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culturelle en Russie à partir de l'étude des mouvements littéraires et des écoles
poétiques et artistiques, et d'en venir, par l'évocation des "sociétés philosophico-
religieuses", à une approche succincte de ce que pouvait être la philosophie, il serait
intéressant de pratiquer une démarche d'inversion et de rechercher les
conséquences du développement de la philosophie sur l'évolution des arts et de la
littérature. Des oeuvres comme celles de Kandinski, de Scriabine, de Pasternak, de
Mandelstam, de Khlebnikov, de Maîakovski et tant d'autres en recevraient alors un
éclairage nouveau qui les mettraient en rapport avec les autres régions du savoir et
avec les problématiques fondamentales de l'évolution de la culture. Ce rôle que
jouèrent les sociétés philosophico-religieuses dans la vie culturelle de la
Russie se perpétua jusqu'au moment de la révolution, indépendamment d'un
autre rôle plus négatif qu'elles purent jouer aussi par rapport au développement de la
philosophie en tant que domaine spécifique et particulier du savoir. C'est lui, en
particulier qui, en favorisant l'intégration des philosophes et de leur
problématique dans le contexte culturel général de l'époque, permit aux
philosophes de réagir à la répression des "Glorificateurs du Nom"
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et de
développer, dans la philosophie russe, une problématique du nom qui, un jour
ou l'autre, pourrait révéler sa pertinence dans l'évolution de la philosophie. La
condamnation de N.Berdiaev témoigna de l'engagement des philosophes en
faveur d'orientations spirituelles qui renvoyaient à des problématiques très
anciennes, spécifiques des fondements-mêmes de la culture russe. Les oeuvres
de S. Boulgakov et de P. Florenski sur la "philosophie du nom", puis celle, plus
tardive d'A. Losev, témoignèrent, quant à elles, des échos que des événements
culturels pouvaient avoir dans le domaine de la philosophie fondamentale
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Ce mouvement qui en russe portait le nom de Imjaslavie ou Imeslavie, eut comme point de départ le livre du
moine ermite Ilarion, Na gorah kavkaza. Beseda dvuh starcev-podvižnikov o vnutrennem edinenii s
Gospodom, ili duhovnaja dejatel'nost' sovremennyh pustynnikov (1ère éd.: 1907, 2ème éd.: 1910, 3ème éd.
1912). Ce livre mettait en valeur le lien avec la tradition patristique, l'importance de la prière de Jésus et se
rattachait donc au mouvement hésychaste. L'ouvrage d'Ilarion n'avait pas une portée dogmatique et cherchait
seulement à décrire une expérience personnelle. Néanmoins il servit de prétexte à l'apparition d'une dispute
théologique qui a reçu par la suite le nom de Afonskaja smuta (La rébellion du Mont Athos). Le fond de la
dispute portait sur le Nom de Dieu : est-il d'essence divine ou une énergie divine, ou bien n'est-il ni l'un ni l'autre,
mais seulement une dénomination donnée par l'homme et toute divinisation d'un nom est une hérésie. Les
partisans du premier point de vue furent les moines-ermites du monastère Panteleimon du Mont Athos, en
particulier l'ermite Antoine (Bulatovitch) qui affirmait que "chaque nom divin en tant que vérité de la révélation
est Dieu lui-même et que Dieu est présent en chacun d'eux par tout son être du fait que son être ne peut pas être
divisé". La position des détracteurs (imjaborčestvo), soutenue par les représentants de l'Eglise officielle (Antoine
Krapovitski, Nikon Rojdestvenski) devint la position du Saint Synode. Le mouvement des "glorificateurs du
nom" fut accusé d'hérésie, le 29 août 1913. Des militaires furent envoyés au Mont Athos pour chasser les
moines-ermites et les disperser dans différents monastères russes.