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Religions, sociétés
et pouvoir
en Asie du Sud-est :
A l’épreuve de
la démocratisation
Paris, 12 juin 2009
Séminaire de l’Observatoire pluriannuel sur l’Asie du Sud-est
Stéphane Dovert, fondateur de l’IRASEC,
Maszlee Malik, University of Dunham,
Alain Forest, CNRS Paris,
Duncan McCargo, University of Leeds,
Fahimul Quadir, York University, Canada,
Sophie Boisseau du Rocher, Asia Centre à Sciences Po,
Claude Levenson, Paris
Surat Horachaikul, Chulalongkorn University, Bangkok,
Jörn Dosch, University of Leeds,
Delphine Alles, doctorante, IEP Paris
memo
AsiA Centre ConferenCe series
L’Asie du Sud-est offre un terrain particulièrement
stimulant à l’étude des relations entre religion et
politique. Comme l’avait déjà montré Lucian Pye dans
son célèbre ouvrage sur la culture politique des sociétés
d’Asie, la religion a toujours occuune place centrale,
rituelle, dans la formation des soctés, et son inuence
prégnante (un héritage de l’inuence culturelle diffusée à
partir de l’Inde qui a introduit de nouveaux types relationnels
entre l’homme et son milieu cosmique, le souverain
étant l’intermédiaire entre le spirituel et le temporel) s’est
renforcée avec la modernisation et la création d’Etats-
nations ; Pye décrit comment l’origine sacrée de l’autorité
donne au dirigeant des pouvoirs qu’il n’a pas besoin de
justier. L’impact du religieux sur la sphère politique est
resté très fort (cf le recours à la mystique de l’idéologie
comme le Pancasila, ou « idéologie des cinq principes »),
non seulement comme substrat identitaire puissant
mais aussi comme élément mobilisateur, source de
repsentation dans l’espace politique, voire comme
enjeu politique. La complexité d’une région-carrefour
se côtoient des sociétés marquées par l’indianisation
bouddhiste, l’islamisation, la sinisation confucéenne et
la christianisation, rend en outre toute grille de lecture
relative, voire aléatoire tant il arrive que les populations
langent dans un syncrétisme sans scrupules, difrentes
pratiques.
L’Asie du Sud-est a traversé ces quarante dernières
années une période de profonds changements qui
n’ont pas épargné les liens entre le religieux et le politique.
Dans un premier temps, entre 1967 et 1997 (les anes
qualiées des « trente glorieuses »), le processus de
décollage économique a modié les comportements, les
« horizons d’attente » et les mentalités ; d’une certaine
façon, la croissance, et l’accès à la consommation
qu’elle permettait, est devenue une nouvelle religion
et les sociétés des pays fondateurs de l’ASEAN
ont frénétiquement sacrié à son succès. Cette
transformation ultra-rapide et quelque peu supercielle a
soudainement pris n en 1997 avec la crise économique
qui a, à son tour, modié les comportements politiques
et permis l’ouverture d’un espace démocratique au sein
duquel les règles et la répartition des jeux politiques sont
renégociés, y compris par les acteurs religieux. Dans
un second temps, les attentats du 11 septembre 2001
aux Etats-Unis vont aussi avoir un impact majeur sur les
gociations en cours. Ces attentats ont montré d’une
part que la région a é utilisée comme une base logistique
à la préparation des opérations et d’autre part que l’Asie
du Sud-est est sormais complètement associée à un
combat transnational qui pourrait se révéler contradictoire
avec le processus de démocratisation en cours. Alors que
les acteurs politiques sont déjà déstabilisés par le processus
de démocratisation et le ralentissement de la croissance,
ils doivent faire face au dé du fondamentalisme. Dans
ce contexte chargé, le débat devient plus émotionnel
et identitaire comme l’ont mont les discussions en
Indonésie après les attentats de Bali (octobre 2002) et le
procès d’Abu Bakar Bashir, soupçon d’être le leader
spirituel de la Jemaah Islamiyah.
2
La question du religieux est ainsi devenue
préponrante en Asie du Sud-est ; l’enjeu dépasse
en résonance celui de la démocratisation. Surtout
quand cette mocratisation est perçue comme un produit
exporté par l’Occident et des Etats-Unis prompts à lancer
dans la région « la lutte contre le terrorisme », comprise
dans cette partie du monde comme une lutte contre
l’Islam. Dès lors, comment (ré)concilier socs, pouvoir,
religion et mocratisation ? A ce jour, le débat n’est pas
clos et constitue un des paramètres qui conditionne la
stabilité politique dans chacun des pays de la région.
