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Analyse de l’appropriation de la norme ISO 9001 par le modèle du
système d’activité : Tensions dans les pratiques et apprentissage
expansif
Hiam SERHAN
Doctorante
AgroParisTech
Doudja SAIDI-KABECHE
Maître de Conférence AgroParisTech
Chercheur associé M-Lab
UMR DRM 7088 Université Paris Dauphine
Résumé :
La norme ISO 9001 est un outil de gestion générique, composé d’un artefact renfermant des
connaissances expertes scientifiques et techniques pour fonctionner, une philosophie
gestionnaire qui organise sa mise en œuvre et une vision réductrice des connaissances
pratiques et relationnelles de l’entreprise. Elle est paradoxalement orientée, à la fois, vers la
conformation des pratiques que l’entreprise doit codifier pour les standardiser et améliorer, et
vers l’exploration du potentiel de l’entreprise en connaissances, compétences et expertises sur
lesquelles elle peut s’appuyer pour innover. Ces orientations dépendent du style managérial
qui va l’interpréter et la mettre en acte dans un processus d’appropriation de ses exigences.
Au cours de ce processus, elle subit des tensions et des perturbations liées à l’interaction des
connaissances expertes avec une réalité déjà standardisée en comportements difficiles à
changer; et à la codification des connaissances sous forme de bonnes Pratiques. Nous nous
intéressons à travers cette communication à la tension de codification qui est perçue par les
acteurs et par les organisations sous deux angles différents : pour les acteurs c’est une
exigence paradoxale car, en codifiant leurs pratiques (souvent tacites), sous une forme
explicite (distribuable), ils fragilisent leurs fonctions et se sentent déposséder de leurs savoir-
faire. Pour les organisations, c’est une étape pertinente qui va dévoiler leurs ‘patrimoines de
connaissances et de compétences’ capables d’ouvrir leurs frontières vers l’innovation. Pour
expliciter les tensions et les perturbations que cette exigence implique, nous l’étudions dans le
cas de la multinationale Danone, qui a réussi à la mettre en place non pas comme une
exigence de la norme ISO 9001, mais comme un outil de gestion des connaissances qui lui a
permis d’innover dans ses pratiques et ses produits.
Nous mobilisons comme cadre de lecture et d’analyse, le modèle du système d’activité
d’Engeström qui met en évidence les perturbations que cette exigence provoque et qui sont
considérées comme créatrices de dynamisme et de créativité. Notre objectif est de montrer
comment Danone a réussi par une expérience innovante, le NetWorking Attitude, à tirer profit
des perturbations et tensions du paradoxe de la codification de ses connaissances
organisationnelles. Nous analysons l’appropriation des exigences de cette démarche par le
modèle d’apprentissage expansif d’Engeström, qui rend visible la créativité du style
managérial déplopour interpréter d’une part, l’utilité de l’outil de codification, et, d’autre
part, élargir son domaine d’application en l’orientant plus vers l’exploration et l’innovation
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Auteur correspondant
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que la conformation et la dépossession de compétences. La créativité managériale apparaît
dans cette expérience comme un facteur primordial de contextualisation de l’outil
gestionnaire et de valorisation des connaissances métiers.
Mots clés : Norme ISO 9001, Codification des bonnes pratiques, apprentissage expansif, tensions,
innovation
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1. INTRODUCTION
L’histoire des organisations est jalonnée de théories, outils et méthodes de management, issues de
plusieurs disciplines (psychologie, sociologie, économie, gestion), qui se sont mutuellement influencées
dans l’objectif de conjuguer simultanément les objectifs de l’organisation et ceux des acteurs qui la
composent. Après l’industrialisation et la standardisation de la production, la prise en compte des besoins
des salariés au travail, a rendu visible l’importance des savoirs des individus (Argyris, 1964) et de la
dynamique des groupes (Lewin, 1944) par un management participatif (Lickert, 2012). L’entreprise tend à
devenir une organisation apprenante qui dispose d’une mémoire organisationnelle qui se développe à
travers les apprentissages des individus qui la composent (Argyris & Schön, 1976) et évolue par
capitalisation sur les connaissances détenues par ses acteurs (Prax, 2000).
