LA VILLE DES INDIVIDUS

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LA VILLE DES INDIVIDUS
Villes et Entreprises
Collection dirigée par Alain Bourdin et Jean Rémy
La ville peut être abordée selon des points de vue différents: milieu
résidentiel, milieu de travail, milieu de culture. Ceux-ci peuvent être
entrelnêlés ou séparés. Il en va de même des groupes sociaux qui
communiquent à travers ces divers types d'enjeux. La dimension
économique n'est jamais absente, mais elle entre en tension avec la
dimension politique. Ainsi peut-on aborder la conception urbanistique
ou architecturale, l'évaluation des politiques sociales ou socioéconomiques et les formes d'appropriation par divers acteurs. Pour
répondre à ces interrogations, la collection rassemble deux types de
textes. Les premiers s'appuient sur des recherches de terrain pour
dégager une problélnatique d'analyse et d'interprétation. Les seconds,
plus théoriques, partent de ces problématiques; ce qui permet de créer
un espace de comparaison entre des situations et des contextes
différents. La collection souhaite promouvoir des comparaisons entre
des aires culturelles et économiques différentes.
Déjà parus
J-L. ROQUES, La petite ville et ses jeunes, 2004.
C. BERNJE-BOISSARD,
Regards d'urbanité, 2004.
L. DESPIN, La refondation territoriale: entre le monde et le
lieu, 2003.
x. XAUQUIL, L'investissemement industriel en France.
Enjeux contemporains, 2003.
C. BROSSAUD, Le vaudreuil ville nouvelle (Val de Reuil) et son
«imaginaire batisseur ». Identification d'un champ autour d'une
ville, 2003.
J. MAGERAND et Elisabeth MORTAMAIS,
Vers la Cité
hypermédiate,2003.
G.-A. LANGLOIS, Des villes pour la Louisiane française.
Théorie et pratique de l'urbanistique coloniale au 18èmesiècle,
2003.
Ph. BOUDON (éd.), Langages singuliers et partagés de
l'architecture,2003.
F. NA VEZ-BOUCHANINE,
La fragmentation
en question,
2002.
D. PINSON, La lnaison en ses territoires, de la villa à la ville
diffuse, 2002.
Collection « Villes et entreprises»
Dirigée par Jean REMY et Alain BOURDIN
Olivier CHADOIN
LA VILLE DES INDIVIDUS
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan ltaIia
Via Degli Artisti 15
10124 Torino
ITALlE
PUBliCATIONS
DU MÊME AUTEUR
Du politique à l'œuvre Système et acteurs des grands projets urbains et architecturaux,
avec Guy
Tapie et Patrice Godier, Éd. de L'Aube, 2000.
« Patrimoine
et exercice libéral de l'architecture:
un parcours,
une organisation et un réseau» ;
in, ù patrimoine en questions - Quelques lectures critiques, Emmanuel
Amougou (Coord.), L'Harmattan 2003.
« Exercice libéral et marchés de l'existant - la construction
sociale d'un marché », avec Patrice Godier
in, ù patrimoine
en questions - Quelques
lectures critiques, Emmanuel
Amougou (Coord.) L'Harmattan 2003.
« Eléments de comparaison:
in ùs
France, Allemagne, Espagne »,
maîtrises d'ouvrage en Europe:
évolutions et tendances, François
Lautier (Dir), éd. Ministère de l'équipement - PU CA, coll.
« recherches », juin 2000.
« Critique architecturale et sociologie: le grand partage »,
in Critique: lejugement désenchanté,André Sauvage, Agnès
Déboulet, Rallié Hoddé (Dir.), Éd. de la Villette, 2004.
@ L'HARMATTAN, 2004
ISBN: 2-7475-6961-6
EAN : 9782747569613
Pour Ingrid et Hilde,
Le vrai sens du mot s'est presque entièrement effacé
chez les modernes,. la plupart prennent
une ville pour
une cité, et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent
pas que les maisons font la ville et les citoyens font la
cité.
Rousseau,
Le contrat socia4
INTRODUCTION
La villedesindividus,on aura compris dans ce titre l'évocation
de l' œuvre de Norbert Elias. Que nous enseigne ce travail ?
