par une étude de cas consacrée
à l'œuvre d'un jeune artiste montréalais de 31 ans, Massimo
Guerrera. Dans cette enquête, nous avons essayé de mettre en
œuvre la méthode que nous avons eu l'occasion de définir dans un
précédent travail, paru dans le numéro 10 de la revue Sociologie de
l'art sous le titre « Pour une sociologie de l'indice »2. La sociologie
de l'indice, qui s'appuie sur les travaux de Charles S. Peirce et de
Carlo Ginzburg, propose de remonter de l’œuvre au contexte social
1
Heinich N., « Pourquoi la sociologie parle des œuvres d'art et comment
elle pourrait en parler », Sociologie de l'art, n° 10, 1997, p. 11-23 ; Antoine
Hennion, « Editorial », Sociologie de l'art, n° 11, 1998, p. 9-22.
2
Uzel J.-Ph., « Pour une sociologie de l'indice », Sociologie de l'art, n° 10, 1997,
p. 25-51.
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
par l'intermédiaire de la technique ou, plus précisément, par
l'intermédiaire des indices techniques, des traces que le processus
de production a laissées dans l'œuvre.
Pourquoi la technique ?
Pourquoi s'intéresser à la technique ? Parce que l’œuvre d'art, pour
reprendre la définition de Gérard Genette, est « un artefact à
fonction esthétique »3, autrement dit, l'œuvre est un objet
technique dont l'intention est de déclencher une relation
esthétique. Si la question de l'esthétique a été largement traitée
par la sociologie du goût, la question de la technique artistique n'a
pas encore, selon nous, été suffisamment travaillée par la
sociologie de l'art, et plus particulièrement par la sociologie des
arts plastiques4. Ce retard est regrettable car il s'agit là d'une voie
privilégiée d'accès aux œuvres. Il suffit, pour s'en persuader, de
regarder du côté de l'histoire sociale de l'art où les travaux de
Baxandall, Alpers, ou Haskell accordent une place centrale aux
matériaux et aux techniques artistiques. Aussi nous semble-t-il
qu'une sociologie des œuvres qui entend être autre chose qu'une
sociologie des valeurs5, a tout intérêt à se pencher sur le dispositif
3
Genette G., L'Œuvre de l'art : immanence et transcendance : tome 1, Paris, Seuil,
1994, p. 10.
4
L'ouvrage de Pierre Francastel, Art et technique (Paris, Minuit, 1956) ne nous
est pas ici d'un grand secours puisqu'il assimile la technique au machinisme,
entendu dans son acception progressiste.
5
Au nom de la « spécificité » de la sociologie, Nathalie Heinich affirme que la
sociologie des œuvres doit s'effacer derrière la sociologie des valeurs : «
interpréter les œuvres n'est pas spécifique au sociologue : ce qui l'est, c'est
d'analyser les interprétations des acteurs, et la façon dont ils construisent un
espace herméneutique à partir d'une 'mise en énigme', qui est une dimension
constitutive de la valorisation de l'œuvre d'art » ; Nathalie Heinich, «
Pourquoi la sociologie parle des œuvres d'art et comment elle pourrait en
parler », loc. cit., p. 21.
230
Jean-Philippe Uzel
technique de production des objets d'art. Bien entendu, il ne s'agit
pas de faire de l'analyse de la technique une fin en soi. Au
contraire, il faut prendre soin de replacer l'œuvre d'art dans le «
monde de l'art », pour parler comme Howard Becker6, c'est-à-dire
dans le collectif qui la constitue et qu'en retour elle contribue à
modifier.
Mais que faut -il entendre par « technique » dans le domaine
de l'art ? Nous dirons, dans un sens extensif, qu'il s'agit de
l'ensemble des procédés et des méthodes de traitement des
matériaux - que ces matériaux soient physiques, comme dans la
peinture ou la sculpture, ou idéaux, comme dans la musique ou la
littérature. Si l'on accepte cette définition, on s'aperçoit que la
classification académique par discipline artistique (peinture,
sculpture, photographie, vidéo ... ) n'est pas d'une grande utilité et
que l'on doit chaque fois prendre en compte l'utilisation singulière
que l'artiste fait de la technique7 . C'est pour cette raison que
s'intéresser à la technique revient toujours, particulièrement dans
le cas de l'art contemporain, à s'intéresser aux détails, aux indices
techniques.
Si la question de la technique n'a pas souvent été prise en
compte par la sociologie des arts plastiques, certains travaux,
néanmoins, nous mettent sur la voie. Les White, par exemple, dans
leur enquête sur la carrière des artistes français au XIXe siècle8,
nous montrent que l'apparition, dans les années 1840, de la
peinture en tube, des nouvelles couleurs produites par l'industrie
6
Becker H. S., Les Mondes de l'art, trad. J. Bouniort, Paris, Flammarion,1988.
