Sulu aa Silicium

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Sulu Silicium :ale
Av
(de
Avènement
la
bout
a
de
la
de
la
route
nanoélectronique
microélectronique
à
la
nanoélectronique)
Par Jacques GIRARD (Supélec 58)
x
Professeur à LISEP et à lecole des Mines de Paris Membre Emérite de la SEE
1.
Etat
actuel
de la miniaturisation
Loi de Moore
La puce (le cerveau de l'ordinateur) est constituée d'un
réseau de minuscules neurones : les transistors. Un nouveau
record de miniaturisation vient d'être établi au laboratoire du
Tous les trois ans, le nombre de transistors sur une plaque
de silicium quadmple. Tous les trois ans apparaîtdonc une nouvelle génération de transistors, engendrant de nouveaux records de
Groupe dispositifs nanoélectroniques sur silicium au CEA-LETI
(Laboratoire d'électronique, de technologie et d'instrumentation
du CEA à Grenoble). Avec une longueur de 18 nanomètres, on
performance. Établie en 1965 par Gordon Moore, cofondateur
d'INTEL et oracle surdoué, cette loi sert aujourd'hui encore à
peut en ranger plus de 17 milliards sur une pièce de un euro.
L'intégration sur une puce ne devrait pas avoir lieu avant 2015
au plus tôt.
On touche ici aux limites de la technologie du silicium. Les
problèmes sont de plus en plus nombreux au fur et à mesure que
le transistor se rapproche de l'échelle atomique.
SEMATECH (Semiconducteur Manufacturing Technology),
consortium regroupant les principaux industriels de la filière du
silicium, souligne ces limites dans son dernier « plan de route »
censé identifier les défis technologiques des quinze prochaines
années. Selon eux « une approche complètement différente sera
nécessaire pour prolonger la miniaturisation ».
C'est une révolution dans les transistors aussi bien sur les
plans conception et réalisation que sur le plan pédagogique : le
premier virage depuis plus de quarante ans !
2.
Trois
règles
sur la route
du silicium
Depuis quarante ans, pour améliorer la performance des
puces, les transistors qui dévalent « laroute du silicium » doivent
respecter trois règles ou lois : lois d'échelle, de Moore et de Rock.
Loi d'échelle
La loi d'échelle a fixé une fois pour toutes la fonne du transistor. Si la longueur d'un nouveau transistor se réduit d'un facteur
k, il doit en être de même pour sa largeur, son épaisseur d'isolant et la tension exercée sur sa grille. La vitesse, qui dépend de
la distance, augmente d'un facteur k et la mémoire, qui dépend
de la surface, d'un facteur k'.
En cours de route, il peut arriver que le transistor ne respecte
pas cette échelle et se déforme suivant les capacitéstechnologiques
des conducteurs. Mais les proportions optimales sont toujours
rétablies. La loi d'échelle fixe donc la direction de la route.
REE
N 8
Setptembre
2005
prévoir les caractéristiques des futures générations de puces.
Le gigabit (un milliard de transistors sur une même puce)
est prévu pour dans dix ans.
La construction de la route du silicium est un travail délicat :
le tracé doit se faire en ligne droite et la vitesse des travaux
est imposée.
Loi de Rock
Rock, un autre collaborateur d'INTEL, stipule que le coût
de fabrication d'une puce double tous les quatre ans. Les cent
cinquante fabricants mondiaux actuels ne peuvent tous suivre
ce rythme démentiel. La tendance est donc aux regroupements
industriels et au cofinancement. Le prix du silicium entre, pour
une part négligeable, dans la facture : c'est l'usine et la
recherche qui coûtent cher.
Depuis plus de quarante ans, le chiffre d'affaires mondial
du marché de la microélectronique (qui devient en fait la nanoélectronique) est ainsi en constante progression pour atteindre
aujourd'hui 15 milliards d'euros par an. Il représentera, dans
dix ans, plus de 40 % du marché global de l'électronique (qui
sera alors le marché dominant dans le monde).
La fabrication de transistors sera devenue un savoir-faire
stratégique. Ce seront les Etats qui financeront les usines à puces
dont le coût unitaire atteindra près de 50 milliards d'euros.
Dans une vingtaine d'années, il n'existera plus, dans le
monde, qu'une dizaine de fabricants de semi-conducteurs et
peut-être même moins !
3.
Le mur
de l'atome
Une des limites fondamentales à la miniaturisation des transistors est désormais connue. C'est la largeur de l'isolant entre
le canal du transistor et la grille. L'épaisseur minimale de cette
couche vient d'être calculée : elle ne doit pas avoir moins de
cinq atomes de silicium, soit environ 0,7 nanomètre. Une
dimension qu'elle atteindra normalement dès 2012.
