Prix Nobel de Médecine  :
la découverte
des ‘Place cells’ par J. O’Keefe
et des ‘Grid cells’ par M-B Moser & E-I Moser
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Institute of Neuroscience (IONS) – Université catholique de Louvain
marcus.missal@ulouvain.be
J O’K M-B M E M
De quelle manière l’espace est-il représenté dans le cerveau? Cette question,
qui a fait l’objet dun grand nombre de discussions philosophiques, a été au
centre des recherches du neurophysiologiste John O’Keefe et de son équipe
dans les années . John O’Keefe s’est particulièrement intéressé au rôle de
lhippocampe dans la représentation de lespace et la mémoire des lieux. L’hip-
pocampe est une petite structure phylogénétiquement très ancienne qui fait
partie du lobe temporal médian du cerveau des vertébrés (voir Figure ).
Revue des Questions Scientiques, ,  () : -

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Figure 1 : Localisation de l hippocampe. Cette structure occupe une partie du lobe
temporal médian. Sur cette gure, les hippocampes gauche et droit sont donc vus en
transparence, à travers la partie latérale du lobe temporal. http://media.smithsonianmag.
com/images/Memory-hippocampus-brain-1.jpg
Son ablation chirurgicale bilatérale est parfois nécessaire pour traiter les
cas dépilepsie réfractaires aux traitements médicamenteux. Cependant, il a été
observé, comme chez le fameux patient HM (Henry Molaison), que cette
ablation provoque une incapacité de consolider les nouvelles informations en
mémoire à long terme. Par exemple, le patient HM pouvait lire le journal le
matin et le relire ensuite le soir comme s’il ne l’avait jamais lu. La première
lecture du quotidien ne s’était pas consolidée à long terme. Ceci caractérise
lamnésie dite ‘antérograde’. Les souvenirs anciens par contre, datant de bien
avant la lésion comme les souvenir denfance, n’étaient pas aectés. De manière
assez étonnante et peu compréhensible à l’époque, HM sourait également de
désorientation spatiale. Ces observations de William Scoville et Brenda Milner
sur le patient HM (Scoville et Milner ) eurent un grand impact sur la
communauté neuroscientique et John O’Keefe enregistra directement lacti-
vité neuronale dans l’hippocampe du rat lors de tâches de mémorisation
(O’Keefe et Dostrovsky, ). Dans le cerveau, lactivation dun neurone se
manifeste par un changement très rapide des charges électriques de part et
dautre de la membrane cellulaire. Cette variation rapide sappelle un potentiel
daction, et l’information dans le système nerveux est représentée par la varia-
tion du nombre de potentiels daction par unité de temps. Le codage de linfor-
   :    “ ”

mation se fait entre autres par une variation du nombre de potentiels dactions
par unité de temps. O’Keefe et Dostrovsky découvrirent dans la région CA
de lhippocampe des neurones pyramidaux dont lactivité augmentait chaque
fois que lanimal passait par une position spatiale particulière dans une arène
expérimentale (voir gure ) et ceci quelque soit la trajectoire que lanimal adop-
tait pour y arriver (voir gure ). Ils décidèrent dappeler ces neurones des ‘place
cells’ ou ‘cellules de lieux’.
Figure 2: Exemple de l’activité électrique d’une ‘place cell’ hippocampique. Une électrode est
placée dans l hippocampe de l’animal pendant quil explore son environnement. Une caméra
enregistre sa position spatiale et l’arène est vue de dessus. Le tracé supérieur représente l’activité
électrique d’un neurones de lhippocampe. La fréquence des potentiels d’action augmente lorsque
l’animal s’oriente vers la partie antérieure droite de l’arène (de ‘Principles of Neural Science’,
Eric Kandel et al.)
Figure 3 : Exemple de l’activité dune ‘place cell. La trajectoire de l’animal en vue de
dessus est représentée par le trait noir continu. Lorsque la cellule est activée, un point rouge
est superposé à la trajectoire. De cette manière, on peut voir que la cellule s’activait pour
une position spatiale particulière chaque fois que l’animal y passait quel que soit son
parcours pour y arriver (de: Moser et al., 2008).