Comme le disait récemment l'historien de l'art Krzysztof Pomian :
« Le répertoire de matériaux susceptibles de servir à la production des œuvres
d'art est devenu, au XXe siècle, virtuellement illimité. Cela va à l'encontre de
toute la tradition de l'art occidental depuis l'Antiquité gréco-romaine jusqu'au
XIXe siècle. », « Sur les matériaux de l'art », Techné, n° 8, 1998, p. 8.
8
Harrison C. & White C.A., La carrière des peintres au XIXe siècle, préf. J.-P.
Bouillon, trad. A.Jaccottet, Paris, Flammarion, Coll. Art, Histoire, Société,
1991, p. 92.
7
231
Sociologie de l'indice : I'œuvre de Massimo Guerrera
chimique, des toiles préparées, des nouveaux pinceaux... a eu des
répercussions sur les œuvres, et tout particulièrement sur les
œuvres de l’Ecole de Barbizon. Mais, comme les auteurs le
précisent, « ces divers facteurs [techniques] ne purent avoir une
influence réelle que parce qu'ils se combinèrent avec les
changements institutionnels qui touchaient au monde de la
peinture [c'est-à-dire, l'apparition du système marchand-critique]
»9 . Autrement dit, les techniques artistiques et le système
institutionnel se conditionnent réciproquement dans un jeu de
circularité : les nouveaux matériaux offrent une plus grande liberté
de création aux artistes (peinture en plein air, rapidité d'exécution,
etc.) et favorisent l'apparition d'un nouveau style pictural qui va
être le cheval de bataille du système marchand-critique dans sa
lutte contre le système académique ; en retour, l'émergence du
système marchand-critique permet aux artistes de rompre avec le
style académique et de donner à leur travail une facture beaucoup
plus personnelle, encourageant ainsi l'utilisation de matériaux et de
techniques novatrices. Les White nous montrent ainsi que les
matériaux et les techniques artistiques sont indétachables des
réseaux de diffusion de l'art. C'est ce cadre théorique que nous
reprenons ici pour l'appliquer à la création plastique
contemporaine, en l'occurrence à l'œuvre de Massimo Guerrera.
Pourquoi Massimo Guerrera ?
Max Weber nous a appris que le sociologue, au cours de sa
recherche, doit éviter tout jugement de valeur et tendre vers la «
neutralité axiologique », en revanche la sélection de son objet
d'étude est toujours orientée par ses propres valeurs, c'est ce que
Weber appelle le « rapport aux valeurs »10. Nous commencerons
donc par nous expliquer sur les raisons qui nous ont poussé à
9
Ibid., p. 159.
Weber M., Essais sur la théorie de la science, trad. J. Freund, Paris, Plon, 1965,
p. 278-284.
10
232
Jean-Philippe Uzel
travailler sur l'œuvre de Massimo Guerrera. Elles sont au nombre
de trois. Les deux premières relèvent de questions de méthode et
d'orientation de recherche, la dernière est directement liée au
travail de Guerrera.
1) Tout d'abord, il nous semble important d'avoir une
connaissance de première main de l’œuvre sur laquelle nous
travaillons. La sociologie de l'indice, et plus largement la sociologie
des œuvres d'art contemporain, suppose une confrontation directe
avec l'œuvre et avec son contexte social.
2) Ensuite nous souhaitions travailler sur un jeune artiste dont
la reconnaissance par le monde de l'art a eu lieu au cours des
dernières années. Nous voulions nous concentrer sur les modes
d'organisation du monde de l'art contemporain de la décennie
1990, les années 1980 ayant déjà fait l'objet de travaux
approfondis11. Massimo Guerrera appartient à cette génération de
nouveaux artistes puisqu'il est sorti de l'Université du Québec à
Montréal, son diplôme d'arts plastiques en poche, en 1992. En
reprenant les « quatre cercles de la reconnaissance » d'Alan
Bowness12 nous pouvons dire que cet artiste a franchi les deux
premiers : le cercle de la reconnaissance des pairs (en obtenant son
diplôme, entre autres) et celui de la reconnaissance critique ; il
reste toutefois éloigné du cercle de la reconnaissance des
marchands et des collectionneurs et de celui de la reconnaissance
du grand public (privilège d'une poignée d'artistes contemporains
internationaux). Arrêtons-nous un instant sur le second cercle,
celui de la critique. Massimo Guerrera bénéficie en effet d'une
reconnaissance critique importante pour un jeune artiste. Il est
soutenu par la plus influente revue d'art contemporain au Canada,
Parachute, qui l'a choisi pour être l'un des deux artistes à
11
12
Moulin R., L'Artiste, l'institution et le marché, Paris, Flamrnarion, 1992.
Bowness A., The Conditions of Success, Londres, Thames and Hudson, 1989.