Cette évolution est le symptôme d’une entreprise moderne et mature qui cherche à atteindre deux
objectifs d’apparences paradoxales, l’efficacité par la stabilisation et l’innovation par la flexibilité,
reconnaissant que l’homme n’est pas fait pour être mesuré, mais il est la mesure de toute chose (Handy,
1994). Ces organisations doivent gérer, sans dissoudre, les dilemmes que leur impose le contexte
organisationnel dans lequel elles opèrent.
1.1. LE PARADOXE DES ORGANISATIONS
Pour appréhender les changements dans leur environnement, les entreprises sont conduites à concilier des
contraintes perçues habituellement comme opposées : ces entreprises doivent être locales et globales,
préserver l’exploitation des connaissances métier et explorer les connaissances créatrices de nouvelles
valeurs; les employés doivent être autonomes mais capables de travailler en équipe. Les managers doivent
être des « Masters of Paradox » (Hampden-Turner, 1994) pour contrôler et déléguer, miser sur la
décentralisation tout en restant intégré; atteindre les consommateurs de masse et trouver des niches (Handy,
1995). Ces managers doivent parvenir à rendre visible le portefeuille de ressources immatérielles détenues
sous forme de connaissances métiers, et rassembler ces savoirs spécialisés mais fragmentés entre différents
praticiens, pour en faire un levier de développement et d’apprentissage organisationnel (Grant, 1996). Le
rôle des managers dans le management des paradoxes, consiste à doter les emplos des moyens qui les
aident à identifier le patrimoine des connaissances critiques de l’entreprise (Saulais & Ermine, 2012) et de
le reconfigurer avec de nouvelles valeurs inspirées des exigences de l’environnement.
Pour relever ces défis et rester compétitive, l’entreprise s’engage dans des programmes de changement et de
réflexion sur ses pratiques, savoirs, compétences et relations pour envisager des structures souples et
réactives. Elle le fait en s’appuyant sur des outils et idées managériales.Parmi les divers outils managériaux,
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nous nous intéressons dans cette communication particulièrement à la norme ISO 9001 du système de
management de la qualité. Cette norme, largement utilisée dans le monde (un million de certification en
2014) est considérée comme un instrument de pilotage qui enjoint les acteurs à être ambidextres (O’Reilly
& Tushman, 2004) en préconisant simultanément exploitation des bonnes pratiques organisationnelles
(standardisation) et l’exploration de nouvelles connaissances pour créer et innover (innovation). Nous
l’analysons comme un outil de gestion structuré autour de trois composantes interdépendantes, un artefact
renfermant les exigences à satisfaire, une philosophie gestionnaire pour la mettre en place, et une vision
réductrice des connaissances et des relations de l’entreprise (Hatchuel & Weil, 1992).
Comme tout outil de gestion, la norme est une innovation managériale (David, 1996) conçue, non
seulement pour conformer des pratiques à ses règles, mais surtout pour élargir les objectifs de l’organisation
en rendant visibles son patrimoine de connaissances et compétences sur lesquelles elle peut s’appuyer pour
innover. Sa mise en œuvre nécessite la rédaction des pratiques, la formulation d’un référentiel (Manuel
Management) dans lequel sont déclinés les planifications, ressources, responsabilités, informations
documentées pour faciliter la vérification, la correction et l’amélioration des pratiques. Cette démarche de
codification des pratiques opérationnelles, s’apparente à un processus de gestion des connaissances (Prax,
2000), puisqu’elle consiste à identifier, sélectionner, créer, capitaliser et diffuser des connaissances à
l’ensemble des acteurs sous forme de Bonnes Pratiques.
