REPORTAGE Steve Whettingsteel l’homme derrière la révolution du verre Entrevue réalisée par André Dumouchel L’ÉTÉ DERNIER, DANS NOTRE DOSSIER SPÉCIAL SUR LA CONSIGNE, NOUS ABORDIONS LE DÉFI QUI CONSISTE À TROUVER DES DÉBOUCHÉS POUR LE VERRE RECYCLÉ, ÉTANT DONNÉ LA DIFFICULTÉ DE LE TRIER ADÉQUATEMENT. CETTE SITUATION A CAUSÉ BIEN DES MAUX DE TÊTE AUX GESTIONNAIRES DES CENTRES DE TRI AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES, MAIS IL SEMBLE MAINTENANT Y AVOIR DE L’ESPOIR. L’ÉPINEUX PROBLÈME DU RECYCLAGE DU VERRE POURRAIT BIEN AVOIR ÉTÉ RÉSOLU! LA SOLUTION? L’IMPLOSION, UNE NOUVELLE TECHNOLOGIE INVENTÉE PAR LE B RITANNIQUE STEVE WHETTINGSTEEL ET DISTRIBUÉE PAR KRYSTELINE TECHNOLOGIES. J UMELÉE AUX INITIATIVES DÉJÀ EN PLACE AU QUÉBEC, CELLE-CI POURRAIT BIEN RENDRE POSSIBLE LE RECYCLAGE DE LA TOTALITÉ DU VERRE QUÉBÉCOIS ET AINSI RÉPONDRE À UN ENJEU ENVIRONNEMENTAL, ÉCONOMIQUE ET LOGISTIQUE QUE PLUSIEURS CROYAIENT JUSQU’À AUJOURD’HUI SANS ISSUE. SON ENTREPRISE EN JANVIER 2016, ÉCO E NTREPRISES QUÉBEC (ÉEQ) A D’AILLEURS DÉVOILÉ LES TROIS PREMIERS VOLETS DE SON PLAN VERRE L’INNOVATION, DONT LA PHASE INITIALE CONSISTERA À TESTER LES ÉQUIPEMENTS DÉVELOPPÉS PAR KRYSTELINE TECHNOLOGIES. LE MAGAZINE 3RVE A DONC RENCONTRÉ L’INVENTEUR, À SON RÉCENT PASSAGE AU QUÉBEC, ET VOUS PRÉSENTE DANS CE DOSSIER SPÉCIAL CETTE TECHNOLOGIE BRITANNIQUE ET CE QU’ELLE IMPLIQUE POUR L’ÉCONOMIE VERTE DE LA PROVINCE. NNAEGZE VISEIO O P RT LE R www.YouTube.com/ MAYAProductionvideo 8 Le magazine des matières résiduelles au Québec 3RVE VOL. 12 N O 1 HIVER 2016 REPORTAGE L’ DU VERRE Les centres de tri emploient différentes méthodes pour trier et traiter le verre. Certaines sont plus efficaces que d’autres, mais toutes procèdent en broyant puis en tamisant la matière. Ce broyage génère un fort volume de particules fines pour lesquels il est difficile, voire impossible de trouver des débouchés. Comment l’imploseur offre-t-il une solution? Au lieu de fracasser toute la matière, ce qui complique ensuite le tri des contaminants, l’imploseur génère une onde de choc qui fragmente les morceaux de verre en les frappant les uns contre les autres. Le verre est pulvérisé et réduit en granules, mais les étiquettes et les autres contaminants restent intacts. Ces derniers sont alors faciles à extraire et à éliminer, ce qui donne un verre recyclé de grande qualité. L’action de l’imploseur améliore donc l’efficacité du tamis granulométrique, qui récolte le verre en fin de parcours. Les débuts de l’implosion du verre Steve Whettingsteel a développé cette technologie alors qu’il travaillait comme ingénieur sur des bateaux de croisière dans les années 1990. Un de ses défis était alors de gérer le verre dans un espace restreint. À son retour, il a poursuivi ses recherches. Comme le broyage causait trop d’inconvénients, dont le bruit, il a décidé d’accélérer considérablement le broyage et de modifier le positionnement de l’alimentation, créant une résonance menant à l’implosion du verre. Le bruit cessa et du sable de verre s’écoula de la machine. Conscient des avantages de son invention, M. Whettingsteel l’a vite fait breveter. Le système permet de produire des granules de deux tailles différentes et ajustables. Ainsi, un centre de tri pourra produire des granules plus gros pouvant être triés de nouveau par un conditionneur et destinés à la refonte en bouteilles de verre ou en laine minérale. Il pourra également produire des granules plus fins dans le but de créer un autre produit, comme un abrasif ou un verre de filtration. Dans le cas des autres débouchés, le conditionneur verra à sécher, à imploser à nouveau et à calibrer le verre par une série de tamis, avant l’ensachage, pour en faire un produit fini destiné à la vente sur le marché nord-américain. Les avantages techniques de l’implosion • • • • ET LA POUDRE DE VERRE, ELLE ? Comment cette technologie s’inscrit-elle dans le paysage québécois, où d’autres initiatives proposent déjà de nouvelles façons de réutiliser le verre? La Chaire SAQ de valorisation du verre dans les matériaux a en effet développé une poudre de verre pouvant être utilisée comme additif dans divers produits, tel le béton. En plus d’ajouter des propriétés de durabilité et de solidité, cette poudre de verre permet de valoriser une matière qui, autrement, serait fort probablement enfouie. C’est l’entreprise Tricentris qui la transforme et la commercialise sous le nom de VERROX®. Loin d’y faire concurrence, les granules de verre