Béraud - Cours de « Théorie & concepts » - Licence 1 (2009-2010)
GOFFMAN ET LA MICROSOCIOLOGIE
« Je ne cherche pas à éveiller les consciences, je cherche
seulement à savoir comment les gens ronflent. » (Goffman).
Erving Goffman (EG) (1922-1982)
1
, d'origine canadienne, est considéré comme l’un des
animateurs de la tradition sociologique américaine, son « enfant terrible »
2
. Très influencé par
George Herbert Mead, formé par Everett C. Hughes, comme tous les Chicagoans des années 1950-
1960 (Howard Becker, Elliot Freidson, Anselm Strauss). C'est l'un des représentants les plus lus de
l’École de Chicago, qui s’inscrit dans la mouvance pragmatiste en sociologie. Une autorité
importante dans le champ de la sociologie, cité à l’envi, reconnu très tôt sur la scène académique,
grâce notamment à son ouvrage désormais classique Asiles (1961, trad. 1968)
3
.
EG est généralement lu comme le sociologue de l’ordinaire, de l’interaction de face-à-face,
du trivial, du banal, etc. Parce qu’il étudie les choses les plus apparemment futiles de la vie sociale,
il est invariablement taxé de prosaïsme. Et son style direct, parlé, son sens obsessionnel du détail,
son ironie parfois renversante sont autant de marqueurs d’une posture (faussement) anti-théorique,
vite perçue par certains comme anti-académique
4
. Or c’est un contre-sens qui procède d’une
sous-estimation de la portée et de la difficulté de la théorie goffmanienne du monde social. Car EG
est un auteur difficile d’accès.
Derrière l’exposé très précis et minutieux de l’ordre des interactions et des comportements, à la
limite de l’éthologie humaine (i.e. comportementaliste), on trouve en effet une approche rigoureuse
de la structuration de la réalité sociale. Il y a chez E.G. comme un impératif descriptif (d'abord
donner à voir plutôt que d'expliquer en recourant à des théories massives). Il n’est pas surprenant
qu’EG soit l’objet d’un travail d’exégèse conceptuelle important aujourd’hui. Nombreux sont les
théoriciens de la sociologie qui se réfèrent à certains ouvrages-clés, parmi lesquels Frame Analysis
(Les Cadres de l'expérience 1991 (1974). Signalons aussi qu’EG a été lu très tôt en France. Traduit
et publié dans la collection « Le sens commun » des Éditions de Minuit, à l’initiative de Bourdieu,
proche sur bien des points d’EG
5
la connaissance pratique, corporelle, de la place (de la position)
de l'agent dans l'espace social. C’est assez remarquable : l’isolationnisme intellectuel de la
sociologie française est pourtant une tendance profonde. me si des contre-sens ont pu être tirés
de la non-lecture d’EG (i.e. EG, sociologue trivial), force est de constater qu’il s’est vu cerner
dans des délais très brefs le titre d’auteur « classique ».
Approche qui s’inscrit dans le courant de l’interactionnisme. EG a refusé de se laisser
classer dans la catégorie porte-manteau de l’« interactionnisme symbolique ». Il résiste par principe
autant que par méthode à l’imposition ex post des étiquettes
6
. Ce n’est pas étonnant, puisqu’il est un
des initiateurs de la théorie de l’étiquetage (labelling theory), à travers par exemple Stigmates ou
1
Thèse soutenue en 1953 à l'Université de Chicago, sur la communication dans les îles Shetland.
2
Manning, Philip (1992), Erving Goffman and Modem Sociology. Stanford: Stanford University Press.
3
Oromaner, Mark (1980), «Erving Goffman and the Academic Community», Philosophy of the Social Sciences 10 (3).
4
Boltanski, Luc (1973), «Erving Goffman et le temps du soupçon. A propos de la publication en français de La
représentation de soi dans la vie quotidienne», Social Science Information 12 (3).
5
Bourdieu, Pierre (1983), «Erving Goffman, Discoverer of the Infinitely Small», Theory, Culture, Society 2 (1) ;
Winkin, Yves (1983), «The French (Re)presentation of Goffman’s Presentation and other Books», Theory, Culture,
Society 2 (1).
6
Winkin, Yves (1984), «Entretien avec Erving Goffman», Actes de la recherche en sciences sociales 54.
