Le rendez-vous du mois
Néonicotinoïdes et santé
«Les indicateurs vont
dans le même sens
et doivent nous alerter»
Entretien avec le Dr Michel Nicolle
et le DrJean-Marc Bonmatin
Le 6 mai dernier, la Commission du développement durable de l’Assemblée
nationale auditionnait plusieurs experts sur l’impact des néonicotinoïdes.
Michel Nicolle, médecin, membre de l’association Alerte des médecins sur les
pesticides, a exposé l’impact de ces molécules sur la santé humaine.
Jean-Marc Bonmatin, chercheur spécialiste des neurotoxiques au CNRS, présentait
leurs conséquences sur différentes composantes de l’environnement. Deux exposés
captivants… Abeilles et Fleurs a souhaité interviewer les deux experts pour qu’ils
nous fournissent un éclairage sur cette question peu traitée, ni dans nos colonnes
ni ailleurs, celle des risques des néonicotinoïdes pour la santé humaine.
© Virginie HATEAU (UNAF).
Abeilles et Fleurs – Quel est l’état de la recherche
concernant l’impact des néonicotinoïdes sur la
santé ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Ces re-
cherches sont extrêmement limitées. Les impacts
des néonicotinoïdes sur la santé humaine sont beau-
coup moins documentés que leurs impacts sur les
insectes. Cela provient sans doute du fait qu’ils ont
la réputation d’être beaucoup moins toxiques pour
l’homme qui, comme les espèces à sang chaud,
présente moins de récepteurs sensibles à ces molé-
cules, lesquelles par ailleurs ne sont pas bio-accu-
mulables. En France, un seul article (Mesnage, 2014)
montre les effets toxiques
très démultipliés des for-
mulations sur les cellules
humaines pour deux néo-
nicotinoïdes, comparative-
ment aux matières actives
seules (imidaclopride et
acétamipride).
Lors d’une expertise de
l’INSERM, la professeur
Van Maele a justement
souligné qu’« en matière
de néonicotinoïdes, les
seules données actuel-
lement disponibles chez l’homme concernent des
intoxications aiguës, c’est-à-dire des empoisonne-
ments ». Donc, il n’existe pas d’étude épidémiolo-
gique (Inserm, Invs, Agrican) visant une toxicité par
exposition chronique.
Le très faible nombre de publications sur ce sujet est
surprenant lorsqu’on sait qu’un tiers des insecticides
vendus dans le monde sont des néonicotinoïdes.
David Gee, directeur de l’Agence européenne de
l’environnement, analyse la nature, le nombre et
l’évolution des publications en fonction des sujets de
recherches : elles sont beaucoup plus nombreuses
quand il y a une certitude de danger, et leur crois-
sance est parallèle avec le degré de certitude. Par-
fois, une publication significative peut
initier une série d’études
dès lors que le danger
est démontré. Cela a été
le cas pour les abeilles au
début des années 2000,
et aujourd’hui il n’y a plus
de doutes. Pour la santé
humaine, il faut un certain
courage scientifique pour
se lancer (et des finance-
ments aussi), comme cela a
été le cas pour les organo-
chlorés ou le bisphénol A.
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Abeilles et Fleurs n° 772 - Juin 2015
Abeilles et Fleurs – De quels éléments disposons-
nous à l’heure actuelle sur ces molécules ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Au-delà
de l’effet direct sur le système nerveux central, cer-
tains néonicotinoïdes ont aussi un effet de pertur-
bateur endocrinien, principalement sur la thyroïde.
C’est le groupement chimique imidazole (présent
également dans les métabolites) qui se fixe sur les
récepteurs de la thyroïde. Le mécanisme d’action
a donc été identifié. De plus, le thiaclopride est
classé cancérigène probable pour l’homme, à par-
tir du constat de tumeurs hépatiques induites chez
l’animal. On sait aussi que l’imidaclopride inhibe
une enzyme hépatique (la delta amino-levulinate-
deshydratase). La même inhibition enzymatique se
retrouve dans le saturnisme. Cette inhibition conduit
à l’accumulation intracorporelle de la delta ALA, qui
est un neurotoxique, et ceci pourrait expliquer les
effets neurologiques qui ont été décrits en premier.
L’imidaclopride et l’acétamipride provoquent des
troubles neuro-développementaux chez l’animal,
avec des anomalies cérébrales. Ces troubles sont
reconnus par l’EFSA.