recyclé que produit le système de Krysteline Technologies visent des marchés différents, tout en pouvant également être utilisés comme matière • • • • Réduit grandement la production de particules fines; Facilite le retrait des éléments indésirables (étiquettes, collets, bouchons) en les gardant intacts, ce qui offre une meilleure valeur de revente ; Peu énergivore ; Produit un verre aux arêtes arrondies, qui réduit l’usure des équipements et est plus sécuritaire à manipuler ; Peu bruyant ; Ajustable ; S’adapte aux normes propres à différents débouchés ; Offre des retombées financières accrues. première par la technologie VERROX®. De plus, bien que l’implosion réduise sensiblement la production de particules fines lors du traitement du verre, celles-ci peuvent être incorporées au VERROX®. Le magazine des matières résiduelles au Québec 3RVE VOL. 12 N O 1 HIVER 2016 9 REPORTAGE LE MARCHÉ DU VERRE RECYCLÉ : UN IMMENSE POTENTIEL Rappelons que le système de Krysteline permet de traiter 100 % du verre issu de la collecte sélective des centres de tri, y compris celui destiné aux marchés de la refonte, comme la production de bouteilles. Si les États-Unis constituent un marché pour le verre de couleur verte, ce n’est pas le cas du Québec. De plus, les exigences techniques du marché traditionnel de la refonte (pour en refaire des bouteilles) et du marché de la laine de verre sont de plus en plus sévères, ce qui occasionne des coûts de production croissants. Exemples d’utilisations des granules de verre recyclé : Abrasifs Médias filtrants • Secteur portuaire et militaire (entretien de bateaux) • Municipalités (usines de traitement des eaux usées) • Travaux publics et municipalités (entretien et décapage de ponts, de bâtiments, de monuments; lutte contre les graffitis) • Fosses septiques • Piscines • Raffineries NNEZ VISEIO PORTAGE LE R Visionnez cette vidéo sur notre chaîne YouTube au www.YouTube.com/MAYAproductionvideo LE PLAN VERRE L’INNOVATION En janvier dernier, Éco Entreprises Québec (ÉEQ) a annoncé en grande pompe son plan Verre l’innovation. Cherchant à résoudre le problème du recyclage du verre au Québec, l’organisme a choisi d’investir massivement dans les solutions : le plan représente un investissement potentiel de 40 millions de dollars. De ce montant, 6,7 millions seront consacrés aux ambitieux premiers volets, dont celui mettant à l’essai la technologie d’implosion un peu partout au Québec. 10 Le magazine des matières résiduelles au Québec 3RVE VOL. 12 N O 1 HIVER 2016 Heureusement le verre recyclé qui est produit grâce au système d’implosion entre dans la composition d’une multitude de produits à haute valeur ajoutée. Outre les matériaux de construction, déjà mentionnés, pensons aux abrasifs, aux filtres ou aux dalles écologiques de l’entreprise québécoise Gaudreau Environnement. L’implosion offre donc une diversification des débouchés qui devrait se révéler payante. La diversité des débouchés explique la logique pratique et économique du traitement du verre au Québec. Comme le retrait des contaminants est à la base du procédé, la qualité du matériau produit le rend unique et fort attrayant. Si cette qualité atteint les niveaux attendus, les occasions d’affaires pour les centres de tri et les conditionneurs québécois seront nombreuses et lucratives. En effet, le marché nord-américain a actuellement plusieurs besoins en abrasifs et en médias filtrants. Par exemple, au Texas, la tonne de verre transformé en abrasif se vend 450 dollars américains et en France, la tonne de verre de filtration pour les piscines se vend 900 euros. Les objectifs du traitement du verre sont multiples : créer une matière de qualité (dont les débouchés comblent des besoins sur le marché), former des partenariats avec les utilisateurs de verre recyclé dans tous les secteurs d’activité, offrir à ceux-ci un approvisionnement stable et de qualité, et faciliter le respect des critères exigés par les certifications et les normes des marchés. ÉEQ a choisi Krysteline Technologies après une recherche portant sur les technologies utilisées à travers le monde. Les équipements ont été observés en activité dans des centres de tri traitant des matières résiduelles résidentielles de façon pêle-mêle, comme c’est le cas du système de collective sélective au Québec, et les résultats ont été concluants. Des séries de tests sont prévues dès la sortie des premières tonnes de granules de verre. Cela permettra de valider la qualité et la valeur