1
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ses études sur la représentation hyper-ritualisée de la féminité et de la masculinité dans la publicité
7
.
EG propose une vision radicale et novatrice du niveau microsociologique. Radicale, puisqu'il
propose, par l'étude des actions ordinaires, de revenir aux fondements du lien social et d'apporter
une réponse singulière à la question de philosophie politique « Comment la société est-elle
possible? » (Simmel, 1908). Il ne s'agit pas tant de s'interroger sur l'origine et le fondement de la
société et de revenir ainsi aux philosophies du contrat, que de savoir si nous pouvons parler de la
vie sociale en termes de plus et de moins (i.e. si nous pouvons lui attribuer plus ou moins d'intensité
ou de densité relationnelle, plus ou moins de consistance). Partir des expériences communes
(importance de la notion d'expérience), plutôt que des produits intellectuels les plus abstraits.
L'étonnement de Goffman, sa passion de chercheur le conduisent à voir du sens nous n'en
voyons guère
8
. Aux enflûres théoriques, EG. préfère adopter une posture déflationniste. Si la lecture
de E.G. est à la fois déroutante et fascinante, c'est que, sans jamais déroger aux principes du métier
de sociologue (objectivité et rationalité), il invite à comparer des choses incomparables, à changer
constamment de vocabulaire descriptif pour demeurer au plus près de l'expérience individuelle de la
vie sociale. Attentif aux compétences dont nous disposons pour recadrer notre expérience et
réagencer les apparences, en décrivant les rituels avec désinvolture et les jeux truqués avec sérieux,
il a finalement tenté de montrer à la discipline que le regard qui lui convient n'est pas
nécessairement le regard convenu.
Si nous passons un peu de temps à élaborer conceptuellement à partir d’EG, c’est pour répondre à
deux exigences du cours : 1/ EG théorise d’une façon nuancée le rapport micro-macro (que l'on a
l'habitude de présenter en termes antagonistes), ses travaux constituent de fait une ressource
intellectuelle de premier plan ; 2/ un des objectifs du cours étant d’introduire à la pensée d’auteurs
et d'études importants de la sociologie (i.e. le problème de la structuration comme prétexte
didactique), c’est l’occasion d’ouvrir les livres d’EG pour voir en quoi sa théorie est
conceptuellement conséquente.
Il est impossible d’entrer dans les subtilités de la sociologie goffmanienne en une seule
séance, d'autant plus que EG n'a pas proposé à proprement parler un ouvrage sytématisant sa
pensée. L’exposé assume donc son statut d’introduction. On ne pourra évidemment par en faire la
synthèse. La solution proposée est donc la suivante : nous focaliserons sur les écrits d’EG qui font
le lien avec la problématique du cours. On abordera donc les thèmes suivants : 1/ une sociologie de
la vie quotidienne et l’ordre sui generis de l’interaction ; 2/ la vie sociale est une « scène » ; 3/ une
certaine vision de la « condition humaine ». Ce découpage est assez artificiel et lâche ; il sert les
fins de l’exposé. Malgré ses limites, ce plan aura permis en bout de course d’évaluer l’intérêt et la
pertinence de la contribution d’EG à la thématique de la structuration du social.
7
Goffman, Erving (1977), «La ritualisation de la féminité», Actes de la recherche en sciences sociales 14 (1).
8
Par exemple, ce que E.G. appelle les « ressources sûres » (safe supplies). Ce sont toutes ces banalités d'usage, ces
phrases toutes fates que l'on dit lorsqu'on ne sait pas quoi dire (« Quel temps ! », « Bientôt le week-end »). Ces
phrases, dit-il, sont des ressources de survie pour la conversation, elles « brisent la glace », rompent un silence
gênant, etc. De plus, elles sont prononcées dans des circonstances précises : dans un ascenseur, à l'adresse d'un
voisin comme un geste de sociabilité minimale ; dans un bus où l'on croise tous les matins le même chauffeur, etc.
2
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Le micro-monde de la vie quotidienne
EG fait donc partie des sociologues qui ont déplacé l’attention sociologue du niveau macro vers le
niveau micro dans les années 1950-1960 (i.e. une période dominée par la chimère de la Grande
Théorie à la Parsons, très bien exposée par C.W. Mills dans L'imagination sociologique)
9
. EG
s’intéresse à des situations.
