Béraud - Cours de « Théorie & concepts » - Licence 1 (2009-2010)
Le point important est que l’univers des significations émerge d’un processus de coopération et
d’adaptation mutuelle au sein du groupe social (legs des théories évolutionnistes en sciences
sociales, notamment à Chicago). Si ce que l'on appelle les situations sociales sont le résultat
émergent des interactions, l'une des tâches des interactionnistes sera d'interroger la force et la
stabilité de ces formes conventionnelles d'organisation, de ces ordres sociaux négociés. Car, dans un
sens générique, les situations sont ce à quoi des sujets s'ajustent via les définitions qu'ils en donnent,
et leur réalité (sociale) leur vient de ces définitions. Celles-ci sont nécessaires pour qu'une décision
et une action soient possibles.
Dans cette perspective, la définition des situations comporte deux éléments, l'un externe – la
sélection et l'interprétation des conditions objectives de l'action -, l'autre interne, la hiérarchisation
des impulsions et des attitutdes, « de sorte que l'une d'elles devienne prédominante et se
subordonne les autres » (Thomas & Znaniecki 1927 : 68).
Cette problématique, qui combine une inspiration néo-kantienne (présupposition d'un sujet tenu
pour source du sens et origine de ses actes) et une inspiration pragmatiste (la validité des idées et
des propositions est évaluée en fonction de leurs conséquences), a nourri plusieurs programmes de
recherche, allant de l'interactionnisme symbolique (Blumer, Becker) à la phénoménologie sociale
(Schütz).
L'interactionnisme symbolique – Il trouve sa première origine dans l' « Ecole de Chicago » - l'expression a
été pour la première fois formulée par Ernest Blumer en 1937 - en prenant le contre-pied de la conception
durkheimienne de l'acteur. Durkheim, s'il reconnaît la capacité qu'a l'acteur de décrire les faits sociaux qui
l'entourent, considère que ces descriptions sont trop vagues, trop ambiguës pour que le chercheur puisse en
faire un usage scientifique, ces manifestations subjectives ne relevant d'ailleurs pas du domaine de la
sociologie. A l'inverse, l'interactionnisme symbolique soutient que la conception que les acteurs se font du
monde social constitue, en dernière analyse, l'objet essentiel de la recherche sociologique.
Les critiques méthodologiques des interactionnistes sont radicales. Ils rejettent le modèle de l'enquête
quantitative et ses conséquences sur la conception de la rigueur et de la causalité dans les sciences sociales.
Une connaissance sociologique adéquate ne saurait être élaborée par l'observation de principes
méthodologiques qui cherchent à extraire des données de leur contexte afin de les rendre objectives.
L'utilisation des questionnaires, des interviews, des échelles d'attitude, des calculs, des tables statistiques,
etc., tout cela crée de la distance, éloigne le chercheur, au nom même de l'objectivité, du monde social qu'il
veut étudier. Cette conception jugée scientiste produit évidemment un curieux modème de l'acteur, sans
relation avec la réalité sociale naturelle dans laquelle il vit.
L'authentique connaissance sociologique nous est livrée dans l'expérience immédiate, dans les interactions
de tous les jours. Il faut d'abord prendre en compte le point de vue des acteurs, quel que soit l'objet d'étude,
puisque c'est à travers le sens qu'ils assignent aux objets, aux situations, aux symboles qui les entourent, que
les acteurs fabriquent leur monde social.
La phénoménologie sociale de Schütz
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– Alfred Schütz (1899-1959) a étudié les sciences sociales à
l'Université de Vienne. Il est parti d'une réflexion sur Max Weber pour élaborer son premier ouvrage publié
en 1932. Il adressa cet ouvrage à Husserl qui lui proposa de devenir son assistant. Schütz déclina cette offre,
mais conserva des rapports de travail avec Husserl, jusqu'à son départ définitif en 1938 pour fuir le régime
êtres humains gèrent leur existence, agissent à la construction de mondes sociaux et à la transformation de leurs
environnements (la notion d'écologie que l'on retrouve chez Park vient de là).
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Pour une présentation simple : Corcuff, Philippe. Les nouvelles sociologies. Paris : Nathan « 129 » ; plus l'article :
http://www.laviedesidees.fr/La-comprehension-phenomenologique.html
Pour approfondir la réflexion (et échapper à l'emprise de la réception d'une certain sociologie sur Schütz, comme sur
Simmel d'ailleurs, celle dite « interprétative ») : Céfaï, Daniel. (1998). Phénoménologie et sciences sociales. Alfred
Schütz, naissance d'une anthropologie philosophique. Genève : Droz ; Céfaï, D. « Type, typicalité, typification – la
perspective phénoménologique », in Fradin, B. (ed.) L'enquête sur les catégories, 1994. Paris : EHESS.
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