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La q. 2 fait avancer l'investigation sur le bonheur humain, en éliminant, tour à tour, les
fausses réponses : les richesses (a. 1), les honneurs (a. 2), la gloire (a. 3), la puissance (a. 4), le bien
du corps seulement (a. 5), le plaisir (a. 6), quelque bien de l'âme (a. 7) et, en général, le bien créé (a.
8).
La conclusion de cette question (« il est évident que rien ne peut apaiser la volonté
humaine hors le bien universel. Celui-ci ne se trouve réalisé en aucune créature, mais seulement en
Dieu. ») sera nuancée dans le premier article de la question suivante (q. 3) : comme le mot « fin »
connaît deux acceptions - d'une part, l'objet même du désir et, d'autre part, la possession de l'objet
désiré - la béatitude peut être dite « quelque chose de créé qui existe en lui (l'homme), qui n'est
autre chose que l'acquisition ou la jouissance de la fin ultime », parce que, « si on l'envisage quant à
son essence même de béatitude, elle est quelque chose de créé. » (a. 1)
Pour approfondir le statut de la béatitude, Thomas introduit la distinction aristotélicienne
entre puissance et acte : « Elle (la béatitude) est en effet l'ultime perfection de l'homme. Or une
chose est parfaite dans la mesure où elle est en acte ; car une puissance privée de son acte est
imparfaite. Il faut donc que la béatitude de l'homme consiste dans son acte ultime. » (a. 2)
Cette activité qui unit la personne humaine au bien incréé ne peut pas appartenir à la
sensibilité, mais, en même temps, elle n'est pas sans rapport avec le corps : « A titre de
conséquence, dans la parfaite béatitude qui est attendue dans le ciel (...), la béatitude de l'âme
refluera pour ainsi dire sur le corps et sur les sens corporels pour rendre leurs activités plus
parfaites. » (a. 3)
La partie théoretique de l'être humain prime sur la volonté, parce que « l'essence de la
béatitude consiste en un acte intellectuel ; mais la délectation consécutive à la béatitude appartient à
la volonté. » (a. 4) Ainsi, la fin de la vie implique la personne entière, tant l'intellect que la faculté
pratique, ce qui exclut l'interprétation réductrice sur le soi-disant intellectualisme de saint Thomas.
En ce qui concerne l'intellect, il faut approfondir la distinction entre la partie spéculative
proprement dite et l'intellect pratique. L'analyse thomasienne, tout en préservant les nuances,
accentue les priorités : « La béatitude consiste dans l'activité de l'intellect spéculatif plus que dans
celle de l'intellect pratique. » (a. 5)
La béatitude humaine ne s'arrête ni au niveau des sciences spéculatives où « notre intellect
est amené d'une certaine manière à son acte, mais non pas à son acte ultime et parfait » (a. 6), ni à la
connaissance des substances séparées, car « les anges ont un être participé » et « l'objet qui ne
représente qu'une vérité participée ne peut, quand on le contemple, perfectionner l'intellect en lui
donnant sa perfection ultime. » (a. 7) La solution proposée marque l'audace spéculative de l'auteur,
qui tire les conséquences de sa position jusqu'au niveau mystique : « La béatitude ultime et parfaite
ne peut être que dans la vision de l'essence divine. » (a. 8)
Après avoir investiguer la nature du bonheur, Thomas élargit l'analyse pour étudier les
conditions requises pour atteindre le but : la délectation - par concomitence (a. 1 : « Comme la
béatitude n'est autre chose que l'acquisition du souverain bien, elle ne saurait subsister sans
délectation concomitente. »), la vision - qui prévaut sur la délectation (a. 2 : « ce n'est pas la