Les phénomènes sociaux étudiés par la microsociologie
10
, dont cet exposé voudrait esquisser
l'achitecture conceptuelle à partir des travaux de Goffman et des débats qu'il a initiés dans la
discipline
11
, relèvent moins de l'ordre social que de l'ordre de l'interaction, moins de la structure de
la vie sociale que de la structure de l'expérience individuelle de la vie sociale. La microsociologie
entend par-dessus tout remettre en question cette évidence selon laquelle l'expérience d'Untel est
subjective et individuelle. Suivant cette approche, ce qui intéressera un chercheur en sciences
sociales dans le cas, par exemple, d'un individu qui vient d'être licencié après 15 ou 20 ans dans la
même entreprise, ce ne sont pas ses caractéristiques socio-professionnelles (âge, sexe, diplôme, etc.)
- le licenciement est un fait social banal au niveau macrosocial de l'étude de la population des
chômeurs - ; il ne s'attachera pas non plus à restituer le « récit de vie » de l'individu licencié, bien
que cette expérience soit sans doute subjective. D'ailleurs, lorsque Untel retrace son histoire pour
lui-même ou ses amis, pour le conseiller de Pôle emploi ou le sociologue qui l'interviewe, il
souligne chaque fois des éléments différents, il « cadre » son récit par des anecdotes significatives
qu'il garde en mémoire, qui organisent son expérience et la rendent publique. Cette expérience du
licenciement, de la demande d'emploi et du chômage est aussi une « situation sociale », un épisode
de la vie privée et publique du licencié-demandeur d'emploi. L'épreuve que traverse Untel peut se
décomposer en une série de séquences : l'annonce du licenciement, le départ de l'entreprise et la
cérémonie des adieux, la consultation des rubriques d'offres d'emploi, l'inscription au Pôle Emploi,
etc. Ces moments et ces contextes ont aussi leur régularité et leur organisation.
Pour reprendre un autre exemple, trivial celui-là (encore que...), la question de la qualification d'une
séquence d'actions liées à des rencontres sexuelles-amoureuses
12
pose la question de savoir à quel
moment on se trouve en situation de drague de drague plus ou moins « lourde »
13
-, en situation
d'engagement sérieux, à quel moment est-on en couple? Qu'est-ce qui ressort d'une première nuit
passée à deux, comment s'engage la relation à la lumière et la « fraîcheur » du premier matin?
14
La microsociologie entend faire la sociologie de ces circonstances, ou moments, et analyser
l'organisation sociale de ces rencontres comme un ordre de phénomènes sociaux qui ont leur
histoire spécifique. Chacune d'elles est un système d'activités situées dont la matière (verbale ou non
verbale) est faite d'interactions. Par ce terme, on entendra, avec le philosophe et sociologue
allemand Georg Simmel (1858-1918), des actions réciproques. En l'occurrence, Untel interagit avec
ses supérieurs hiérarchiques et ses anciens collègues, avec des agents de services administratifs ou
des responsables des ressources humaines, avec des amis et des parents. Dans chacune de ces
interactions, il s'engage dans un travail de figuration (l'engagement est une notion importante de
l'interactionnisme) : il sauve la face ou fait piètre figure, il se discrédite ou rebondit et surmonte son
9
Ritzer, George (1985), «The Rise of Micro-Sociological Theor, Sociological Theory 3 (1) ; Stryker, Sheldon
(1987), «The Vitalization of Symbolic Interactionism», Social Psychology Quarterly 50 (1).
10
Scheff, Thomas (1994). Microsociology : discourse, emotion and social structure. Chicago : Univ. of Chicago Press.
11
La microsociologie est une reconstruction analytique regroupant des programmes sociologiques certes différents
mais entretenant un même air de famille : l'interactionnisme symbolique, l'interactionnisme goffmanien,
l'éthnométhodologie.
12
Collins, Randall (2004). Interaction Ritual Chains. Princeton University Press, chap. 6 : « a theory of sexual
interaction ».
13
Du genre : http://www.youtube.com/watch?v=s24wrXlA7nU
14
Kaufmann, Jean-Claude (2004). Premier matin : comment naît une histoire d'amour? Paris : Pocket.
3
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échec.