du verre produit en centre de tri. L’équipement sera installé dans un maximum de six centres de tri de la province et ÉEQ en défraiera les coûts. Ainsi, seuls l’électricité et l’espace nécessaire pour accueillir l’équipement seront au frais des centres de tri. Ceux qui accueilleront les équipements de Krysteline Technologies seront choisis à la suite d’un appel à candidatures qui s’est terminé récemment. REPORTAGE CALENDRIER DU VOLET 1 DU PLAN VERRE L’INNOVATION DE ÉEQ : Sélection finale des centres de tri participants : Fabrication de l’équipement (12 - 14 semaines) : été 2016 Entrée en fonction : automne 2016 À LA FIN DU PROJET, LES CENTRES DE TRI PARTICI PANTS P OU R RONT ACH ETE R L’ÉQUIPEMENT POUR UNE SOMME SYMBOLIQUE. Phase d’essai : jusqu’à 15 mois PLUS DE DES CENTRES DE TRI Plus de 80 % des centres de tri de la province ont manifesté un intérêt, ce qui démontre l’excellente réception des efforts de ÉEQ par les acteurs québécois de la gestion des matières résiduelles. LE DÉVELOPPEMENT D’UN SAVOIR-FAIRE QUÉBÉCOIS : L’IMPLICATION DE MACHINEX L’alliance stratégique du Québec avec la Grande-Bretagne permettra à des entreprises québécoises de se tailler une place de choix dans le développement de la technologie de l’implosion du verre en Amérique du Nord. Dans le cadre du plan Verre l’innovation, c’est l'entreprise Machinex de Plessisville qui agira en tant que manufacturier et distributeur exclusif de Krysteline Technologies sur le continent. Déjà bien implantée dans le marché nordaméricain, de même qu’en Europe et en Australie, Machinex Pourquoi afficher une offre d’emploi qui sera diluée par des centaines d’autres dans tous les secteurs d’activité économique? Chez nous, vous pouvez afficher un nombre illimité de postes pour seulement 249,95 $ par année. 12 Le magazine des matières résiduelles au Québec 3RVE VOL. 12 N O 1 HIVER 2016 agira également à titre de soutien technique. Elle sera donc au centre du projet. La production et la prise en charge locales des équipements permettra notamment, à court terme, de réduire les coûts d’achat et de diminuer les délais de livraison, en plus de créer des emplois ici. À long terme, elles permettront au savoir-faire de se développer au Québec. Ce partenariat stratégique est donc porteur pour tous les acteurs impliqués et risque fort d’avoir un impact positif sur l’économie québécoise. REPORTAGE L’ÉCONOMIE VERTE Un plan comme Verre l’innovation pourrait avoir un réel impact sur l’économie verte de la province. L’implantation d’une nouvelle technologie, la mise à l’essai d’autres procédés et le soutien aux initiatives de recycleurs et de conditionneurs de verre pourraient faire du Québec un chef de file du traitement du verre en Amérique du Nord. QUELQUES DONNÉES COMMERCIALES CONCERNANT DIFFÉRENTS DÉBOUCHÉS DU VERRE RECYCLÉ AU QUÉBEC, EN ONTARIO ET DANS LE NORD-EST DES ÉTATS-UNIS* Type de débouchés Avantages Niveau de maturité Valeur du produit (par tonne) Filtres pour l’eau potable, l’eau de piscine et les eaux usées Résiste mieux à la prolifération des bactéries, réduit le lavage à contre-courant (backwash) et diminue le gaspillage d’eau Marché en développement Abrasifs Pas de métaux lourds ni de silice libre, angles qui augmentent la performance. Marché en développement, existe depuis ~7 ans Laine de verre Produit recyclé, température de fonte plus basse Existe depuis 10 ans 90 $ Béton avec poudre de verre pour travaux non structurels (trottoirs, mobilier urbain, murs antibruit, etc.) Se travaille mieux, plus résistant sur certaines surfaces Marché en croissance 150 $ à 200 $ 65 $ à 295 $ 200 $ à 300 $ *Données tirées d’une recherche indépendante réalisée pour Éco Entreprises Québec. Alors que certains continuent d’appuyer vivement un éventuel élargissement du système de la consigne aux contenants de verre, d’autres considèrent sérieusement que le plan Verre l’innovation de ÉEQ, jumelé aux initiatives déjà implantées, pourrait être si efficace que la province en viendrait même, éventuellement, à importer du verre afin de le traiter et de le conditionner ici. 14 Le magazine des matières résiduelles au Québec 3RVE VOL. 12 N O 1 HIVER 2016 D’ici là, le seul fait que ÉEQ soutienne ainsi les centres de tri dans le recyclage du verre, qui représente actuellement un important centre de coûts, pourrait bien donner un répit à ceux-ci et les inciter à contribuer au développement des débouchés. Nous leur souhaitons autant d’inventivité qu’en a eue M. Whettingsteel!