233
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
représenter le Canada dans le cadre de l'exposition internationale
L'Art dans le monde organisée par la revue Beaux Arts magazine au
Passage de Retz, à Paris, du 29 avril au 13 juin 1998. Cette
exposition, qui réunissait des artistes sélectionnés par 24 revues et
magazines d'art du monde entier, avait pour objectif « d'offrir le
plus large panorama possible de la jeune création artistique dans le
monde. »13 . Parachute a également invité Guerrera à réaliser une
performance, Pour tout ce qui nous traverse, dans le cadre de son
colloque Art et psychanalyse (9 et 10 avril 1999), et lui consacre un
article dans son dernier numéro14. Mais la reconnaissance dont
bénéficie Guerrera dépasse la presse spécialisée puisque le critique
d'art du Devoir, le quotidien culturel québécois, déclarait au mois
de mai dernier en parlant de son travail: « il s'agit là d'une des
jeunes pratiques parmi les plus solides à émerger sur la scène
montréalaise depuis cinq ans. »15.
3) Enfin, troisième et dernière raison, qui renvoie plus
spécifiquement au travail de Massimo Guerrera. L'art
contemporain canadien est surtout reconnu sur la scène
internationale pour les arts médiatiques et la photographie. Citons
quelques noms d'artistes : Michael Snow, Stan Douglas, Tony
Brown... pour les arts médiatiques, Jeff Wall, Geneviève Cadieux,
Geoffrey James... pour la photographie. Tous ces artistes
participent régulièrement aux grandes expositions internationales,
aux biennales et à la Documenta. Les jeunes créateurs sont
naturellement influencés par la production de ces artistes
internationaux et travaillent souvent dans leur sillage, bénéficiant
d'ailleurs d'un solide réseau de diffusion. Montréal possède, par
exemple, plusieurs galeries spécialisées dans la photographie (Vox,
13
Bousteau F. et Vigne A., « Editorial », Beaux Arts magazine, nº 168
(supplément), mai 1998, p. 4.
14
Paré A.-L., « Massimo Guerrera », Parachute, nº 96, octobre-décembre 1999,
p. 74-75.
15
Lamarche B., « Fatras corporel et corporatif », Le Devoir, samedi 8 mai 1999,
p. B 9.
234
Jean-Philippe Uzel
Dazibao ... ) et un Mois de la Photo très dynamique, mais
également de nombreux festivals et rencontres consacrés aux arts
médiatiques (le symposium ISEA, le Festival International
Nouveau Cinéma Nouveaux Médias, la Manifestation
Internationale Vidéo et Art Electronique, Elektra...)1 6 . Or, le
travail de Massimo Guerrera semble étrangement décalé par
rapport à cette production : il n'utilise aucune forme de média
électrique ou électronique (vidéo, ordinateurs, etc.) et n'a recourt à
la photographie que dans un but documentaire, comme
témoignage de ses performances et de ses actions. En marge des
grands courants de la création actuelle, son ceuvre fait penser, de
prime abord, à l'esthétique des années 1970. Les sorties de la
Cantine, par exemple, à l'occasion desquelles l'artiste distribue de la
nourriture aux passants, ne sont pas sans nous rappeler les Véhicules
pour chômeurs ou pour SDF de Krzysztof Wodiczko, dont les
premiers prototypes datent de 1973. Ce côté un peu anachronique
de la création de Guerrera nous a intrigué - tout particulièrement
lorsqu'on le rapproche de la forte reconnaissance critique dont il
bénéficie - et a finalement décidé de notre choix.
Un travail éclaté ?
L'œuvre de Guerrera semble, dans un premier temps, interdire
toute classification en termes de genre, de style, de médium
artistiques. Cet artiste travaille à la fois la sculpture, le dessin, le
ready-made, l'installation, l'écriture, la performance,
l'environnement... Autre chose surprenante, et qui ne va pas sans
compliquer la tâche du sociologue, cette production
multidisciplinaire est présentée dans des lieux extrêmement variés.
16
Pour mieux connaître la scène montréalaise de l'art contemporain on pourra
consulter le nº 85 (11 juin-ler juillet 1999) du Journal des Arts qui lui a consacré
un dossier.
235
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
En effet, Guerrera expose:
- dans des institutions artistiques : qu'il s'agisse de galeries
universitaires, de centres d'artistes autogérés ou de centres
culturels québécois, canadiens ou étrangers17.
- dans des espaces alternatifs : comme les soirées techno-rave
dans lesquelles il réalisait des performances au début des années
1990, les locaux commerciaux investis pour le temps d'une
exposition collective (Artifice I, été 1996 et Artifice II , été 1998),
ou encore chez lui, dans sa maison de la rue Adam à Montréal, qui
lui sert aussi d'atelier (Usine métabolique, 1994).
