Monique HOA
UNE PARTICULARITÉ DU TROISIÈME TON
SUR LE PLAN ACCENTUEL EN PEKINOIS *
L'aspect accentuel du pékinois joue un rôle important dans la maîtrise de la
chaîne parlée. Cet aspect a été très peu étudié et complètement négligé dans
l'enseignement du chinois. L'accentuation des syllabes au troisième ton consti-
tue un des éléments de cet aspect.
En effet, les syllabes au troisième ton paraissent enclines à s'accentuer plus
faiblement que celles qui sont dotées d'un autre ton. Nous allons illustrer cette
particularité à travers l'étude des phénomènes accentuels suivants: déplacement
de l'accent fort au sein d'un dissyllabe ou d'un trisyllabe, place de l'accent
secondaire dans une séquence, noms propres géographiques étrangers et chinois,
redoublement (des classificateurs ou
des
verbes de qualité) et accent d'insistance.
Les locuteurs distinguent d'eux-mêmes, dans la chaîne parlée, des syllabes
plus ou moins accentuées. Bien que cette modulation semble s'observer dans
toutes les langues, chacune d'elles la réalise selon un modèle comportant des
règles particulières. Celui du pékinois est naturellement marqué par le fait
qu'on est en présence d'une langue tonale, où l'accent se superpose aux tons
syllabiques. Pour être affectée d'un des quatre tons mélodiques, une syllabe
doit recevoir un minimum d'accentuation
:
l'absence totale d'accent exclut la
réalisation d'une mélodie distincte. Nous considérerons donc les syllabes possé-
dant un des tons mélodiques comme accentuées; et comme inaccentuées, les
syllabes au ton neutre (lequel n'est d'ailleurs que la réduction à l'extrême d'un
des quatre tons mélodiques).
Des syllabes prononcées isolément possèdent leur ton plein
;
leur insertion
dans une chaîne a pour effet d'atténuer les différences tonales. Plus la syllabe
est accentuée, plus le ton est pleinement réalisé. Les paramètres physiques de
* Le présent article rassemble et restructure diverses remarques relatives au troisième
ton, qui se trouvaient éparses dans ma thèse de 3e cycle, publiée, avec des remaniements,
sous le titre L'Accentuation en Pékinois, Paris-Hong-Kong, Ed. Langages Croisés, 1983,
260 p.
36
I
l'accent sont l'intensité, la hauteur et la durée. Leur importance relative varie
selon les langues
;
certaines langues privilégient la hauteur, d'autres l'intensité ;
mais finalement le degré de l'accent est une résultante de ces trois paramètres.
En posant, pour le pékinois, l'existence d'un rapport entre l'accent et le degré
de plénitude des tons, on reste dans le cadre de ces paramètres, la durée et
l'intensité étant privilégiées.
La suite des degrés accentuels dans une chaîne parlée (dite d'un seul trait)
résulte d'une sorte de compromis entre
les
exigences syntaxiques et les exigences
rythmiques, i.e. d'alternance. Les premières sont, par exemple, les suivantes:
1) pour un syntagme verbal (SV) composé d'un verbe (V) et d'un objet (0),
l'objet est plus accentué que le verbe, ainsi
hië
'tâng (boire-soupe) « manger
la soupe »* ;
2) pour une construction comportant un SV d'orientation, ce dernier est moins
accentué que le verbe qui le précède, ainsi dans 'nâjinqu (prendre-entrer-aller)
« (F) apporter dans » est plus accentué
que
j'inqu.
La règle générale en péki-
nois est que, entre deux constituants immédiats, l'accent fort frappe celui de
droite. L'inverse affecte des cas plus rares.
Les exigences rythmiques, par exemple, font que deux syllabes contiguës ne
peuvent être plus accentuées que les deux syllabes qui les entourent (sauf s'il
s'agit
de ton neutre). On peut avoir 6'66'62 ou '66'6, mais non '66'6'66 ni
6'6'6
3.
Je n'entrerai pas ici dans le détail des règles accentuelles que j'ai essayé
de dégager4.
Nous représenterons par des nombres les différents degrés accentuels perçus.
L'accent le plus fort sera représenté par 1, l'accent secondaire par 2, etc. Les
accents relativement faibles qui ne paraissent pas susceptibles de recevoir une
distinction de degré seront notés X, et les tons neutres 0.
Pour tout énoncé, un ou plusieurs schémas sont possibles, pourvu qu'ils ne
violent pas les règles accentuelles établies. Parmi ces schémas, il y a des cas où
certains sont préîérés. Plusieurs facteurs interviennent dans le choix J, par
exemple, la présence d'un troisième ton (T3). Ce ton paraît accepter mal un
accent fort
;
les schémas préférés sont ceux dont les syllabes au T3 sont relative-
ment faibles.
En pékinois, la courbe mélodique caractéristique des quatre tons est tradition-
nellement représentée ainsi, selon le système établi par v ». Chao:
Cette description ne vaut que pour une syllabe
isolée.
Dans une
suite de syllabes,
la réalisation du T3 est beaucoup moins complète: la remontée est plus ou
moins esquissée. Il
s'agit
donc d'un « ton bas
»
par rapport aux trois autres6.
Le T3 accepte mal, nous venons de le dire, un accent fort.
D
préfère, dans le
37
cadre de schémas possibles, le céder à une autre syllabe. C'est cette particula-
rité que l'on fera apparaître à travers les quelques phénomènes suivants.
1
Déplacement de l'accent fort au
sein
des
dissyllabes.
Une des règles accentuelles veut que les mots iambiques (X 'X) 7, deviennent
('XX) lorsqu'ils sont suivis d'un syntagme débutant par une syllabe accentuée.
