Abeilles et Fleurs – De quels éléments disposons-
nous à l’heure actuelle sur ces molécules ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Au-delà
de l’effet direct sur le système nerveux central, cer-
tains néonicotinoïdes ont aussi un effet de pertur-
bateur endocrinien, principalement sur la thyroïde.
C’est le groupement chimique imidazole (présent
également dans les métabolites) qui se fixe sur les
récepteurs de la thyroïde. Le mécanisme d’action
a donc été identifié. De plus, le thiaclopride est
classé cancérigène probable pour l’homme, à par-
tir du constat de tumeurs hépatiques induites chez
l’animal. On sait aussi que l’imidaclopride inhibe
une enzyme hépatique (la delta amino-levulinate-
deshydratase). La même inhibition enzymatique se
retrouve dans le saturnisme. Cette inhibition conduit
à l’accumulation intracorporelle de la delta ALA, qui
est un neurotoxique, et ceci pourrait expliquer les
effets neurologiques qui ont été décrits en premier.
L’imidaclopride et l’acétamipride provoquent des
troubles neuro-développementaux chez l’animal,
avec des anomalies cérébrales. Ces troubles sont
reconnus par l’EFSA.
Abeilles et Fleurs – Et sur les effets cocktails ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Les au-
teurs de l’étude, qui met en évidence l’action per-
turbatrice endocrinienne du thiaclopride sur la thy-
roïde (Sekeroglu, 2013), décrivent que les effets
de l’association thiaclopride-deltamethrine est de
nature synergique sur la thyroïde. Cette association
est bien connue du monde apicole avec la formula-
tion Protéus*. Ceci n’est pas sans rappeler la syner-
gie de toxicité lorsque les insectes sont exposés au
mélange de deux néonicotinoïdes. C’est aussi le cas
pour les cocktails de pesticides omniprésents dans
nos campagnes (insecticides et fongicides notam-
ment). Chez l’homme, la synergie insecticide-fongi-
cide a été montrée sur la thyroïde dans le cas de
l’imidaclopride et du mancozebe (carbamate) [Bhas-
kar, 2014].
L’autre étude déjà évoquée ici concerne les formu-
lations Confidor et Polysect. Il faut comprendre que
les adjuvants ne sont pas considérés comme actifs
bien qu’ils soient capables de multiplier la toxicité
des insecticides seuls par 10, 100 ou 1 000. Mes-
nage et ses collaborateurs illustrent particulièrement
Michel Nicolle est médecin, retraité depuis 3 ans. Il
a exercé en Basse-Normandie en pédiatrie, en PMI
et dans des centres medico-psycho-pédagogiques.
Il est responsable de la rubrique de santé environ-
nementale dans la revue pédiatrique « Médecine
et enfance », à laquelle il participe en écrivant des
articles sur les perturbateurs endocriniens, les édul-
corants, les pesticides, la pollution atmosphérique,
l’épigénétique, la programmation fœtale des mala-
dies d’origine développementale. Militant au Ré-
seau Environnement Santé (RES), il participe à des
actions de formation des médecins et professions
para-médicales avec la Mutualité française. Il colla-
bore avec l’association « Alerte des médecins sur
les pesticides » depuis deux ans. « J’attache la plus
grande importance à la santé publique et à la méde-
cine préventive. Devant les menaces qui pèsent sur
les femmes enceintes, les anomalies génétiques et
les cancers dont souffrent certains enfants, je me
suis posé la question des causes de ces troubles.
Si tous, et loin de là, ne sont pas dus à l’environ-
nement chimique, je me suis dit que si on pouvait
en éliminer certains ce serait déjà un grand pas en
avant pour les générations présentes et à venir ».
Jean-Marc Bonmatin est chercheur au CNRS,
spécialiste des neurotoxiques. Il est vice-prési-
dent de la Task Force internationale sur les pes-
ticides systémiques et l’un de principaux auteurs
de la méta-analyse de l’impact des pesticides
systémiques sur la biodiversité et les écosys-
tèmes (WIA, www.tfsp.info), réalisée par la Task
Force et rendue publique en juin 2014. Cette
dernière retrace 1 221 études scientifiques cou-
vrant les cinq dernières années, y compris celles
« parrainées » par l’industrie. Elle met en lumière
l’implication non négligeable de ces substances
dans le déclin des populations d’abeilles dans
le monde, mais également sur de nombreuses
autres composantes de l’environnement (inver-
tébrés aquatiques et terrestres, oiseaux, etc.).
Dès le début des années 2000, les travaux de
Jean-Marc Bonmatin ont permis de mettre en
évidence l’exposition significative des abeilles
à l’imidaclopride via sa présence dans les pol-
lens et les nectars, jusque dans des cultures
non traitées l’année suivante après la première
utilisation.
Docteur
Jean-Marc
Bonmatin
Docteur
Michel Nicolle
Abeilles et Fleurs n° 772 - Juin 2015
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