Ce séminaire, organisé avec le concours de la Délégation
aux Affaires Stratégiques, se propose d’interroger les
rapports complexes entre religion et pouvoir politique en
Asie du Sud-est, en partant des questions suivantes :
- quel impact les transformations subies par l’Asie
du Sud-est et les récents chocs (1997 et 2001) ont-
ils eu sur la compréhension et la pratique des religions
traditionnelles ?
- dans quelle mesure et comment les religions
inuencent-elles la culture politique post-autoritaire (de
façon rationnelle et/ou irrationnelle) ?
- quel est le rôle de ces dernières dans les évolutions
politiques récentes, notamment les processus d’ouverture
et de démocratisation que l’on peut observer au sein des
pays ?
Imaginaire religieux vs. démocratisation en Asie du
Sud-est (Stéphane Dovert, fondateur de l’IRASEC)
Le concept de démocratie, compris ici comme une
idéologie politique, est un concept chargé et ambigu. De
par leur nature complexe et instable, les systèmes politiques
peuvent par certains cotés être considérés démocratiques1
tout en présentant des caracristiques anti-démocratiques.
Au lieu de la concevoir comme une notion absolue, il s’agit
plutôt de comprendre la démocratie comme une tendance
et de parler d’institutions, de comportements, de principes
et de pratiques mocratiques. De me, il faut se garder
d’associer dans l’absolu la démocratie à une civilisation
donnée. La démocratie ou la politique ne sont pas une
part structurelle d’une identité et ne représentent donc
pas un facteur identitaire.
A l’inverse, la religion est, en Asie du Sud-est, une donnée
bien plus stable, un invariant. D’ailleurs l’appartenance à
la communau religieuse prime sur l’adhésion à un mode
de gestion politique (ie la démocratie). L’évolution des
pratiques religieuses est moins fréquente et plus lente que
les changements de système politique. Dans ce sens, la
religion est plus propice que la politique à représenter
une part structurelle, historique (et non négociable)
d’une identité.
Cela signie-t-il pour autant que la religion, de par son
ancrage dans les sociétés et les imaginaires collectifs,
exerce une inuence sur la sphère politique ? Il faut garder
à l’esprit qu’on ne peut tenir de discours généralisant sur
les liens entre politique et religion. Un système politique
n’est que lié dans un contexte particulier à un type de
1 Comment dénir un système démocratique ? Les caractéristi-
ques suivantes offrent une première tentative de dénition : Etat de
droit, respect des Droits de l’Homme et non-ingérence de l’armée
dans la vie politique.
religion bien spécique, et ce lien peut se modier au cours
du temps. Si l’on considère que les religions reposent sur
des écrits anciens qui ne se préoccupent pas du politique,
il apparaît que c’est la politique qui utilise la religion et non
l’inverse : la religion dans tout discours politique est
inévitablement l’objet d’instrumentalisation.
Ainsi, il convient de se pencher sur les questions
suivantes :
- qui utilise des arguments religieux dans la spre
politique ?
- dans quel but ces acteurs politiques ont-ils recours
à un argumentaire religieux ?
- pourquoi sont-ils soutenus par certaines des
organisations religieuses ou certains groupes au sein de
la société ?
1ère Table Ronde :
Religions et Sociétés en Asie du Sud-est
Démocratie islamique et bonne gouvernance :
le nouveau discours des mouvement politiques
islamistes en Malaisie (Maszlee Malik, University
of Durnham)
Il faut distinguer entre deux périodes différentes quand
on se penche sur la relation entre l’Islam et la politique
en Malaisie. Avant l’accession à l’inpendance, la
religion est un facteur de mobilisation politique. Lié
à l’identité du pays, l’Islam y est profondément politique.
Discours religieux et discours nationaliste sont associés
an de mobiliser et d’unier la population pour la cause de
l’inpendance. L’argument religieux permet également
d’unier différentes factions politiques, des mouvances de
droite et de gauche, au sein d’une même identité et autour
d’une même cause.