Mais cette gestion des connaissances génère des tensions dans les organisations que nous analysons à
travers le paradoxe de la codification des connaissances.
1.2. LE PARADOXE DE LA CODIFICATION DES CONNAISSANCES
Les entreprises engagées dans une démarche de certification ISO 9001 doivent, dans une première
étape, satisfaire l’exigence « Gestion documentaire ». Elles se trouvent alors confrontées au paradoxe de la
codification des connaissances, induit par l’exigence « rédaction des procédures ». En effet, ce concept de
codification, qui est censé rendre visibles les connaissances, savoir-faire et compétences utiles au
développement de l’entreprise, reçoit des résistances de la part des employés impliqués dans sa réalisation.
Leur résistance s’explique par le fait qu’ils perçoivent le fait de rédiger ce qu’ils font et comment ils le font
comme une dépossession de leurs savoir-faire (rendre public leurs connaissances) et une fragilisation de
leur fonction.
Dans cette communication, à travers le cas de la norme ISO 9001, nous souhaitons éclairer la question des
tensions cognitives et affectives, qui sous tendent le paradoxe de la codification des pratiques dans tout
système de management cherchant à la fois stabilité et flexibilité ainsi que la question du rôle de la
philosophie gestionnaire prégnante dans l’organisation pour gérer ces tensions. Utiliser un outil de gestion
comme la norme ISO 9001 nous offre un cadre d’étude pertinent car, pour cet outil en particulier, la
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codification des pratiques joue un rôle central et le style managérial est déterminant dans le processus
d’appropriation de la norme, c’est à dire la rendre propre à un usage cohérent avec l’objectif de
l’organisation.
Notre objectif de recherche consiste à donner une illustration opérationnelle de l’hypothèse selon laquelle,
un management participatif permet par communication et échanges entre différents acteurs impliqués dans
une démarche de gestion d’un paradoxe, d’aller au delà de l’objectif fixé au départ, vers un autre objet ayant
un sens et une valeur construits collectivement par un effort délibéré d’apprentissage. En d’autres termes, il
s’agit de montrer comment un management flexible et participatif peut mettre les salariés face à leurs
incohérences, et les entraîne dans un cycle de perturbations créatrices, pour mieux valoriser leurs activités,
leurs compétences et leurs places dans une organisation qui est censé apprendre via leurs apprentissages, et
évoluer à travers leur évolution et acquérir un avantage compétitif durable fondé sur leurs core-compétences
et connaissances, rendant ainsi leur modèle de management unique, non imitable et surtout flexible devant
d’autres outils et d’autres contextes.
2. CADRE THEORIQUE
2.1. LA NORME ISO 9001 : ARTEFACT EVOLUTIF ET MISE EN ŒUVRE AMBIGUË
La norme ISO 9001 du système de management de la qualité, est une ‘norme organisation’, qui a
pour objectif d’améliorer les performances des organisations à travers un système de gestion de la qualité de
l’ensemble de ses processus.
2.1.1. La norme ISO 9001 est un outil de gestion évolutif
Depuis sa première publication en 1987, la norme a subi quatre révisions. Sa version de 1994 était axée sur
l’assurance de la conformité de la qualité d’un produit/service selon les exigences des clients. Celle de 2000
était orientée vers l’amélioration continue par l’approche processus. Sa version de 2008, repose sur un
management systémique basé sur un engagement de la direction et du personnel pour satisfaire
continuellement les exigences des différentes parties prenantes intéressées par les activités de l’entreprise.
Pour évoluer avec les exigences de l’environnement concurrentiel de tout organisme, la dernière révision de
la norme parue en septembre 2105, note que l’entreprise doit définir ses risques et ses opportunités
« Gestion des risques et opportunités » selon les besoins et tendances de son environnement « Analyse &
Compréhension du contexte interne et externe » et le potentiel de son patrimoine de connaissances et de
compétences « Gestion des connaissances organisationnelles ».
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