>
L'article
nvité
5
D
Silicium
Pour une épaisseur inférieure, le courant traverse l'isolant,
rendant le transistor caduc.
Une seconde frontière tout aussi cruciale est la distance
entre le point d'arrivée du courant et son point de sortie. Ainsi
treize atomes de silicium (soit une longueur de quatre nano-
: le bout
de la route
<
effectue le traitement d'une bonne partie de ce que les
autres puces conventionnelles réalisent dans le silicium.
L'idée est de libérer, autant que possible, la puce de son
« jeu d'instructions ». En effet, à chacune des instructions correspond une opération câblée dans le circuit de
la puce gravée dans le silicium.
mètres) sont nécessaires pour assurer le fonctionnement de la
machine. Cette distance sera atteinte dans moins de dix ans.
Les inventeurs de la nouvelle logique, qui ont été déjà à
4.
Vers
l'infiniment
petit
(passage
l'origine des architecturesRISC (Reduced Instruction
Set Computer, ordinateur à jeu d'instructions réduit) ont
mis en place des mots d'instruction très longs qui permettent de combiner plusieurs opérations en une seule
instruction codée, dans un premier temps sur un mot de
128 bits. Ces opérations sont effectuées en un cycle
de
la microélectronique vers la
nanoélectronique)
A-t-on besoin de prolonger encore au-delà de cette miniaturisation ? Avec six ou sept atomes d'épaisseur et treize entre la
source et le drain, le transistor sera peut-être l'ultime transistor
à silicium ! Une puce ayant cette dimension pourra charger
l'ensemble des données disponibles actuellement sur l'Internet
d'horloge du processeur. En réalité, la véritable innovation de ces inventeurs est d'avoir interposé « une couche
logicielle » entre le circuit intégré proprement dit et les
programmes qu'il exécute, donc entre le jeu d'instructions de la puce qu'il exécute et celui du programme exécuté. Les deux sont dissociés, ce qui permet de faire évoluer l'un indépendamment de l'autre.
(environ 48 térabits) en vingt minutes. Une performance a
priori suffisante pour les ordinateurs de bureau. Mais de nouvelles applications sont imaginées.
La puce sera tellement petite qu'elle envahira tous nos
objets quotidiens. Elle pourra, en particulier, s'intégrer à des
nanorobots injectés dans le corps pour y détecter maladies et
dysfonctionnements génétiques.
La technologie du silicium est insuffisante pour réaliser ces
nouveaux projets.
Il faut au bout de cette route du silicium, tracer un nouveau
chemin pour prolonger le voyage vers l'infiniment petit.
5.
Succession
du silicium
: de nouvelles
pistes
Pour éviter ce « crash » de l'intégration, plusieurs pistes
sont d'ores et déjà à l'étude :
5.1
Un nouvel avenir du silicium
'Le transistor en trois dimensions qui intègre la technologie du silicium avec des connexions non plus seulement
horizontales mais aussi verticales.
· Inclusion des fonctions optiques dans les circuits intégrés classiques grâce aux travaux effectués au niveau
d'un laser au silicium. Autrement dit, combiner les
avantages de la photonique à ceux du silicium ? Cette
intégration de fonctions optiques vise à remplacer les
électrons par des photons et le courant électrique par des
signaux lumineux. Son intérêt est double : un gain de
vitesse (la lumière est le moyen le plus rapide pour transporter une information) et une absence d'interférence
(donc de mélange) entre signaux d'origines différentes.
La réalisation d'une telle puce devrait être atteinte dans
les dix années à venir.
'La mise au point de puces hybrides silicium-logiciel,
dont la conception est fondamentalement différente de
toutes celles produites jusqu'à présent. Le principe de
ces puces hybrides est basé sur l'apport d'un supplément
d'intelligence pour alléger leur fonctionnement matériel.
Autrement dit, ces puces ont un complément logiciel qui
5.2.
Recherche de nouveaux concepts de transistor
et « Franchissement
du mur quantique »
Mur quantique
L'élaboration d'objets de taille nanométrique a pris de
l'ampleur durant la dernière décennie grâce aux découvertes de
nouvelles propriétés physiques associées à la taille des objets
étudiés.
En effet, à l'échelle nanométrique, les électrons ne suivent
plus les lois classiques et des effets spectaculaires apparaissent
tels que l'existence, en particulier, de courant en l'absence de
tension !
Lorsque l'on s'intéresse au transport électronique en
dimension de plus en plus réduite, il apparaît une longueur
caractéristique dite « longueur de cohérence de phase » en
dessous de laquelle se manifeste le comportement quantique
des électrons ; on franchit dans ce cas ce que l'on pourrait
appeler le « mur quantique .