D'abord, simplement, il tente de répondre à la question de
savoir « comment nous faisons partie les uns des autres ». En
particulier dans un article intitulé «les transformations de
l'équilibre nous-je\>, Norbert Elias insiste sur la notion clef
d'interdépendance.
Et, à travers celle-ci, il nous invite à
dépasser la séparation entre le sujet, « un homme sans univers »,
et l'objet, c'est à dire l'environnement. Cherchant une image
pour affirmer cette idée et cette volonté de dépasser à la fois le
nominalisme et le dualisme que soulève la séparation sujetobjet, il propose l'image de la circulation dans une grande ville.
La circulation dans une grande ville, dit-il, «exige un
conditionnement de notre appareil psychique» dans la mesure
où « chacun doit faire preuve d'une discipline sans faille, d'une
autorégulation très différenciée de son comportement pour se
&ayer un passage dans la bousculade ». Aussi, parce qu'elle
exige de nous cet auto contrôle, la circulation dans la ville nous
donne une image « des rapports étroits entre la permanence et
la différenciation de l' habitus de l'homme dit civilisé d'une part,
et la différenciation des fonctions sociales, la grande variété des
actes, devant être accordés et harmonisés de l'autre2 ».
Norbert Elias nous encourage par-là à aborder les relations
entre le sujet, le citadin, et un objet, la ville. Comment la ville
1
LA société des individus, Fayard, 1991.
2 Cf. La dynamique de l'occident, Calmann
Levi, 1975.
La ville des individus
est-elle une des formes physiques que prend la manière dont
nous organisons notre interdépendance? Comment la ville estelle un des cadres qui fait que «nous faisons partie les uns des
autres»?
Et, surtout, quel genre d'individu, d' habitus, se
fabrique là ? Tel est le cartouche que j'ai voulu donner à cet
ouvrage. En effectuant un parcours guidé dans les textes et les
pensées sur la ville, il s'agit de saisir les évolutions d'un cadre
d'organisation et d'interdépendance d'une part, puis de réfléchir
sur la construction d'un ethos urbain comme manière d'être
ensemble de l'autre. Pour cela, il fallait définir la ville comme
objetet le citadin comme sUJet,mais aussi et surtout envisager les
appariements entre ce citadin-sujet et cet objet, la ville, et ne pas
les penser séparément. De ce point de vue le parcours proposé
dans la pensée sur la ville débouche bien sur le constat d'un
chassé-croisé, fait de continuité, de rupture, d'essais-erreurs, et
toujours en mouvement. Essai sur les chassés-croisés du sujet et
de l'objet dans la pensée sur la ville et l'architecture, tel aurait pu
être le sous-titre de cet ouvrage.
Issu d'une expérience d'enseignement et de recherche dans
le domaine de la sociologie urbaine, le propos s'adresse d'abord
effectivement à ceux qui font la ville. Parce que faire la ville,
c'est bien souvent engager dans une pratique des catégories,
notamment idéologiques et politiques, forgées par d'autres, un
retour sur la fabrication de celles-ci est nécessaire. Si seulement
la pensée des architectes et des urbanistes était en mesure
d'offrir un démenti au propos du Monsieur Mallaussène de
Daniel Pennac : «L'architecture ça commence toujours par un
beau poème et ça finit en parpaings de béton. » Si seulement la
ville dite et pensée pouvait générer autre chose que des maux
eux aussi, dits et pensés. C'est à cela que voudrait modestement
contribuer le détour par la pensée sur la ville et l'architecture
12
La ville des individus
proposé dans cet ouvrage. TI s'adresse en particulier à ceux qui
se destinent à faire la ville autrement: apprentis architectes,
urbanistes, paysagistes... et autres faiseurs d'espaces urbains. TI
voudrait leur dire que faire la ville autrement, c'est peut-être
aussi un peu tenter de s'arrêter pour la penser autrement. Tu
veux construire?
Alors commence par t'asseoir, dit le
philosophe à son disciple...
