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Corcuff, une essence est « une entité homogène et durable ». Le problème, c’est que la
notion de Dieu est inséparable de celle d’essence. Si on veut « désessentialiser » les
religions, on veut donc des religions… sans Dieu !
Mais pourquoi « désessentialiser » les religions ? Parce que celles-ci se manifestent
de manières diverses, historiquement et socialement : parfois elles sont réactionnaires,
parfois progressistes, parfois elles sont entre les deux, nous dit Corcuff.
Considérons les religions comme des institutions regroupant des partisans qui
partagent un certain nombre de présupposés idéologiques, parmi lesquels la croyance en
un être suprême, un Dieu, lequel Dieu est l’« essence de toute chose » et le créateur de
toutes choses. Considérons que ces institutions aient dans la pratique des
comportements très variés, parfois « progressistes », parfois « réactionnaires ». Est-ce
que cette variété de comportements change quelque chose au fait que ces religions sont
fondées sur la croyance en un Dieu, « essence de toute chose » ? Bien sûr que non.
Les différentes manières par lesquelles les religions se manifestent relèvent de la
contingence : cela ne permet en rien de comprendre la nature réelle des religions, ce
qu’elles sont réellement, bref leur essence. On ne peut pas « désessentialiser » quelque
chose qui par définition relève de l’essence. Mais il est vrai que si on ne s’intéresse pas
à l’essence de la religion – à l’essence de Dieu, pour être plus exact – il n’est plus
nécessaire de vouloir comprendre de quoi il s’agit : si Corcuff et Lavignotte veulent
pouvoir analyser les religions dans leur activité réelle et leur apposer un label
progressiste ou réactionnaire, il est nul besoin de s’occuper de leur « essence », il suffit
tout simplement de les observer et de leur appliquer la bonne vieille méthode
expérimentale. C’est au fond ce qui ressemblerait le plus à une « approche laïque du fait
religieux ».
Je n’ai aucune intention de m’engager dans un débat sur l’anti-essentialisme de
Wittgenstein dont je ne vois pas ce qu’il vient faire ici, car ce penseur s’attache
essentiellement aux questions de langage. Ce qui chagrine Corcuff, me semble-t-il, c’est
qu’on puisse parler de « religion » et d’« anarchisme » en considérant ces
« substantifs » comme des appellations générales, et non comme des concepts dans
lesquels on peut insérer tous les contenus qu’on veut. Il est évident que ce genre de
démarche convient très bien à quelqu’un qui veut introduire la religion dans le concept
d’anarchisme, par essence athée.
La référence à Wittgenstein ne me paraît pas pertinente pour ce que je crois
comprendre être le propos de Corcuff. Disons pour aller vite qu’il y a eu un mouvement
intellectuel tendant aux grandes synthèses, à la généralisation, à la construction de
grandes machineries théoriques dans lesquelles il semblait que la réalité quotidienne et
triviale était avalée. Hegel entre parfaitement dans cette catégorie. L’un des plus féroces
adversaires de ce mouvement est sans doute Karl Popper qui, dans
La société ouverte et
ses ennemis
, s’en prend à Platon et Hegel et Marx.
En réaction, s’est créé un mouvement inverse prônant la fin des idéologies, tendant à
la « déconstruction. On ne cherche plus l’« essence » des phénomènes sociaux, on prône
l’étude des micro-événements. Avec la fin des idéologies est venue la fin des certitudes
et on prône un relativisme général très à la mode chez nos postmodernes.
Quelle pourrait être la position anarchiste, là-dedans ? Tous les grands penseurs
anarchistes, malgré leurs différences, en tenaient pour la méthode expérimentale :
autrement dit, on observe un phénomène et on l’analyse, on note les constantes de ce
phénomène, on fait une synthèse et on détermine la « loi » de ce phénomène, jusqu’à ce
qu’elle soit contestée par une autre série d’observations et d’hypothèses qui rende
mieux compte du phénomène observé. Il ne s’agit donc pas, pour les anarchistes, de se
soumettre au « constant désir de généralisation », ni au « mépris pour les cas
particuliers », pour reprendre les termes de Wittgenstein repris par Corcuff, comme si
c’étaient là les deux seules options possibles. Il me paraît difficile de comprendre un
phénomène social si on ne se livre pas à la fois à l’analyse des « cas particuliers » et à la
« généralisation », c’est-à-dire à la synthèse. Corcuff veut nous entraîner dans une voie
totalement stérile où il n’y aura plus que les « cas particuliers » et où il ne sera plus