Le propre de l`homme parler, lire, écrire

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groupe départemental « Maîtrise de la langue »
Extraits choisis par Josiane Breuiller, maître E en RASED
juin 2011
nous avons lu pour vous...
Le propre de l'homme : parler, lire, écrire
auteur : Alain Bentolila
éditeur : Omnibus Plon
Extraits choisis : chapitre « apprendre à parler » (p. 141 à 153)
« Conversation avec sa fille Cativa » :
Un bébé associe un objet ou un être vivant bien particulier à un mot plus ou moins bien
prononcé
[…]
Petit à petit, il va étendre l’utilisation de ce nom à un ensemble de plus en plus large
(même mot pour un ours en peluche et un ours blanc d’Alaska). […] C’est la
décontextualisation….
Cela demande au petit enfant une capacité d’abstraction importante […]. Au fur et à
mesure qu’il grandit, l’enfant va apprendre à nommer de la même façon des choses qui se
présentent à ses yeux sous des formes très différentes […]. Mais, ce qu’un enfant devra plus
tard comprendre, c’est qu’il y a des mots qui n’ont pas d’images et dont le sens est conçu,
couche après couche, à mesure qu’on les utilise ; et, ça, c’est difficile. […]
Les concepts, ça se construit en écoutant des histoires mais les bonnes histoires. […] Les
concepts, ça ne se montre pas et ça s’explique difficilement. C’est pourquoi il y a tant
d’enfants qui ne parviennent jamais à les maîtriser vraiment et qui ont, de ce fait,
beaucoup moins de « pouvoir linguistique » que les autres […] Il faut apprendre à
« dépasser l’œil ».
Comment aide-t-on un enfant à découvrir les finalités du langage ?
Comment l’amène-t-on à comprendre ce que parler veut dire ?
Un enfant ne cherchera à s’emparer de moyens linguistiques (mots, phrases…) que s’il
voit se dessiner au loin et peu à peu prendre forme les enjeux du langage, c’est- àdire ce qu’il peut en attendre […] Le premier devoir de son entourage familial, c’est
que l’enfant ne porte pas sur le langage le même regard anxieux qu’il lève vers le ciel
où l’orage menace. […]
Un enfant n’apprend pas le langage en grandissant ; c’est au contraire le langage
qui le fait grandir. […]
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Prenons garde qu’une vision mécaniste du langage et une médicalisation trop
systématique de ses difficultés ne réduisent à rien la responsabilité et la mission des
enseignants (ceux qui ont pour tâche d’initier de jeunes intelligences au pouvoir du
verbe) […]
Sortir du pré carré de la familiarité et de la connivence pour s’adresser à ceux que
l’on connaît moins, pour leur dire des choses qu’ils ignorent, tel est le vrai défi de
l’apprentissage de la langue. Ce défi, un enfant ne pourra le relever tout seul ; il aura
besoin de médiateurs attentifs, patients et fermes qui l’aideront à analyser ses échecs
et à les transformer en conquêtes nouvelles […]
C’est la volonté de repousser progressivement les limites du connu qui constitue le
moteur de l’acquisition du langage.
C’est en effet pour élargir le cercle de ceux à qui il s’adresse et celui des sujets qu’il
ose aborder qu’un jeune enfant consentira à faire des efforts, pour acquérir un
vocabulaire plus riche, des structures plus complexes […]
A cette maîtrise du langage, bien des enfants n’accéderont pas […] Ce sont des enfants
qui, à 4 ou 5 ans, ne savent parler qu’« à vue ». L’absence de ce dont ils parlent,
l’absence de celui à qui ils parlent, les inquiètent, rendent leur parole hésitante et les
incitent souvent à garder un silence prudent. […] Démunis devant l’inconnu, ces
enfants auront ensuite les plus grandes difficultés à aborder la lecture.
Comment imaginer en effet que des enfants dont le discours se réduit à la
désignation, au constat ou à la demande pourront affronter les exigences propres à
l’acte de lire (celui qui écrit n’est pas là ; on ne sait que peu de choses de ce que l’on
va découvrir ; c’est le monde d’un autre que l’on doit construire ?). Le fossé qui sépare
leur langage oral, limité et fragile, de l’écrit à conquérir est immense, et pour
beaucoup infranchissable.
Extraits choisis : chapitre « Apprendre à lire » (p. 161 à 167)
On n’apprend à lire qu’une seule fois ; de même que l’on n’apprend à parler qu’une
seule fois. Je veux dire que l’on comprend une fois pour toutes ce que lire veut dire
après avoir compris ce que parler veut dire.
La lucidité d’un enfant apprenant à lire dépend ainsi de la clarté dans laquelle a
baigné son apprentissage du langage oral.
La lecture, comme le langage, dévoile ses charmes à qui les découvre à son rythme
avec l’aide attentive d’un autre. L’autre vient-il à manquer, les hypothèses faites par
l’enfant sur le « à quoi ça sert ? » et le « comment ça marche ? » resteront alors
lettres mortes. Personne n’en signifiera la validité ou l’erreur et l’enfant, abandonné à
lui-même, nouera avec la lecture des malentendus souvent définitifs…
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Extraits choisis : chapitre « L’école et le langage » (p. 178)
Le courage politique serait de reconnaître que certains enfants arrivent aux portes de
l’école avec un comportement de langage incompatible avec une scolarisation banale.
Pourtant ni autistes, ni aphasiques, ni malentendants, et de familles francophones
pour la plupart, ce sont des enfants silencieux, pour qui parler constitue une prise de
risque qu’ils jugent inutile. Ce sont des enfants qui ne parlent qu’à vue et que la
distance et l’absence découragent. Ces enfants ont besoin d’être accompagnés par un
médiateur patient avec lequel ils puissent travailler, main dans la main, à découvrir
enfin les finalités et les mécanismes du langage. Ne leur conviennent ni diagnostic
médical, ni soutiens ponctuels, ni classe ghetto ; on leur doit une médiation attentive,
éclairée et exigeante, qui, seule, peut compenser un apprentissage familial effectué
dans le silence, l’indifférence et parfois la violence.
Extraits choisis : chapitre « Pouvoir linguistique et destin social » (p. 215)
A nos enfants il faut donc apprendre à parler juste, c’est-à-dire avec l’audace
d’affirmer son pouvoir de parole, mais aussi l’infinie considération que l’on doit à
l’Autre. Il nous faut leur apprendre à lire juste, c'est-à-dire avec le respect que l’on
doit au texte d’un autre, mais aussi la volonté d’en donner une interprétation
personnelle. Il nous faut leur apprendre à écrire juste en savourant le plaisir de
chacun des mots choisis, mais en ayant aussi le souci d’un lecteur que l’on veut
exigeant. Il nous faut enfin leur transmettre que ce langage, cette écriture par
lesquels ils s’imposeront et s’exposeront à la fois sont les plus beaux témoignages de
leur humanité.
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