- enfin dans des lieux publics qui n'ont rien d'artistique ou de
culturel: nous avons déjà parlé des sorties de la Cantine qui ont
commencé en 1995 dans les rues et le métro de Montréal;
mentionnons également la performance, Burger King 24 heures, que
Guerrera a réalisé avec d'autres artistes dans un fast-food du
centre-ville de Montréal en janvier 1998. Ces événements ne sont
pas médiatisés et sont avant tout destinés à un public « non averti »
(les usagers du lieu: piétons, voyageurs, consommateurs ... ).
La compagnie Polyco Inc.
Le sentiment d'éparpillement et de dispersion que l'on peut
ressentir au premier abord face à l'œuvre de Guerrera, s'efface
lorsqu'on prend connaissance de l'existence de la compagnie
Polyco. Polyco (contraction de Polymorphisme Corporatif) est une
compagnie fictive qui a été fondée par l'artiste en janvier 1995.
Cette compagnie œuvre, selon les propos de son créateur, « dans le
17
En l'espace de 18 mois il a exposé, ou il exposera, au Passage de Retz à Paris
(avril-juin 1998), au Cantieri Culturali alla Zisa de Palerme (août 1999), à
l'Université de Bologne (septembre 1999), et au Centre d'art Les Brasseurs à
Liège (janvier-février 2000).
236
Jean-Philippe Uzel
domaine de l'incorporation alimentaire […]. Les articles proposés
par la compagnie permettent […] d'activer un système de
circulation plus fluide et exploratoire pour ces substances
partageables et migratoires. Polyco a […] développé et maintenu
une des politiques hygiéniques des plus rigoureuses dans le secteur
de l'incorporation alimentaire.» 18. C'est en effet la compagnie
Polyco qui, depuis cinq ans, structure l'ensemble du travail de
Guerrera : les objets qu'il produit (dessin, sculpture, ready-made
assisté ... ) sont autant d'«accessoires corporels» de la gamme Polyco
; ses actions et ses performances sont des opérations de relations
publiques visant à mieux faire connaître les articles de la
compagnie; ses environnements et ses installations deviennent des
kiosques ou des présentoirs promotionnels, comme ce fut le cas au
mois d'octobre 1999 au Salon de l'agglomérat, salon d'exposition
fictif organisé par le collectif d'artistes UDO (Unité d'Occupation),
où Guerrera présentait les derniers produits de la gamme Polyco.
Nous l'aurons compris, Massimo Guerrera travaille sur le
thème de la société de consommation, sur ses institutions, ses
mécanismes et ses valeurs. Il parodie la façon dont les entreprises,
et tout particulièrement celles qui interviennent dans le domaine
de la grande consommation, vantent les mérites de leurs produits
et le bien-être que ces derniers sont censés procurer au
consommateur. L'artiste révèle ainsi l'idéologie qui irrigue nos
sociétés postmodernes : celle du corps parfait - dont les
corollaires sont le culte de la performance physique et une hygiène
de vie quasi hospitalière. Massimo Guerrera, bien entendu, est loin
d'être le seul artiste des années 1990 à travailler sur le thème de la
consommation et de l'échange. Beaucoup de jeunes créateurs, tout
particulièrement en France, s'intéressent également à ces
questions19.
18
Guerrera M. et Joos J.-E., « Polyco Inc. », Inter, n° 68, 1997, p. 16-19.
L'ARC-Musée national d'art moderne de la Ville de Paris a organisé en
octobre 1999 l'exposition ZAC 99 - Zones d’Activation Collective, qui regroupait
treize collectifs d'artistes parisiens dont les travaux questionnent les sphères
de l'économie et de la communication.
19
237
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
Plusieurs d'entre eux ont créé un groupe, une agence, une
compagnie dont les statuts sont parfois légalement enregistrés20.
Ces artistes produisent tous, peu ou prou, ce que le critique d'art
français Nicolas Bourriaud a récemment qualifié d'« art relationnel
», c'est-à-dire un «ensemble de pratiques artistiques qui prennent
comme point de départ théorique et pratique l'ensemble des
relations humaines et leur contexte social, plutôt qu'un espace
autonome et privatif.»21. Le plus connu de ces artistes est
certainement Fabrice Hybert, qui a fondé en 1994 sa propre
S.a.r.l., intitulée ironiquement U R (Unlimited Responsability).
Hybert a organisé en 1995 à l'ARC-Musée national d'art moderne
de la Ville de Paris, L'hybertmarché, qui ressemblait à un vaste
marché aux puces où les visiteurs pouvaient acheter à prix courant
toutes sortes d'objets ; en 1997, il a transformé le pavillon français
de la Biennale de Venise en studio de télévision, ce qui lui a valu de
remporter le Prix du meilleur pavillon national. Une lecture
croisée des derniers articles consacrés au travail de Hybert et de
Guerrera, qui appartiennent pourtant à des contextes culturels
différents, nous confirme la proximité des questions abordées par
cette nouvelle génération d'artistes : dans les deux cas il est
question de corporation et d'incorporation, de métabolisme
individuel et social, de circulation des produits et de
transformation des sujets 22 . Le sociologue de l'art se sent
spontanément interpellé par cet art qui non seulement traite de
sujets sociaux, mais intervient directement dans la société.