A l’indépendance, l’islam devient religion ofcielle pour
les Malais. Le Parti Islamique (PAS) veut plus et défend
l’idée de l’État islamique telle que développée par les
Frères Musulmans en Égypte, en y ajoutant une dimension
socialiste. La révolution en Iran apporte une nouvelle culture
révolutionnaire au parti, qu’on décèle dans le discours sur
l’instauration d’une république islamique et l’imposition de
la shariah. Le PAS est le parti qui cherche à incarner l’idéal
musulman et à répondre au questionnement de fond
(souvent crispé) qui accompagne l’accès ultra-rapide à la
modernité. Cette occupation systématique du terrain, qui
ne se limite pas au seul facteur religieux mais s’étend au
champ social et politique, suscite une réponse de l’UMNO
(United Malays National Organisation), le parti au pouvoir
depuis l’inpendance. A partir de 1995 donc, la mone
en puissance du PAS est entrae par le gouvernement,
dirigé par Mahathir bin Mohamad, qui développe à des ns
politiques un discours plus engagé sur le plan religieux et
défend un Islam ofciel modéré en protant d’un contexte
économique favorable ; Mahathir lie Islam et modernité,
et active la bre nationaliste en insistant sur le nouveau
positionnement du pays : « être une nation musulmane
moderne ». Pour un temps, le PAS est mis sur la touche
et contraint au discours radical (qui le décrédibilise sur
l’échiquier politique). Il retrouvera le sucs électoral après
la crise de 1997 qui déstabilisera le système UMNO. Mais
ce n’est qu’avec l’anement d’un courant plus modéré
au sein du PAS, plus soucieux de gouvernance, de libertés
3
et plus largement d’accès à la démocratie, que le parti
réussit à toucher un nouveau public plus large.
Aujourd’hui, avec le retour des factions conservatrices à la
te du PAS et un retour au discours avant tout religieux, le
parti semble avoir perdu de sa dynamique. Les électeurs,
çus, se tournent une nouvelle fois vers les partis du
centre. Cependant, l’existence d’espaces de libertés et
la présence d’idées progressistes de bonne gouvernance
et de pratiques démocratiques offrent un terrain propice à
l’émergence d’un mouvement réformiste.
La question se pose aujourd’hui de la conciliation entre les
convictions religieuses et les ambitions politiques d’Anwar
Ibrahim. Alors que depuis plus de vingt ans, le recours
à l’instrumentalisation de l’argument religieux est utili
par l’ensemble des acteurs politiques, comment créer
une nouvelle identi nationale basée sur des convictions
politiques ? Dans quelle mesure Anwar utilise-t-il la
démocratie pour pousser ses convictions et alliances
religieuses ? à l’inverse, ses convictions religieuses
ne lui servent-elles pas d’alibi pour se poser dans le
processus de démocratisation ? Quelle est sa marge de
manœuvre et comment peut-il « récupérer » le vote non-
musulman ? L’ambition proclamée d’Anwar est d’ouvrir le
jeu politique aux non-Malais et de cer ainsi une nouvelle
Malaisie : l’examen des évolutions locales nous place au
cœur des problématiques étudiées.
Bouddhisme et sociétés au Viêt Nam, Laos et
Cambodge : quelle relation avec la politique ?
(Alain Forest, CNRS, Paris)
En se penchant sur les écrits et les préceptes bouddhiques,
on constate que le bouddhisme Theravada comme
pratiqau Cambodge, en Thaïlande, en Birmanie et au
Laos ne présente aucun discours normatif sur le type
de régime politique à mettre en place, sur les modalités
d’accession au pouvoir ni sur le prétendant idéal. Dans le
discours classique sur l’origine du pouvoir, les chefs de
famille assemblés demandent à une personne d’autorité
morale de les gouverner. On trouve donc bien une notion
d’élection mais la personne élue est reconnue pour son
kharma, c’est-à-dire la fructication de ses rites propres.
Cette tradition du kharma est à l’origine de l’émergence
tardive d’une loi de succession. En l’absence de cette loi,
c’est la loi du plus fort qui régit la passation de pouvoir,
ce qui explique en partie les tendances autocratiques
observables encore aujourd’hui dans ces pays.
Par ailleurs, la relation entre religion et politique est
marquée par le lien essentiel entre le dèle et le moine. Le
moine devant se consacrer entièrement à suivre l’exemple
du bouddha an de transmettre son message, il dépend
entièrement du dèle pour le nourrir, le loger et le protéger.
Le roi de son a longtemps eu le pouvoir de vérier
les écritures et de punir les mauvais moines, tâche dans
laquelle il est assisté par le sangharaja, un moine rable
qu’il a choisi.