Ex:
1) (niân'qïng) +
('hùshij
'nidnqihg 'hùshi
jeune infirmière
«
jeune infirmière »
Ce déplacement se réalise même si la première syllabe du mot iambique est au
T3.
2) (wèi'dàj + ('chéngjiù) \vëidà 'chéngjiù
grand succès « grand succès »
Lorsque le syntagme suivant ne débute pas par une syllabe forte, le déplace-
ment de l'accent est
facultatif.
Ex
:
3) (niân'qïng) + (jûnguân) niân'qïngfûn'guân
jeune officer
«
jeune officier
»
'nidnq ïng jûn
'guân
La présence d'un T3 influe sur la réalisation ou non de ce déplacement. Quand
la première ou la deuxième syllabe du mot iambique est au T3, le schéma
préféré est celui dans lequel cette syllabe est faiblement accentuée.
4) (xiâo'dôu) + (bïng'gùnr) -*• xiâo'dôu bïng'gùnr
petits pois glace-bâtonnet (sans « glace aux petits pois
déplacement) rouge »
préféré
5) (hông'guô) + (bïng'gùnr) -*•
'héngguô
bïng'gùnr
nèfle glace-bâtonnet (avec « glace aux nèfles »
déplacement)
6) (la'n'qiû) + (jiào'liànj ^r lân'qiûjiào'liàn
basket-ball moniteur ^
lanqiu
jiào'liàn
« moniteur de basket-ball »
38
préféré
7) (lèi'qiû) + (jiào'liàn) -> 'youyong jiào'liàn
base-bail moniteur (sans « moniteur de base-bail »
déplacement)
préféré
8) (yôu'yong) + (jiào'liàn) -+ lei'aiu jiào'liàn
natation moniteur (avec « moniteur de natation »
déplacement)
2 - Déplacement de l'accent fort au
sein
d'un syntagme trisyllabique.
D'une façon générale, un syntagme qui, prononcé isolément, a un accent fort
sur sa dernière syllabe, voit cet accent se déplacer vers la gauche quand il est
suivi d'un autre syntagme dont la première syllabe est la plus accentuée, comme
s'il y avait conflit accentuel aboutissant à un écartement des accents forts en
contact. Mais ce déplacement ne reporte pas l'accent sur n'importe quelle
syllabe. Prenons le cas d'un trisyllabe. L'accent le plus fort portant initialement
sur la dernière syllabe se retrouve sur la première lorsque ce syntagme est suivi
d'un syntagme dont la 1ère syllabe est la plus accentuée
;
le déplacement ne
peut aboutir sur la deuxième syllabe, car cela apparaîtrait comme une cassure
dans le syntagme. Ex:
9) (tùshûguan) + (kâilej -*• tushû guan kâi le
2X1 10 2 X X 1 O
livre-maison ouvrir-LE8
bibliothèque est ouvert « la bibliothèque
est ouverte »
kài (ouvrir) portait l'accent le plus fort du 2ême syntagme
;
guan (maison)
portait l'accent le plus fort du 1er syntagme. Dans la combinaison des deux
syntagmes, l'accent fort, initialement
sur
guan,
se
retrouve sur tu, et non sur shû.
Mais lorsque la première syllabe du syntagme de gauche est au T3, il arrive
que l'accent fort, au lieu d'aboutir sur elle, se porte sur la 2ème syllabe. Com-
parons les deux exemples suivants, dont le second syntagme est shûshu (oncle).
10) zâjx tuân shûshu
acrobatie-troupe oncle
« oncle de la troupe d'acrobatie »
2 X X 10
ce qui correspond à la règle illustrée en 9) - le schéma X 2 X 1 0 n'est pas
possible.
39
11) jiëfàng jûn shûshu
libération
armée
oncle
« oncle de l'armée de libération »
Deux contours accentuels sont attestés:
2 X X 1 0
X 2 X 1 0
Le second schéma n'est possible que lorsque la première syllabe est au T3.
3 -
Place
de l'accent
secondaire
dans un syntagme.
Une règle accentuelle veut que dans une combinaison de deux syntagmes,
l'accent secondaire peut se déplacer sur le premier ou le deuxième. Comparons
les exemples suivants où apparaît une syllabe au T3.
12) xiàotigin 2 X X 1 (préféré)
jouer-petit-violon
«
jouer du violon »
13) dàtîqin X 2 X 1 (préféré)
j ouer-grand-violon
«
jouer du violoncelle »
xiao est au T3, au T4. Pour 12), le schéma préféré est celui où est plus
accentué que xiao, tandis que pour 13), le schéma préféré est celui où la est
moins accentué que dà.
4
Noms
propres
géographiques.
4.1.
Noms
propres géographiques
étrangers.
4.1.1.
Noms composés de la traduction phonétique
+
générique.
Les noms propres géographiques désignant les rivières, les montagnes, etc. se
terminent par les génériques (rivière), shân (montagne), etc. Pour les noms
propres géographiques étrangers, deux types de schémas accentuels sont
possibles. Le premier:
(A) correspond au mot pris comme bloc homogène: l'accent principal frappe
la dernière syllabe.
Dans l'autre type de schéma:
(B),
le nom est considéré comme fait de deux unités: déterminant + nom.
L'élément différentiel, le déterminant, prend l'accent principal (soit sur sa der-
nière syllabe (Bl) soit sur sa première syllabe (B2), s'il est polysyllabique).
Deux facteurs interviennent dans le choix des schémas. Le plus important est
le degré de lexicalisation ou la fréquence d'usage
:
plus un syntagme est lexica-
lisé ou usel, plus il aura tendance à avoir les deux accents les plus forts éloignés
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