20
Wahler M.-O., « Rapports d'entreprises », Art press, nº 230, décembre 1997,
p. 35-40.
21
Bourriaud N., Esthétique relationnelle, Paris, Les Presse du réel, 1998, 117.
22
Pour avoir un aperçu quasi exhaustif du travail de Hybert, on pourra
consulter le récent essai de Pascal Rousseau: Fabrice Hybert, Paris, Hazan,
1999.
238
Jean-Philippe Uzel
Toutefois, la proximité des questions abordées par les
critiques et par les sociologues ne doit pas déboucher sur une
confusion des deux approches. Si la sociologie de l'art s'est
toujours enrichie des discours des acteurs du monde de l'art, ses
méthodes et ses objectifs de recherche lui interdisent de redoubler
ces derniers. Doit-on rappeler que la critique d'art ne participe pas
des sciences sociales ? En effet, le discours critique est fortement
évaluatif et cherche toujours à faire ressortir les qualités ou les
défauts de l'œuvre, afin de l'admirer ou de la condamner. Nicolas
Bourriaud, par exemple, commence son essai, Esthétique
relationnelle, en précisant que les artistes dont il va nous parler
incarnent « la partie la plus vivante qui se joue sur l'échiquier de
l'art »23, ce ton élogieux parcourt ensuite tout l'ouvrage. Il nous
semble que la neutralité axiologique énoncée par Weber interdit
ce genre de jugement de valeur. La sociologie des œuvres qui
décide de prendre ses distances avec l'antifétichisme de la
sociologie critique, doit prendre garde de ne pas renouer, comme
le disait récemment Antoine Hennion, avec « un commentaire
libre sur les œuvres, même s'il est "socialement informé" »24. Or, en
concentrant notre analyse sur les techniques artistiques et les
conditions de diffusion des œuvres, nous aboutissons à des
résultats vérifiables et nous évitons certaines dérives
interprétatives.
23
24
Bourriaud N., Esthétique relationnelle, op. cit., p. 8.
Hennion A., « Editorial », loc. cit., p. 9.
239
Jean-Philippe Uzel
Les « sucettes de transmission »
Revenons à Massimo Guerrera et au Salon de l'agglomérat qui s'est
déroulé du 7 au 31 octobre 1999 à la Galerie Clark de Montréal, un
centre d'artistes autogéré à but non lucratif. Cette exposition
collective tenait à la fois de la Messe-Dada (des objets et des slogans
étaient répartis dans tout l'espace), du happening des années 1970
(il y avait régulièrement des performances et des actions où le
public était mis à contribution) et du Bar Lounge (il y avait un bar,
une cuisine, un Disk Jockey, des canapés, plusieurs moniteurs de
télévisions…). La contribution de Massimo Guerrera au Salon de
l'agglomérat, consistait essentiellement en deux types d'action : il
tenait un comptoir de friandises, derniers produits de la gamme
Polyco, et réalisait des performances seul ou en compagnie d'autres
artistes.
Concentrons-nous sur ces friandises d'un genre spécial. Il
s'agit en fait de sucettes qui, à l'instar des autres produits Polyco,
favorisent l'échange et la convivialité : le nombre d'embouchures
une, deux ou trois, suggérant des usages individuels ou multiples.
L'artiste les a d'ailleurs baptisées « sucettes de transmission »25.
L'aspect hétéroclite de ces objets n'est qu'apparent. Une attention
soutenue nous permet de constater que si chaque artefact est
unique par sa forme, sa taille ou sa couleur, il est néanmoins
possible de les diviser en deux grandes catégories. Certains
semblent avoir été conçus pour leur usage ergonomique, ils
s'apparentent à des prothèses, prothèse dentaires en l'occurrence;
d'autres, au contraire, possèdent des qualités iconiques quasi
parfaites et semblent avoir été produits industriellement : ils
représentent un animal, une pomme de pin, une tête de poupée...
En manipulant ces objets, nous sommes un peu plus renseignés sur
leur nature: leur poids et leur dureté nous disent qu'il ne s'agit pas
25
Il s'agit en fait de « suçons de transmission », au Québec « suçon » étant
synonyme de « sucette », au sens de friandise.
241
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
de matière plastique, contrairement à ce que nous pouvions croire
au premier regard, mais plutôt de plâtre ou de céramique. Au cours
d'un entretien que nous avons eu avec Massimo Guerrera26,
celui-ci nous a confirmé que ces objets-friandises étaient en
céramique 27 . Les sucettes-prothèses, ont été obtenus par
empreinte, le plus souvent empreinte de palais et de langue, puis
retravaillées. L'artiste les a façonnées pour leur donner la forme
souhaitée et les a dotées d'un prolongement en forme de bâtonnet.