Plus généralement, la forme donnée à ce livre part d'un
doute pédagogique: comment enseigner et expliquer ladite « fin
de la ville », ou son éclatement, sans brader les catégories
conceptuelles
et les notions qui forment la tradition
intellectuelle de la pensée sur la ville? Comment penser les
changements actuels de l'urbain sans pour autant conclure à
l'obsolescence des précieux outils forgés par la sociologie
urbaine depuis plus d'un siècle? Surtout, comment revisiter ces
outils à la lumière des faits urbains contemporains? C'est trop
souvent en effet que l'on jette nos productions conceptuelles
avec des faits trop rapidement
érigés en indices d'un
changement radical. On devrait pratiquer le doute systématique
à l'égard de tous les ouvrages qui comportent dans leur titre les
termes « mutation », « métamorphose », « transformation ». .. et
autres vocables qui expriment la tentation du nouveau. Si nos
villes et nos habitudes changent c'est, on le sait, le plus souvent
sur des temps longs et il faut que la conjoncture dure pour
devenir une structure. C'est ainsi que quelques intellectuels
brandissent aujourd'hui l'idée de « fin de la société» en pointant
l'individuation croissante des rapports sociaux et laissent par-là
même leurs étudiants désarmés pour comprendre l'idée même
de société, pourtant au fondement d'un siècle de travaux qui
ont assis et définis la discipline sociologique. Or il en est de
même aujourd'hui avec le discours sur la ville et sa prétendue
13
La ville des individus
fin. C'est donc dans cette volonté que la forme de cet ouvrage
trouve
sa raison
d'être
comprendre
les pensées
contemporaines sur les changements urbains en les reliant aux
travaux classiques du domaine.
Pour parvenir justement à cette fin, il fallait combiner
l'exigence didactique du manuel et le caractère problématique
de l'essai. Si le premier permet de saisir les avancées de la
pensée urbaine en termes de résultats acquis, le second permet
d'accéder à la compréhension des questions qui animent et
structurent les débats et travaux sur la ville et l'urbain. Or, on le
sait, c'est moins souvent les résultats acquis de la recherche qui
séparent le savant du commun que les questions et directions de
recherche. Pour satisfaire à cette exigence d'un lien entre «l'état
des questions» et « l'état des savoirs », la forme de cet opuscule
est donc « entre-deux» : à la fois promenade dans la pensée sur
la ville sous la forme de rappels de travaux dispersés en
filigrane, et tentative de synthèse et d'approches des débats et
problématiques
qui traversent les travaux sur la ville
aujourd'hui. De fait, c'est la forme de l'essai qui y domine, mais
la présence de l'intention pédagogique s'y retrouve à travers les
nombreux emprunts et tentatives de synthèses qui étayent le
propos. Pour autant, les travaux sur la ville et ses rapports à la
société sont nombreux, et il n'est pas question d'être exhaustif.
À tout le moins, il s'agit d'ordonner une pensée qui court sur
plus d'un siècle et de donner des repères pour s'y retrouver, et
de la sorte être mieux armé pour saisir l'enjeu des pensées
urbaines contemporaines.
Le propos part d'un constat et d'une question: d'un côté
les analystes de la ville mettent l'accent sur l'éclatement de la
forme classique de nos villes, de l'autre de nombreux
14
La ville des individus
sociologues insistent sur la fin de l'idée de société ou la pluralité
des «régimes d'action ». Quels rapports établir entre ces
travaux? Doit-on pour autant conclure à l'obsolescence de nos
catégories d'analyse fondées sur les notions de ville et de
société? De nombreux essais et analyses à propos de la ville
mettent en effet actuellement l'accent sur l'éclatement de l'unité
urbaine. Ce faisant, ils débouchent sur un questionnement à
propos des rapports entre acteurs et territoires. Pour certains, il
y a divorce et décalage entre l'acteur et la ville du fait de la
dissolution des repères territoriaux traditionnels; pour d'autres,
ce sont les conduites qui, marquées par l'individualisme, signent
la séparation des deux termes et renvoient la symbolique
urbaine à l'état de non-sens. Ces approches mettent ainsi en
cause le postulat longtemps tenu pour essentiel en sciences
sociales d'une continuité entre le social et le spatial mais ne
parviennent pas à penser la possibilité d'un renouvellement de
ce rapport. Pourtant, « les nouvelles sociologies» insistent
aujourd'hui sur le caractère pluriel de l'expérience sociale et,
partant, sur l'émergence de nouvelles relations entre acteur et
système. Aussi, en avançant les termes d'un possible
rapprochement entre les actuelles sociologies de l'action et les
constats faits à propos de l'éclatement des structures urbaines
traditionnelles, on questionne la possibilité d'une analyse qui ne
postule pas de décalage entre individu et territoire mais pose
l'hypothèse d'une reconfiguration de cette relation.