Cette longueur peut varier de la dizaine de nanomètres à
plusieurs centièmes suivant la matière et la température.
Ainsi intervient dans le domaine nanométrique la physique
quantique qui va introduire au niveau des circuits électroniques
seslois propresqui peuventêtre à l'origine de propriétésnouvelles...
Cette révolution nous rappelle étrangement l'avènement
des transistors dans les années 50 !
Cette théorie quantique, née dans les années 1920, modifie
actuellement de fond en comble notre conception de la réalité.
Elle nous oblige ainsi à accepter qu'une particule puisse se
trouver à la fois ici et là, ou qu'une porte quantique (à la différence d'une porte obéissant à la logique booléenne) peut être à
la fois ouverte et fermée. Un bouleversement s'est déjà produit
à travers la découverte des lasers.
Dans les années 1960, il y a eu une nouvelle vague de progrès importante dans le monde quantique. Ainsi, d'une part des
physiciens ont prouvé la propriété extraordinaire qu'est l'inséparabilité quantique (une paire d'objets préparés dans un état
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Septembre
2005
quantique dit intriqué se comporte comme un système unique,
même si les deux objets sont très éloignés l'un de l'autre).
D'autre part, les physiciens ont appris à manipuler un par un des
électrons, des ions, des atomes ou des photons, grâce à la
découverte d'une nouvelle génération de microscopes dits à
effet tunnel et à force atomique.
quelques nanomètres s'inspire de la synthèse chimique : elle est
dite ascendante (ou « bottom up ») et consiste à assembler
atome par atome un objet nanométrique.
Cette dernière approche, très prometteuse, doit son évolution et son utilisation à des découvertes fondamentales des
années 1990.
On peut citer à nouveau, en particulier, la découverte des
Il a fallu ensuite clarifier la façon d'appliquer le formalisme
microscopes à « sonde locale » qui dérivent du microscope à
effet tunnel, et la mise au point d'algorithmes de traitement
quantique à base d'équations de Schrodinger des années 1920,
de nature probabiliste, à des objets individuels et pas seulement
à des assembléesstatistiques d'objets.
quantique et à assister en particulier à une révolution de l'information dite quantique avec, en particulier, l'avènement de la
quantique de l'information.
Cette approche ascendante est ainsi basée sur une stratégie
moléculaire qui permet de synthétiser des molécules ou des
nanotubes possédant des propriétés électriques et magnétiques
liées à leur taille nanométrique.
Cette « électronique moléculaire » permettra de réaliser des
cryptographie quantique, dont les premiers démonstrateurs
existent déjà, et les études menées sur le futur ordinateur quan-
composants et des circuits constitués d'une ou de quelques
molécules et, par extension, d'un ou de quelques objets de taille
tique basé sur la notion des qubits. Alors que le bit informatique
classique (celui de nos ordinateurs) est égal soit à 0, soit à 1, le
bit quantique (ou qubit) peut être dans les deux états à la fois !
Par exemple, il peut valoir 0 avec une probabilité de 13 % et 1
avec une probabilité de 87 %.
comparable à celle d'une petite molécule (typiquement 5 nanomètres), ce qui implique la synthèse de nano-objets dotés de
fonctionnalités, puis leur connexion à des électrodes externes et
enfin l'organisation de composants ainsi formés en circuits.
On aboutit ainsi à explorer ce qui se passe derrière le mur
De la même façon, alors qu'un système informatique classique à 2 bits ne peut se mettre que dans l'un des quatre états
distincts (00), (01), (10) ou (II), un système à deux qubits peut
prendre ces quatre états en même temps, chacun étant associé à
une certaine probabilité. Un système à trois qubits est donc une
superposition de huit états et un système à n qubits une superposition de 2 "états.
Ce système quantique à base de qubits permettrait un traitement de l'information en parallèle massif, qui n'a pas d'équivalent dans le monde classique au point du vue de performance
en puissance de calcul (nos supercalculateurs classiques actuels
de type vectoriel ou scalaire sont loin d'atteindre ces performances quantiques possibles). De nombreux obstacles doivent
être cependant franchis avant d'obtenir de tels résultats (problème, en particulier, de la décohérence dès que l'objet quantique
a des contacts avec le monde extérieur !)
5.3.
Domaines de l'électronique
moléculaire
À cette électronique moléculaire
traitement quantique de l'information
bits quantiques vue précédemment.
doit être associé le
avec la notion des
Ces deux domaines connexes, en très forte croissance au
plan mondial, nécessitent de façon générale une réflexion
profonde sur les paradigmes de calcul. Tous deux s'appuient sur
des phénomènes physiques proches (cohérence quantique et
transport de charges) se produisant à la même échelle nanométrique et la maîtrise technologique de la nanofabrication
associée.
