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MISE AU POINT
Anticoagulation et ablation
de la fibrillation atriale
Quelle stratégie adopter ?
Anticoagulation and atrial fibrillation ablation:
what is the best strategy?
Références
bibliographiques
1. Go AS, Hylek EM, Phillips KA et
al. Prevalence of diagnosed atrial
fibrillation in adults: national
implications for rhythm management and stroke prevention: the
Anticoagulation and Risk Factors
in Atrial Fibrillation (ATRIA)
Study. JAMA 2001;285:2370-5.
2. Camm AJ, Kirchhof P, Lip GYH
et al. Guidelines for the management of atrial fibrillation: the
Task Force for the Management
of Atrial Fibrillation of the European Society of Cardiology (ESC).
Europace 2010;12:1360-420.
3. Cappato R, Calkins H, Chen SA
et al. Prevalence and causes of
fatal outcome in catheter ablation of atrial fibrillation. J Am Coll
Cardiol 2009;53(19):1798-803.
4. Kirchhof P, Benussi S, Kotecha
D et al. 2016 ESC Guidelines
for the management of atrial
fibrillation developed in collaboration with EACTS. Eur Heart
J 2016;37(38):2893-962.
5. Di Biase L, Burkhardt JD, Santangeli P et al. Periprocedural
stroke and bleeding complications
in patients undergoing catheter
ablation of atrial fibrillation
with different anticoagulation
management: results from the
Role of Coumadin in Preventing
Thromboembolism in Atrial Fibrillation (AF) Patients Undergoing
Catheter Ablation (COMPARE)
randomized trial. Circulation
2014;129(25):2638-44.
* Service de cardiologie, CHU
­Henri-Mondor, Créteil.
N. Lellouche*
L
a fibrillation atriale (FA) est le trouble du rythme
cardiaque le plus fréquent. Une des complications les plus redoutables de cette pathologie
est la survenue d’un accident vasculaire cérébral
(AVC). Il s’agit d’un réel problème de santé publique,
et on estime que 20 % des AVC sont dus à la FA (1).
L’ablation de la FA est une technique de rythmologie
interventionnelle qui a pour but d’éradiquer (par
radiofréquence, le plus souvent, ou par cryothérapie)
les foyers d’arythmie responsables de la FA.
Cette ablation se répand de plus en plus du fait de
ses larges indications (2). Il s’agit aussi d’une technique associée à des complications potentiellement
graves pouvant mettre en jeu la vie du patient. Parmi
celles-ci, les 2 plus fréquentes sont l’AVC et la tamponnade (3). Il s’agit donc, d’une part, de prévenir
la survenue d’AVC périprocéduraux avec une bonne
gestion des anticoagulants, mais aussi, d’autre part,
de ne pas accroître le risque de tamponnade, qui
peut être augmenté en cas de suranticoagulation.
L’autre question majeure est celle de la poursuite
des anticoagulants à long terme chez un patient
qui a subi une ablation, notamment en fonction du
résultat de cette intervention.
Gestion des anticoagulants
avant l’ablation
Chez chaque patient présentant une FA, le risque
thromboembolique doit être évalué, afin de déterminer si un traitement anticoagulant prolongé
est nécessaire. Pour cela, on calcule le score de
CHA 2DS 2-VASc. S’il est de 0, aucun traitement
préventif n’est nécessaire. S’il est supérieur ou
égal à 2, un traitement anticoagulant est indiqué.
24 | La Lettre du Cardiologue • N° 502-503 - février-mars 2017
S’il est de 1 (quel que soit le sexe), les stratégies
thérapeutiques à envisager sont l’absence de traitement, l’antiagrégation et l’anticoagulation ; les
recommandations européennes ont une préférence
quasi exclusive pour le traitement anticoagulant.
Il est à noter que, dans les dernières recommandations européennes, de 2016, le niveau de preuve
de l’efficacité des anticoagulants chez les patients
de sexe féminin avec un CHA2DS2-VASc de 2 est
passé de I à IIa (4). Enfin, il est recommandé, avant
l’ablation d’une FA, comme pour une cardioversion,
de prescrire un traitement anticoagulant efficace
3 semaines avant l’intervention, quel que soit le
score de CHA2DS2-VASc.