Une telle focale nécessite d'abord de faire le point sur les
concepts et approches fondamentaux
qui ont pensé la
continuité entre ville et société pour ensuite aborder les
approches
contemporaines
qui
postulent
soit
une
reconfiguration de cette relation soit sa £in. Enfin, le passage
d'une architecture moderne calée sur un individu-habitant de
15
La ville des individus
référence à une architecture dite postmodeme
offre un
contrepoint pour aborder la manière dont la pensée urbaine et
architecturale se saisit aujourd'hui du rapport entre l'individu et
ses espaces.
Le fil conducteur du propos tient donc ici dans deux
figures: la ville comme organisation spatiale, la société comme
organisation sociale. Certes pourra-t-on lui objecter quelques
incomplétudes: ce n'est pas un manuel. TIest vrai que, comme
Georges Perec l'a montré, la ville est une réalité par nature
mouvante et inépuisable. Autant le dire, mon objectif n'est pas
de prendre une position obligée dans le champ de la pensée
urbaine, mais plutôt d'en faire un état des lieux. Je propose de
faire du détour par la pensée le même usage que
l'anthropologue fait de la distance culturelle: «Aller voir chez
les autres pour mieux comprendre ce qui se passe chez soi. »
Tel pourrait se dire ce projet. Ce faisant, j'espère, en amoureux
de la ville et des espoirs qu~elle porte en elle, contribuer à
permettre aux «faiseurs de ville» à prendre position. Cet
opuscule est destiné à ceux qui se piquent au désordre de la
pensée sur la ville et voudraient y voir plus clair. En l'écrivant,
c'est en particulier à mes étudiants en architecture et à leurs
questions que je voulais répondre. Quelquefois agaçantes,
souvent stimulantes, celles-ci m'ont encouragé à entamer ce
travail. Il leur est directement adressé.
La première partie du récit aborde la ville dans ses
correspondances à l'état des structures sociales; en tant que
configuration socio-spatiale. Elle met en perspective les lectures
théoriques et pratiques de cette continuité à partir d'un certain
nombre de notions partagées et par les sciences sociales et par
les professionnels de l'espace (centralité, urbanité.. .).
16
La ville des individus
La deuxième porte l'accent sur la discontinuité entre la ville
et la société sous l'influence de la mobilité et du développement
technologique. Y sont présentées les approches qui aujourd'hui
tentent de qualifier les transformations du cadre urbain. Elle
pointe le parallélisme des lectures et analyses de l'état actuel des
structures sociales par les sciences sociales et celle des
spécialistes de la recherche urbaine qui insistent sur l'éclatement
de la notion de ville.
Enfin, une dernière partie est spécifiquement consacrée à
une lecture de «l'homme de référence» des architectures dites
modernes et postmodernes. En effet, si la ville est l'expression
matérielle d'un «vivre-ensemble », l'architecture offre quant à
elle la vision d'un individu de référence. Elle assigne dans son
organisation matérielle une place particulière à un individu et à
ses pratiques. Depuis le fonctionnalisme et sa réduction de
l'existence humaine à une théorie des besoins jusqu'aux
approches sensibles ou minimalistes d'aujourd'hui, c'est une
vision du sujet que renferme le propos et le travail des
bâtisseurs. Aborder la connaissance de ces visions c'est donc
aussi réfléchir sur le rapport entre la société telle qu'elle est, et
l'espace tel que nous l'aménageons. Evidemment les villes ne
sont pas toujours et partout les mêmes. Aussi, le récit qui est
proposé ici est-il situé. TIconcerne bien plus la ville occidentale
et ses débats que les villes asiatiques ou américaines. Encore
que, on le verra, les dynamiques qui travaillent et questionnent
l'urbain tendent à devenir de plus en plus transnationales1.