Le passage à la modernité a modié les termes de la relation
entre pouvoir politique et religieux, principalement au
travers de la constitution d’une élite intellectuelle du clergé.
Celle-ci assure à présent seule les tâches de reproduction
de l’écriture, bien que le roi conserve le pouvoir de nommer
le sangharaja. Le souci principal reste la présence d’un
pouvoir assurant la continuité de la relation entre
moine et dèle.2 Les monasres, avant tout urbains et
accueillant une population jeune majoritairement rurale,
sont devenus des lieux de socialisation et d’expression.
La multiplicité des opinions qui s’y veloppent et les
mouvements au sein du bouddhisme, ne signie pas pour
autant un affaiblissement de la position du bouddhisme
dans la société. Deux conclusions : (i) démocratisation et
bouddhisme n’ont rien d’antinomique (2) mais ce n’est pas
parce que des moines protestent (cf Birmanie septembre
2007) qu’il faut en conclure que le haut clergé soutient la
mocratisation.
A l’heure actuelle, la religion bouddhiste joue au Laos, au
Cambodge, en Thaïlande et au Myanmar un le avant
tout conservateur, réticent/prudent envers la démocratie.
En effet, ce sysme politique représente un changement
constant du personnel politique, qui va à l’encontre des
besoins de stabilité du bouddhisme. Dans ce contexte, il
convient de rééchir aux formes politiques alternatives.
Le bouddhisme Thaïlandais : un atout pour la
démocratie? Duncan Mccargo, University of Leeds)
La question repose sur deux présupposés qu’il s’agit
de déconstruire : la Thaïlande se serait engagée dans
un processus de démocratisation et le bouddhisme
thlandais serait devenu une religion civique plus ouverte
et modérée.
Il existe des concepts concurrents sur lesquels la
gitimité de l’Etat thlandais pourrait reposer: l’idée
d’un gouvernement vertueux par exemple souligne la
centralité de la monarchie. Pour autant, il faut souligner
qu’il ne s’agit pas ici seulement de la gure du roi mais
d’un complexe réseau de personnes gravitant autour des
sphères de pouvoir. L’horizon de la mort du roi Bhumibol
Adulyadej approchant, plusieurs participants de ce réseau
ont adopté l’idée d’un gouvernement représentatif. Il
s’agit de renforcer les institutions an d’éviter une situation
de chaos sa mort venue. Cette mouvance a notamment
donné lieu à la constitution de 1997. Or, ce principe de
constitutionnalisme libéral a également permis l’accession
de Thaksin Shinawatra au pouvoir, représentant l’idée d’un
gouvernement populiste.
Le bouddhisme thaïlandais a récemment évolué avec la
montée en puissance au cours des années 80 du maître
spirituel Buddhadasa Bhikkhu et de son école Suan Mokh.
Celui-ci professe l’universalisme du bouddhisme qui
passerait de facto les frontres du pays. Ces idées et
le personnage sont perçus comme une source de danger
par et pour l’Etat qui voit en lui une possibilité de légitimité
autonome capable de remettre en cause les principes de
hiérarchie et de structuration sociale. Autour de lui, une
certaine effervescence intellectuelle est palpable, avec
l’émergence de différents groupes d’acteurs défendant
des réformes en profondeur. Sur le marché thaïlandais
des idées politiques, ce groupe fait gure de précurseur
iconoclaste. La mort de Buddhadasa Bhikkhu met un
terme à ce mouvement vers un bouddhisme civique, plus
politique et moins contrôlé. Son successeur, qui défend
2 L’exemple de la colonisation de la Birmanie est souvent cité :
l’arrivée des Anglais est dans un premier temps acceptée par le
clergé. Mais une fois la mort du Sangha survenue et le refus de la
puissance coloniale d’en élire un nouveau, le Clergé se tourne vers
la lutte pour l’indépendance.
4
des positions très nationalistes, réintègre les gles du
jeu et la communau Santiasok retrouve sa place de
caution politique qui était traditionnellement la sienne ; le
bouddhisme thaïlandais est un bouddhisme dominé
par l’Etat monarchique. Ceci explique aujourd’hui
l’absence de voix contestataires du pouvoir au sein du
clergé, contrairement à ce que l’on peut observer au
Myanmar. La religion bouddhique est aujourd’hui rée
par une gérontocratie qui ne se renouvelle pas et conserve
précieusement ses prérogatives.
