La cosmologie comme « manière de faire un monde »
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monde résultante est précise et prédictive. Elle est cohérente au
sens de la convergence des mesures. Les paramètres
cosmologiques sont connus avec des précisions qui avoisinent
le pourcent et le scénario s’affine pratiquement de jour en jour.
En contrepoint, les incomplétudes, les tensions, les arbitraires se
dessinent et s’ancrent dans la démarche. Faut-il n’y déceler que
des erreurs ou des errements, des accidents, des impasses ?
Faut-il les exclure de la définition et les bannir des fondements
? Faut-il, d’ailleurs, nécessairement définir et fonder ? Faut-il
interdire ou plutôt inter-dire ? Mieux vaut, peut-être, demeurer
parfois dans ou sur le parergon10, au sein du cadre, de la limite,
de l’entre-deux, littéralement hors-d’œuvre. Mieux vaut, peut-
être, se départir du rêve – ou du cauchemar – d’une
« conception absolue du monde » comme la désirait Williams11.
Mieux vaut, peut-être, dé-figurer quelques visages du cosmos,
c’est-à-dire, suivant Evelyne Grossman, en « bouleverser les
formes stratifiées du sens »12, et réhabiliter une certaine latitude
polysémique : moins qu’un effet de style ou un substitut à une
compréhension claire et profonde, la plurivocité peut devenir un
outil nécessaire à la rigueur ou à la précision du discours et
contribuer de façon décisive à ce que Castoriadis nomme, à
propos de la polysémie irréductible du grec, une intensité13.
Cosmo-logie. Bien sur, il faut déconstruire le
logocentrisme14 et ses racines phallogocentriques, voire carno-
pallogocentriques15. Bien sur, il faut fustiger ce primat de la
parole – et singulièrement de la parole masculine et carnassière
– pensée comme « vie et présence ». Mais c’eût pu être pire. La
science de l’Univers, du système-univers considéré dans son
ensemble depuis l’éventuel instant initial jusqu’à l’éventuel
instant final sans aucune limite spatiale, aurait pu se proclamer
10 J. Derrida, La Vérité en Peinture, Paris, Flammarion, 1978
11 B. Williams, Ethics and the limit of philosophy, Cambridge, Harvard University
Press, 1985
12 E. Grossman, La défiguration, Artaud – Beckett – Michaux, Paris, Editions de Minuit,
2004, p.7
13 C. Castoriadis, Figures du pensable – les carrefours du labyrinthe VI, Paris, Seuil,
1999, p. 35
14 J. Derrida, De la grammatologie, Paris, Editions de Minuit, 1967
15 J. Derrida, « Il faut bien manger ou le calcul du sujet » in Points de suspensions.
Entretiens, paris, Galilée, 1992