Abeilles et Fleurs – Et sur les effets cocktails ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Les au-
teurs de l’étude, qui met en évidence l’action per-
turbatrice endocrinienne du thiaclopride sur la thy-
roïde (Sekeroglu, 2013), décrivent que les effets
de l’association thiaclopride-deltamethrine est de
nature synergique sur la thyroïde. Cette association
est bien connue du monde apicole avec la formula-
tion Protéus*. Ceci n’est pas sans rappeler la syner-
gie de toxicité lorsque les insectes sont exposés au
mélange de deux néonicotinoïdes. C’est aussi le cas
pour les cocktails de pesticides omniprésents dans
nos campagnes (insecticides et fongicides notam-
ment). Chez l’homme, la synergie insecticide-fongi-
cide a été montrée sur la thyroïde dans le cas de
l’imidaclopride et du mancozebe (carbamate) [Bhas-
kar, 2014].
L’autre étude déjà évoquée ici concerne les formu-
lations Confidor et Polysect. Il faut comprendre que
les adjuvants ne sont pas considérés comme actifs
bien qu’ils soient capables de multiplier la toxicité
des insecticides seuls par 10, 100 ou 1 000. Mes-
nage et ses collaborateurs illustrent particulièrement
Michel Nicolle est médecin, retraité depuis 3 ans. Il
a exercé en Basse-Normandie en pédiatrie, en PMI
et dans des centres medico-psycho-pédagogiques.
Il est responsable de la rubrique de santé environ-
nementale dans la revue pédiatrique « Médecine
et enfance », à laquelle il participe en écrivant des
articles sur les perturbateurs endocriniens, les édul-
corants, les pesticides, la pollution atmosphérique,
l’épigénétique, la programmation fœtale des mala-
dies d’origine développementale. Militant au Ré-
seau Environnement Santé (RES), il participe à des
actions de formation des médecins et professions
para-médicales avec la Mutualité française. Il colla-
bore avec l’association « Alerte des médecins sur
les pesticides » depuis deux ans. « J’attache la plus
grande importance à la santé publique et à la méde-
cine préventive. Devant les menaces qui pèsent sur
les femmes enceintes, les anomalies génétiques et
les cancers dont souffrent certains enfants, je me
suis posé la question des causes de ces troubles.
Si tous, et loin de là, ne sont pas dus à l’environ-
nement chimique, je me suis dit que si on pouvait
en éliminer certains ce serait déjà un grand pas en
avant pour les générations présentes et à venir ».
Jean-Marc Bonmatin est chercheur au CNRS,
spécialiste des neurotoxiques. Il est vice-prési-
dent de la Task Force internationale sur les pes-
ticides systémiques et l’un de principaux auteurs
de la méta-analyse de l’impact des pesticides
systémiques sur la biodiversité et les écosys-
tèmes (WIA, www.tfsp.info), réalisée par la Task
Force et rendue publique en juin 2014. Cette
dernière retrace 1 221 études scientifiques cou-
vrant les cinq dernières années, y compris celles
« parrainées » par l’industrie. Elle met en lumière
l’implication non négligeable de ces substances
dans le déclin des populations d’abeilles dans
le monde, mais également sur de nombreuses
autres composantes de l’environnement (inver-
tébrés aquatiques et terrestres, oiseaux, etc.).
Dès le début des années 2000, les travaux de
Jean-Marc Bonmatin ont permis de mettre en
évidence l’exposition significative des abeilles
à l’imidaclopride via sa présence dans les pol-
lens et les nectars, jusque dans des cultures
non traitées l’année suivante après la première
utilisation.
Docteur
Jean-Marc
Bonmatin
Docteur
Michel Nicolle
Abeilles et Fleurs n° 772 - Juin 2015
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Le rendez-vous du mois
Par exemple, les Japonais
sont de grands consomma-
teurs de thé. Or, une infusion
n’est autre qu’une extrac-
tion avec de l’eau bouillante
comme solvant. On y récu-
père les arômes, mais aussi
les toxiques hydrosolubles
comme les néonicotinoïdes.
Ces conditions ont poussé les
scientifiques japonais à réagir
puisque les médecins hospi-
talisent des patients empoi-
sonnés. L’équipe de Kimura a
publié sur la toxicité neurolo-
gique des néonicotinoïdes sur
les animaux.
L’équipe de Chichiro Sugiyama a montré que les
néonicotinoïdes avaient une action sur d’autres ré-
cepteurs glutamatergiques du système nerveux cen-
tral. L’équipe de Taïra a fait une description détaillée
des signes d’intoxication subaiguë. Les auteurs ont
corrélé ces signes avec les néonicotinoïdes présents
dans les urines.
Les troubles cessent en quelques semaines lorsqu’on
supprime leur cause (arrêt de nourriture traitée).
Ainsi les Japonais développent-ils aujourd’hui des
techniques de bio-monitoring et de dosages de
néonicotinoïdes dans leurs urines.
le cas de l’adjuvant NMP (N
methyl 2 pyrrolidone) associé
à l’imidaclopride dans le cas
du Confidor. Cet adjuvant est
toxique pour le développe-
ment, le squelette et entraîne
une baisse du poids de nais-
sance (Saillenfait, 2002).