L'étape du modelage a été suivie par celle du glaçage, qui a donné à
l'objet son aspect émaillé, et de la pigmentation qui lui a permis
d'atteindre la coloration souhaitée. L'objet a ensuite été cuit à
haute température puis, une fois refroidi, trempé dans le sucre
d'orge. Les sucettes-figurines, réalisées en collaboration avec une
artiste du collectif UDO, Corine Lemieux, ont été achetées dans
des magasins de décoration à l'état de « crus », c'est-à-dire de
statuettes de grès non cuites, puis travaillées de la même façon que
les sucettes-prothèses.
Ces « sucettes de transmission », qui ne sont qu'un élément de
l'événement organisé par le collectif UDO et en aucun cas l'œuvre
elle-même, fonctionnent sur le mode sémiotique de l'indice. Elles
ont été créés par contact direct avec l'objet qu'elles dénotent :
dans un cas le corps de l'artiste (palais, langue ... ), dans l'autre le
moule industriel qui les a façonnées. Ce lien de contiguïté qui
existe entre le signe et son référent nous invite, nous oblige
pourrait-on dire, à prendre en compte les techniques artisanales de
moulage et de façonnage qui en sont à l'origine28.
26
Cet entretien s'est déroulé le 28 octobre 1999 dans l'atelier de l'artiste.
La céramique désigne à la fois une technique et les matériaux utilisés par
cette technique : la terre-cuite, le grès, la faïence, la porcelaine sont des
matériaux céramiques.
28
Sur la nature sémiotique de l'indice chez Peirce, nous nous permettons de
renvoyer le lecteur aux p. 29-31 de notre article « Pour une sociologie de
l'indice » (voir note 2).
27
242
Jean-Philippe Uzel
Le retour de l'artisanat dans l'art contemporain
Force est de constater, en effet, que le travail de Massimo
Guerrera comporte une forte dimension artisanale. Loin de rejeter
ce qualificatif, qui pourrait sembler un peu régressif à l'heure des
arts médiatiques, l'artiste, au contraire, le revendique. En revanche
si les objets de Guerrera comportent une dimension artisanale, ils
ne sont pas de l'artisanat29 . En effet, Guerrera se démarque
nettement de la démarche de l'artisan et déclare « [croire] au
savoir-faire, du moment que ce n'est pas une fin en soi, du moment
qu'il y a une plate-forme de sens qui sous-tend ce savoir-faire », un
peu plus loin dans l'entretien il évoque les « inconforts » que
produisent parfois ses objets et précise : « je n'essaye pas de réaliser
des objets qui fonctionnent parfaitement, je n'essaye pas de
rivaliser avec les gens qui font du design. ».
Toutefois, comment expliquer qu'un jeune artiste renoue avec
une technique artisanale multiséculaire comme la céramique ? Si
certains créateurs utilisaient l'artisanat dans les années soixante et
au début des années soixante-dix, on peut dire que depuis une
vingtaine d'années, avec l'avancée de l'art conceptuel et des arts
médiatiques, ces pratiques ont à peu près disparu de l'art
contemporain international. Même la Nouvelle Peinture des
années 1980, qui mettait l'accent sur la dimension manuelle de la
peinture, se distinguait de l'artisanat en défendant une pratique
artistique spontanée et inspirée. Or, force est de constater que
Massimo Guerrera n'est pas le seul artiste à renouer avec cette
dimension artisanale du travail artistique.
29
Dans le chapitre des Mondes de l'art consacré aux relations entre l'art et
l'artisanat, Howard Becker note avec justesse que si les artistes empruntent
aux artisans certaines techniques et certains matériaux, généralement ils ne se
soucient ni de l'utilité des objets ni de l'habileté technique propre au métier;
Howard Becker, Les Mondes de l'art, op. cit., p. 281-282.
243
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
Un article paru dans la revue américaine New Art Examiner en avril
1998 montrait que, depuis un an ou deux, on assiste à une
réapparition de l'artisanat dans l'art contemporain international.
L'auteur insistait sur le fait qu'il ne s'agit pas là d'une régression
par rapport aux pratiques plus conceptuelles de l'art actuel mais
bien leur prolongement par d'autres moyens30 . Il est d'ailleurs
évident que l'histoire de l'art du XXe siècle, polarisée sur le
ready-made duchampien, a trop distingué entre l'idée et la
fabrication de l'œuvre - distinction que Marcel Duchamp, pour sa
part, a toujours refusé d'entériner3l.