Gestion des anticoagulants
autour de l’hospitalisation
pour ablation
Il est intéressant de voir que les pratiques ont
changé ces dernières années. En effet, l’attitude
ancienne consistait à prévoir un relais entre les
anti-vitamine K (AVK) et l’héparine avant la réalisation d’une ablation de la FA, comme pour une
chirurgie classique. Cependant, il a été démontré
qu’un relais par héparine était associé à un surrisque thrombotique et hémorragique, notamment du fait des variations de l’anticoagulation
pendant cette période. Ainsi, il a été montré que
la réalisation de l’ablation de la FA sous AVK était
associée à un risque de complications thrombotique et hémorragique plus faible que lorsque l’on
fait un relais avec de l’héparine (5). Cette attitude
s’est progressivement répandue dans la commu-
Points forts
»» Chez un patient nécessitant une ablation de la fibrillation atriale (FA), l’anticoagulation est nécessaire
3 semaines avant le geste, quel que soit le score de CHA2DS2-VASc.
»» Juste avant l’intervention, il ne faut pas faire de relais avec l’héparine. Si le patient est sous anti-vitamine K
(AVK), réaliser la procédure sous AVK. Si le patient est sous anticoagulant oral direct (AOD), arrêter l’AOD la veille
de l’opération et le reprendre le soir même ou le lendemain. Il est aussi possible de faire la procédure sous AOD.
»» Après l’ablation de la FA, 2 mois de traitement anticoagulant efficace sont nécessaires, quel que soit
le score de CHA2DS2-VASc.
»» Par la suite, il faut revenir au score de CHA2DS2-VASc pour l’indication des anticoagulants à long terme.
»» Toutefois, le risque d’AVC semble diminué lorsque l’ablation de la FA est réussie.
»» Des études sont en cours pour préciser la stratégie anticoagulante la mieux adaptée dans ce cas.
nauté rythmologique. Cependant, l’arrivée des
anticoagulants oraux directs (AOD) a bouleversé
ces schémas. En effet, il s’agit de produits beaucoup plus maniables que les AVK (demi-vie plus
courte), dont l’activité anticoagulante est stable,
mais pour lesquels la gestion des complications
hémorragiques est moins formalisée que pour les
AVK (problème de l’antagonisation, etc.). Compte
tenu de ces données, il est recommandé d’arrêter
les AOD la veille de l’ablation de FA, sans relais par
héparine, et de reprendre le soir de l’intervention
ou le lendemain matin (6). Cependant, une récente
étude prospective randomisée comparant AVK et
rivaroxaban (VENTURE-AF) a validé le principe
de faire cette intervention sous rivaroxaban (7).
D’autres études avec les AOD sont en cours pour
valider définitivement cette pratique. Un point
important est que la réalisation de cette procédure sous AOD diminue l’Activated Cephalin Time
(ACT) réalisé au cours de l’intervention (7), ce qui
peut aboutir à une augmentation, non justifiée,
des doses d’héparine données pendant la procédure. Quelle que soit la stratégie utilisée avant
l’ablation de la FA, il est nécessaire d’injecter de
l’héparine pendant la procédure pour maintenir
un ACT supérieur à 300 secondes tout au long de
l’intervention. Il est aussi nécessaire de perfuser
les gaines avec du sérum physiologique hépariné
pour éviter le risque de thrombus perprocédural.
Après l’intervention, les anticoagulants sont poursuivis pour une durée minimale de 2 mois. En effet,
la période postopératoire immédiate est une période
à haut risque thromboembolique, pour plusieurs
raisons :
➤➤ les lésions de radiofréquence peuvent entraîner
la formation de thrombus sur la paroi atriale ;
➤➤ le système inflammatoire systémique est activé,
ce qui augmente le risque de thrombose ;
➤➤ si une cardioversion a été effectuée pendant la
procédure, il y a un risque de sidération de l’auricule
gauche, associé à un risque de thrombose ;
➤➤ la période postopératoire immédiate est propice
à la survenue de récidives de FA précoce, susceptibles
d’augmenter le risque thromboembolique.
Après cette période initiale, il est impératif de revoir
le patient pour juger de la nécessité de maintenir le
traitement anticoagulant à long terme.
Gestion des anticoagulants
apres ablation
Il est très important de souligner que l’ablation de la
FA n’est pas une thérapeutique antithrombotique à
ce jour. Il est donc illusoire d’adresser un patient pour
une ablation de la FA en vue d’arrêter son traitement
anticoagulant. Ainsi, il est recommandé, 2 mois après
la procédure, de calculer le score de CHA2DS2-VASc du
patient et d’indiquer ou non la poursuite de l’anticoagulation selon les recommandations européennes (4).
