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russes, les uns dans les autres. Un premier niveau qui donne le titre à toute la
pièce est constitué par les fragments d’une histoire de famille qui a pour protago-
nistes Pilar et ses deux filles adultes, Aurelia et Nuria, Fernan, le nouvel amant de
Pilar, et Mariano, le mari d’Aurelia. Un deuxième niveau résulte d’un acte de dis-
tanciation qui détruit l’illusion mimétique. Car les acteurs qui interprètent les cinq
personnages quittent régulièrement leur rôle pour réfléchir sur la pièce, leur travail,
la fonction de l’auteur et du metteur en scène et le théâtre en général. Les scènes
de la Pièce espagnole ‘interne’ dans lesquelles le spectateur assiste à quelques
moments de la vie de Pilar et de ses filles, alternent donc avec d’autres scènes
dans lesquelles les acteurs qui jouent ces personnages rompent avec l’illusion du
jeu pour le commenter. Comme le titre l’annonce déjà, Une pièce espagnole n’est
donc pas une pièce qui cherche exclusivement à produire l’illusion mimétique; il
s’agit, au contraire, du ‘théâtre dans le théâtre’ qui étale son caractère théâtral,
ludique. Cette forme dramatique ancienne qui fait infailliblement penser au théâtre
baroque, notamment espagnol (Calderòn), mais aussi français (Rotrou et le Cor-
neille de l’Illusion comique), est encore renforcée par l’ajout d’un troisième niveau
de jeu, car Aurelia, la fille aînée de Pilar dans la pièce interne, est, comme sa
sœur cadette Nuria, actrice et en train de répéter une pièce des années 70, appe-
lée la „pièce bulgare“. Dans trois scènes de la Pièce espagnole interne, elle ré-
pète, avec l’aide de son mari Mariano, des scènes centrales de cette „pièce bul-
gare“ qui raconte l’histoire d’une professeur de piano qui est tombée amoureuse
de son élève, un homme marié et plus âgé qu’elle avec lequel elle travaille un mor-
ceau de Mendelssohn. D’une manière extrême, Une pièce espagnole affiche donc
l’autoréflexivité et la métathéâtralité.
A première vue, l’emboîtement de ces trois niveaux de jeu – des acteurs qui
jouent des personnages qui répètent une autre pièce – peut paraître difficile à sai-
sir par le spectateur et susceptible de semer la confusion. Regardée de plus près,
la structure de la pièce se révèle pourtant obéir à des principes très précis.
Comme toujours dans le théâtre de Reza, Une pièce espagnole se distingue par
une construction raffinée et extrêmement réfléchie d’une clarté et d’une précision
quasi mathématiques qui sous-tendent le chaos apparent. Dans une exposition qui
comprend les scènes 1 à 10, les personnages de la pièce interne de même que
les acteurs qui les interprètent sont présentés: le spectateur assiste à la „scène de
séduction“ entre Fernan et Pilar (sc. 2), aux tristes scènes de ménage d’Aurelia et
de Mariano (sc. 4, 6) et il apprend les problèmes de la vedette de cinéma Nuria
(sc. 8). Entre ces scènes de la pièce interne qui présentent toujours deux person-
nages sur scène, des scènes monologiques sont intercalées où les acteurs com-
mentent le jeu dans des ‘confessions’, ‘entretiens’ ou ‘dialogues’ appelés ‘imaginai-
res’ (sc. 1, 3, 5, 7, 9). Dans la dernière scène de l’exposition (sc. 10), Aurelia ré-
pète pour la première fois la „pièce bulgare“, introduisant ainsi le troisième niveau
de jeu. Après cette scène, tous les éléments de la pièce sont ‘exposés’.
L’exposition, qui se compose de scènes assez courtes, est suivie par une partie
centrale (sc. 11 à 24) qui, au niveau de la pièce interne, contient deux grandes