Toute activité située comporte ainsi une part normative qui fait que les protagonistes s'instituent
comme entrepreneurs de moralité : ils disent le droit et dénoncent le scandale, prennent position
dans un jeu de langage et en évaluent la pertinence. Le licenciement est, dans la vie de Untel, une
épreuve comparable à beaucoup d'autres, plus ou moins banales, il s'agit de reconsidérer ses
ressources disponibles, son identité et ses relations. Mais la comparaison qui intéresse le sociologue
porte moins sur le vécu subjectif de l'individu (le pathos) que sur ce qui fait d'une épreuve singulière
une expérience anthropologique et une histoire susceptible d'être rejouée, une cérémonie publique
de dégradation, un rituel de stigmatisation (comment réagir en tant que licencié? Qu'est-ce qu'être
un bon licencié? Comment soutenir un licencié? Comment exprimer sa qualité d'ami dans ce cas-
là?). C'est la même chose avec l'engagement ou la rupture amoureuse (comment bien rompre? La
question n'est pas aussi évidente, tout dépendre de la qualité de l'engagement : filer en douce avant
que le partenaire d'une nuit se réveille ; rompre par textos ou mails; en faisant une belle lettre ou
une déclaration inspirée ; l'annoncer en public pour éviter tout esclandre...). Pensez aussi à ceux qui
vous sollicite (e.g. comment bien faire la manche? Les règles et manières peuvent être mulitples,
tout dépendra du lieu d'activité et du « public » auquel on s'adresse : solliciter ouvertement
quelqu'un dans la rue ; s'effacer derrière une pancarte tout en affichant l'épreuve physique du
mutisme et de l'immobilisme ; effectuer machinalement son laïus dans les transports publics ;
donner à voir un engagement sincère de rétablissement ; être trop ou trop peu en mauvais état...).
En effet, dans la mesure l'épreuve est socialement cadrée, ce n'est pas l'individu qui constitue
l'unité élémentaire de la recherche, mais la situation. A côté des entités constitutives de la sociologie
que sont le collectif (groupe, classe, population) et l'individu (acteur, agent, sujet), la
microsociologie introduit ainsi un objet nouveau, la situation d'interaction. Ses outils (approche
dramaturgique Goffman -, analyse de conversation ethnométhodologie) se réfèrent ainsi,
implicitement ou explicitement, à un paradigme de la discipline que l'on appellera, à la suite d'Isaac
Joseph, « situationnisme méthodologique »
15
pour le distinguer des deux autres paradigmes
dominants dans les sciences sociales : le holisme et l'individualisme méthodologique.
Vous vous souvenez que je vous ai indiqué précédemment qu'il est habituel, lorsqu'on
présente le concept de situation en sociologie, d'évoquer William I. Thomas et son fameux
théorème: « Si les gens définissent les situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs
conséquences ». D'une certaine manière, cette formulation résume la conception qui a prévalu
jusqu'à présent dans les sciences sociales, qu'elles se réclament ou non de l'Ecole de Chicago. Ce
qui est mis en avant alors, c'est l'agentivité des acteurs sociaux, ce que l'on nomme en anglais
l'agency
16
.
15
Bien que la formule n'ait « pas prise », elle reste pertinente.
16
Contrairement aux diverses traditions positivistes et déterministes alors à l'oeuvre (empruntant au
comportementalisme ou béhaviorisme, ainsi qu'à une formulation structuro-fonctionnaliste de type
durkheimienne),
l'agentivité renvoit à l'idée que les humains ne sont pas des robots mais surtout ont la capacité (terme
important)
d'exercer une forme de contrôle sur eux-mêmes, les autres, et l'environnement. Les humains sont capables de
contruire,
engager et accomplir leurs intentions (bien entendu ils ne sont pas omnipotents, cela s'exerce dans le cadre de
leurs limites propres). Ils sont ont cette capacité de réflexion qui constitue la base de la constitution du sens des
actions. Ici,
l'activité et l'action sociale ne sont pas prédéterminées mais sont construites dans le cours d'un processus
d'agir, lequel
est du coup capable d'être altéré suite à la rencontre avec n'importe quelles circonstances rencontrées. Les
4
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Le point important est que l’univers des significations émerge d’un processus de coopération et
d’adaptation mutuelle au sein du groupe social (legs des théories évolutionnistes en sciences
sociales, notamment à Chicago). Si ce que l'on appelle les situations sociales sont le résultat
émergent des interactions, l'une des tâches des interactionnistes sera d'interroger la force et la
stabilité de ces formes conventionnelles d'organisation, de ces ordres sociaux négociés. Car, dans un
sens générique, les situations sont ce à quoi des sujets s'ajustent via les définitions qu'ils en donnent,
et leur réalité (sociale) leur vient de ces définitions. Celles-ci sont nécessaires pour qu'une décision
et une action soient possibles.