Ces deux arguments montrent que le bouddhisme
en Thaïlande n’est pas, contrairement à ce qui est
souvent avancé, une force libérale œuvrant en faveur
de la démocratie. L’évolution récente dans le Sud du pays
est inquiétante : les monasres servent de base militaire,
voire de lieux de torture, aux opérations de l’armée ; les
moines sont entraînés et équipés par l’armée « pour se
défendre des exactions islamiques ». Face à cette menace
propre à déstabiliser la nation (forcément bouddhiste)
thlandaise, les monasres sont des citadelles. L’armée
manipule et instrumentalise le registre de la peur. Mais elle
n’est pas le seul acteur à le faire : l’appel de la reine en
2004 demandant à tout bouddhiste résidant dans le Sud
du pays d’apprendre à tirer (pour se défendre contre les
menaces « islamiques » a surpris plus d’un observateur.
La situation en Thaïlande est à présent très émotionnelle
et chargée. La perspective de la disparition prochaine
du souverain, et la succession ouverte, est un sujet
grandissant d’inquiétude. Le retour possible de Thaksin
Shinawatra qui proterait des désordres pour instituer une
« monarchie présidentielle » n’est pas complètement à
écarter. L’objectif de Thaksin est clair : le pouvoir ne
tiendrait plus son autorité de son charisme religieux
mais serait cautionné par le clergé bouddhiste. A
présent, certains espaces de liberté restent intacts, mais les
rares voix critiques qui s’élèvent ont peine à être entendues
dans un contexte général d’urgence et d’anxiété face à
une passation de pouvoir qui s’annonce problématique.
La discussion s’engage, à l’issue de cette première
table ronde. Plusieurs thèmes sont abordés de façon
disparate :
- sur l’instillation d’une nouvelle culture politique et
de nouveaux ferments nationalistes pas directement
liés à la religion. Un participant fait remarquer que Thaksin
Shinawatra a utili le remboursement antici au FMI
comme un argument nationaliste. Ainsi, il a renouvelé la
perception du sentiment nationaliste sans avoir recours à
la religion ; le scénario d’une « monarchie présidentielle »
(qu’il serait le premier à incarner) écarterait aussi, au moins
dans un premier temps, l’argument religieux ;
- sur l’étrangeté dans les cultures politiques
locales du principe d’égalité ; la référence au principe
de hiérarchie est beaucoup plus intériorisée et familre (on
en revient aux notions développées par Lucian Pye). Ce
principe de hiérarchie est d’ailleurs entretenu par le cler;
d’où les liens étroits (et naturels) entre hiérarchies politique
et religieuse ;
- sur la difcile et complexe séparation des
pouvoirs entre religieux et politique. Le courant
nationaliste a instrumentalisé le facteur religieux (comme
facteur identitaire) de même que les pouvoirs autoritaires
ont utilisé la caution des différents clergés : aujourd’hui, les
champs religieux et politique sont intrinsèquement mêlés
par toutes sortes de liens publics ou implicites ;
- sur le concept d’ « homo religiosus » et les
caractéristiques de l’Islam en Asie du Sud-est (un
Islam parfois dév de sa vocation initiale, ou par effet
de syncrétisme qui en amortit les pratiques, ou par
manipulation locale) ainsi que la cessaire prise en
compte de la notion centrale, au sein du bouddhisme, de
la « voie du milieu » ;
- dernier point : il est également souligné qu’il faut
opérer une distinction entre la religion en tant qu’institution
et la religion comme un ensemble de principes et normes.
Si l’institution n’est pas un champion de la mocratie
(pouvoir pyramidal, obéissance incontestable...), les
idées fondamentales de la démocratie ne sont-elles pas
dérivées du christianisme ? d’où une relative difculté à
s’approprier la notion de démocratie dans la région.
2ème Table Ronde :
Religion et Politique en Asie du Sud-est
Les acteurs islamistes radicaux dans l’espace
politique : les politiques d’identité islamique en
Asie du Sud-est (Fahimul Quadir, York University,
Canada)
Les mouvements islamistes en Malaisie, en Indonésie, aux
Philippines et en Thaïlande sont implantés dans ces pays
depuis longtemps (avant même la décolonisation), mais ce
n’est que récemment (au cours des années 1980 90)
qu’ils ont commencé à utiliser de manière systématique
un argumentaire religieux an de mobiliser leur électorat.
