plus  décisive et  la  plus  fondamentale,  de  se définir  par  rapport  à  la  littérature.  Se  définissant  en 
définissant  la  littérature  pour  s’en  démarquer  et  imposer  sa  délimitation.  En  effet,  la  réflexion 
philosophique sur la littérature est aussi ancienne que le souci pour la vérité arrachée aux ombres de 
l’illusion et à la volonté de dépassement du mythe par la raison. Et si l’infériorisation classique de 
l’art  en  général  qui  en  découle,  lequel  fut  à  l’origine  associé  au  domaine  de  l’illusion,  de 
l’apparence, du mensonge et de la sophistique par Platon, précéda son autonomisation critique ainsi 
que sa  survalorisation romantique, rien ne permet de conclure dans ce coup de force fondateur de la 
philosophie à un simple rapport d’extériorité, de disjonction ou d’opposition pure et simple. Trop 
souvent le rapport entre littérature et philosophie est interprété comme un rapport entre philosophie 
ou littérature, entre sérieux ou frivolité, vérité ou imaginaire, réel ou apparence, science ou art, et 
ainsi de suite. 
  Aussi  la  littérature  elle-même  est-elle  une  expérience  de  pensée  et  certaines  oeuvres 
littéraires, le plus souvent les meilleures et les plus universelles, possèdent une valeur philosophique 
manifeste  et  par  conséquent  on  ne  saurait  tout  à  fait  exclure  du  mode  de  présentation  théorique 
dominant de  la philosophie tout rapport à la « littérarité ». La littérature  n’est pas la philosophie, 
mais aucune philosophie n’est tout à fait différente de la littérature ou indifférente à la littérature, ne 
fut-ce que parce qu’elle partage la même condition de possibilité et d’historicité : être archive, texte, 
inscription.  Inversement,  aucune  littérature  n’est  indifférente  à  la  prétention  de  vérité  de  la 
philosophie.  La  littérature  ne  saurait  par  conséquent  être  simplement  un  « objet »  extérieur  à  la 
philosophie  ou  à  l’esthétique,  ou  encore  à  une  philosophie  de  la  littérature.  D’autre  part,  et  la 
conséquence  s’impose,  la  littérature  et  la  philosophie  n’existent  pas  au  sens  d’objet  naturel  aux 
propriétés stables, ce sont des archives, des institutions, les résultats de certaines conventions et de 
certaines interprétations, lesquelles varient au cours de l’histoire. 
  C’est dans cette optique que nous aborderons le thème d’une relation de corrélation réciproque 
entre  philosophie  et  littérature.  À  l’évidence,  ces  rapports  entraînent  un  champ  d’investigation 
possible immense, sans doute incontrôlable puisqu’ils touchent aux fondements mêmes de la pensée. 
Où commencent et où finissent l’expérience littéraire et l’expérience philosophique ? On peut partir 
de la littérature pour mettre en lumière sa valeur philosophique (dans sa forme et/ou son contenu), ou 
son  rapport  à  la  philosophie,  ou,  à  la  l’inverse,  partir  de  la  philosophie  pour  mettre  en  valeur  sa 
dimension littéraire ou son rapport à la littérature. Sans perdre de vue la dimension historique et la 
complexité  du  problème  nous  favoriserons  surtout  dans  le  cadre  de  ce  cours  et  tout  en  l’adoptant 
comme fil directeur de ce rapport,  les développements de la pensée française contemporaine, laquelle 
ne cessera d’interroger, à partir du Qu’est-ce que la littérature? (1948) de Sartre, l’expérience de la 
littérature d’un point de vue philosophique.  
Nous  aborderons  dans  le  cours  quelques-uns  des  moments  les  plus  marquants  de  ce 
développement : la phénoménologie du « néant » de Sartre (1905-1980) et l’existentialisme de Camus 
(1913-1960) ; la phénoménologie de l’expression de Merleau-Ponty (1908-1961) ; la pensée de l’autre