Enfin ces deux domaines, qui relèvent encore en grande
partie de la recherche fondamentale, laissent envisager de nouveaux produits qui pourraient révolutionner de nombreux
domaines d'activités, en particulier ceux de la communication
et de la médecine.
Il est à noter qu'il existe une feuille de route « ITRS »
(International Technology Roadmap for semiconductors), un
consensus international sur les moyens à développer pour continuer à progresser
selon la « loi de Moore ».
c
et du
traitement quantique de l'information :
le monde des nanosciences *
Ces deux domaines dont on vient de donner quelques caractéristiques relèvent des nanosciences.
Précisons que deux approches peuvent être utilisées pour
fabriquer des objets à l'échelle du nanomètre. La première est
une approche dite descendante (ou « top down ») adoptée dès le
début de l'ère microélectronique qui permet d'obtenir jusqu'à
ce jour et pour quelques années encore des objets nanométriques grâce au développement des techniques de lithographie
ultime (sur des échelles dépassant la dizaine de nanomètres).
L'autre approche nécessaire pour obtenir des objets de
Ce qui est certain est que ce secteur des nanosciences, qui
est à rapprocher de celui des neurosciences(basé sur la méthode
dite « auto-assemblage » de molécules) est le théâtre d'un début
de structuration au travers d'une concentration d'équipes de
chercheurs et d'industriels pluridisciplinaires travaillant en
« grappes » (clusters), afin de mieux tirer parti des moyens disponibles extrêmement coûteux.
Déjà, en France, a été lancé en 2003 un réseau national en
nanosciences et nanotechnologies,
formé par six grands pôles
c
réunissant chacun à la fois la recherche, le développement, l'industrialisation et l'enseignement
(Lille, Grenoble, Toulouse,
c
Besançon, Ile-de-France et Marseille).
Note : Pour les lecteursde ce chapitre traitant en particulier de la mécaniquequantique,qui leur semblemalgrétout un mondeflou et mystérieux
malgré les efforts faits pour la comprendre,il est intéressantde rappelerce qui disait le grand physicien Richard Feynmann,prix Nobel, à ses
étudiants: « Si vous avel-, le seiitii ? ieiit d'tiroir coiîipris, reiiiettez-vozis au travail, c'est que vous ii'avez rieii cotiipi-is
En réalité,
». il ne peut être
questionde « comprendre» mais plus modestementde se faire une idée.
REE
Na 8
Setptembre
2005
6.
Rôle
i
invité
r L'articl -1
de !') SEP dans
la nanoélectronique
l'enseignement
cette
dans
des années
t
Silicium
nouvelle
ère de
le domaine
de
2010-2020
: le bout
de la route
<
Il est prévu d'agrandir dès maintenant ce groupe de travail
avec des membres d'autres écoles et universités concernées par
ce sujet (Supélec, écoles de chimie et de biologie, Ecole polytechnique...) et des membres industriels (tels que THALES,
ALTRAN...) pour exprimer les besoins futurs dans ce domaine.
L'arrivée prochaine de la nanoélectronique va nécessiter la
présence de techniciens et d'ingénieurs qui soient de formation
pluridisciplinaire (électronique, physique classique, informatique, optique, ce qui est le cas aujourd'hui mais aussi chimie,
neurobiologie, physique quantique, nanomécanique... ce qui
n'est pas le cas actuellement).
Aussi une réflexion doit-elle être engagéedès maintenant sur
le contenu de l'enseignement qui devrait être dispensé dans nos
écoles d'ingénieurs et université à vocation électronique, afin de
s'adapter à cette nouvelle ère de la nanoélectronique qui correspond à l'avènement d'une nouvelle civilisation dite « cognitive »
(à distinguer de celle dite « industrielle » pour laquelle le métier
de l'ingénieur, qui s'est épanoui avec l'industrialisation, risque de
laisser place à d'autre métiers liés à cet avènement).
L'ISEP a pris l'initiative de créer déjà en son sein un groupe
de travail pour jeter les bases d'un enseignement futur adapté à
l'arrivée de la nanoélectronique.
L'objectif à terme de ces réflexions est de faire des recommandations sur les programmes futurs de formation en nanoélectronique en liaison avec des organismes officiels :
Education Nationale et CNFM (Centre national de formation
microélectronique).
En particulier, il sera temps de contacter ultérieurement des
organismes européensdans le but d'harmoniser nos propositions
avec celles issues probablement de la Communauté européenne.
Référence
. Dossier REE de septembre 2003 sur les nanotechnologies
9 Dossier REE de janvier 2004 sur les nanotechnologies
REE
No 8
Septembre
2005
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