S’interroger sur les liens entre identité islamique et pratique
de la gouvernance revient à poser les questions suivantes:
pourquoi et comment les institutions en place ont-elles
créé un espace favorable à l’émergence et la consolidation
d’une identité politique bae sur la religion ? Et dans le
cas de la Malaisie et de l’Indonésie, comment comprendre
ce nouveau concept de modernité islamique ?
Un certain nombre de phénomènes ont contribué à lier
inextricablement identité religieuse et identité politique. Le
premier point qu’il faut avoir à l’esprit quand on étudie ces
questions et liens de causalité, c’est que la démocratie,
comprise comme un processus d’expansion des choix
ouverts à l’individu, n’est pas un concept familier aux
sociétés de la région. Il n’a pas maturé mais a été
imposé par des acteurs extérieurs. Sur le plan historique,
les systèmes politiques d’Asie du Sud-est ont perpétué les
instruments de domination d’une élite ; il existe très peu
d’espaces ouverts à la contestation. Cet héritage d’un
espace civil limité a permis aux États de fragmenter
les forces d’opposition, an d’imposer leur propre vision
de la gouvernance. Second point, le local, considéré
comme un danger potentiel à la construction d’une
identinationale, n’est pas reconnu comme un lieu
de citoyenneté. Ceci contribue à aliéner certains groupes
de la société, notamment les minoris ethno-religieuses.
Dernier point, le processus de libéralisation et d’ouverture
économique, plus préoccupée par la compétitivité des
économies nationales que par l’expansion des choix
citoyens, a donné lieu à un développement très inégal
à l’origine de tensions sociales, d’un pnomène de
paupérisation et de l’exclusion plus prononcée de certaines
minorités.
5
Ce contexte d’exclusion sociale, de privation
économique et d’invisibili politique offre un terrain
fertile aux groupes islamistes pour disséminer une
nouvelle identité politique plus revendicatrice et
appeler à une structure de gouvernance reposant sur
les principes normatifs de l’Islam : la prise en compte de
la dimension de genre, la justice sociale et la redistribution
des richesses par exemple. Ainsi, face à l’exclusion
sociale, aux quilibres et inégalités produits par
une ouverture bridée, l’Islam a constitué un bouclier
protecteur, rassurant. L’identité religieuse est également
devenue facteur de protection sociale. L’UMNO en Malaisie
a bien compris le message et l’a repris, accentuant de la
sorte un schéma politique communautariste.
L’inuence politique de l’Église catholique aux
Philippines : un soutien tiède et douteux à la
démocratisation (Sophie Boisseau du Rocher,
Asia Centre, Paris)
Les Philippines représentent un cas unique en Asie du Sud-
est : on y trouve la plus grande communauté catholique
de la région (environ 85 % des 90 millions d’habitants),
et ce fut le premier pays en Asie à adopter la démocratie
comme système politique (les indépendantistes philippins
annoncent la formation d’un gouvernement démocratique
provisoire à Malolos (le 23 janvier 1899), dont la Constitution
inscrit la séparation de l’Eglise et de l’Etat (titre III, article
5)). La religion catholique y a joué un rôle central
dans l’émergence d’une idéologie et d’un imaginaire
politique ; elle a directement contribué à l’édication
d’un Etat-nation philippin. Ce rôle historique central a-t-il
plus récemment opéré en faveur ou contre la mocratie?
Et le catholicisme et la démocratie sont importés.
Si l’on considère la hiérarchie ecclésiastique, celle-ci
s’est, à plusieurs occasions, opposée aux processus
de mocratisation. Dès le début de la colonisation
espagnole, l’Eglise a jo un le politique à l’échelle locale
: ne s’aventurant pas à l’intérieur du pays, les Espagnols
ont coné aux diverses communautés religieuses (les
Jésuites, les Capucins, les Dominicains…) l’administration
de « territoires » géographiques sur lesquels ils avaient
tout pouvoir : l’Eglise était le pouvoir. Ce découpage
explique non seulement le lien de l’Eglise avec la sphère
politique mais aussi son extrême fragmentation, chaque
communauté tentant de consolider son territoire et l’accès
aux ressources, cherchant même à déborder sur celui du
voisin. Un amalgame s’opère ainsi dés le départ entre
religion, intérêt économique et pouvoir politique, au
point l’on a avancé le concept de « monarchie
monastique » (Marcelo del Pilar). La colonisation espagnole
qui repose sur la justication d’abus de pouvoir par des
arguments religieux, prend soin de créer une opposition
entre religion et nationalisme : être nationaliste revenait
à s’opposer à la volonté de Dieu. Le héros nationaliste,
Rizal, n’est pas parvenu à venir à débarrasser les esprits
de cet amalgame déroutant. La religiosi a été si
profondément manipulé que les Philippins acceptent
leur destin et « portent leur croix » avec fatalisme : ils ne
croient pas en la potentialité d’un changement socio-
politique et attendent leur « salut » d’une relation forte à
un Dieu salvateur. Ce complexe d’infériorité, mâtiné de
culpabili, contribue à expliquer pourquoi aujourd’hui
les individus ont des difculs à se battre pour des
idées politiques.