Le système Do-it-yourself
Nous croyons que ce « retour » de l'artisanat dans l'art
contemporain se comprend plus aisément s'il est mis en parallèle
avec les transformations du monde de l'art contemporain des
années 1990, et particulièrement avec l'apparition de ce que Ellen
Pall a appelé, dans un célèbre article du New York Times Magazine,
le système Do-ItYourself (célèbre formule issue de la culture
alternative des années 1970)32. Le système Do-It-Yourself, comme
l'explique Pall, est une conséquence de la crise du marché de l'art
contemporain des années 1990-1991 et de la fermeture, dans son
30
Ullrich P., « The Workmanship of Risk », New Art Examiner, April 1998, p.
24-29.
31
Sur la dimension artisanale du travail de Duchamp on pourra consulter
l'analyse de Georges Didi-Huberman « La ressemblance par contact » in
L'Empreinte, Paris, Éd. du Centre Georges Pompidou, 1997, (Partie III ; «
L'empreinte comme procédure : sur l'anachronisme duchampien », p.
106-179).
32
Pall E., « The Neo-Dealers », The New York Times Magazine, Septernber 1,
1996, P. 28-35.
244
Jean-Philippe Uzel
sillage, d'un grand nombre de galeries33. Paradoxalement cette
faiblesse du marché a entraîné une multiplication des initiatives en
matière de diffusion. On a ainsi assisté à l'apparition des
Neo-Dealers, ces marchands nomades qui ne possèdent pas de
galeries, mais qui exposent les travaux de leurs artistes dans des
lieux alternatifs, comme dans les chambres du Gramercy Park
Hotel de New York à l'occasion de la foire annuelle qui s'y tient
depuis 1994. Les artistes eux-mêmes, dans bien des cas, prennent
en charge la diffusion de leur art et font d'ailleurs preuve de
beaucoup d'imagination : ils multiplient les expositions dans les
appartements (Show Room), dans les ateliers ou dans des lieux
alternatifs (espaces commerciaux, entrepôts, usines ... ) à l'occasion
desquels ils vendent des pièces à des collectionneurs privés. Ce
dernier point est important car il nous montre que le système
Do-It-Yourself n'est pas un système entièrement subventionné, le
marché y est présent, mais ne passe plus par le réseau des galeries
privées. L'argent public et l'argent privé s'y côtoient suivant un
équilibre qui varie en fonction des traditions nationales : aux EtatsUnis les Neo-Dealers jouent un rôle pivot dans ce nouveau réseau,
alors qu'au Québec le système des centres d'artistes autogérés y
occupent une place importante - ce qui n'empêche pas les artistes,
dans ce dernier cas, de tirer une partie substantielle de leur revenu
de la vente de leurs œuvres à des particuliers.
La crise du marché de l'art et l'apparition du système
Do-It-Yourself n'ont pas été sans conséquence sur la création des
33
A propos du marché de l'art contemporain du début des années 1990, on
pourra également se référer à l'article de Raymonde Moulin « Le marché de
l'art contemporain », qui décrit avec précision les répercussions de la crise sur
les conditions de diffusion des œuvres: « Les artistes vendent en atelier. ils
exposent dans des appartements, des halls d'hôtels, des espaces industriels
désaffectés, dans des foires off comme celle de la Bastille. [ ... ] Les galeristes
dynamiques n'hésitent plus à adopter une multiplicité de rôles, volatils et
interchangeables. Ils deviennent des metteurs en scène de l'art dans leurs
espaces propres, minuscules ou démesurés. Ils se constituent en commissaires
d'expositions dans des lieux alternatifs. » ; Le Débat, nº 98, janvier-février 1998,
p. 98.
245
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
jeunes artistes. Pour revenir au cas de Massimo Guerrera, on
constate un lien étroit entre la technique à laquelle recourt l'artiste
et les lieux parallèles ou alternatifs dans lesquels il expose. Ceux-ci,
en effet, ne sont généralement pas conçus pour la présentation des
œuvres. Ce sont des lieux difficiles à investir artistiquement et qui
offrent généralement un espace d'exposition ou d'intervention
relativement exigu : un coin de trottoir pour la Cantine, un bout
d'estrade pour la performance du colloque de Parachute, un bureau
sombre aux dimensions réduites pour Artifice II, etc. Bien entendu
l'artiste tient compte de ces conditions d'exposition : il conçoit et
modifie ses objets en fonction de la particularité du lieu où il
expose. La technique artisanale lui permet d'obtenir une grande
souplesse d'adaptation, qu'il s'agisse de céramique, de plâtre ou de
polyuréthanne. De l'autre côté, l'utilisation d'objets ready-made
répond au même souci de flexibilité dans la diffusion des oeuvres:
la présence de Tupper Ware, par exemple, renvoie au thème et à
l'esthétique de la consommation mais s'explique également pour
leur valeur pratique : ce sont de parfaits contenants pour
transporter et présenter des artefacts et des aliments34.