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Il ne s’agissait pas dune simple activité sensorielle mais de lémergence
dune nouvelle propriété à partir d’informations visuelles, vestibulaires, pro-
prioceptives et motrices progressivement intégrées dans une représentation
spatiale dordre supérieur.
Il s’agissait donc dun type nouveau dactivité neuronale jamais enregistré
précédemment et qui pourrait intervenir dans la création dune carte ‘cognitive’,
dune représentation interne de lenvironnement dans lequel lanimal se trouve.
Cette carte pourrait être utilisée pour permettre lorientation sur la base de
repères externes visuels notamment. Elle participerait à la mémoire explicite
des lieux. De plus, les souvenirs des événements qui nous sont survenus sont
toujours inscrits dans un contexte spatio-temporel particulier. Par exemple,
souvenez-vous de votre dernière rencontre avec un ami particulier. Cette ren-
contre a eu lieu à tel endroit, à tel moment. Les souvenirs s’inscrivent dans un
contexte particulier dans le domaine spatial qui pourrait être représenté par
lactivité de ces ‘place cells’ ou ‘cellules de lieu. La question de lorigine de cette
activité particulière des ‘place cells’ s’est rapidement posée, étant donné qu’elle
ne semblait pas dépendre de la connectivité interne à l’hippocampe. Les époux
Moser, qui travaillèrent avec John O’Keefe avant de prendre leur indépendance,
cherchèrent dans une structure annexe à lhippocampe, le cortex entorhinal
(EC), si des types neuronaux similaires ou précurseurs pouvaient s’y trouver.
A leur grande surprise, ils y découvrirent un type nouveau de réponse neuro-
nale, aux propriétés encore plus abstraites, les ‘grid cells’ (voir Hasselmo et al.
). Ces neurones ont une activité qui augmente à intervalle régulier pour
plusieurs positions distinctes lorsque l’animal parcours sont environnement (voir
gure ). Lorsque l’activité neuronale est représentée par rapport à larène dans
laquelle il se trouve, M-B and E-I Moser découvrirent une structure régulière
basée sur un motif triangulaire se répétant, un pavage régulier, et formant une
structure hexagonale.
   :    “ ”

Figure 4 : Exemple de l’activité dune ‘grid cell. La trajectoire de l’animal vue de
dessus est représentée par le trait noir continu. Lorsque la cellule est activée, un point
rouge est superposé à la trajectoire. De cette manière, on peut voir que la cellule sactive
pour plusieurs positions spatiales distinctes formant un ‘maillage’ régulier de l’espace
(de: Moser et al., 2008). (voir illustration en couleurs p. 423)
Un tel type dactivité neuronale ne peut pas s’expliquer sur des bases pure-
ment sensorielles. Il émerge, de nouveau, à partir de lintégration de diérentes
sources d’information an de créer une représentation abstraite de lespace
lui-même. Cette découverte est très importante dun point de vue théorique et
pratique. D’un point de vue théorique, la découverte des ‘grid cells’ montre
qu’il existe bien une représentation interne et ‘absolue’ de lespace. Lespace
nest pas représenté sous forme de positions relatives, mais il existe bel et bien
une carte cognitive qui représente l’espace de manière abstraite, quasi-kan-
tienne. Cependant, la nature innée ou acquise de cette représentation reste à
déterminer. John O’Keefe avait prédit ce type de représentation spatiales des
années auparavant, et avait à l’époque suscité de vives réactions et le scepticisme
de ses collègues. De plus, M-B et E-I Moser ont développé un modèle théorique
qui permettrait d’expliquer les propriétés spectaculaires des ‘grid cells’ (Moser
et al. ). Cette contribution est également essentielle. En eet, sans modé-
lisation mathématique, le fonctionnement du cerveau resta toujours un mystère.
D’un point de vue pratique, la destruction pathologique de ‘grid cells’ expli-
querait le syndrome de désorientation spatiale observé dans la maladie dAlzhei-
mer, qui se manifeste dabord par une dégénérescence neuronale au niveau du
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