La période américaine n’a pas ai à clarier la situation.
Dès le début, les Américains annoncent leur intention de
« promouvoir la démocratie » ; mais, simultanément, pour
mieux asseoir leur pouvoir, ils ont recours à une guerre
particulièrement violente (250 000 morts) et ils favorisent
l’arrivée de nouveaux courants religieux an de « casser »
la légitimi de l’Eglise catholique. Non seulement les
églises protestantes vont trouver aux Philippines un terrain
de mission, mais des églises locales (comme Iglisia Ng
Cristo) voient le jour. Aujourd’hui, ces églises s’immiscent
dans les jeux politiques en appelant leurs dèles à voter
pour tel ou tel candidat.
Après avoir couvert les abus du couple Marcos, et
comprenant qu’aller plus loin risquait de compromettre sa
légitimité, la hiérarchie catholique opère un changement
radical de position après l’assassinat de Benigno Aquino
en 1983 et se range du côté du mouvement populaire
pour la démocratie. Ce changement, dans l’intérêt de
l’Église, permet à cette dernre de (re)devenir la référence
morale de la vie politique nationale et de se repositionner
sur l’échiquier politique en jouant de sa référence morale :
des religieux sont consuls pour rédiger la constitution
de 1987 et la présidente Aquino s’entoure de quelques
hommes d’Eglise, dont le fameux cardinal Sin. L’Église se
positionne alors en arbitre de la vie politique et n’hésite
pas à intervenir dans le débat : il n’y a pas un jour dans
les journaux nationaux où l’on ne trouve telle ou telle
claration en faveur d’un sujet de socou politique.
Récemment (2008), la conférence des évêques des
Philippines a demandé au peuple philippin de ne pas
demander la mission de la présidente Macapagal Arroyo
et de la laisser terminer son mandat.
Cette présentation dresse le tableau d’une institution
religieuse défendant son propre intérêt, quel que soit le
système, et peu encline à œuvrer pour un changement
du système. L’inuence qu’elle exerce aujourd’hui sur la
vie politique du pays va à l’encontre de la constitution qui
stipule une séparation stricte entre État et Église. Dans un
tel contexte, il est aisé de comprendre la désillusion des
Philippins envers une possible ouverture démocratique
du pays, mettant un terme au règne continu d’une même
élite, au sysme de clientélisme et à la corruption.
Des moines contre la dictature : le cas de la
Birmanie (Claude Levenson, Paris)
La Birmanie/Myanmar est aujourd’hui témoin d’une lutte
de pouvoir entre le Sangha (il y a environ un demi million
de moines dans le pays) et l’armée (forte de 400 000
soldats). Le conit oppose non pas les militaires au clergé
bouddhiste, qui est proche du pouvoir en place, mais
une grande majorité de jeunes moines ouverts aux idées
alternatives venant de Thaïlande et accessibles grâce aux
nouvelles technologies. L’instrumentalisation de la religion
est néfaste pour l’ordre religieux car d’une part, elle divise
le Sangha (l’ensemble du corps religieux) entre ceux qui «
collaborent » avec la junte militaire et ceux qui afchent une
hostilité et d’autre part, elle dégrade l’éthique religieuse par
la corruption de certains moines qui entrent dans le jeu de la
junte militaire. On observe en outre, un écart générationnel.
Ce sont ces jeunes bonzes qui ont expri au cours de
la « révolution safran » en 2007, le rejet de l’oppression
subie par la société dans son ensemble : « il s’agissait
plus d’une démarche de compassion ». Mais ce n’était
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