Mais il serait faux de penser que les œuvres sont entièrement
déterminées par les contraintes d'espace. Le lien qui unit
technique et conditions de diffusion ne s'explique pas ici en
termes de cause et d'effet mais bien en termes de circularité. On
peut dire, dans le cas de Massimo Guerrera, que le contexte fait
l'œuvre, autant que l'œuvre fait le contexte. En effet, nous l'avons
déjà souligné à plusieurs reprises, cet artiste expose et intervient
34
Ellen Pall dans son article du New Times Magazine insiste également sur le
fait que les artistes qui exposent leurs œuvres dans le cadre de la Gramercy
Park Hotel Art Fair doivent se plier à l'exiguïté des lieux mais aussi aux
conditions que posent la direction de l'hôtel, qui n'accepte pas, par exemple,
que l'on plante des clous dans les murs des chambres pour accrocher les
tableaux. Aussi la plupart des œuvres sont de petite dimension et se rangent
aisément dans un placard, un tiroir, ou sur une table de chevet.
246
Jean-Philippe Uzel
souvent dans des lieux publics extérieurs au monde de l'art
contemporain (la rue, le métro, la soirée techno ... ), aussi faut-il
que ses objets suggèrent des usages particuliers et parviennent à
créer rapidement un espace de réception chez un public qui n'est
pas celui des « initiés » de l'art contemporain. C'est pour cette
raison que Guerrera accorde une grande importance à la valeur
ergonomique de ses objets qui doivent être aisés à manipuler, le
lien entre la forme et la « fonction » de l'objet devant être le plus
fort possible. Les objets céramiques de Guerrera possèdent en
effet cette qualité - ils peuvent aisément circuler et passer de main
en main. Guerrera admet qu'il est fréquent qu'après avoir « essayé »
certains objets, à l'occasion des sorties de la Cantine par exemple, il
les retravaille en atelier pour améliorer leurs effets sur le public même si ces effets prennent la forme d'«inconforts» ou de
«dysfonctionnements».
Ce lien étroit entre la dimension artisanale du travail de
Guerrera et les lieux alternatifs dans lesquels il expose est prouvé, a
contrario, par les réactions déconcertées de la critique d'art
lorsque l'artiste expose dans des lieux plus institutionnels, comme
ce fut le cas à la Galerie d'art de l'Université Concordia de
Montréal en début d'année. Détachés de leur contexte
d'exposition habituel les objets semblaient étrangement figés,
bénéficiant tantôt de trop d'espace, tantôt de trop peu. Face à
l'exposition, les critiques d'art déclaraient d'ailleurs leur perplexité
en des termes similaires - le critique du journal Voir écrivait « au
premier regard c'est un peu fouillis et même agaçant »35, celui du
Devoir « cette composition accumulative de dessins, d'objets, de
prospectus et de slogans [ ... ] ressemble à un fouillis complet. »36 -
35
Mavrikakis N., « L'eau à la bouche », Voir (Montréal), 29 avril-5 mai 1999, p.
70.
36
Lamarche B., « Fatras corporel et corporatif », loc. cit.
247
Sociologie de l'indice: l'œuvre de Massimo Guerrera
insistant sur le fait que le « cube blanc » de la galerie ou du musée
semblait mal adapté à ce type de production. Il est intéressant de
noter que la critique d'art montréalaise a réagi sur le même ton à
l'occasion de l'exposition du Musée d'art contemporain de
Montréal De Fougue et de Passion (17 octobre 1997 - 4 janvier 1998)
consacrée à la jeune création montréalaise qui expose d'ordinaire
dans des lieux alternatifs et des espaces autogérés37.
De l'utilité de la sociologie des œuvres...
En guise de conclusion, posons à nouveau la question de l'utilité de
la sociologie des œuvres. Nous avons vu, dans le cas de Massimo
Guerrera, que les critiques reprennent généralement les propos de
l'artiste sur la fluidité des échanges corporels et économiques, sur
la convivialité de la consommation, sur ce que Nicolas Bourriaud
appelle « l'art relationnel ». Or, en s'intéressant à certains indices
de l'œuvre, les « sucettes de transmission », nous avons pu mettre
en évidence que la technique artisanale, utilisée pour leur
fabrication, nous renvoyait à certaines modalités d'exposition et de
diffusion du monde de l'art des années 1990, et plus précisément
au système Do-It-Yourself. Bien sûr ce n'est pas la sociologie des
œuvres qui nous a révélé l'existence de ce réseau de diffusion
alternatif de l'art contemporain. Elle nous a simplement permis de
mettre à jour la corrélation qui existe entre un type de création et
son mode de diffusion et le fait que l'œuvre est à la fois un objet
produit par des relations sociales et un objet producteur de
relations sociales.
37
Lamarche B., « De bric et de broc », Le Devoir, samedi 25 octobre 1997, p. D
10. Précisons que Massimo Guerrera ne participait pas à cette exposition.
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