1Je remercie ici mes collègues, Patrice Godier et Guy Tapie. Les discussions
et recherches développées ensemble m'ont aidé à développer cette
interrogation sur la ville. Je dois également beaucoup aux remarques et
lectures de Yvon Lamy, Hervé Brunaux, Philippe Mllasseau et Suzanne
Boireau- T artarat.
17
Ne pas esst!}er de trouver
la ville,. c'est beaucoup
trop vite une définition
trop gros, on a toutes les
chances de se tromper.
Georges
Perec, Espèces d'espaces
de
I
- LA VILLE
EST LA SOCIÉTÉ
« Dans le grenier tout neuf, nous avons posé des cartons,
un à un. Sur la dalle de ciment, nous les avons alignés en deux
rangées: cela a fait une avenue. Nous en avons pris d'autres
encore, les avons placés derrière, perpendiculaires. Des rues
sont apparues. Ainsi commença la fondation de notre ville (.. .),
ainsi, notre enfance fut lestée d'un socle. » C'est sur ces phrases
que débute le beau livre de Guillaume Marbot sobrement
intitulé La villel.Trois frères décident de « jouer à la ville », dans
l'espace étroit du grenier de la maison familiale. Mais si la
construction des bases matérielles de la ville débute sur un
accord de fond entre ces trois frères, bien vite ils vont découvrir
que les usages et le gouvernement de la ville engagent des
dynamiques bien plus complexes. Peu à peu, de l'agencement
simple des cartons aux déplacements des voitures miniatures
accompagnés de «vroom, vroom », ils vont se confronter à la
question de l'organisation et du partage des activités dans leur
ville devenue autonome. À travers la ville, c'est le « socle» d'un
véritable apprentissage de la vie sociale et de son organisation
qui va s'imposer à eux. Avec la ville, simple organisation
matérielle, c'est la société et les contraintes du « vivre
ensemble» qu'ils vont découvrir. De fait, s'organiser et
s'entendre pour partager un espace, c'est simultanément faire de
la ville et faire de la société.
Les discours sur la ville reflètent en effet de façon
indéniable les propos sur la société: «La ville apparaît souvent
1
Éd. :Michalon, 1998.
La ville des individus
comme le symptôme d'autre chose que d'elle-même1. » Il est
vrai qu'en tant qu'elle propose une organisation spatiale de nos
activités la ville s'impose comme une forme physique de
l'organisation
sociale. Dans les représentations
les plus
courantes de la ville sont ainsi, tour à tour, véhiculées des
visions du développement historique des sociétés et des lectures
sociologiques et politiques de l'état de la structure sociale.
Qu'elles s'appuient sur une hypothèse évolutionniste implicite
en voyant dans l'émergence de la ville le passage de la barbarie à
la civilisation, de la communauté à la société, ou qu'elles
mettent l'accent sur l'hypothèse inverse d'un individualisme
menaçant et du risque d'anomie qu'incarne le développement
des formes urbaines, les figures de la notion de ville ont en
commun de présupposer une relation d'intelligibilité entre
structure spatiale et structure sociale. Comme l'atteste le
développement de la notion de «politique de la ville» ellemême, le rapport à la ville est toujours pensé comme un rapport
à la société. Depuis l'exploration du thème par les pères
fondateurs de la discipline sociologique, l'idée de ville se donne
comme l'incarnation physique et spatiale de ridée de société.
L'ancrage spatial des individus renvoie à leur position dans la
structure sociale et les déplacements dans l'espace physique
sont compris comme des déplacements dans l'espace socia12.
La perspective princeps d'une sociologie urbaine est bien
celle d'une réflexion sur l'articulation du social et du spatial.
1 François Dubet, « Figures de la ville et de la banlieue », Sociologiedu travail,
n02, 1995, pp. 127-150, Seuil, 1993.
2 Cf. sur ce point « Effets de lieux », in La misèredu monde,Éd. du Seuil, 1993,
pp. 159-167 et aussi« analYsissitus» in Méditations pascaliennes,Seuil, 1997, pp.
158-161.
22
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