Cependant, il est parfois tentant, chez un patient qui
ne présente plus de FA après une ablation de celle-ci,
de proposer l’arrêt de ces traitements en considérant
que le patient est potentiellement guéri, afin de lui
éviter le risque hémorragique du traitement anticoagulant prolongé. Ainsi, des registres américains (8-10)
ont montré que, chez la majorité (70 %) des patients
ayant subi une ablation de la FA “réussie”, le traitement anticoagulant a été arrêté, et ce quel que soit
le score de CHA2DS2-VASc. Par ailleurs, le taux annuel
d’AVC était particulièrement faible chez ces patients :
1,3 % lorsque le score de CHA2DS2-VASc était supérieur ou égal à 2, et 0,3 % sinon. Il semble donc, et
cela a été retrouvé dans d’autres études (11-12), que le
taux d’AVC en cas d’ablation de la FA réussie soit plus
faible qu’en l’absence d’ablation. Ainsi, il est possible
que le score de CHA2DS2-VASc ne soit pas forcément
adapté pour évaluer le risque thromboembolique
après une ablation réussie. Une étude randomisée
européenne (EAST-AF) est en cours pour essayer de
répondre à cette question difficile, qui n’est pas complètement tranchée.
Mots-clés
AVC
Ablation
de la fibrillation
atriale
Anticoagulation
Highlights
»»All patients referred for Atrial
Fibrillation (AF) ablation should
have 3 weeks of anticoagula­
tion before the index proce­
dure.
»»There is no indication for
bridging strategy with heparin.
If the patient is treated with
Vitamin K Antagonists (VKA)
the treatment should be con­
tinued during the procedure.
For patients treated with Direct
Oral Anticoagulants (DOA), the
treatment should be stopped
the day before the procedure
and restarted in the evening
or the morning after the pro­
cedure.
»»After the ablation, 2 months
with full anticoagulation are
needed for all patients.
»»After this period, anti­
coagulation strategy should
be indicated on the basis of
CHA2DS2-VASc score and inter­
national guidelines.
»»However, stroke rate seems
lower for patients with suc­
cessful AF ablation.
»»Further ongoing studies will
bring new insights to elucidate
what is the best anticoagula­
tion strategy following AF abla­
tion.
Keywords
Conclusion
Il est important de bien encadrer le geste d’ablation de
la FA avec une stratégie antithrombotique adaptée. Il
faut 3 semaines d’anticoagulation avant et 2 mois après
le geste, quel que soit le score de CHA2DS2-VASc du
patient. Même si le risque thromboembolique semble
plus faible chez les patients sans FA documentée après
l’ablation, il faut revenir au score de CHA2DS2-VASc
pour l’indication du traitement anticoagulant à long
terme, jusqu’à ce que de nouvelles études prospectives
randomisées soient disponibles sur le sujet.
■
Stroke
Atrial fibrillation ablation
Anticoagulation
N. Lellouche déclare avoir
des liens d’intérêts avec Bayer,
Boehringer et BMS
(présentations orales).
La Lettre du Cardiologue • N° 502-503 - février-mars 2017 | 25
MISE AU POINT
Références bibliographiques (suite de la page 25)
6. Heidbuchel H, Verhamme P, Alings M et al. Updated European Heart Rhythm Association Practical Guide on the use
of non-vitamin K antagonist anticoagulants in patients with
non-valvular atrial fibrillation. Europace 2015;17(10):1467-507.
7. Cappato R, Marchlinski FE, Hohnloser SH et al.; VENTURE-AF Investigators. Uninterrupted rivaroxaban
vs. uninterrupted vitamin K antagonists for catheter
ablation in non-valvular atrial fibrillation. Eur Heart J
2015;36(28):1805-11.
8. Nademanee K, Schwab MC, Kosar EM et al. Clinical outcomes of catheter substrate ablation for high-risk patients
with atrial fibrillation. J Am Coll Cardiol 2008;51(8):843-9.
9. Noseworthy PA, Yao X, Deshmukh AJ et al. Patterns of
anticoagulation use and cardioembolic risk after catheter
ablation for atrial fibrillation. J Am Heart Assoc 2015;4(11).
10. Ghanbari H, Başer K, Jongnarangsin K et al. Mortality and
cerebrovascular events after radiofrequency catheter ablation of atrial fibrillation. Heart Rhythm 2014;11(9):1503-11.
11. Lin YJ, Chao TF, Tsao HM et al. Successful catheter
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fibrillation patients with CHA2DS2-VASc risk score of 1 and
higher. Europace 2013;15(5):676-84.
12. Friberg L, Tabrizi F, Englund A. Catheter ablation for
atrial fibrillation is associated with lower incidence of stroke
and death: data from Swedish health registries. Eur Heart J
2016;37(31):2478-87.
La Lettre du Cardiologue • N° 502-503 - février-mars 2017 | 37
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