Dans cette perspective, la définition des situations comporte deux éléments, l'un externe la
sélection et l'interprétation des conditions objectives de l'action -, l'autre interne, la hiérarchisation
des impulsions et des attitutdes, « de sorte que l'une d'elles devienne prédominante et se
subordonne les autres » (Thomas & Znaniecki 1927 : 68).
Cette problématique, qui combine une inspiration néo-kantienne (présupposition d'un sujet tenu
pour source du sens et origine de ses actes) et une inspiration pragmatiste (la validité des idées et
des propositions est évaluée en fonction de leurs conséquences), a nourri plusieurs programmes de
recherche, allant de l'interactionnisme symbolique (Blumer, Becker) à la phénoménologie sociale
(Schütz).
L'interactionnisme symbolique Il trouve sa première origine dans l' « Ecole de Chicago » - l'expression a
été pour la première fois formulée par Ernest Blumer en 1937 - en prenant le contre-pied de la conception
durkheimienne de l'acteur. Durkheim, s'il reconnaît la capacité qu'a l'acteur de décrire les faits sociaux qui
l'entourent, considère que ces descriptions sont trop vagues, trop ambiguës pour que le chercheur puisse en
faire un usage scientifique, ces manifestations subjectives ne relevant d'ailleurs pas du domaine de la
sociologie. A l'inverse, l'interactionnisme symbolique soutient que la conception que les acteurs se font du
monde social constitue, en dernière analyse, l'objet essentiel de la recherche sociologique.
Les critiques méthodologiques des interactionnistes sont radicales. Ils rejettent le modèle de l'enquête
quantitative et ses conséquences sur la conception de la rigueur et de la causalité dans les sciences sociales.
Une connaissance sociologique adéquate ne saurait être élaborée par l'observation de principes
méthodologiques qui cherchent à extraire des données de leur contexte afin de les rendre objectives.
L'utilisation des questionnaires, des interviews, des échelles d'attitude, des calculs, des tables statistiques,
etc., tout cela crée de la distance, éloigne le chercheur, au nom même de l'objectivité, du monde social qu'il
veut étudier. Cette conception jugée scientiste produit évidemment un curieux modème de l'acteur, sans
relation avec la réalité sociale naturelle dans laquelle il vit.
L'authentique connaissance sociologique nous est livrée dans l'expérience immédiate, dans les interactions
de tous les jours. Il faut d'abord prendre en compte le point de vue des acteurs, quel que soit l'objet d'étude,
puisque c'est à travers le sens qu'ils assignent aux objets, aux situations, aux symboles qui les entourent, que
les acteurs fabriquent leur monde social.
La phénoménologie sociale de Schütz
17
Alfred Schütz (1899-1959) a étudié les sciences sociales à
l'Université de Vienne. Il est parti d'une réflexion sur Max Weber pour élaborer son premier ouvrage publié
en 1932. Il adressa cet ouvrage à Husserl qui lui proposa de devenir son assistant. Schütz déclina cette offre,
mais conserva des rapports de travail avec Husserl, jusqu'à son départ définitif en 1938 pour fuir le régime
êtres humains gèrent leur existence, agissent à la construction de mondes sociaux et à la transformation de leurs
environnements (la notion d'écologie que l'on retrouve chez Park vient de là).
17
Pour une présentation simple : Corcuff, Philippe. Les nouvelles sociologies. Paris : Nathan « 129 » ; plus l'article :
http://www.laviedesidees.fr/La-comprehension-phenomenologique.html
Pour approfondir la réflexion (et échapper à l'emprise de la réception d'une certain sociologie sur Schütz, comme sur
Simmel d'ailleurs, celle dite « interprétative ») : Céfaï, Daniel. (1998). Phénoménologie et sciences sociales. Alfred
Schütz, naissance d'une anthropologie philosophique. Genève : Droz ; Céfaï, D. « Type, typicalité, typification – la
perspective phénoménologique », in Fradin, B. (ed.) L'enquête sur les catégories, 1994. Paris : EHESS.
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