Or, ce même NMP, à lui tout
seul, présente une forte toxi-
cité pour les larves d’abeilles
(Zhu, 2014). Ceci montre bien
que même les adjuvants dits
« inertes » ne sont pas sans
danger, ni pour les colonies ni
pour la santé humaine.
Abeilles et Fleurs – De nombreuses études sur l’im-
pact de ces produits proviennent du Japon. Pour-
quoi ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Il existe
de multiples facteurs liés à la culture et à la géogra-
phie de ce pays. Les agriculteurs japonais sont de
grands utilisateurs de néonicotinoïdes, ils pratiquent
des épandages aériens, et les LMR (limites maxi-
males de résidus) dans les végétaux sont plus éle-
vées que dans les autres pays du monde. Les consé-
quences de cette permissivité peuvent être directes.
© Shutterstock
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Abeilles et Fleurs n° 772 - Juin 2015
Abeilles et Fleurs – Quelles sont vos recommanda-
tions pour mieux connaître l’impact de ces produits
sur la santé humaine ?
Michel Nicolle et Jean-Marc Bonmatin – Après les
démonstrations des graves impacts des néonicoti-
noïdes sur les abeilles, pollinisateurs, insectes utiles,
invertébrés terrestres et aquatiques, sur les impacts
directs ou indirects sur les vertébrés et la biodiver-
sité, aujourd’hui apparaissent progressivement ceux
sur l’homme. Tous ces indicateurs vont dans le même
sens et doivent nous alerter.
L’association
Alerte des
médecins sur
les pesticides
(AMLP)
Comme de nombreux méde-
cins de terrain, Michel Nicolle a
constaté l’augmentation des mala-
dies chroniques chez ses patients
(cancers, troubles de la ferti-
lité, mais aussi maladies neu-
rologiques, diabète, aller-
gies…). Avec ses confrères,
il a aussi constaté que les
preuves de la responsabilité
de substances chimiques très
largement répandues dans
notre environnement s’accu-
mulaient. Bien que les pes-
ticides ne soient pas seuls en cause, ils ont
tenu à exprimer publiquement leur souhait que,
face aux dangers de ces produits, des politiques
agricoles, économiques et de santé publique
soient enfin efficacement mises en œuvre.
Ainsi est née l’AMLP (Alerte médecins sur les pes-
ticides), une association de médecins qui a pris
naissance dans le Limousin avant de s’étendre
à d’autres départements. Ces médecins se sont
organisés autour d’un appel alertant sur les dan-
gers pour la santé humaine des pesticides, que
ce soit pour les exploitants agricoles, les ouvriers
opérateurs, les riverains, les consommateurs. Cet
appel est aujourd’hui signé par 1 500 médecins
de métropole et d’outre-mer.
Ils sont intervenus auprès des parlementaires
lors de la discussion de la Loi d’avenir agricole,
par des conférence de presse au Sénat, en par-
ticipant à un colloque en présence du ministre
Philippe Martin à l’Assemblée nationale, en pro-
posant des amendements à cette loi. Ils ont aussi
été reçus dans les trois ministères (Écologie, Af-
faires sociales, Agriculture), puis à l’ANSES.
Parmi les demandes formulées par l’association :
La reconnaissance de nouveaux tableaux de
maladies professionnelles agricoles dont l’appa-
rition est liée à l’exposition aux pesticides.
• La fin des épandages aériens.
Des mesures de réduction de risques vis-à-vis
des riverains.
La disparition à très brève échéance des résidus
de pesticides perturbateurs endocriniens dans
les produits alimentaires.
En savoir plus : www.alerte-medecins-pesticides.fr
Il y a largement assez d’arguments pour être bien
au-delà des doutes, bien au-delà du principe de
précaution, puisque nous devons réagir maintenant
selon des principes de prévention.
Il faudra également tirer les leçons des erreurs com-
mises concernant l’homologation des pesticides,
requérir une recherche parfaitement indépendante,
développer un biomonitoring non seulement pour
les abeilles mais aussi en santé humaine, en identi-
fiant chaque fois des biomarqueurs d’exposition et
d’effet. Toutes ces actions et développements ne
doivent pas porter préjudice à des décisions fortes
et immédiates devant être prises par les pouvoirs
publics et politiques.
Propos recueillis par Anne Furet
(*) Le Protéus est utilisé sur le colza. L’UNAF a introduit un recours
contre son autorisation devant les tribunaux administratifs. L’af-
faire n’est pas encore jugée.
Réécoutez les auditions
à l’Assemblée nationale :
http://videos.assemblee-nationale.
fr/video.6719
Le tableau récapitulatif des publications
récentes sur les effets secondaires des
néonicotinoides : http://www.alerte-medecins-
pesticides.fr/wp-content/uploads/2015/05/tableau-
r%C3%A9sum%C3%A9-effets-II-des-NN.pdf
© Phovoir
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