parti "réactionnaire". Mais la "réaction" lui reproche d'avoir précisément permis la Révolution.
L'homme fut pourtant un véritable penseur et un fin politique, oscillant certainement entre ces
deux eaux car rêvant d'une "éthocratie", c'est-à- dire d'un gouvernement gouverné suivant les
règles de l'éthique. Son disciple, Benjamin Constant et lui-même - présentés souvent comme
personnages falots de l'histoire - (on se souvient des ricanneries de Chateaubriand concernant le
second cité) furent pourtant les inspirateurs essentiels de tout ce qui constitue aujourd'hui le
corpus juridique qui assure les garanties républicaines de droit. Ils cherchérent à "éthiciser" la
politique par le truchement de l'action, de la pensée et du droit.
Si ces deux hommes sont peu compris aujourd'hui c'est qu'une connaissance du droit, de la
politique et de la philosophie est nécessaire pour saisir l'intelligence de leur action et de leur
pensée. Ils déplaisent aux acteurs car ils sont jugés trop intellectuels et les "intellectuels" purs ne
les aiment guère en ce qu'ils auraient trop agi...Mais le penseur doit-il demeurer dans sa tour
d'ivoire ? La philosophie n'a-t-elle pas été pensée à son origine - avec le Socrate de la République
- afin d'être active et républicaine ?
La thèse que nous entendons ici soutenir est que Sieyès, pour parvenir à ses fins, et agir sans trop
se "salir", oscilla continuellement entre l'ombre et la lumière. Cette oscillation lui permit ainsi de
préserver ce qui était l'essentiel pour lui : l'action publique et le bonheur privé d'un côté, la vie
politique et l'éthique de l'autre, la pensée et l'action conjointement.
Loin d'être une "taupe", il fut plutôt celui qui chercha à concilier action et délibération dans une
époque pleine de vulgarité et de méprise, de propagande et de discours simplistes.
La lumière c'est l'attachement aux principes des penseurs du XVIIIème, c'est la mise en avant et
la vérité. Mais l'ombre , que faut-il entendre par ce terme ? Un retour aux pensées d'Ancien
régime ? Peut-être par certains côtés chez ce penseur qui se refusait aux positions trop tranchées.
Mais l'ombre s’entend en plusieurs sens : elle est repli et enfermement, confusion ou contrepoint
à la luminosité. Elle est aussi dissimulation, discrétion, modestie….et mystère.
Après avoir été célébré, Sieyès a été ignoré. Le détail de sa pensée est méconnu ou savamment
exprimé dans l’ombre. Toutefois ces exils, ces silences et ce discours dissimulé furent parfois
choisis et l’interprétation simplifiée de sa pensée ne fut pas toujours innocente. Ce sont ces deux
problèmes, ces deux « choix » de l’ombre après les lumières, qu’il convient ici d’aborder en
présentant dans un premier moment, l’ombre en actes Sieyesienne et le pourquoi de cette double
mise à l’ombre de la part de Sieyès et de ses interprètes.
I L’ombre en actes.
Sieyès parait souvent avoir choisi l’ombre en actes. Ses biographes ont insisté sur ce point et je
n’y reviendrai pas (replis multiples, exils de tous ordre, solitude, mutisme dans les périodes
troubles, discours parfois opaque). Cette démarche a fréquemment suscité la méfiance à son
égard. La gravure qui le représente le plus dans l’imaginaire collectif est celle de l’abbé qui se
dissimule. Toutefois, ce qui est moins connu ce fut le choix de Sieyès pour un discours qui ne
dévoile sa vérité que dans l’ombre et qui, mieux, cherche souvent la vérité en allant au coeur de
ce que l’ombre peut nous dévoiler. Ce choix apparaît à plusieurs niveaux dans l’exposé de la
doctrine.
I-1) Ainsi, dans l’ombre, Sieyés croyait-il à l’idée de législateur d’exception mais il ne fit jamais
étalage de cette croyance. Il se prenait même pour Tel. Ses écrits privés de jeunesse révèlent, en
effet, un jeune homme ambitieux qui écrivait le 25 Juin 1773 « ou je me donnerai une existence
ou je périrai » (1). Outre qu’il se plaisait en la compagnie des êtres d’élite, il reconnaissait à
Lycurgue le mérite d’ avoir été un législateur d’exception et il est fort probable qu‘il s‘était