1. L'EXPANSION ET L'ÉTAT-NATTON
«L'expansion, tout est là», disait Cecil Rhodes, et il sombrait dans le désespoir, car
chaque nuit il voyait au-dessus de lui « ces étoiles [...] ces vastes mondes qui demeurent
toujours hors d'atteinte. Si je le pouvais, j'annexerais les planètes2». Il avait découvert le
moteur de l'ère nouvelle, I'ère impérialiste: en moins de vingt ans, I'Empire britannique
devait s'accroître de 12 millions de km2 et de 66 millions d'habitants, la nation française
gagnait 9 millions de km2 et sa population 26 millions d'individus, les Allemands se
taillaient un nouvel empire de 2,5 millions de km2 et de 13 millions d'indigènes et la
Belgique, grâce à son roi, hérita de 2,3 millions de km2 et d'une population de 8,5
millions d'individus3. Pourtant le même Rhodes reconnaissait aussitôt dans une lueur de
sagesse la folie inhérente à un tel principe, en totale contradiction avec la condition
humaine. Naturellement, ni la clairvoyance ni la tristesse ne modifièrent sa ligne de
conduite politique. Il n'avait que faire de ces lueurs de sagesse qui le transportaient à tant
de lieues des facultés normales d'un homme d'affaires ambitieux, doté d'une forte
tendance à la mégalomanie.
“Une politique mondiale est à la nation ce que la mégalomanie est à l'individu4 ”, disait
Eugen Richter (leader du parti progressiste allemand) à peu près au même moment de
l'histoire. Toutefois, en s'opposant au sein du Reichstag à la proposition de Bismarck
2 Sarah Gertrude Milfin, Rhodes, 1933, p. 138.
3 Ces chiffres sont cités par Carlton J. H Hayes, A Generation of Materialism, 1871-1900,1941, p.
237, et recouvrent la période 1871-1900. Voir également John Atkinson Hobson, Imperialism, p. 19:
“En quinze ans, I'Empire britannique s'est agrandi de quelque 6,75 millions de km2, l’Allemagne de 1,8
million de km2 et de 14 millions d'habitants, la France de 6,3 millions de km2 et de 3 7 millions d
'habitants».
4 Voir Ernst Hasse, «Deutsche Weltpolitik», Flugschriften des alldeutschen Verbandes, no 5, 1897, p.
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